samedi 22 octobre 2016

L'image du dirlo...

Un petit changement dans cette illustration que j'avais commise il y a quelques années, parce que là vraiment j'en ai marre des conneries politiciennes (cliquez pour agrandir).


Bonheurs et misères du numérique...

Mon ancienneté dans mon métier m'autorise à jeter un regard particulier et autorisé sur son évolution depuis près de quatre décennies. Parce que ma mission a changé entre 1979 et aujourd'hui, de mes dix-huit ans à 2016. Si certains changements ont été catagénétiques, ou encore révolutionnaires au sens propre du terme pour n'être après quarante ans que revenus à leur point de départ, une vraie dynamique s'est en revanche établie avec l'irruption du numérique et d'outils dont jamais nous n'aurions pu soupçonner la stupéfiante importance.

Je ne vais parler ici que de l'école primaire, élémentaire ou maternelle, parce que je ne connais pas vraiment l'enseignement secondaire en dépit des efforts que je fais pour m'informer. De plus, contrairement à la plupart des français, de nos politiques en particulier, je refuse de baser mon opinion sur de vagues souvenirs de ma propre scolarité, trop ancienne désormais pour être autre chose qu'une ombre dans la caverne, avec pantalons patte d'eph' et rock progressif.

La formation des enseignants du primaire n'a pas vraiment empiré ni semble-t-il ne s'est améliorée, si j'en crois ce qui me revient aux oreilles et m'est rapporté par ceux qui entrent dans la carrière. La formation pédagogique est toujours au point mort, la formation didactique détachée des réalités du terrain conservant la part belle. En revanche l'idée d'une année en alternance telle qu'elle se pratique désormais me parait une idée louable à condition d'y être confronté au sein d'une équipe chaleureuse apte à soutenir et épauler. Connaître et suivre la réalité d'une classe tout au long d'une année scolaire entière est certainement la formation la plus efficace qu'on puisse concevoir. Il serait en revanche certainement nécessaire de ne pas alourdir ce qui est déjà une charge importante quand on débute en exigeant parallèlement des étudiants la masse de travail qui leur est demandée pour obtenir leur master. L' "école normale" que j'ai connue nous lâchait certes dans la nature après notre diplôme d'instituteur, mais au moins nous n'avions que ça à faire.

Toujours est-il que je trouve les débutants d'aujourd'hui largement plus compétents que nous l'étions nous-mêmes à mon époque. Une question d'âge? Je ne pense pas. Peut-être parce que la formation s'est compliquée? Du moins les conditions d'accès en ont-elles beaucoup changé. Nous passions un concours après le baccalauréat - voire même en 3ème -, suivions une vague formation peu exigeante (j'ai surtout appris à jouer au ping-pong) en deux ou trois ans, avions plusieurs "stages en situation" de deux semaines en moyenne... rien de transcendant ni de très formateur, avant de passer selon l'époque une épreuve théorique (CFEN, puis ce fut un cumul d'UV) puis une épreuve pratique sur le terrain lors d'un stage de trois mois. Pour rater tout ça, il fallait vraiment le vouloir! Enfin on nous relâchait au gré des besoins, en classe rurale, ou en remplacement, une explosion en étoile avant de lentement au cours de la carrière se rapprocher des agglomérations, plus ou moins rapidement selon la note que nous obtenions de notre inspecteur, lequel évaluait à sa fantaisie selon son humeur ou la tête du client (il n'existait pas de fourchette de notation).

Je ne crois pas qu'avoir reculé de plusieurs années le concours d'accès au professorat des écoles soit une bonne chose. Cela a en outre deux effets pervers, celui d'abord de ne faire entrer dans le métier que tardivement des gens qui devront travailler jusqu'à 65 ans ou pire pour ne même plus bénéficier ensuite d'une retraite digne de ce nom; celui ensuite de soutenir l'idée que le master aujourd'hui n'a guère plus de valeur que le baccalauréat d'il y a quarante ans, ce que j'aurais tendance à nier: je suis persuadé qu'il y a tout autant qu'à mon époque des jeunes gens de dix-huit ans totalement aptes et inclinés à enseigner, et pour lutter contre les idées toutes faites tout autant aptes à soigner leur grammaire et leur orthographe, qui aimeraient rapidement intégrer une formation pratique qui pourraient comme de mon temps être rémunérée. Un bon moyen de lutter contre la désaffection?

Si je trouve les enseignants qui débutent actuellement plus compétents que le Pascal d'il y a quarante ans, c'est en partie je pense parce qu'ils ont un gigantesque atout qui n'existait aucunement à la fin des années 70: les outils numériques et internet. Pour l'élémentaire nous ne trouvions de l'aide que dans d'onéreux et rares livres de pédagogie qui souvent n'apportaient que peu d'exemples pratiques. Les manuels scolaires étaient alors dans l'élémentaire une vraie, une réelle et profonde nécessité. Ils nous apportaient la progressivité dans les apprentissages, des techniques d'enseignement (le "livre du maître" adapté à chaque manuel!), et des exercices adaptés. Pour la maternelle existaient plusieurs collections d'ouvrages adaptées à chaque domaine (arts graphiques, travail manuel, EPS, mathématiques, sciences... et poisson rouge dans le Perrier). Mais cela laissait peu de place à l'invention et à l'innovation, du moins pendant les premières années, avant que l'expérience acquise permette à celui qui le désirait d'explorer un peu plus avant ses domaines de prédilection.

Désormais il suffit à un jeune enseignant - jeune dans le métier j'entends - de taper sur son clavier les mots "arbre automne maternelle" pour dénicher des centaines d'exemples de travaux réalisés par d'autres collègues, aussi bien en sciences qu'en graphisme ou en travail manuel. Difficile de ne pas y dénicher une bonne idée! Une mine de renseignements, de découvertes et d'inventions, qui donne envie et motivation.

S'il est une catégorie professionnelle qui s'est emparée très vite des outils numériques, c'est bien celle des enseignants. Déjà pour des raisons pratiques, que celui qui n'a jamais froissé un stencil avant de le passer dans la machine à alcool me jette la première pierre... Il y eut donc d'abord en prémices le photocopieur, nous devrions dans toutes les écoles élever une statue à Chester Carlson. Puis l'ordinateur accompagné de son imprimante matricielle qui permettait de créer des documents propres qu'on pouvait corriger avant de les imprimer. Cela vous parait idiot? Combien de fois ai-je dû mettre du "blanc correcteur" sur des exercices écrits à la main ou tapés à la machine? Puis Windows 3.5, Word et Publisher qui autorisaient des "mises en page"... Je ne vais pas retracer l'histoire de l'informatique, mais il est certain que les enseignants dans les années 80 et 90 se sont jetés sur ces outils comme des puces sur un chien. L'arrivée d'internet a été également une formidable opportunité, saisie par de nombreux enseignants qui y ont autant pris qu'ils y ont mis si j'en crois le foisonnement de sites d'écoles qu'il y eut alors même que le matériel était rare et onéreux, et l'internet à 28 ou 56k lent et cher.


Aujourd'hui je crois qu'il paraitrait inconcevable de se passer du numérique. Si son usage en classe n'est pas encore forcément si répandu, même s'il l'est certainement plus que notre hiérarchie l'imagine, l'enseignant, lui, ne pourrait plus fonctionner sans. Je ne sais pas si maintenant encore on demande aux professeurs des écoles un "cahier-journal" aussi dense que celui que nous faisions il y a quarante ans, mais je me rappelle les heures passées à l'écrire à la main et à inlassablement répéter une absurde litanie d' "objectifs" et de descriptions de leçons ou d'exercices, dans de beaux tableaux tracés à la main, soulignés de couleurs diverses. Vive le copier/coller! Vice l'imprimante à jet d'encre! Euh... ce n'est plus la peine d'imprimer, en fait, un portable sur le bureau du maître...

Internet facilite la communication entre enseignants, le transfert d'informations et de pratiques, la propagation de l'innovation. L'ordinateur facilite le travail. Mais ces deux outils ont eu également, hélas, des effets pervers.

L'administration de l’Éducation nationale a mis beaucoup de temps à se moderniser. Les "mulots" de Jacques Chirac ont pris leur temps pour faire leurs nids dans les bureaux. Mais lorsque la pyramide institutionnelle s'est enfin saisie de la chose, elle en a fait un hydre monstrueux et tentaculaire, pourvoyeur inassouvi de documents inutiles et redondants ou d'injonctions comminatoires et contradictoires, quémandeur insatiable de "remontées" superflues et autres chinoiseries inclassables à la destinée improbable. L' Éducation nationale numérique, c'est le Kraken dans le labyrinthe du Minotaure. Si je me rappelle mes débuts dans ma mission de Directeur d'école, débuts qui remontent à quinze ans tout de même, nous n'avions guère à envoyer au cours de l'année que la fameuse "enquête 19" (prévisions d'effectifs pour la rentrée suivante), ainsi que les résultats des élections des parents d'élèves. Il faut dire que tout ça se faisait par courrier postal, et que les timbres ça coûte cher. Notre administration nous écrivait donc peu, et ne nous en réclamait guère plus. Nous avions pour autant à fouetter exactement les mêmes chats - j'aime fouetter les chats -, notre travail était tout aussi lourd qu'aujourd'hui. Et alors qu'on aurait pu croire que l'usage d'internet et du courrier électronique allait nous simplifier la tâche et l'alléger autant que l'usage de l'ordinateur a simplifié celle de l'enseignant, c'est l'inverse qui s'est produit avec une inflation ahurissante de trucs à faire et de bidules à lire. Je sais que l'écrire ici n'est rien, il faut le voir pour le croire. Les ordinateurs des bureaux devraient avoir des sécurités qui se déclencheraient automatiquement lorsqu'une secrétaire ou un chef de bureau avait la velléité de cliquer sur le bouton "envoyer": "Êtes-vous sûr de vouloir envoyer ce courriel?" puis ensuite "N'avez-vous pas oublié la pièce jointe?" puis "Avez-vous relu votre pièce jointe?" puis "Êtes-vous certain que personne d'autre n'a déjà envoyé le même courriel?" puis "N'avez-vous déjà pas envoyé vous même ce courriel?" puis "Êtes-vous sûr que c'est le bon destinataire?" puis "Pourquoi avez-vous mis toute la liste des écoles en destinataire?" puis... Non, je ne plaisante pas. Heureusement que Apple et Microsoft ont inventé la "poubelle" dans les années 80. Et vive Monsieur le Préfet de la Seine.

Le pire, c'est que quand internet est en panne, le Directeur d'école a l'horrible impression de louper quelque chose, et se précipite chez lui pour vérifier le courrier. C'est affreux. Et que voilà trois courriels à destination des enseignants de l'école, courriels qui ne me concernent en rien. Pourquoi diable les reçois-je? Bon, je transfère sur leurs boîtes de courriels académiques, qu'ils ne regardent jamais, tant pis pour l'administration. Et trois minutes perdues, c'est idiot. Oui je sais, je suis chez moi, il est neuf heures du soir; après ma journée à plein temps avec ma classe et mes escapades dans mon bureau de chef, la préparation du boulot de mes élèves pour le lendemain, je pourrais me passer de faire du boulot de Directeur, surtout si on considère que je ne travaille que six mois par an quelques vagues heures par jour, parait-il. Mais que voulez-vous, ne pas laisser s'accumuler de "retard numérique" est devenu une étrange addiction, une assuétude à l'immédiateté et à l'urgence - beaucoup de choses sont urgentes dans l’Éducation nationale -.

Les bonheurs et les misères du numérique...

dimanche 16 octobre 2016

Les cheveux blanchis dans la carrière...

L'un des inconvénients majeurs de notre métier d'enseignant du primaire est la totale absence de perspective de carrière. Qu'on ne vienne pas me dire que devenir Directeur d'école en est une tant ce second métier, qui s'ajoute au premier au lieu de le remplacer, est peu payé et peu considéré. Devenir dans le secondaire principal de collège ou proviseur offre une autre visibilité, et surtout augmente largement le salaire ou traitement, alors que le Directeur d'école doit lui être simplement "indemnisé", et dans une proportion humiliante. Je n'évoquerai même pas les fonctions de CPC ou autre "référent" quelconque, qui en fin de compte n'apporte comme amélioration - si l'on peut dire - que celle de ne plus être face à des élèves. On peut discuter sur cette dernière opportunité, il est vrai qu'arrivé mon âge les enfants deviennent réellement une fatigue quotidienne. Mais les tâches concernées sont à mon avis peu gratifiantes si l'on compare à la joie que peut apporter l'enseignement en face à face. Que celui qui n'a jamais connu le bonheur de sortir de l'échec un de ses élèves me jette la première pierre.

Aujourd'hui le Directeur d'école a comme perspective d'accéder à un grade supplémentaire, la fameuse "classe exceptionnelle" qui fait grincer les dents de certains syndicats qui détestent qu'une tête sorte du rang. Bien sûr il faudra avoir exercé cet apostolat durant huit années au moins, et encore au départ faudra-t-il postuler. Mais d'ici quatre ans il est certain que de nombreux Directeurs et Directrices d'école accéderont rapidement à ce grade qui leur offrira un meilleur salaire et des perspectives plus intéressantes, de quoi peut-être inciter les jeunes enseignants à vouloir exercer cette fonction parfois ingrate mais aussi souvent enthousiasmante. C'est une bonne chose, car de très nombreux Directeurs d'école prendront leur retraite dans les cinq ans à venir.

J'en fais partie. Cette fois ça y est, j'ai fait mes calculs, pour ne pas quitter ma mission avec une pension ridicule il me fallait soigneusement prendre en compte tous les éléments qui sont en ma possession, et opérer quelques prospectives quant aux années à venir. J'ai toujours dit partout que je ne ferais pas de "rab", tant je me sens fatigué, phagocyté, exsangue, vampirisé au quotidien par mes deux missions simultanées, soit ma classe de maternelle à temps plein et une direction d'école certes favorisée dans un secteur agréable, mais néanmoins chronophage et énergivore.

Mes calculs sont clairs: ayant intégré l' École Normale à dix-huit ans je peux raisonnablement "partir" en 2018, soit à 57 ans - j'ai été instituteur dix-huit ans - avec une pension modérée mais acceptable, qui sera un peu meilleure si on m'accorde un passage dans la "classe exceptionnelle". C'est un soulagement. Réel et palpable. J'aurai quand même à ce moment-là trente-neuf ans de carrière. Oui, les fameux cheveux blanchis, c'est un fait, ou plutôt grisâtres si je veux être honnête (ouais, je sais, ce n'est pas fameux comme couleur ou nuance).

J'ai également constaté que si je faisais des années supplémentaires par rapport à ces fameux 57 ans, je toucherais une pension mensuelle d'approximativement 130 € nets supplémentaires par mois. C'est beaucoup, mais cela vaut-il la peine que je ressens aujourd'hui? Devrais-je sacrifier ma santé, au prix peut-être d'une vie raccourcie? J'espère avoir dans les années à venir des petits-enfants, j'aimerais pouvoir leur consacrer du temps, car il est vrai que j'aurai exercé mon métier avec honneur et avec bonheur tant j'aime les enfants, tant je comprends à quel point ils ont besoin d'amour pour grandir avec sérénité. De l'amour j'en ai beaucoup donné pendant de longues années, il serait injuste que je ne puisse en accorder au moins autant à ma propre famille.

Pour l'instant je me donne donc 2018 comme réjouissante perspective. Ce qui ne signifie pas que selon les circonstances je n'en ajouterais pas une couche. Mais il faudrait certainement une conjoncture très particulière, et des conditions si favorables que j'ai du mal à me les représenter dans les présentes circonstances d'une élection Présidentielle dont la plupart des potentiels vainqueurs ne me paraissent que très peu favorables à ma mission. C'est un sport très couru aujourd'hui, celui de briser des fonctionnaires pourtant obéissants et impliqués. Le jeu n'en certainement donc pas la chandelle. C'est également l'avis de mon épouse, qui se réjouit d'avance autant voire plus que moi à l'idée de ne plus me voir rentrer épuisé chaque soir, parce que c'est ce qui se passe maintenant. D'autant que je dois également avouer que je sens dans mon, pardon dans mes métiers, l'atmosphère changer.

Effectivement je perçois une dégradation de la perception de l'école chez mes parents d'élèves. C'est tout nouveau, et je rappelle que je travaille dans un secteur plutôt favorisé. Il y a un "je ne sais quoi", un changement d'ambiance, une propension à remettre en cause nos décisions et nos façons de faire, une réticence quant à nos objectifs... Je ne crois pas au hasard, j'incrimine le dénigrement systématique dont nous faisons l'objet depuis des années tant de la part des politiques que des médias, qui amène une suspicion qui malheureusement se généralise. Et puis les tensions s'exacerbent, je crois n'avoir jamais tant constaté d'agressions sur les enseignants et les Directeurs d'école qu'en cette première période d'année scolaire. Je vais certes mettre les points sur les i, c'est mon rôle de dirlo, mais c'est encore de l'énergie dépensée bêtement alors que nous avons tant à faire. Ainsi cela me conforte dans mon idée de ne pas rester là plus que nécessaire.

Je viens donc de faire peut-être mon avant-dernière rentrée. Quand je serai parti je suppose que l'école continuera à "tourner", je n'ai pas la prétention de croire que je ne suis pas remplaçable. Ce sera certainement pour moi difficile, tout autant que ce sera facile en fin de compte. Les loupiots, les loupiotes, me manqueront énormément, leurs sourires, leurs rires, leurs pleurs, leurs câlins, leurs questions, leurs craintes, leurs joies, leur totale confiance en moi surtout...

dimanche 9 octobre 2016

Futilités et coups bas...

On me rebat les oreilles avec l' "école" depuis des mois. D'enjeu politique en marronnier médiatique, mon métier n'est pas l'objet de toutes les attentions mais un punching-ball fort pratique: voilà untel qui dévoile son programme pour l'école (comme si c'était indispensable) en proférant les pires âneries inspirées par d'anciens gauchistes fort opportunément passés à l'extrême-droite, et bien évidemment en nous promettant - car ils le font tous - un "retour aux fondamentaux" ou celui d'un uniforme qui pourtant n'a chez nous jamais été porté; voilà unetelle qui nous pond un bouquin nauséeux aux propos et au titre infamants, racontant les mensonges les plus éculés d'un ton d'autorité, ou nous vantant les mérites d'une "nouvelle" méthode d'éducation - pourtant élaborée il y a plus d'un siècle - qui je vous l'assure fait des étincelles; même le Pape s'y met, qui colporte les rumeurs les plus absurdes avec un sourire réjoui et certainement la menace d'une excommunication qui ne saurait tarder.

Il y a des claques qui se perdent.

Pendant ce temps le petit directeur d'école fort fatigué n'a même plus le temps d'écrire un mot pour les lecteurs de son blog favori. La rentrée à peine faite, il lui aura fallu cumuler tant de tâches inutiles mais fastidieuses que l'énergie qui lui reste suffit à peine à vivre une pleine vie privée. Il aura couru, ce petit directeur d'école, d'un PPMS stérile à des élections soviétiformes - une liste unique, parodie de démocratie chronophage -, d'un projet d'école emberlificoté et aux thèmes quasiment imposés à un exercice d'évacuation inexplicable pour ses tout-petits de deux ans. J'en oublie certainement, des listes à qui mieux mieux pour tout le monde, des courriels redondants, futiles et parasites, et autres scories habituelles d'une direction d'école qui ne s'y retrouve plus tant ce métier est devenu une corvée.

Rien n'a changé, en fait, rien si ce n'est en pire. Mon bureau est un empilage branlant d'inepties, un World Trade Center de tracasseries byzantines qui une fois résolues ne laisseront qu'une trace infinitésimale dans un quelconque bureau, comme dans une cuvette de WC mal nettoyée... Dans mon département la "simplification administrative" a consisté à m'envoyer un courriel listant les réclamations que me ferait dans l'année mon administration! Difficile de faire plus puéril. Ce qui ne l'est pas en revanche c'est le nombre d'agressions sur mes collègues directeurs qui enfle chaque année dangereusement, pour un oui, pour un non, pour n'importe quoi parce que l'école est devenue le bouc émissaire de toutes les avanies et de toutes les frustrations, grâce à l'image désastreuse colportée par des médias putassiers. C'est facile, des écoles, il y en a partout. Des directrices ou des directeurs aussi, du coup. Voilà un représentant de l’État fort pratique pour passer ses humeurs. Je ne me réjouis pas plus de ce qui arrive quotidiennement maintenant à d'autres fonctionnaires ou assimilés, aux forces de l'ordre, aux pompiers, aux services de secours... Tabasser un fonctionnaire est devenu un sport très couru, merci aux politiques de nous avoir à ce point enfoncés.

Bon, j'y retourne, avec tout ça je n'ai pas préparé ma journée de demain.

dimanche 2 octobre 2016

Comment Céline A. réinvente l'eau chaude...

Après un excellent repas (rôti de porc bio, confit d'échalotes, girolles et champignons de Paris, rattes...) certes un peu lourd mais de saison, m'est venue l'idée de causer du bidule qui fait le buzz, soit le bouquin tout aussi lourd mais nettement moins digeste de Céline A., dont je refuse de citer le nom tant cet opportunisme m'exaspère. Pour le coup, ce billet ne concernera pas forcément les Directeurs d'école, à moins que comme moi ils soient également enseignants en maternelle et comme les neuf dixièmes de ces écoles ont trois classes ou moins...

Voilà donc une Céline A. qui découvre l'école maternelle. Je l'ai écrit cinquante fois, la maternelle c'est le parangon de l'enseignement, ce n'est que du bonheur, même quand on a une classe "pourrie"... Hein? Oui, ça arrive, un groupe avec lequel pas grand chose ne fonctionne, mais bon c'est quand même rare. Fatigant, en revanche, c'est clair. Brave Céline, vous voilà aux commandes d'un groupe d'enfants assoiffés de compétences et de savoir. Et qu'en faites-vous? Un sujet d'expérimentation. Bon, ça vous regarde. Comme le fait qu'après avoir lâchement abandonné votre mission à peine votre expérience achevée, vous éprouviez le besoin d'écrire un bouquin grâce auquel vous passez pour un génie aux yeux des imbéciles qui vous ont subventionnée, aux yeux des imbéciles des médias qui n'ont jamais fichu les pieds dans une école maternelle, ou surtout comme une gourde - et je pèse mes mots - aux yeux des enseignants qui comme moi exercent ce métier avec abnégation depuis presque quarante ans.

Comme vous vous en doutez, Céline A., je vous déteste. Vous me débectez, vous me sortez par les yeux, vous me faites vomir. Votre suffisance, votre arrogance, vos certitudes... Vous êtes le comble d'une époque asservie au fric et aux médias. Pire, vous vous êtes bassement asservie à la fange politicienne, en jouant le jeu d'organes assujettis à des convictions partisanes, en acceptant leur argent à un point inimaginable pour truquer le jeu de façon abominable, avec une ATSEM spécialisée et dédiée, avec un matériel devant lequel ne peut que baver n'importe quel enseignant de maternelle. Je suppose que les enfants dont vous relatez l'expérience en auront profité, tant mieux pour eux, je ne suis pas suffisamment obtus pour ne pas apprécier l'effort qui aura été fait à leur égard. Mais vous avez vendu ma mission, et cela je ne peux vous le pardonner. Que vous osiez, avec une telle outrecuidance, vous donner comme exemple alors que jamais aucun instit dans mon petit et misérable genre ne pourra prétendre au dixième des conditions dans lesquelles vous avez exercé, c'est misérable. Je ne vous ne le reproche même pas, j'en serais presque à vous plaindre. Parce que, comme vous avez lâchement abandonné notre merveilleuse mission après l'avoir à peine effleurée, vous ne connaîtrez jamais le bonheur ineffable d'avoir réussi, sans moyens, sans argent, sans aide, juste avec votre abnégation et de constants et quotidiens efforts, à sortir un enfant de la fange dans laquelle la société et sa famille n'auraient pu que le laisser s'enliser.

Oui, Céline A., à l'école maternelle on chante, on joue, on manipule, on fait des activités de grande ou de petite motricité. Mon Dieu, quelle découverte! Vous ne croyiez quand même pas être la seule à le faire? Sauf que moi mes outils j'ai dû les élaborer, les fabriquer, au cours des années. Sauf que moi l'ATSEM pas trop compétente je ne l'ai avec moi qu'un heure par jour parce que je la partage avec une autre classe qui en a plus besoin que moi. Moi je bosse depuis trente-huit ans avec les moyens du bord (et je ne suis pas à plaindre avec une municipalité attentive) et j'économise mes feutres, mes crayons, mes stylos, mes ciseaux, mon papier, pour que chacun y trouve son compte. Chaque année j'économise pour acquérir du matériel d'EPS, des jeux pour ma classe et pour celles de mes collègues, j'ai bossé pendant des années pour obtenir les ordinateurs tactiles qui sont une porte supplémentaire que j'ouvre à mes élèves - contrairement d'ailleurs à ce que vous suggérez, ce qui montre bien que vous n'y comprenez rien -. Et chaque année depuis des décennies mes élèves chantent, jouent, manipulent, font des activités de grande ou petite motricité... Tiens, vendredi , nous sommes mêmes allés inopinément nous promener, parce que mon école est sur les champs, nous sommes allés voir les ruches de la commune et nous rouler dans l'herbe. Ben oui, ils étaient fatigués, ils en avaient besoin, cela leur a été certainement parfaitement profitable. Vous voyez, moi aussi je fais dans le "naturel" ! Sauf que moi je ne l'aurai écrit ici qu'une seule fois.

Je t'en foutrai, du naturel...

Vous réinventez l'eau chaude, Céline A., c'est inutile parce que depuis toujours l'école maternelle française fonctionne au plus près des besoins de ses élèves, au plus près de leur rythme, avec les moyens dont elle dispose et surtout avec la bonne volonté et l'abnégation de ses enseignants. Votre bouquin est une absurdité, vous enfoncez des portes ouvertes, ce qui ne serait pas grave si ce livre n'était pas parallèlement une insulte à mon travail quotidien. Et ce qui est pire à mes yeux, vous participez à une mode mortifère de dénigrement, à une mode morbide et thanatophore qui veut abattre l'école. Pourquoi? Pour qui roulez-vous? Quel est votre intérêt? Surtout quand on sait que vous visez l'école maternelle, qui n'est pas et loin de là le maillon faible de l'école.

Bref, votre bouquin est idiot, inutile, superfétatoire. Il ne relève que votre renoncement et votre incompétence. Vous avez réussi à vous mettre au banc de ceux qui au quotidien depuis des années ou des décennies s'évertuent quotidiennement dans une charge difficile. Peut-être y trouverez-vous votre compte, avec ce que votre éditeur vous enverra, avec peut-être une mission payée par un de vos subventionneurs pour prêcher la bonne parole. Je reviens sur ce que j'ai écrit plus haut, je vous plains finalement totalement, se trouver dans le même paquet que les Zemmour et autres contempteurs d'un système dont vous êtes issus ne sera pas confortable à long terme.