mardi 25 février 2014

Petit séjour en Absurdie...


Depuis de nombreuses années beaucoup de rapports et constats sur l'enseignement primaire déplorent l'absence d'enseignants expérimentés dans les secteurs où ils seraient les plus utiles, précisant que les postes difficiles en ZEP, RAR ou ECLAIR sont dévolus aux enseignants débutants.

Certes, certes... Difficile de nier la réalité des faits. Moi-même par exemple j'ai commencé ma carrière par quinze années de remplacement, sur une "circonscription" dont la majeure partie était en ZEP. J'ai continué en ZUS (Zone Urbaine Sensible) comme enseignant puis comme directeur, et aujourd'hui je suis tranquillement installé dans une commune semi-rurale qui ne rentre dans aucune des catégories susmentionnées. Je dois préciser que je ne suis plus aujourd'hui que directeur de deux classes, les trois autres ayant fermé aux cours des années. D'ailleurs...

Portrait!

Je suis un enseignant de maternelle très expérimenté, spécialiste de la petite enfance, aux résultats excellents avec mes élèves à la réussite desquels je suis très attentif. Comme directeur d'école et comme enseignant, j'ai des rapports remarquables avec les familles qui y sont très sensibles, un contact de confiance avec une municipalité qui du coup se met en quatre pour nous aider dans notre travail. Mes années de direction d'école m'ont apporté une efficacité reconnue dans ma mission, et je sais élaborer des projets de longue haleine qui font l'unanimité pour leur intérêt et leur réussite...

Bref, si les écoles étaient des entreprises, je serais une proie de choix pour n'importe quel chasseur de tête.

Imaginons ce dialogue:

"- Bonjour Monsieur, je voudrais vous embaucher pour vous occuper d'une autre école. Vos qualités y seraient fort utiles!
- Vous me proposez quoi?
- Eh bien vous auriez une charge d'enseignement guère moindre qu'aujourd'hui, pour vous occuper de huit classes d'élémentaire au lieu de vos deux classes de maternelle, et je vous gratifierais de 80 € de plus par mois! Royal, non?
- Vous vous foutez de moi? Au revoir Monsieur."

Ziiiiiip! Petit retour en arrière, je me suis trompé, j'avais oublié que je faisais de la science-fiction! Je recommence:

"- Bonjour Monsieur, je voudrais vous embaucher pour un travail à la hauteur de vos compétences.
- Vous me proposez quoi?
- Vous seriez directeur, sans aucune charge d'enseignement, responsable de votre projet, de votre budget et de votre personnel, avec pour seul objectif la réussite de vos élèves qui serait observée à la loupe avec le seul risque de retourner dans votre poste actuel en cas de défaillance. Vous auriez huit classes primaires, de la maternelle au CM2, et je double votre salaire actuel.
- Je signe où?"

Car voilà bien, concrètement, où le bât blesse. Après trente-cinq ans de carrière, après avoir tant donné à mes élèves, leurs familles, mes collègues, tout ça sans considération et payé des clopinettes, je n'ai aucunement envie de jouer les héros ou les sauveurs sans contrepartie digne de ce nom. Pourquoi diable irais-je m'enquiquiner avec une école élémentaire et les merdouilles administratives que notre institution depuis des décennies s'ingénient à lui mettre sur le dos, moi qui suis si tranquille dans ma petite école maternelle? Pour avoir plus de classes à gérer? Belle affaire que celle de tripler sa tâche de directeur et n'avoir pour l'assumer qu'une seule journée sans classe, tout en conservant la charge de la réussite de ses propres nombreux élèves. Pour gagner plus d'argent? Entre ma charge de direction actuelle et celle d'un directeur de neuf classes il n'y a que 80 € de différence. Vous voudriez qu'à mon âge je me tue pour une somme aussi ridicule? C'est une blague?

Je pourrais aussi retourner travailler en ZEP... La ZEP, son soleil, son ambiance de fête, son atmosphère... Pas fou. Je laisse ça à ceux qui ont encore de la résistance et de l'énergie, ou qui n'ont pas le choix car trop jeunes pour postuler sur des postes plus tranquilles. Car le choix pour moi il est aujourd'hui de me ménager du mieux que je peux, alors que ma mission est déjà bien difficile. Je profite donc honteusement, mais sans aucun remord, de ma position et de mon barème de directeur blanchi sous le harnois, pour profiter d'une petite commune sympathique et attentive, de parents d'élèves de la classe moyenne souriants et attentionnés avec leurs enfants comme avec l'école, et de très jeunes élèves mignons et travailleurs. Si je dois payer ça 80 €, ben ce n'est pas cher.

Tout ça pour dire que tant que les conditions de travail des directeurs d'école seront celles que nous connaissons, nos salaires ceux que nous connaissons, les écoles celles que nous connaissons, les marges de manœuvre des directeurs d'école celles que nous connaissons, vous n'êtes pas prêts de voir changer les résultats PISA des petits français. Mais qui aura le courage de purger l'Education nationale, de payer les enseignants comme ils devraient l'être, et de donner aux directeurs d'école les moyens de travailler correctement?

samedi 22 février 2014

Quelques considérations d'une personne d'âge...


Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n'avais pas le temps de me dire : « Je m'endors. » (Proust: Du côté de chez Swann)

Moi, ce fut l'inverse. J'ai pu longtemps faire durer mes soirées jusqu'à des heures indues. J'étais encore jeune, résistant, peu enclin au sommeil dont j'avais peu besoin. Puis il y a sept ou huit ans il m'a soudain fallu sept ou huit heures d'une nuit calme pour arriver à récupérer de mes journées de travail; couché à 10h30, je peux me lever à 6h le matin l'esprit suffisamment dégagé pour envisager sereinement de trimer une journée de plus -un café est néanmoins indispensable!-. Je peux raisonnablement estimer que je me suis pris à quarante-cinq ans un bon "coup de vieux".

Je reste tributaire pour mes nuits de conditions particulières. Un coup de vent peut me réveiller, une pleine lune m'est néfaste sa veille ou son avant-veille et me réveillera immanquablement entre deux et trois heures du matin. Vous n'y croyez pas? Cela n'a pas d'importance, je sais ce que je vis. On dit qu'on a l'âge de ses artères, je le sens dans mes articulations et mes muscles endoloris en fin de journée. Néanmoins désormais, à peine étendu trois minutes me suffisent pour m'endormir. Est-ce ce qu'on appelle le "sommeil du juste"?

J'entends certains dire qu'ils ont encore l'esprit jeune. Ce n'est pas vrai. Ces gens-là s'illusionnent. On ne vit pas ce qui se passe autour de nous de la même façon si on a vingt ans ou si on en a cinquante. Si aujourd'hui certains comportements ou réflexions qui m'auraient outré il y a quelques décennies me laissent parfaitement indifférent, d'autres que je n'aurais même pas remarqués entraînent mon exaspération ou me fatiguent. Comme je fais plus facilement la différence entre ce qui relève de la maladresse ou de l'ignorance et ce qui relève de la méchanceté ou de la bêtise. D'aucuns diraient que je suis devenu philosophe. Je pense plus simplement que je sais aujourd'hui distinguer ce qui vaut la peine de s'indigner de ce qui ne mérite que de l'indifférence. La provocation par exemple m'amuse, moi qui grimpais si facilement aux arbres à vingt ans -j'ai des camarades qui savaient en jouer et m'ont certainement beaucoup aidé dans cette prise de conscience-. Et puis une provocation est si facile à contrer!

C'est pourquoi je ne m'offusque plus des critiques idiotes de la population contre les enseignants en général, ou des syndicats sclérosés contre les directeurs d'école. Je lis, je constate, j'entends... et s'il le faut je tacle. C'est vraiment trop simple de ne pas s'exciter contre des idées toutes faites: un sourire, un argumentaire construit circonstancié et imparable, et pouf la critique s'évanouit ou la récrimination disparait comme une mauvaise odeur qu'un simple courant d'air suffit à éliminer. Parfois on a affaire à un interlocuteur de mauvaise foi: pas dans une vraie conversation car ces gens-là sont incapables de vous regarder dans les yeux, et votre calme suffira à les désarçonner; mais sur un forum internet par exemple, un interlocuteur anonyme, c'est si facile... Dans ce cas, rien ne vaut une pique pleine d'esprit et de moquerie, un humour ravageur et surtout bien écrit, qui mettra les lecteurs et les rieurs de votre côté. Il est d'ailleurs recommandé d'accumuler les adjectifs rares et les qualificatifs riches, plus votre niveau d'écriture sera élevé moins vous serez attaquable, ou plus difficile vous serez simplement à contrer.

Les vieux enseignants et les vieux directeurs ont-ils donc atteint la sagesse? Non. Mais ils ont beaucoup vu, beaucoup entendu, sont revenus de pas mal de choses, et ils ne se laissent pas embarquer dans des controverses stériles ou des expériences qu'à l'avance ils savent vouées à l'échec. Ils repèrent facilement le mensonge ou la provocation, ne cèdent pas aux sirènes et n'écoutent pas les rumeurs. Il faudrait néanmoins qu'ils sachent être sensibles aux gestes d'autrui, à ce que parfois on leur offre de bonne foi, même maladroitement. Les enfants, après des années d'enseignement, nous en apprennent beaucoup sur le don généreux et désintéressé. Peut-être aussi parce que nous leur avons beaucoup donné.

mercredi 19 février 2014

Le mercredi au soleil...


Un clair soleil d'hiver frôle ce matin mon clavier. Un léger rayon de poussière s'en élève, révélé par une lumière particulière, un peu froide, éloignée de celle de l'été. Il y a néanmoins comme une sensation printanière.

Comme ma commune d'exercice n'est pas passée aux nouveaux rythmes scolaires, c'est un de mes derniers mercredi matin au calme. Il faut que je les savoure, ces instants dont le nombre va s'amenuisant de semaine en semaine. Des instants de simple récupération, où je peux retomber sur mes pieds, sans cris dans les oreilles, sans excitation.

Du coup, je me pose la question: comment vais-je organiser mon temps l'année prochaine? L'emploi que j'en fais pour mes élèves, malgré ma volonté de rester le plus proche possible de leurs besoins, est aujourd'hui fatigant pour tous. J'ai toujours voulu travailler le mercredi matin, en lieu et place du samedi matin, espérant éviter cette rupture qui faisait du jeudi matin un "petit lundi" et m'obligeait à moult contorsions pour faire retrouver à mes petits de quatre et cinq ans le calme nécessaire à l'acquisition de compétences ou de connaissances. J'ai donc beaucoup d'espoir dans ce changement de rythme. Mais je ne voudrais pas tomber dans le travers d'ajouter une couche supplémentaire à la réelle fatigue de mes élèves. Car l'école maternelle, contrairement à ce que certains voudraient bien croire, n'est pas un long fleuve tranquille constitué de temps de sieste et de récréations. Les enfants y travaillent, y travaillent beaucoup, et même si le rythme des activités est calculé pour alterner temps calmes, temps de travail, temps de mouvement, nos petits élèves y sont presque constamment sollicités que ce soit par leur enseignant ou un camarade. Le bruit aussi est très présent. Surtout si la classe est nombreuse, c'est le cas chez moi. Difficile donc pour un enfant de trouver un moment pour se retrouver, pour se relaxer, pour rêver seul et se construire. Pour l'enseignant, c'est impossible.

Le malheur, c'est qu'une classe dont l'enseignant aussi est fatigué ne peut que fonctionner moins bien. Il me faut donc trouver pour l'année prochaine un fonctionnement qui nous rende ce qui nous a été pris il y a quelques années, soit le temps de prendre notre temps.

J'ai deux possibilités: soit je considère le mercredi matin comme une matinée "normale" de travail et je la calque sur les quatre autres, en me fiant à l'idée que les journées étant raccourcies d'une heure mes élèves y trouveront leur compte; soit je conserve l'idée de rupture du mercredi matin et j'en profite pour y organiser des activités qu'au cours des dernières années j'ai été obligé de quasiment sacrifier, comme nombre d'activités manuelles.

Dans la première option, je reste avec mon actuel emploi du temps, aux matinées contraignantes mais qui déjà allège les fins de journée pour des enfants qui n'en peuvent plus passées 15 heures et sucent leur pouce à qui mieux mieux. Et finalement j'alourdis peut-être une semaine déjà difficile et longue. Sans compter que mes élèves seront pour beaucoup d'entre eux encore sollicités par les nouvelles activités périscolaires.

La seconde option me permettrait de transformer la rupture du mercredi matin en un temps de découverte, de manipulations, un temps allégé des fortes contraintes des autres matinées. Je retrouverais peut-être le plaisir qu'étaient auparavant nos samedis matin, où les enfants accouraient deux fois plus vite tant ils en appréciaient l'organisation plus légère, souvent une matinée un peu "à la carte" qui leur donnait le temps de vivre et autorisait chacun à grandir à son rythme. Moi-même je venais l'esprit tranquille et joyeux. Il faut aussi que je me ménage moi-même, cela n'aiderait personne que je me zombiefie encore plus rapidement qu'aujourd'hui, d'autant que je n'ai plus vingt ans et que ça s'aggrave chaque année. Si mon expérience augmente, mon énergie diminue en proportion, et je dois rester raisonnable. Cela vous parait futile? Vous verrez après trente-cinq ans de métier!

En bref, je dois veiller à l'intérêt de mes élèves, mais aussi au mien. Je dois savoir profiter de l'opportunité qui m'est offerte pour améliorer non pas les apprentissages, mais les conditions d'apprentissage, ce qui n'est pas la même chose.

Bon, j'ai encore le temps d'y réfléchir. Mais la seconde option me semble plus séduisante. Peut-être d'ailleurs serai-je également plus disponible pour mon travail de directeur d'école à chaque fin de journée... J'y crois? Je vais essayer en tout cas.

dimanche 16 février 2014

Humeur: Raaaah! Epargnez-moi!


Hommes politiques ou journalistes, qui souvent se tiennent la main, ont continuellement besoin de se prouver leur importance. Leur besoin de reconnaissance sort de l'ordinaire, ils ont besoin d'être remarqués voire adulés. Cette nécessaire existence médiatique se passe de justification, elle n'existe que par elle-même, et n'a que peu à voir avec la conscience. Pour un politique tout est bon pour faire parler de soi: une inondation quelconque, un exploit sportif, un film récent... Ceci les amène bien entendu à donner leur avis sur des sujets auxquels ils ne comprennent rien, quitte à dire une gigantesque ânerie ou se faire le relais de groupuscules aux objectifs nauséeux -M. Copé en est un excellent exemple qui a commis l'exploit récent de cumuler les deux-. Et avec Twitter on touche le fond, la précipitation y tient lieu de pensée: "c'est moi le premier qui l'ai écrit!" Si la bourde est reprise en boucle par des médias qui ne tiennent que par l'immédiateté sans réflexion, c'est tout bon. On parle de moi donc j'existe. Les journalistes -ou qui se prétendent tels- font la même chose en exploitant sans vergogne la moindre rumeur, la moindre confidence, le moindre mensonge, quitte à en faire des tonnes et à transformer en scandale une bourde sans conséquence ou une minable escapade amoureuse. Et si le pays se divise, quel bonheur, cela nous fera du grain à moudre pour nos sites internet... et si cela profite aux groupuscules extrémistes ou aux partis rouge-sang ou vert-de-gris, c'est encore mieux! Et puis on va pouvoir faire des sondages: consultations biaisées, aux questions effarantes, au professionnalisme improbable, au panel ahurissant de pékins choisis dans la rue... On finit par en arriver à voir des soi-disant journalistes se prendre en photo eux-mêmes sur fond de rencontre d'état, le comble de l'égotisme et de l'auto-satisfaction.

Dois-je exprimer à quel point c'est lamentable? Tous ces relents nauséabonds finissent par provoquer chez moi des haut-le-cœur. C'est réellement à vomir.

Dans ce salmigondis innommable, il est une habitude qui me tape particulièrement sur les nerfs, c'est celle de reprendre en chœur -politiques et journalistes confondus- et jusqu'à la nausée des termes anglo-saxons ou des acronymes obscurs. Nous avons quelques excellents exemples récents avec les termes "burn-out" et "bashing", qui sont mis à toutes les sauces, ou avec les cours en ligne, MOOC -et leur abominable traduction CLOM- et autres SPOC. Brrrr! J'en ai froid dans le dos!

Épargnez-moi! Les récents "Peillon-bashing" et "Copé-bashing" (je ne blague pas, je l'ai lu et entendu) font frémir, d'autant qu'ils ne riment à rien. Le terme "bashing" désigne une campagne de dénigrement organisée, comme la France a pu en connaître une aux États-Unis lorsqu'elle a refusé de participer à l'invasion de l'Irak sur des prétextes inventés. Lorsqu'un politique susurre une grosse ânerie et se fait tacler ensuite, c'est bien de sa faute, ce n'est en aucun cas une campagne de dénigrement organisée. En plus, c'est bien fait, la prochaine fois il y regardera à deux fois avant de s'exprimer à tort et à travers.

Le "burn-out" quant à lui se porte également très bien, et il est mis à toutes les sauces. Le terme pourrait être facilement traduit même s'il recouvre chez nous des réalités diverses parfois largement dissemblables: épuisement professionnel, stress, anxiété, déprime, dépression, sentiment d'exclusion... Encore faut-il que le lien avec le travail soit clairement établi, et ce n'est pas si simple. Le "burn-out" est un concept fourre-tout qui voudrait nous faire croire que la cause de tous les ennuis de ce genre ne pourrait être que le monde professionnel. Voilà un responsable fort pratique puisqu'il ne peut pas se défendre, et évite surtout les remises en question personnelles. Nous devrions faire comme nos amis québecois, qui ont le don des néologismes, et appeler par exemple "brûlage" ou "calcination" ce fameux épuisement professionnel lorsqu'il est prouvé que c'en est bien un. Et ne pas cacher sous l'expression anglo-saxonne "burn-out" nos ressentis ou nos sentiments. Bref, épargnez-moi aussi "burn-out", marre de lire ou entendre ça partout sans que ce soit justifié.

Ce qui me chagrine le plus, c'est que l'usage de ces mots et acronymes nous cache souvent la forêt. Les mots sont déjà un déguisement de la pensée, alors quelle peut être la qualité d'une réflexion qui ne s'appuie que sur un lexique aussi restreint?  Les syndicats par exemple s'en emparent facilement pour éviter d'aborder les vrais sujets qui fâchent. Combien d'enseignants se font avoir bêtement de cette façon... C'est ainsi que politiques, médias et syndicats, avec des intentions diverses mais souvent perverses, nous jouent du pipeau pour nous occulter la réalité. Nous voilà "pour", nous voilà "contre", sans rien vraiment savoir ni rien vraiment comprendre. Cher lecteur, ne te fais pas avoir, regarde au delà des mots, ne tombe pas dans le manichéisme outrancier où nous précipite l'usage de termes généraux sans consistance mais à la mode. Et ne succombe surtout pas à la tentation de les utiliser!

samedi 15 février 2014

Un tissu à découdre...


Je viens de lire avec un certain plaisir le dernier bloc-notes de Philippe Watrelot. D'abord parce qu'il y exprime en partie ce que je clame, réclame et proclame depuis des années, et depuis deux ans sur ce blog, ensuite parce qu'il apporte quelques arguments supplémentaires qui je le pense font "mouche"!

Philippe Watrelot évoque en avant-propos la fumeuse question du gel de l'avancement des fonctionnaires qui avait inopinément surgi la semaine dernière et que j'avais évoquée ici. Il le fait en termes très efficaces:

Rumeur ou ballon d’essai ? On sait que c’est une pratique malheureusement assez courante chez les politiques de tester une idée en petit comité, de laisser “fuiter” et de voir ce que ça provoque comme réactions. Mais on peut aussi se demander si la rumeur n’est pas utilisée pour déstabiliser.

Philippe Watrelot a raison. Je crois personnellement à une imprudence de langage exploitée fort à propos par des journalistes pour des raisons électorales, ou pire pour vendre du papier. Car notre ministre -qui a d'ailleurs rapidement démenti, comme vient de le faire le Premier Ministre- sait qu'il serait contre-productif d'appauvrir les enseignants français qui sont déjà les moins bien payés de toute l'OCDE, ce qui pose actuellement d'énormes problèmes de recrutement comme de fonctionnement. Et puis évidemment démoraliser un peu plus une profession déjà au fond du trou ou du "burn-out" -pour utiliser un terme très à la mode- n'apporterait rien à la profonde rénovation dont le système éducatif français a besoin ni à la nécessaire évolution du statut des personnels fonctionnaires de l’Éducation nationale. Mais le fond, comme le souligne justement Philippe Watrelot -et c'est ce qui fait le principal de son bloc-notes-, reste bien la question des économies nécessaires sur le budget global de l’État, et évidemment sur celui de l’Éducation nationale qui engloutit de façon parfois absurde des sommes phénoménales. La comparaison avec l'Allemagne, pays frontalier et similaire sur le plan éducatif, est logique et particulièrement frappante, même si concrètement il est difficile d'obtenir pour cette nation amie certains chiffres détenus par les "länder" dont la compétence éducative est importante. On peut d'ailleurs prolonger la question en l'amenant sur un plan politique plus large dont je suis friand, celui de la compétence des régions ou régionalisation comme on dit par chez nous, qui est je pense à terme l'avenir de notre Nation. Mais c'est un débat qui n'est pas forcément du propos de ce blog... ou pas entièrement bien que depuis longtemps je réclame que soit mis fin au jacobinisme centralisateur et parisien qui règne au ministère de l’Éducation nationale.

Philippe Watrelot écrit au sujet de l'Allemagne:

Des établissements moins nombreux et deux fois plus grands en moyenne. On pourrait réduire le nombre d’établissements en France et réaliser ainsi des économies d’échelle.

Cela va totalement dans mon sens. J'ai déjà largement expliqué dans plusieurs billets que la France ne peut plus se permettre de maintenir 54000 écoles, autant de danseuses mises en porte-à-faux par l'efficacité que montrent partout les établissements qui ont déjà été regroupés, où s'élaborent avec bonheur de nombreux projets innovants grâce à la synergie pédagogique et de moyens qui y règne. Ma propre commune d'exercice, je l'ai déjà écrit, pourrait sans souci regrouper ses deux petites écoles élémentaire et maternelle pour un meilleur usage des locaux et matériels, une meilleure coordination entre les cycles, le tout au grand bénéfice des élèves. Encore faut-il évidemment qu'un regroupement soit territorialement logique, et je crois que cela devrait pouvoir se faire à la demande des communes elles-mêmes sans attendre une quelconque volonté administrative. Philippe Watrelot ajoute à cette considération plusieurs arguments imparables:

Au passage, on soulignera que des établissements plus grands touchant plusieurs communes peuvent aussi permettre une plus grande mixité sociale.

... et plus loin:

Il y a un personnel administratif pour 8,5 enseignants dans le public. On pourrait atteindre des ratios d'encadrement plus bas. Concernant ces personnels de gestion, leur coût est estimé par l'OCDE à 3,5 milliards d'euros par an contre 0,9 en Allemagne. C'est, là encore, lié au nombre beaucoup plus élevé des établissements. Une économie substantielle sur ce poste de dépense est possible sans perte de qualité, si des regroupements de moyens sont opérés.

Le premier point rejoint mon commentaire qui l'a précédé. On sait les larges bénéfices de la mixité sociale pour tous les élèves et leur réussite scolaire. Les ghettos éducatifs sont la pire invention de notre société, dans les deux sens. Je les ai moi-même personnellement testés pendant une grande partie de ma carrière, comme j'ai pu également constater le total inintérêt du repli social que constituent certains établissements "d'élite". Cela va certainement à l'encontre du sentiment des familles qui croient que leur enfant réussira mieux dans une "bonne école", ce qui est une idée toute faite. Ne croyez pas en lisant ces mots que je sois un apôtre gauchisant et universaliste à l'optimisme béat. J'ai simplement suffisamment d'expérience de ce métier pour savoir que la personnalité, les compétences et le savoir s'acquièrent ou se construisent mieux lorsque les expériences et les rencontres sont multiples et diversifiées. Enfin à mes yeux tout est bon pour réduire à quia les communautarismes divers et de tous poils ou obédiences qui font tant que mal à notre Nation.

Le second point, concernant la profusion de personnels administratifs et de gestion dans le ministère de l’Éducation nationale, a déjà fait l'objet de nombreux billets de ce blog. Je ne crois pas utile d'y revenir, seulement pour redire combien absurde est la pyramide institutionnelle du système éducatif que j'avais décrite ici il y a un an -schéma à l'appui-. D'autant que, comme l'ajoute à juste titre Philippe Watrelot et que je hurle depuis des années:

Dans un système plus déconcentré et décentralisé et dans une logique d’empowerement des personnels, a t-on besoin d’une lourde structure administrative productrice de procédures et de contrôles a priori qui gênent les initiatives et l’innovation ?

Comme cela est bien dit! Je crois qu'on ne peut pas se rendre compte des freins ahurissants du système quand on ne baigne pas dedans. Mais quand on y est, en plus depuis longtemps...

Philippe Watrelot ne parle pas spécifiquement des directeurs d'école dans son bloc-notes, même si nous y sommes pourtant très présents en filigrane. M. Watrelot semble demander sans l'écrire, comme nous le faisons depuis des années en l'écrivant, la présence dans les écoles de véritables acteurs locaux, coordinateurs pédagogiques reconnus mais néanmoins institutionnels d'établissements plus grands, mieux structurés et surtout autonomes. C'est prêcher un converti, ou peut-être simplement mettre en avant l'évidence du rôle de la direction d'école et son importance, qui ne peut que grandir dans une logique de changement telle qu'elle est décrite. Des écoles regroupées au sein d'établissements primaires ne peuvent avoir à leur tête que des directeurs d'école, personnels déjà reconnus localement autant par les communes que par les familles ou les enseignants, et qui comme professionnels de l'enseignement restent et resteront les garants du rôle premier et indiscutable de l'intérêt pédagogique comme de la réussite scolaire des élèves. Les directeurs d'école, statutaires sont d'ores et déjà les leaders du proche avenir de notre système éducatif. Car je ne doute pas une seconde que cette évidence va s'imposer.

Nous devons donc dès aujourd'hui en partie découdre le tissu institutionnel de l’Éducation nationale, pour mieux rebâtir un nouveau costume. Les prochaines avancées quant au statut des directeurs d'école sont une première étape que nous ne devons pas manquer. Il restera beaucoup à faire. Avec l'aide de nos élus et le soutien des familles, que nous devons convaincre, nous sommes certains de progresser en dépit des obstacles qui sont ou seront mis sur notre route. C'est l'école qui est en jeu, cette école que nous aimons, que nous voulons voir retrouver son efficacité. Nous ne pouvons le faire qu'unis, si possible avec confiance. Et demain la France n'aura plus à rougir.

mercredi 12 février 2014

Expectare necessitatem...


"Ô temps ! Suspends ton vol"...

Si j'appelle Lamartine à mon aide, c'est pour souligner à quel point enseignants du primaire comme directeurs d'école sommes présentement dans une totale expectative.

Beaucoup de choses ont été dites sur l'école depuis deux ans et les élections présidentielles. Beaucoup d'absurdités, de cafouillages et d'erreurs ont été dénoncés par les uns comme par les autres, sur le terrain comme par M. Peillon ministre de l’Éducation nationale. Certains changements nécessaires ont été lancés comme celui des rythmes scolaires, qui ne sont pas faits sans quelque douleur parfois. D'autres sont en gestation ou en discussion, qui laissent les enseignants, les directeurs d'école, les familles, dans l'attente ou le doute.

Je suis humain, j'ai comme vous tous du mal à attendre. Il faut dire que le temps de nos élèves n'est pas le nôtre, encore moins celui du ministère, ni celui des familles. Mes propres disciples de quatre et cinq ans vivent à cent à l'heure, grandissent à une vitesse qui après trente-cinq années de carrière m'épate encore! Alors il est vrai qu'à côté, le temps du ministère...

Expectare necessitatem... La nécessité d'attendre s'est rarement autant qu'aujourd'hui faite sentir, car tout est en chemin pour ce qui nous concerne: la fonction publique dans son ensemble est discutée, le statut des enseignants est sur le grill, celui des directeurs d'école en gestation. Comme des saucisses ou des jambons tout est suspendu à sécher dans le grenier, attendant les décisions et les arbitrages, avec les trois vents parfois contraires d'un budget national étriqué voire en berne -ce que payant des impôts élevés nous sommes à même de comprendre-, de freins syndicaux pour quelques-uns puissants -même s'ils sont en fin de compte moins costauds qu'ils souhaiteraient s'en donner l'air-, et de l'intérêt primordial des élèves et de leur réussite.

Il en est fait état sur le forum public du GDiD, où le secrétaire de l'association fait part du même sentiment:

"Tout semble en suspens… quelles économies à l'EN? l'école toujours prioritaire? remaniement imminent? Peillon encore ministre?
Nous avons activé nos relais syndicaux (merci le SE) et ministériel… 
le MEN doit terminer les discussions prévues dans l'agenda social et beaucoup de textes réglementaire sont en préparation (on se rappelle que la stratégie de Peillon était de faire voter une loi de programmation et d'agir ensuite par décrets et circulaires) pour une mise en œuvre à la rentrée prochaine. Les services du ministère ont pratiquement bouclé les docs de travail et doivent formaliser le calendrier (après les vacances d'hiver pour nous).
Voilà ce qui vient percuter une réalité du terrain où sœur Anne n'a même plus le temps de surveiller...
Attendre?"

Le Café Pédagogique, dont je ne peux pas dire qu'il soit pourtant ma tasse de thé, ressent la même chose:

Avec ce mois de février commence une curieuse étape du cheminement de l'Ecole. On entre dans un moment où elle semble en suspension, soumise à des éléments qui lui échappent.

Car il est vrai que la décision de M. Peillon, en dépit de ses déclarations de volonté de rester à la tête de ce ministère, laisse malgré tout traîner un doute désagréable. Comme quoi la gestion politicienne n'a que peu à faire avec la politique au sens noble d'un terme galvaudé.

La question de la direction d'école reste évidemment pour moi d'une importance cruciale, je suis intimement persuadé -et je ne suis pas le seul, lisez ce blog, tous les rapports divers et variés en soulignent l'importance- qu'elle est une des premières qu'il faille résoudre. Les choses sont en cours, nous sommes tous attentifs, nous ne devons pas nous laisser glisser dans un doute déprimant ou une impatience insconstructive. De toute façon, ce qui sera décidé ne sera qu'une première étape, certainement peu satisfaisante, mais quoi qu'il advienne par la suite une étape décisive. car ce sera la première fois depuis la faillite des "maîtres-directeurs" -dont il est vrai l'esprit était différent- que le métier de directeur d'école sera considéré comme une mission à part qui mérite considération et intérêt pour l'avenir de l'école. Si la question vient à son terme, il faudra bien évidemment savoir rendre à César ce qui sera à César, soit rendre à M. Peillon le bénéfice de ce qu'il aura malgré toutes les difficultés -et même ses premières réticences- su malgré tout prendre en compte. Et savoir aussi lui rendre compte d'une part de son honnêteté intellectuelle, d'autre part de son courage pour aller à contre-courant, enfin d'avoir compris que ce qui motive les directeurs d'école et le GDiD qui nous accompagne n'est en fin de compte que la réussite de nos élèves, de TOUS nos élèves.

Expectare necessitatem... Soyez -soyons- courageux et patients. Il sera toujours temps de prendre des décisions. Comment disent les anglais? Ah oui, Wait and see.

dimanche 9 février 2014

De l'école, de son rôle, de sa chute, de ma paye...


"Vous êtes l'auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille ; parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l'on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toutes les fois qu'il s'agit d'une vérité incontestée, d'un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d'effleurer un sentiment religieux dont vous n'êtes pas juge.

Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu'où il vous est permis d'aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir : avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire."

Voilà ce qu'écrivait Jules Ferry en 1883, dans sa fameuse "Lettre aux instituteurs". Lequel d'entre nous, enseignant en CM1 ou en CM2, ne s'est pas trouvé confronté à une situation où un de nos élèves nous rétorquait "Mon père m'a dit que..." ? Sans d'ailleurs qu'il soit nécessairement question de croyance religieuse au sens strict, mais parfois de fait historique ou d'explication scientifique. La diplomatie, l'honnêteté et la bienveillance permettent alors de se sortir de cette situation scabreuse en ménageant l'aura de l'enseignant et l'importance de l'enseignement familial -notre élève doit conserver sa confiance dans l'une comme dans l'autre-, mais que de doigté il faut montrer pour que l'enfant ne se sente pas atteint profondément dans son respect filial! J'ai été moi-même face à ce problème plusieurs fois au cours de ma carrière, j'ai réussi à chaque fois à m'en sortir à la satisfaction de mon élève, mais le cerveau en ébullition à peser chacun des mots que j'employais.

Alors comment ne pas comparer cette déclaration pleine de mesure de Jules Ferry avec celle-ci, de Vincent Peillon peu après son arrivée à la tête du ministère de l’Éducation nationale:

"Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d'arracher l'élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix."

Nous avons eu hélas ces derniers mois l'illustration pleine et entière de cette volonté d' "arracher" nos élèves à leur famille, son dernier avatar étant le fameux "ABCD de l'égalité". Peut-on reprocher à l'institution de prêcher pour que filles et garçons soient considérés et traités de la même façon? Certainement pas. En revanche, dans quelle mesure est-ce son rôle? Et quelle peut être la portée d'un tel enseignement quand TOUT autour de nos élèves rappelle que ces beaux principes ne sont aucunement appliqués par la société? Certes il est intellectuellement satisfaisant d'expliquer que Sabrina peut être tailleuse de pierre et Alexandre danseur, mais il suffit que Sabrina et Alexandre regardent leur propre vie d'écolier pour constater que 83% de leurs enseignants sont des femmes; qu'ils regardent la télé pour comprendre que sur les cinq ministères régaliens -Défense, Affaires étrangères, Justice, Intérieur, Finances- un seul est tenu par une femme; ou consultent internet pour voir que la nouvelle patronne de General Motors sera payée deux fois moins que son prédécesseur. Comment pourrait-on croire que l'école peut changer des mentalités si ancrées quand les adultes hypocritement ne croient pas une seconde à ce qu'ils enseignent? Fais ce que je dis, mais pas ce que je fais. D'autant qu'on peut aussi se poser la question de la nécessité de la parité: est-il nécessaire d'avoir dans les métiers du bâtiment autant de femmes que d'hommes? Est-il nécessaire d'avoir dans l'enseignement autant d'hommes que de femmes? N'est-il donc jamais question de compétence, ou d'intérêt pour la mission, ou de choix raisonné? Si autant de femmes sont enseignantes, est-ce que ce ne peut être parce qu'elles aiment les jeunes enfants? Je peux en causer, je suis un homme qui enseigne en maternelle par goût pour cette même raison, et je reste aujourd'hui un exemple rare. Ne pourrait-ce aussi être parce que leurs temps de travail et de vacances correspondent peu ou prou à ceux de leurs enfants? Il ne faut pas se leurrer: depuis que je fais ce métier d'enseignant en maternelle, je vois toujours tout de même plus de mères que de pères s'occuper des jeunes élèves dont j'ai la charge six heures par jour. J'admets que cela a un peu changé, parce que la majeure partie des jeunes mères travaillent, et que rentre dans les mœurs -sans que l'école ait besoin d'y mettre le nez- une répartition différente des rôles au sein des familles. Un peu... si peu en réalité. Je pense que la "libération de la femme" que j'ai connue quand j'étais enfant a été un joli piège pour les filles, qui pour la plupart continuent à gérer ce qu'elles avaient quasiment toujours géré -leur maison, les courses, le linge, leurs enfants...- mais désormais en plus ont toutes un travail à l'extérieur, et mènent une épuisante double vie. Mes petites élèves ont beau avoir un homme pour maître et image de l'enseignement, "plus tard je serai maîtresse" et elles jouent avec les bébés de la classe comme à faire la cuisine, alors que mes petits garçons seront pompiers et jouent avec les petites voitures. Oh, j'observe bien sûr régulièrement d'autres comportements, des petites filles qui font "vroum vroum" et des petits garçons qui décident de se mettre à la tambouille, mais cela reste relativement rare. On voudrait me faire croire que j'y suis pour quelque chose? On me dit de faire attention aux "stéréotypes" que je véhiculerais, aux mots que j'emploie, on me donne des "éléments de langage"... Quelle blague!

Non, l'exemple familial, l'exemple de la société restent primordiaux pour nos enfants. Ils copient les images que nous leur donnons, images masculine et féminine qu'ils rencontrent. Croire l'inverse, c'est s'illusionner. L'école n'y peut rien, surtout une école féminisée à 83%... voire 97% dans mon domaine de l'enseignement en maternelle. Je crois aux archétypes de Jung, à l'animus et à l'anima, et pas à ce qu'on voudrait nous faire prendre pour des stéréotypes. Et puis nous ne sommes plus à la fin du XIXème siècle, quand les enfants d'une France rurale peu éduquée absorbaient sans broncher la propagande républicaine qui les amènera quelques années plus tard à se précipiter avec le sourire sur le front pour finalement s'y faire découper en rondelles sans pitié ni mesure. M. Peillon croit peut-être que la France d'aujourd'hui peut fonctionner comme celle de Jules Ferry dont il est parait-il un franc admirateur. Ce n'est pas le cas. Les français refusent désormais l'enseignement, ou du moins s'en méfient furieusement, d'un État dont depuis des décennies ils voient les mensonges et les compromissions, l'inefficacité, voire la corruption et les cahuzades. Enfin, il est pour moi très clair que l'égalité de traitement entre hommes et femmes ne pourra commencer qu'avec une égalité de droit qui ne différenciera plus les deux sexes dans leurs droits, mais ne les niera pas non plus. La différence des sexes est pour moi une richesse, le couple formé par un homme et une femme qui créent ensemble quelque chose de nouveau est pour moi l'exemple de la plénitude. N'en faisons pas un conflit.

Alors à quoi sert l'école? J'aimerais rappeler une vérité de La Palisse: nous sommes là pour enseigner à nos élèves à lire, écrire et compter. Bien sûr cette mission simple d'origine s'est étendue au cours du siècle dernier jusqu'à englober d'autres domaines comme la musique, l'Histoire, la géographie, un peu de chimie et un peu de physique ou d'astronomie... Notre rôle est de donner à nos élèves les bases de la connaissance et les compétences nécessaires et suffisantes pour des apprentissages plus complexes. Nous formons de jeunes esprits ouverts et normalement curieux et intéressés. Quelle magnifique mission! Mais une mission qui a perdu beaucoup de son charme d'antan, quand les instituteurs étaient appréciés et respectés, et payés à la mesure de l'importance de leur apostolat. Il y va de notre faute à tous, c'est un mea culpa collectif que nous devons faire. Car l'école est à l'image de la société dans laquelle elle est insérée: si la société va mal, l'école se porte mal aussi. Les divers constats que l'on peut faire, et qui s'accumulent depuis deux décennies, sont constants dans leur conclusion: l'école ne remplit plus son rôle instructeur, ni celui d'ascenseur social, et les enseignants en sont considérés comme responsables par la population ce qui explique en partie le mépris dans lequel ils sont aujourd'hui tenus comme la tension des rapports entre eux et les familles.

Évidemment il ne s'agit pas de considérer la façon dont chacun d'entre nous enseignants travaillons, l'investissement que nous y mettons, ni les rapports qu'individuellement nous entretenons avec notre public, surtout si nous sommes directrice ou directeur d'école, mais bien de constater une situation globale insatisfaisante que nul ne peut nier. Trop d'enfants sortent de nos mains sans connaître ce qu'ils devraient connaître ou savoir faire ce qu'ils devraient savoir faire. Trop d'enseignants se font quotidiennement insulter ou battre. Nous pouvons bien sûr à juste titre dénoncer -ce blog ne s'en prive pas- un système scolaire absurde et des programmes démentiels. Mais nous devons aussi nous poser la question de notre efficacité. Sommes-nous compétents? Sommes-nous suffisamment investis, motivés?

Personnellement, même si j'aime ce que je fais, je travaille pour gagner ma vie, pas pour les beaux yeux d'une Chimène institutionnelle. J'avoue que ce que je gagne aujourd'hui ne me pousse pas à en faire plus que ce que je fais déjà, qui dépasse ce que font certains autres dont je peux observer les méthodes de travail et l'efficacité. Mes élèves et mon école profitent largement de mon expérience. Je l'avoue pourtant, je ne m'investis certainement pas pour certains de mes élèves plus faibles autant que je pourrais le faire. Rien ne m'y incite. Ma motivation a fortement chuté entre mes débuts, ma plus belle période il y a une quinzaine d'années, et aujourd'hui. Pourquoi? Certainement une grande part de fatigue liée à l'âge et à ma carrière, de la lassitude aussi, celle de me voir si peu considéré par mon administration ou la population en général après avoir accompli tant d'efforts pendant tant d'années. Être considéré à mon âge comme le responsable de toutes les faillites sociétales du jour me donne plus envie d'aller me promener dans la campagne que de réfléchir encore plus à mon enseignement, pour lequel je passe déjà tant de temps. D'autant qu'avec ce que l’État me paye et qui diminue d'année en année, je ne vois pas l'intérêt de travailler plus alors que je gagne de moins en moins. En trente-cinq ans j'ai perdu entre 20% et 40% de mon pouvoir d'achat. Et puis si je compare mon salaire avec celui de mes homologues directeurs d'école dans les pays voisins... Non, il vaut mieux pas. Tenez, je veux être clair, même si en France dire ce qu'on gagne est un puissant tabou: en janvier, j'ai touché 2440,68 € nets. Avec mon niveau de qualification, ma spécialité, mes compétences et mon empathie reconnues autant par l'institution que par les familles de ma commune d'exercice, ma double casquette et mes doubles responsabilités comme enseignant à plein temps qui se demande chaque jour comment faire pour que le petit X augmente ses compétences à la même vitesse que ses camarades et comme directeur d'école par-dessus le marché, avec mon investissement en temps et en énergie et avec mes trente-cinq années d'expérience... Il y avait du soleil aujourd'hui, je suis allé me promener, la préparation de ma classe pour demain attendra, comme aussi la préparation du Conseil d'école de vendredi.

L'UNESCO a sorti il y a deux semaines le rapport 2013/2014 de suivi de son plan Éducation pour tous. En dehors du constat de faillite mondiale de l'école que ce plan dénonce (250 mil­lions d'enfants n'acquièrent pas les connais­sances de base), en dehors du fait que la France où "moins de 60% des immi­grés ont atteint le niveau mini­mum en lec­ture" est montrée du doigt, l'UNESCO présente quatre stratégies "que les gou­ver­ne­ments doivent adop­ter pour atti­rer et rete­nir les meilleurs ensei­gnants, amé­lio­rer leur for­ma­tion, les déployer de façon plus équi­table et les encou­ra­ger par des salaires adéquats et des plans de car­rière attractifs".

Tout est dit. "Le salaire n'est que l'un des nom­breux fac­teurs de moti­va­tion des ensei­gnants, mais c'est l'un des pre­miers à prendre en consi­dé­ra­tion pour atti­rer et rete­nir les meilleurs éléments" et "les niveaux de salaire des ensei­gnants pèsent sur la qua­lité de l'éducation", affirme l'UNESCO, souli­gnant que dans 39 pays, aug­men­ter les salaires des ensei­gnants de 15% a conduit a une hausse de 6 à 8% des per­for­mances des élèves.

Ce que ne relève pas l'UNESCO, c'est bien entendu dans notre pays la façon dont nous sommes payés, mais non plus la façon dont l'argent est réparti. En septembre 2012, j'écrivais ceci:
  • En France, les enseignants du primaire (maternelle et élémentaire) gagnent 73 % du salaire moyen à niveau de qualification égal.
  • A prix constants, les enseignants français ont en 2010 gagné 10 % de moins qu'en 2000. Partout ailleurs les enseignants ont gagné 20% de plus pendant la même période, sauf au Japon (où les enseignants sont tout de même payés 30% de plus qu'en France).
  • Un professeur des écoles français touche au bout de 15 ans de carrière 36 € par heure d’enseignement (moyenne de l’OCDE: 49 €).
  • Le salaire annuel d’un professeur des écoles français est en début de carrière de 24334 $ (moyenne de l'OCDE: 28623 $), et de 32733 $ après 15 ans (moyenne de l'OCDE: 37603 $).
Sans oublier que:
  • En France, un professeur des écoles, qui enseigne toutes les matières, travaille 30% d’heures de plus qu’un professeur de secondaire.
  • L’éducation représente 10,4 % des dépenses publiques en France (moyenne de l’OCDE: 13 %). La France est 27ème pays sur 32...
  • La France investit pour un élève de primaire -maternelle et élémentaire- 17% de moins que la moyenne de l'OCDE, soit 6373 $ (moyenne de l’OCDE: 7719 $).
  • La France investit 6185 $ pour un élève de maternelle (moyenne de l'OCDE: 6670 $).
Allez, je me fais du mal, je préfère arrêter là ce billet. J'espère simplement que non seulement le ministre de l’Éducation nationale, qui en est bien semble-t-il conscient, mais aussi le gouvernement  dans son ensemble comme le Président de la République, sauront se souvenir que les enfants d'aujourd'hui sont la France de demain, et que l'éducation est un investissement sur le moyen terme. Il ne faut certainement pas se contenter de penser au jour le jour, ou à une proche échéance comme 2017. Non, il faut savoir investir pour en récolter les fruits.

samedi 8 février 2014

Pensée magique et refondation...


L'école publique française, à l'image du pays, semble sens dessus-dessous. Mais si on en parle autant aujourd'hui, si elle est devenue un enjeu politique, c'est certes pour en dénoncer les travers mais aussi parce qu'elle reste néanmoins une des dernières bases stables de notre Nation. Comprenons-nous bien: en dépit de quotidiennes remises en cause, d'injonctions diverses, contradictoires, futiles, inutiles, l'école publique continue vaille que vaille à fonctionner, elle continue son chemin grâce au labeur quotidien de milliers d'enseignants qui tentent de garder la tête froide et persistent à faire leur travail.

Cette stabilité effective bien que fragile ne date pas de quelques années. On peut facilement dater le franc début de nos ennuis: à mon idée, nos problèmes datent de l'arrivée en 1997 de Ségolène Royal à la tête de l' "Enseignement scolaire". Prise d'une frénésie de réglementation, obsédée par les problèmes sociétaux qu'elle imagine pouvoir être réglés si on conditionne les élèves dès leur plus jeune âge, la ministre déléguée ouvre la porte à la pensée magique que dénonce fort bien Louise Tourret dans un clairvoyant article récent:

"En France, nous aimons à penser que l’école possède le grand pouvoir de combattre et même vaincre les maux de la société, une pensée magique qui ne résiste pas à l’épreuve des faits."

Comme l'explique plus loin la journaliste avec un bon sens qui l'honore, cette volonté de faire de l'école le berceau d'une morale toute contemporaine révèle l'étonnante confiance de la Nation en son enseignement primaire, alors qu'il est déjà de bon ton à l'époque d'en dénoncer -avec raison- la bureaucratisation ainsi que certains travers pédagogistes qui depuis de nombreuses années laissent sur le carreau de nombreux élèves. Claude Allègre, alors ministre de tutelle de Ségolène Royal, a hélas pleinement raison lorsqu'il explique -en termes malheureux et provocateurs- qu'il faut "dégraisser le mammouth", ce qui fait de lui une cible de choix pour les syndicats d'enseignants qui comme de juste et comme d'habitude se trompent de cible et trompent leurs électeurs en leur faisant croire qu'Allègre veut diminuer le nombre d'enseignants sur le terrain alors qu'il s'agit de nettoyer les écuries d'Augias qu'est devenue l'administration de l’Éducation nationale.

Ségolène Royal est au contraire d'Allègre une fanatique administrative. Pendant trois ans, de 1997 à 2000, elle submerge les enseignements sous les textes de loi, décrets et autres circulaires de toutes sortes. Deux textes resteront célèbres dans le milieu: 1) celui sur les sorties scolaires qui voit les directeurs d'école amenés à accepter ou refuser la moindre excursion de leurs collègues, et devoir élaborer des dossiers monstrueux en taille comme en complexité pour le moindre déplacement ou séjour même minime en dehors de l'école (notons au passage que ce texte amènera l'effondrement et la disparition de nombreuses structures associatives qui recevaient des classes, disparition il faut le reconnaître parfois justifiée lorsque certaines règles de sécurité étaient malmenées); 2) celui sur la lutte contre la pédophilie qui amènera en ce temps-là une profusion d'affaires médiatiques presque quotidiennes et une inflation phénoménale de dénonciations calomnieuses tragiques car parfois causes de suicide.

Cette frénésie de réglementation ne s'est pas calmée après le départ de Ségolène Royal et les désastreuses élections présidentielles de 2002, bien au contraire. L'institution à qui on avait ouvert la boîte de Pandore s'y est engouffrée avec bonheur pendant les années qui ont suivi, pondant texte sur texte, règlement sur règlement, circulaire sur circulaire, au point de littéralement étouffer sous un travail souvent inutile ou redondant les directeurs d'école qui devenaient au cours des ans des agents administratifs au détriment de leur rôle pédagogique pourtant déterminant. N'oublions pas les politiques et autres représentants de la Nation qui pour justifier leur existence ont été également atteints de la danse de Saint Guy du législateur, qui consiste à légiférer à tort et à travers sur n'importe quoi en prenant au passage l'école en otage de ses obsessions.

Car encore une fois si ces gens-là veulent imposer leur vision de la morale -qu'ils ne s'appliquent bien entendu pas à eux-mêmes-, ils passent par l'enseignement primaire. Combien de fois avons-nous lu ou entendu au cours des années 2000 l'antienne "il faut apprendre ça à l'école" ou "c'est dès l'école qu'il faut inculquer ça" ? C'est une preuve de confiance en son efficacité, mais c'est aussi une volonté perverse de former les esprits lorsqu'ils sont encore malléables. Cette recherche de dressage moral républicain sur fond de peurs diverses - de l'islamisme aux extrémismes supposés-, colportées par des médias qui explosent à l'époque avec la généralisation d'internet ou l'arrivée de la télévision numérique, amènera le personnel politique dépassé par ce qu'il a déclenché à légiférer sur des questions sociétales qui ne le concernent en rien, et provoquera fatalement en conséquence un repli communautariste ou vers des écoles et pédagogies alternatives, vaste retour de bâton dont nous payons aujourd'hui le prix, ainsi qu'une scission durable entre l'école et les familles qui sont désormais à bon droit suspicieuses, même s'il reste un fond de confiance envers l'école républicaine hérité de sa longue histoire et de ce que nous ont transmis nos aïeux

Louise Tourret en parle très bien:

"Cette conception est liée à un héritage historique, un idéal révolutionnaire: l’institution scolaire est le creuset de la République et on y forme des citoyens. L’école de nos parents enseignait la morale et celle de nos aïeux l’amour de la patrie. Nous avons assisté après 68 à un reflux de ces conceptions, mais à partir des années 90 et plus encore depuis dix ans, l’«éducation à» [NDR: Louise Tourret cite en amont "à la citoyenneté, au développement durable, à la sécurité routière, à l'orientation, à Internet, aux médias, à la santé (comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté dans le secondaire: prévention tabac, drogues, addictions), éducation à la responsabilité face aux risques... et le fameux «vivre ensemble»"] s’est peu à peu installée dans les emplois du temps des élèves, de la primaire jusqu’au lycée. L’école réaffirmait à la manière contemporaine sa mission citoyenne. Avec un raisonnement qui témoigne, et après tout c’est un point positif, d’une extraordinaire confiance en l’institution. Une confiance incroyable qui consiste à penser que des problématiques pourraient être surmontées si le sujet est pris en charge par l’école.
(...)
Et puis tous les sujets de l’«éducation à» paraissent importants, essentiels, cruciaux mais l’école peut-elle tout prendre en charge? Toutes ces heures passées à parler de santé, alimentation, sexualité sont-elles vraiment si utiles, d’autant que ces modules d’«éducation à» ne sont ni systématiques ni systématiquement évalués. Ils se multiplient mais les emplois du temps et les programmes sont aussi, c’est un fait reconnu, trop lourds, il faut les alléger, c’est d’ailleurs un des axes de réflexions sur lequel planche le nouveau Conseil supérieur des programmes. Forcément si l’école doit parler de tout, elle va manquer de temps!"

Cela faisait longtemps que je n'avais autant apprécié un article! Voilà des mots qui révèlent chez Louise Tourret une appréciable capacité à justement apprécier une situation, et à l'exprimer de façon claire. Merci Madame.

Comprenons-nous bien encore une fois: je ne cherche pas à valider ou invalider la justesse ou l'opportunité de telle ou telle mesure; j'estime simplement qu'il n'est pas du rôle de l'école, en 2014, de jouer au "père la vertu" ou de supplanter les familles dans le domaine éducatif et moral: nous ne sommes plus sous la menace de l'empire allemand et nous n'avons plus à reprendre l'Alsace et la Lorraine! En revanche, nous n'avons plus ni le temps ni les moyens ni la façon d'apprendre à nos élèves à lire et à compter. Qu'en 2014 encore tant d'enfants de France quittent l'école sans avoir les premiers rudiments de l'instruction est une aberration indigne d'une Nation comme la nôtre qui se réclame des lumières de son glorieux passé et de sa puissance.

Quelles solutions alors? Nous devons déjà mettre fin à la mainmise de l'administratif sur l'enseignement. J'ai abondamment déjà traité de ce sujet sur ce blog et dénoncé la monstrueuse pyramide institutionnelle du ministère de l’Éducation nationale. Ce n'est plus le mammouth de Claude Allègre, c'est un diplodocus à la tête trop éloignée des membres, et qui s'enfonce dans la boue nauséabonde de l'incompétence. Ce n'est plus du dégraissage qu'il faut, c'est abattre la bête pour n'en conserver que ce qui en bouge encore. Pourquoi conserver une telle centralisation, un tel jacobinisme révolutionnaire, à l'heure de la juste et nécessaire décentralisation et alors que l'école primaire dépend totalement depuis plus d'un siècle des communes, comme les collèges désormais des départements et les lycées des régions? Que des programmes nationaux de référence soient utiles, c'est une évidence. Mais pour le reste? Je vous laisse tirer vos propres conclusions. Elles ne seront certainement pas conformes à la pensée sclérosée de certaines centrales syndicales enseignantes portées à un statu-quo mortifère. Mais que d'économie sur une masse salariale dépensée aujourd'hui inutilement dans la bureaucratisation, le népotisme et encore une fois l'inaptitude.

Pourquoi aussi conserver autant d'échelons ou personnels intermédiaires dans ce métier? Est-il vraiment besoin de centaines d'IEN quand chacun reconnait l'absurdité des notes attribuées aux enseignants, de milliers de soi-disant conseillers pédagogiques dont la plupart sont inutiles quand ils ne sont pas incapables, ou gaspillent le temps et l'argent du système en travail de bureau superfétatoire? Est-il vraiment encore besoin de centaines d'animateurs TICE quand le numérique fait aujourd'hui partie intégrante de la vie quotidienne de chacun? Il y a dix ans, ils étaient certainement utiles, mais en 2014? Si ces gens-là ont des compétences, qu'ils nous rejoignent donc sur le terrain et les mettent au service de nos élèves.

De la même façon, il faudrait peut-être aussi tirer un trait sur l'école des 36000 communes. Nous n'avons plus les moyens d'entretenir 54000 danseuses mal habillées, alors que le regroupement des petites écoles en unités territoriales logiques permet un meilleur équipement des établissements et autorise émulation et synergie favorables à la réussite des élèves. C'est bien là notre objectif, je pense.

Enfin, il est temps de donner aux écoles leur nécessaire autonomie. Les personnels de terrain sont les mieux à même d'appréhender les besoins de leurs élèves en fonction d'un certain nombre de contraintes locales, ils sont les mieux à même d'élaborer les projets qui faciliteront les apprentissages, à condition évidemment d'être dirigés par un personnel de direction d'école autonome et statutaire, pédagogue affirmé mais aussi gestionnaire reconnu, qui saura accompagner les enseignants, les assister si nécessaire, les entraîner s'il le faut.

Il n'y a qu'en France que l'on conserve un système éducatif aussi peu performant. Partout ailleurs les constats ont été tirés et les remèdes immédiatement appliqués. Pourtant, avec tant d'énergie -reconnue- sur le terrain, avec tant de possibilités, il suffirait d'un déclic positif pour que la France reprenne une place qu'elle n'aurait jamais perdu sans l'inconsistance de nos politiques, et surtout pour que les petits français reçoivent enfin leur dû en connaissances et en compétences. C'est localement et dans les écoles que s'exerce l'enseignement, pas à Paris ou dans les bureaux. Donnons aux écoles leur autonomie, resserrons les liens avec les partenaires territoriaux, nommons des directeurs d'école statutaires reconnus, je ne donne pas cinq ans pour que l'école française soit redevenue un exemple pour le monde entier.

Ou continuons à nous enliser. Après tout je serai bientôt en retraite, je pourrais m'en désintéresser. Mais penser que j'aurais tant donné pendant tant d'années pour laisser s'effondrer l'école publique... Non, vraiment non.

mercredi 5 février 2014

Voilà un jour faste ! (modifié le 06/02)


Décidément, c'est le jour! Après les élucubrations du billet précédent, voilà que je tombe sur cet article des Echos, et là je me suis fait mal! Après le gel depuis quatre ans de notre point d'indice, après l'augmentation des prélèvements obligatoires qui grèvent un peu plus notre budget, voilà que notre propre ministre veut "geler" les promotions qui restent le dernier espoir pour chacun d'entre nous de voir progresser un peu son pouvoir d'achat, "afin de financer des baisses de charges et d’impôts programmées pour les entreprises"... Alors même qu'il y a seulement une semaine l'UNESCO affirmait dans son rapport mondial que "les niveaux de salaire des ensei­gnants pèsent sur la qua­lité de l'éducation", sou­li­gnant que, dans 39 pays, aug­men­ter les salaires des ensei­gnants de 15% a conduit a une hausse de 6 à 8% des per­for­mances des élèves.

J'ai comme l'impression que Monsieur notre ministre ne sait pas lire. Néanmoins, s'il veut trouver des sous, il pourra trouver sur mon blog quelques solutions adéquates et efficaces, comme celle qui consisterait à totalement laminer l'ahurissante pyramide institutionnelle de son ministère.

J'ai expliqué il y a peu que je n'accepterais plus rien, que je ne donnerais plus rien, qu'on ne me prendrait plus rien. Cette proposition est donc clairement pour moi un casus belli. Si M. Peillon veut un blocage généralisé de la fonction publique, qu'il le dise franchement, ce sera plus simple.

Edit (06/02 à 7h21): Dans un communiqué très court, adressé dans la soirée, le ministère indiquait que «contrairement à certaines affirmations, le ministère de l’éducation nationale dément formellement avoir proposé un gel des avancements et des promotions des fonctionnaires dans le cadre des discussions budgétaires.». Les Echos maintiennent néanmoins cette information.

Fotinos m'exaspère!


Georges Fotinos, chercheur associé à l'Observatoire international de la violence à l'école, a réussi le tour de force de m'exaspérer dans un récent entretien avec le magazine L'Express. Suite à une enquête auprès de 3580 directeurs d'école, réalisée en 2013 avec des chercheurs de l'université de Lyon 1, M. Fotinos découvre une fois de plus que "la situation est préoccupante : 67% des directeurs d'école que vous avons interrogés ont eu des différends avec des parents au cours de l'année écoulée. (...) 23% des directeurs affirment avoir été insulté par les parents."

Il est très bien que quelqu'un fasse ce genre de recherche, même si depuis des années la sortie annuelle des rapports de ce type ne change pas grand chose. Ne change rien, en fait, comme je l'écrivais dans mon précédent billet. Soit.

Mais que M. Fotinos ne trouve comme solution au problème des rapports familles/directeurs que "il faudrait aussi créer un véritable statut pour les parents." Et un statut pour les directeurs d'école? Non? Vous savez, un statut et un traitement adéquat qui portent en eux-mêmes respect de la part d'autrui, ainsi qu'une existence juridique qui permette de représenter réellement l’État aux yeux des familles? Ceci permettrait peut-être aux directeurs d'école de faire leur travail avec sérénité, au lieu d'être les exutoires de toutes les peines, frustrations et humiliations que porte en germe quotidien notre société actuelle.

Quant à votre conclusion "La polémique sur les ABCD de l'égalité apparaît comme une conséquence directe de la trop fréquente absence de dialogue confiant entre les deux parties.", elle ne manque pas de culot! Je vous remercie de faire porter aux directeurs d'école le chapeau des incompétences gouvernementales. C'est bien M. Fotinos, vous avez fait votre devoir, ce gouvernement va pouvoir vous exprimer son plaisir et sa gratitude de votre soutien. Moi pas.

Il y a un an...


Il y a un an, presque jour pour jour, j'écrivais sur ce blog deux articles, l'un pour dénoncer le centralisme outrancier et le parisianisme de l’Éducation nationale, l'autre pour exprimer ma déprime face à une manifestation contre le changement des rythmes scolaires.

En un an, rien n'a changé. RIEN. Le ministère veut toujours depuis Paris imposer une façon de voir les choses inspirées par quelques lobbys puissants dans la capitale dont le reste du pays en grande partie ne veut pas, et flanque dans la rue des gens qui tiennent à conserver intactes leurs convictions et leurs prérogatives de parents. Ce qui me rappelle d'ailleurs curieusement 1984, quand des causes similaires avaient fait tomber le gouvernement Mauroy.

Sur le terrain, peut-être y a-t-il tout de même eu quelques changements? Non. Rien n'a changé non plus, RIEN. Nous avons eu des promesses, qui n'engagent comme chacun sait que ceux qui y croient, et qui tardent évidemment à se concrétiser. Ah si, j'allais oublier que les professeurs des écoles perçoivent désormais une prime annuelle de 400,00 € "bruts"... sur laquelle notre ministre s'est largement étendu à longueur d'entrevues journalistiques diverses. Mais comme parallèlement nos cotisations de retraite ont augmenté d'autant, voilà une "prime" bien incolore, inodore et sans saveur. Une opération blanche qui a fait croire à la population française que ses instits étaient bien pris en compte. Médiatiquement, c'est costaud, je tire mon chapeau. Pour conserver les suffrages du métier en revanche, je doute.

Les méthodes d'enseignement? Les programmes? Pour l'instant c'est peau de zébie. Certes la rentrée scolaire de septembre prochain apportera à l'école maternelle -rien pour l'élémentaire- de "nouveaux" programmes et certainement des "nouvelles" instructions officielles, mais je suis à leur sujet fort dubitatif étant donnés ceux qui les conçoivent. Notons d'ailleurs le ministère a installé plusieurs commissions rigolotes -on trouve toujours de l'argent pour les commissions rigolotes- et parait-il indépendantes (ah ah ah!) qui vont m'expliquer chaleureusement pourquoi je dois continuer à être bouffé et avec quelle nouvelle sauce qui ne pourra guère être à mon idée qu'un sauce traditionnelle un peu resucée. Oui, même l'image est dégoûtante.

Le statut des directeurs d'école? Rien, que dalle, niente, le néant. On me dit d'attendre. Pourquoi? Pourquoi l'indispensable, soit la gestion locale des écoles, est-il laissé de côté? Gestion locale qu'en revanche notre ministre sait fort bien monopoliser pour éteindre un certain nombre d'incendies locaux allumés depuis Paris. Et avec une rapidité qui me laisse pantois quand on sait à quel point il est compliqué quand on est parent ou enseignant de se faire entendre par les échelons même immédiats d'une pyramide institutionnelle inébranlable. Manifestement les communautés territoriales sont plus réactives puisqu'en une année seulement elles sont aujourd'hui toutes prêtes à changer les rythmes scolaires pour celles qui ne l'ont pas encore fait. Les communes ont trouvé le temps de discuter, elles ont trouvé l'argent nécessaire... L'état jacobin, lui, reste jacobin. Inébranlable, je vous dis.

La question se pose donc cruellement de la force d'action d'un ministre. Comme d'ailleurs de sa conviction au service de la Nation. Car au lieu de vouloir supplanter les familles dans l'éducation de leurs enfants, ou se faire le relais de lobbys bien-pensants qui conduisent le pays sur une voie étrange que refuse une grande partie de sa population, il serait bienséant de d'abord balayer devant sa porte et réformer -c'est urgent!- un État de hauts fonctionnaires fort éloignés des réalités quotidiennes des français comme de ceux qu'ils administrent directement. Mes préoccupations sur le terrain sont autrement plus importantes pour les familles de ma commune d'exercice que les élucubrations imaginées dans les salons feutrés de la rue de Grenelle.

Il serait pour moi de bon ton de conserver l'optimisme légendaire et la bienveillance qui me font généralement apprécier. J'attends donc avec impatience l'écho post-municipales et post-européennes des consultations et autres auditions que le GDiD cumule depuis des années avec courage, bénévolat et abnégation. J'attends donc pour les directeurs d'école un VRAI changement, de ceux qui nous feront dire et écrire plus tard que les choses ont commencé à vraiment bouger avec M. Peillon. Mais je dois avouer que pour l'instant l'attente me semble inutilement longue, et surtout vaine.

Alors chiche? Les choses vont changer? La direction d'école sera enfin perçue et considérée à l'aune de sa véritable importance? La balle est dans votre camp depuis de très longs mois, monsieur le Ministre, et malgré votre engagement dans les élections européennes je veux bien croire encore à votre sincérité et votre pérennité à votre poste, qui je vous le rappelle engage pour au moins deux décennies chaque année l'avenir de la Nation à travers la première admission à l'école maternelle des enfants de trois ans. Oubliez la politique, monsieur le Ministre, pensez à nos élèves, que de notre côté nous tâchons laborieusement d'accompagner et en l'avenir radieux desquels nous persistons à croire. Vous vouliez "refonder" l'école... Faites-le.

dimanche 2 février 2014

J'ai bien peur que...


Dans un article de ce matin, le magazine L'Express -en général bien informé- estime Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale, sur le départ. Il faut dire que M. Peillon lui-même avait bien pris les devants en annonçant sa candidature aux élections européennes. Il faut dire aussi que jusqu'à présent sa "refondation" n'est, pour reprendre les termes de L'Express, qu'un immense gâchis. C'était évidemment prévisible, je l'avais prévu, et nous ne voyons comme de juste pour l'instant qu'un vague replâtrage qui laisse des trous béants.

Je ne reviendrai pas sur le handicap certain que fut l'annonce par le Président de la République de ces fameux soixante-mille postes à visée électoraliste. Mais je reste sidéré par l'impuissance ministérielle à bousculer un tant soit peu une administration pléthorique qui tient arc-boutée les rênes du système, ou à passer outre les pesanteurs syndicales. Manque de courage politique? Incompétence? Je ne sais, vraiment. Toujours est-il que le bilan de M. Peillon à ce ministère, si son départ est avéré, sera franchement peu glorieux.

Que deviendra alors le début de projet de M. Peillon pour la direction d'école? Si M. Benoit Hamon, comme on peut le pressentir, était amené à prendre le poste de Ministre de l’Éducation nationale, on peut sérieusement se poser la question. M. Hamon, d'ailleurs, commence ses consultations, et en bon thuriféraire d'une "gauche" plutôt radicale a débuté par la FSU. J'ai bien peur que les vagues prémices d'un GRAF pour les directeurs d'école disparaissent prochainement avec tant d'autres promesses qui nous furent faites depuis trente ans.

Me trouveriez-vous pessimiste? Là, pour le coup, je le suis. J'ai l'impression de voir le statut pourtant indispensable des directeurs d'école s'envoler à tire-d'aile dans le sud-est, où M. Peillon est tête de liste aux élections européennes.

Que la force soit avec le GDiD !



Pffff...


J'écrivais un énorme billet sur les évènements du moment, quand j'en ai eu subitement marre. Finalement, je préfère vous épargner mes diatribes contre un Vincent Peillon qui mobilise des directeurs d'école qui n'ont pas que ça à faire pour lutter contre un feu qu'il a lui-même allumé, ou un Manuel Valls qui s'excite tout seul en se croyant acculé dans un coin par la "Cagoule"... Ces gens-là ne méritent pas qu'on leur explique une vérité qu'ils sont bien incapables de comprendre, à savoir qu'ils manipulent honteusement l'opinion tout en outrageant les libertés individuelles. Ils veulent imposer leurs obsessions bien-pensantes et nier le droit d'autrui à disposer de sa pensée à sa guise, ou le droit inaliénable des familles d'élever leurs enfants comme ils l'entendent. Et ils s'étonnent de réactions outrageuses et de manifestations diverses, alors qu'ils bafouent eux-mêmes la liberté de conscience d'autrui au nom d'une égalité dont ils n'arrivent pas eux-mêmes à saisir l'obscur concept. Berk. Notons tout de même que Monsieur notre ministre sait fort bien et très vite s'adresser à nous lorsqu'il en a besoin, alors qu'il arrive très bien aussi à se cacher derrière sa pléthorique administration quand il préfère laisser traîner certains sujets. C'est noté, M. Peillon. Je n'oublierai pas.

Non, tout ça me fatigue inutilement. Après un mois d'école à gérer tant bien que mal six heures par jour une classe nombreuse et difficile, tout en tentant laborieusement de tenir la barre de mon école, je trouve ridicules les gesticulations de nos gouvernants qui gèrent ce pays n'importe comment en tentant de nous laisser croire qu'ils maîtrisent la situation. Quelle blague! Depuis deux ans que nous les avons sur le dos ma situation matérielle personnelle comme mes conditions de travail n'ont concrètement fait qu'empirer. Et on veut me convaincre que tout ira bientôt mieux? L'année prochaine à Jérusalem... J'irai en scooter, tiens.

Et puis il y a eu la fin de l'affaire Risso. Jacques va pouvoir se reposer, retomber sur ses pieds. Il faudra l'accompagner, car il risque désormais une sévère dépression quand la tension autour de lui sera totalement retombée. Heureusement il a sa famille aimante, ses amis. Courage! Je dois néanmoins constater que finalement la Direction Académique du Vaucluse aura réussi à le briser, puisque Jacques ne pourra reprendre ses fonctions dans une commune qui ne l'a pas soutenu, auprès d'une municipalité aux agissements douteux, dans une école qui dépend toujours d'une IEN qui aura su monter un dossier à charge avec une haine incroyable. On aurait pu croire que l’État respecterait ses propres engagements de respect de l'expression de ses fonctionnaires, puisque rien dans la Loi n'interdit d'en brocarder le fonctionnement. Mais non, parce qu'un homme aura voulu dénoncer l'absurdité des conditions de travail des directeurs d'école, il se trouvera au ban d'une institution malade et inefficace. Tout cela grâce à quelques fonctionnaires intermédiaires activement protégés par la pyramidale et jacobine machine de l’Éducation nationale. Ce fut minable et honteux. Pauvre Jacques, j'espère que tu arriveras à t'en remettre, toi qui n'avais rien demandé à personne.

Enfin, il y a eu l'intervention du GDiD face à une commission du Sénat. Jolie démonstration, puisque nos collègues auront réussi le tour de force de faire entendre la voix des directeurs d'école exsangues tout en restant pleinement dans le sujet des nouveaux rythmes scolaires pour lesquels le GDiD était auditionné. Bravo, je vous dire mon chapeau, ce fut une belle intervention, qui d'ailleurs si j'en crois les images fut appréciée à sa juste mesure par les sénateurs présents. Ce qui ne change rien à la situation des directeurs d'école, mais les petits ruisseaux...

Allons, je vais tranquillement essayer de profiter du soleil qui aujourd'hui illumine ma demeure, et me reposer avant ce soir de pondre mes convocations au prochain Conseil d'école. Oui, je bosse chez moi pour ma direction d'école, le dimanche soir. Quand voudriez-vous que je le fasse? "Je suis dirlo et je le reste, et dans le verbe et dans le geste..."