Ce n'est un mystère pour personne que je milite depuis des années pour une reconnaissance claire des directrices et directeurs d'école. C'est à ce titre que depuis de nombreuses années je fais partie du GDiD, qui travaille activement à la question depuis plus de quinze ans.
Au départ de ma réflexion, je réclamais un statut spécifique, ce qui ne voulait pas dire grand chose dans la mesure où je n'avais pas forcément totalement réfléchi à la question. Puis me sont apparus, à force de discussions, les problèmes majeurs créés par l'éventuelle création d'un nouveau corps de la fonction publique, en particulier celui de son recrutement qui ne pourrait se faire que par un concours externe. Comme je souhaitais - et je souhaite toujours - que les directeurs d'école soient avant tout des enseignants du primaire connaissant parfaitement l' "école" et ses fonctionnements, j'ai abandonné peu à peu cette idée. D'autant que depuis décembre 2014 et la parution du "Référentiel Métier des Directeurs d'école", il m'apparait clairement que nous avons désormais une position particulière, que je n'appellerai pas statut pour m'éviter d'oiseuses discussions, mais qui s'y apparente franchement avec ce texte opposable et ses spécifications particulières qui accordent au directeur d'école une place hiérarchique spécifique au sein de l’Éducation nationale. Hiérarchique? Oui. Dans la mesure où nous avons la pleine main totalement reconnue sur un certain nombre de points comme la répartition des élèves et des classes, ou autre exemple la possibilité d'autoriser ou refuser les sorties scolaires, nous sommes de fait les supérieurs hiérarchiques directs des enseignants des écoles que nous administrons. Il va de soi que cette situation est violemment récusée par ce nombreux syndicalistes qui refusent l'évidence. Alors que dans nos écoles, que ce soit pour notre hiérarchie directe, nos adjoints ou les familles, c'est une évidence. Enfin, pour une partie de notre hiérarchie directe, celle qui est honnête et responsable, avouons qu'il reste un certain nombre d'IENs sous le nez desquels il faudra coller le référentiel avec de la colle forte (non, pas la bleue que nous utilisons beaucoup en maternelle)...
Mais notre situation reste inconfortable. Comme ce statut de facto est récusé par plusieurs centrales syndicales, évidemment celles qui espèrent encore "le grand soir" ou restent phagocytées par de vieux barbons qui dans le cœur sont restés attachés à la lutte des classes, nombreux sont les enseignants qui le nient, ou l'ignorent. Même chose chez les directeurs d'école, dont beaucoup méconnaissent jusqu'à l'existence du texte récent qui délimite et explicite les contours de leur mission.
Il est donc nécessaire de marquer les esprits, en distinguant administrativement les directeurs d'écoles des enseignants du primaire. Comme il n'est pas question de créer un nouveau corps, il aurait pu être opportun de nous intégrer dans le corps des Personnels de direction, comme le sont les principaux de collège et les proviseurs de lycée. Mais ceci pose de nouveau la question du recrutement, et celle des astreintes inhérentes à ce corps. Sur le second point, il est devenu évident ces derniers temps que les directeurs d'école s'en rapprochent à grands pas, j'en veux pour témoin par exemple la demande récente par les rectorats de connaître nos numéros de téléphone portable pour nous alerter en cas d'alerte terroriste ou de danger. Mais celui du recrutement est totalement contraire à l'idée que je me fais de la direction d'école primaire et de ses spécificités, que découvrent d'ailleurs depuis quelques mois avec une certaine stupéfaction tant ils en étaient ignorants nos administratifs et autres corps constitués comme la gendarmerie, la police ou les pompiers...
Bref, exit l'intégration dans le corps des Personnels de direction. Il faut donc imaginer autre chose. C'est dommage parce que les formations proposées à Poitiers aux Personnels de Direction sont souvent passionnantes, et nous correspondent pleinement. Bon...
Il a été émis alors l'idée de créer pour les directeurs d'école un GRAF - ou GRade à Accès Fonctionnel -, à l'image de ceux qui existent déjà dans la fonction publique et servent à distinguer les missions et services particuliers rendus par certains fonctionnaires. Un GRAF, c'est une rémunération particulière, un grade auquel on n'accède pas par ancienneté mais bien par l'exercice d'une mission spécifique pendant X années. C'est une reconnaissance de la position, des compétences, des services rendus. C'est une reconnaissance. Voilà une idée qu'elle est bonne.
Reste à en définir les contours. Et c'est là que le bât blesse. Déjà pour les conditions spécifiques d'accès qui ne peuvent être étendues à tous les directeurs d'école. Effectivement, je suis le premier à en convenir, il faut avoir exercé cette mission plusieurs années pour savoir si on y est compétent et si on y est reconnu. Le hasard de l'affectation ou le désir de se rapprocher de son lieu de travail ne signifient pas que la fonction nous convienne. Il apparait donc nécessaire de prouver un certain nombre d'années réussies dans la mission pour accéder à ce grade. Je fais peut-être sauter en l'air un certain nombre d'entre vous en écrivant cela, mais à une époque où de nombreux débutants se retrouvent malgré eux avec cette charge il est de toute façon inconcevable d'imaginer accéder à un tel grade - dans lequel on restera forcément ensuite - sans autre forme de procès. Et puis nous sommes cinquante mille. Cela vous gêne? Désolé.
C'est alors que commence l'insidieux travail de sape des syndicats. C'est que, dans la fonction publique, on ne peut pas changer les choses sans en papoter avec les centrales. Et si un certain nombre d'entre elles ont d'emblée marqué leur intérêt pour le GRAF (SE-UNSA, SGEN-CFDT, SNALC...), d'autres en revanche en ont fait pipi dans leur culotte. L'idée de reconnaître que les directeurs d'école ont des responsabilités distinctes et méritent qu'on leur en soit gré les indispose profondément, ça leur fiche une diarrhée aigre et continue (au passage, si vous me trouvez un peu pipi-caca dans mon discours, n'oubliez pas que je bosse en maternelle et que j'ai le nez dedans; et encore, je vous épargne les éternuements en pleine poire et le vomi sur les chaussures).
Ces graves gens-là ont donc tranquillement commencé à exprimer leur sentiment d'injustice. Et les CPC alors? Va pour les CPC, ils y auront accès aussi. Personnellement je n'y vois pas vraiment d'inconvénient, les CPC ont un boulot de m[...] et nous sont parfois bien utiles. Alors pourquoi pas, je nous pense assez proches dans nos démarches de travail. Même si je suis persuadé que leur fonction n'a rien d'indispensable que je ne pourrais assumer moi-même. Et les pauvres maîtres d'application? Va pour les MA. Là, je suis plus réservé. Ces enseignants ont déjà une reconnaissance spécifique, moins de charge de classe que moi, et sont mieux payés. Euh... on commencerait pas à se foutre du monde, là? Oh mon Dieu, et les pauvres enseignants de RAR ou ZEP ou je ne sais plus parce que ça change tous les deux ans, bref ceux qui bossent dans des secteurs merdiques avec des classes pourries et des élèves horribles? Va pour ceux-là aussi... Euh... qu'on excuse, mais ne seraient-ils pas déjà mieux payés que moi?
Au fil des mois, ce grade spécifique se trouve ouvert à tout le monde. Avec la complicité, hélas, ou l'innocence, des centrales syndicales qui pourtant au départ soutenaient la juste revendication des directeurs d'école. De l'innocence à la bêtise... non je ne l'ai pas écrit, mais je commence à me poser la question. Alors évidemment, plus on ouvre le truc, moins il sera question de reconnaissance financière ou autre. Ce GRAF devient un fourre-tout incompréhensible dans lequel la reconnaissance des directeurs d'école et de leur mission spécifique est noyée. Ce qui à mes yeux est inconcevable. Alors je me pose la question: pour qui roulent les centrales syndicales, y compris le SE ou le SGEN? Qu'est-ce qui a le plus d'importance à leurs yeux? Le compromis, ou la justice? Et puis surtout, où est passée dans ce contexte la reconnaissance des compétences particulières nécessaires à la réussite de la fonction de direction?
Les décisions réelles quant aux contours de ce GRAF sont sur le point d'être prises. Je ne pardonnerais à personne que ma mission, celle que j'exerce depuis quinze ans, celle qui me donne tant de soucis, celle qui parfois me réveille au milieu de la nuit, ne soit pas reconnue comme elle doit l'être. Qu'on se le dise, je sais faire la part des choses, je sais reconnaître l'implication mais aussi les lâches renoncements. Il est temps d'être clair et de refuser le n'importe quoi. Il est nécessaire, absolument nécessaire, totalement impérieux, que ce GRAF reconnaisse uniquement la mission indispensable de directeur d'école, et seulement elle. Car s'il est un personnel dont on ne peut se passer dans l’Éducation nationale, c'est bien lui. Peut-être éventuellement le travail des CPC ensuite avec les restrictions que j'ai déjà posées (ai-je vraiment besoin d'un CPC?). Mais il faut que ça s'arrête là! Sinon la création de ce grade sera une totale faillite. Si les centrales syndicales réformistes ont envie de baisser culotte, moi non.