dimanche 31 mai 2015

Tirez sur la laisse !

L'arrivée du mois de juin est aussi l'arrivée des désillusions. Alors que depuis un an vous dirigez votre école d'une main de fer dans un gant de velours, voilà que tout semble partir en couille.

Vous aviez prévu une sortie de fin d'année avec vos élèves, une classe verte ou autre; vous avez avec conscience rempli un dossier de soixante-douze pages recto/verso décrivant par le menu, seconde par seconde, ce que vos disciples vont faire -la douche à 18h52 pendant huit minutes surveillée par un parent auquel consciencieusement vous avez réclamé un extrait de casier judiciaire, repas au cordeau avec le mardi soir coquillettes et escalopes de dinde, ramassage de coquillage le mercredi matin encadré par un pêcheur du coin breveté d'état (photocopie du brevet incluse)...-; voilà que votre administration se comporte au dernier moment avec vous comme une belle-mère pénible, et vous prévient deux jours avant le départ que la confection de cerfs-volants en paille de riz du mardi matin n'est pas autorisée, sans explication bien entendu, alors que vous aviez même prévu la présence des pompiers au cas où un élève allergique au riz ferait un œdème de Quincke.

Vous avez l'impression que vos élèves ne savent plus rien. Manifestement depuis le début de l'année ils ont passé leur temps à jouer au morpion dans votre dos car les apprentissages de septembre à avril n'ont laissé aucune trace visible. Il faut dire que papa et maman ayant fait leur réservation à Trifouillis-Plage ou Keroec-Crabe, le corps de vos élèves est présent mais leur tête est déjà dans le sable ou les rochers...

Vos adjoints sont pénibles. Excités par les grèves, les commentaires Facebook sur l'école et le mouvement -même ceux qui n'y ont pas participé-, ils n'écoutent plus vos demandes, sont en retard pour la surveillance de récréation, vous snobent en salle des maîtres où ils se font des messes basses en vous regardant d'un œil torve. Plus personne ne lave sa tasse à café.

Tous les enfants de l'école sont excités voire insupportables. Les récréations sont des moments de pugilats multiples, quand ce ne sont pas deux de vos CM qui se lèvent en plein milieu d'une leçon pour aller se castagner en fond de classe, supportés chacun par une moitié de classe (rigolez pas, je l'ai vu, ça! Vingt ans après je n'en reviens toujours pas.).

En cycle 3, c'est le temps où vous devez ouvrir systématiquement vos fenêtres de 9h à 11h30 pour assainir l'atmosphère: une classe de CM2 en fin d'année, ça pue. Eeeeh oui, vos élèves sont maintenant des pré-ados!

Si vous êtes en maternelle, c'est l'époque où la libido de vos bouts de choux, exacerbée par le soleil, fait que vos petites gamines habillée de 30 cm² de tissu montrent toutes avec allégresse leur culotte, quand les petits garçons se planquent où ils peuvent pour comparer leurs zizis. Une fois, c'est rigolo, mais à force ça lasse. Surtout quand ça fait trente-six ans que ça dure... Braillez! En général, ça arrange un peu les choses momentanément, et surtout ça fait le plus grand bien au directeur.

Évidemment, votre connexion internet plante le jour où vous faites les admissions. Pas grave, les parents ont tellement les jetons qu'ils ne s'en rendront pas compte.

Affelnet est définitivement une merde ingérable. Et inutile. Mais vous restez malgré le soleil un bon fonctionnaire, alors vous fonctionnez. Et vous suez aussi, parce que votre bureau de 6 m² n'est pas climatisé.

Courage mes frères, courage mes sœurs, en vérité je vous le dis c'est l'heure de tirer sur la laisse! Vous aviez en avril tourné le poing d'un quart de tour pour visser tout ce petit monde, il est l'heure d'un quart de tour supplémentaire, et de tirer le tout pour que rien ne lâche. Si vous êtes une vieille directrice (pardon, une directrice confirmée) ou un vieux directeur (pardon, un directeur expérimenté), rappelez-vous les années précédentes: c'était kif-kif, et vous êtes fièrement arrivés début juillet certes épuisé, mais avec la profonde satisfaction du devoir accompli. Réitérez! Si vous êtes une directrice ou un directeur débutant, ou jeune dans la mission, apprenez à ne rien laisser passer, sinon vous risquez de mauvaises surprises. Un conseil: ne faites confiance à rien ni à personne, soyez partout l’œil alerte et vigilant pour éviter les accidents, utilisez vos talents reconnus de fin limier pour récupérer les demandes de matériel qui ne vous ont pas encore été rendues pour les commandes de fin d'année.

Nous arrivons en juin, nous tenons le bon bout... Ne le laissez pas glisser de vos mains!

samedi 23 mai 2015

Je vous ai beaucoup aimés...

C'est un moment de pause, entre deux activités... Les enfants jouent tranquillement pendant que je prépare des ateliers de fin de matinée. Je suis assis à découper des illustrations qui nous seront nécessaires, et je suis toujours dans ces instants-là accompagné d'un ou deux enfants qui veulent profiter de ce moment de calme pour discuter. Élise est assise à côté de moi, c'est une petite fille sage et travailleuse, souriante, une de ces élèves dont on souhaiterait qu'elles se multiplient à l'infini tant elles sont agréables à accompagner dans leur vie d'élève.

- Maître...
- Oui Élise?
- Moi mon papa il est cuisinier.
- Oui.
- Ma maman elle vend des médicaments. Elle est pharmacie.
- On dit pharmacienne.
- Oui c'est ça. Elle est pharmacienne. C'est son métier.
- Tout à fait.
- Toi ton métier c'est maître d'école?
- Oui Élise. On dit professeur des écoles.
- Tu donnes du travail aux enfants.
- C'est ça. J'essaye de vous apprendre plein de choses. J'essaye aussi de vous apprendre à vous débrouiller tout seuls quand vous travaillez.

J'ai suspendu mon découpage, je sens Élise très sérieuse, en intense réflexion...

- Les autres maîtresses, c'est aussi leur métier... ?
- Oui Élise.
- Et toi tu es aussi le directeur.
- Oui.
- C'est quoi directeur?
- Houla, quelle question! Le directeur, il s'occupe de tous les problèmes de l'école, quand il y a quelque chose à faire réparer, quand il y a un élève qui est nouveau dans l'école, quand il faut organiser quelque chose. Je fais tout ce que je peux pour que les maîtresses puissent faire travailler les enfants sans avoir de souci.

Élise se tait quelques instants et réfléchit. Je sens que de nombreuses choses se bousculent dans cette petite tête blonde intelligente. J'ai repris mon découpage.

- Mais c'est pas ton métier.
- Si Élise, c'est aussi mon métier.
- Tu as deux métiers alors?
- On peut le dire comme ça.
- Des fois tu vas dans ton bureau là-bas, tu fais directeur...
- Oui.
- ... et quand tu es dans la classe tu fais maître...
- Oui, ou alors je fais les deux en même temps.
- C'est dur!

Il y a de la conviction dans cette dernière interjection! Élise est dans ma classe depuis deux ans, elle a fait avec moi ses années de Moyenne et de Grande section, et comme les autres elle a bien vu que parfois on me réclame pour un coup de téléphone important, ou qu'il arrive qu'on vienne me chercher pour un problème quelconque. J'ai de la chance, j'ai des classes dont les enfants sont autonomes et savent patienter les quelques secondes qui me sont à chaque fois nécessaires, car je me débrouille du mieux que je peux pour que ma mission de directeur d'école n'interfère que le strict nécessaire dans la vie de mes élèves. Ils ont appris à patienter ou à travailler de façon autonome. Je ne peux pas vraiment dire que ce soit pour autant une situation confortable.

- Mais tu gagnes des sous quand tu es maître, c'est ton métier,  c'est pour gagner des sous?
- Oui Élise, bien sûr.
- Et quand tu fais directeur, tu gagnes des sous?

On devrait nommer cette petite fille à la tête du ministère! Les enfants de six ans savent réfléchir, ils savent aller plus loin que les apparences, ils savent extrapoler à partir de situations qu'ils connaissent comme celles de leurs propres parents pour comprendre le monde qui les entoure. D'où d'ailleurs l'intérêt à cet âge de leur proposer de multiples situations nouvelles. Je décide de plaisanter -un peu- et d'exposer à Élise la réalité de ma situation, en souriant.

- Je gagne un peu d'argent en plus. C'est beaucoup de travail, et c'est mal payé.
- Pourquoi tu le fais alors?

Dieu bénisse les petites filles, leur candeur, leur cœur et et leur intelligence! Je me suis mis à rire, mais j'ai quand même répondu.

- Je le fais parce que j'aime bien le faire, j'aime bien organiser des choses, j'aime bien faciliter le travail des maîtresses. Et puis aussi parce que les autres maîtresses ne veulent pas être directrice! Et puis j'ai l'habitude, je suis directeur d'école depuis longtemps, alors je sais le faire et je pense que je le fais bien. Est-ce que je fais bien mon métier de directeur, Élise?
- Oh oui alors! Mais moi c'est mon maître que j'aime!

***

Ce dialogue, je l'ai vécu il y a quelques jours. J'en ai changé quelques éléments car je ne tiens pas forcément à ce qu'on en reconnaisse les protagonistes. La fin d'année, en Grande section, amène toujours des surprises. Les enfants ont grandi, ils ne sont plus des "maternelles", mais des enfants arrivés à l'âge de raison, capables à leur mesure d'analyse et d'argumentation. De plus, leur réflexion est fraîche et saine, exempte d'a priori et de préjugé. Elle est également, bien sûr, exempte de connaissance: leur besoin d'apprendre et leur désir de comprendre sont entiers, ils sont assoiffés si la vie qu'ils ont jusque là vécue ne les a pas déjà profondément blessés, ou si on ne les a pas déjà imbus de haine ni de bêtise.

Il faut les aimer, ces enfants, pour aimer ce métier. Et pour continuer à vouloir leur enseigner. Comme également pour perdurer dans la mission compliquée de directeur d'école. Si j'accepte encore d'être mal considéré -sauf par mes propres familles d'élèves-, mal payé, de faire deux métiers qui s'interpénètrent si profondément que parfois avec la fatigue il m'arrive de perdre le fil ou de n'avoir plus assez d'énergie pour simplement faire ce que j'ai à faire, c'est bien parce que je les aime. Parce que l'intérêt, le sourire et les yeux pétillants d'un enfant de six ans restent une motivation suffisante et souvent me restituent l'allant nécessaire. Alors à 21h le soir, j'ouvre la boîte de courriel de l'école, ou je boucle un ordre du jour de réunion...

Pourtant, à mon âge, après trente-six ans de carrière, je m'avoue fatigué. Las. L'envie est moindre. Qui pourrait m'en vouloir? Je pense que personne qui n'ait fait mon métier ne peut le comprendre. Il y a seulement quinze ans j'aurais pu prendre ma retraite, et je l'aurais fait sans état d'âme: j'ai beaucoup donné, il y a des jeunes qui poussent derrière et ont plus faim que moi. Mais on m'a dit qu'il fallait continuer, alors je pallie mon alanguissement avec mon expérience. Mais je partirai sans remord lorsque je le pourrai.

Il me restera tout de même quelque chose. Oui, vous, tous mes élèves, vous tous que j'ai accompagnés à un moment de votre scolarité, avec plus ou moins de mal selon qui vous étiez, votre comportement, votre passé, oui vous tous je vous ai beaucoup aimés. Et l'amour que l'on donne laisse autant de traces dans le cœur et l'âme que celui que l'on reçoit. Toi, la grande nana blonde de vingt-cinq ans qui a traversé la rue l'autre jour avec un grand sourire sur le visage, toi qui es venue m'embrasser en me parlant de la petite fille que tu étais dans ma classe dans un autre temps et une autre vie, sache que si je ne me rappelais pas vraiment de toi ce n'est pas de l'indifférence, juste que tous vos visages et tous vos faits et méfaits se confondent dans mes souvenirs. Toi, le jeune homme enthousiaste qui m'a contacté sur un réseau social en m'évoquant des anecdotes qui me paraissaient étrangères tant elles étaient lointaines, sache que ton désir de me contacter lorsque par hasard tu es tombé sur mon nom fut pour moi un peu de baume à la fragrance incomparable. Tous vos signes de reconnaissance, présents, passés ou futurs, ces bisous de certains à votre arrivée en classe -même si je ne cours pas après, loin de là!-, vos sourires et signes de la main lorsque je vous croise dans la rue après quelques années, sont pour moi autant de raisons de continuer à aimer mon métier. Je suis épuisé maintenant, souvent, mais je crois quand même qu'en choisissant cette voie, j'ai eu de la chance, une chance incomparable: celle d'accompagner la vie.

dimanche 17 mai 2015

Dura lex sed lex...

Juste un petit mot quant à mon dernier billet... Je vous préviens je vais être vulgaire.

Je dénonce dans ce billet -une fois de plus (once more, pour les anglicistes, ou iterum, pour les latinistes qui se croient persécutés ces derniers temps par le projet des nouveaux programmes du collège, ou encore wieder pour les germanistes qui jouent aussi aux victimes)- l'illusion mortifère de la direction collégiale, ou du "Conseil des maîtres décisionnaire", vieille lune gaucho qui tient autant debout qu'un cul-de-jatte (et je m'excuse d'avance auprès des personnes concernées qui pourraient me lire, tant on ne peut plus rien écrire dans notre époque de merde).

Être directrice ou directeur d'école, c'est prendre en permanence un certain nombre de décisions. Si une organisation peut être collégiale, ce que je souhaite mais je ne vis pas moi chez Oui-oui ou dans le meilleur des mondes mais avec des gens qui n'ont aucune idée de mon boulot, une décision ne peut pas être juridiquement collective, parce que la prise de responsabilité légalement ne l'est pas: le directeur est responsable de la sécurité des personnes et des biens, et lui seul. Cette responsabilité ne peut pas être juridiquement diluée ni collective, ce qui implique que fatalement, même si la décision peut être prise collégialement, elle ne peut juridiquement incomber qu'à une seule personne qui ne peut être légalement que le directeur.

Alors qu'on ne vienne pas me faire chier avec des expériences plus ou moins réussies ou ratées de droite et de gauche, qu'il s'agisse d'écoles Freinet ou autres, qui ne tiennent debout que par la volonté d'une personne qui se trouvera fort marrie lorsqu'une merde arrivera et qu'un magistrat ou un procureur lui expliquera que "non Monsieur, vous êtes légalement le directeur de cette école, vous êtes donc juridiquement responsable de ce qui s'est passé", et qu'il se retrouvera au pénal avec une grosse merde au cul.

Voilà, c'est écrit. Dormez bien braves gens.

jeudi 14 mai 2015

De nouveaux mots et quelques vieilles lunes...

Ainsi donc le SNUipp nous gratifie ce mois-ci d'un somptueux document de huit pages consacré à la "direction d'école", passé inaperçu au sein de la cacophonie consacrée aux projets de programmes du collège. Si le dossier en lui-même ne comporte pas vraiment de nouveauté, en revanche le ton en semble apaisé, et le vocabulaire utilisé plus réaliste.

En effet j'ai eu la surprise dans l'éditorial d'y trouver les mots "directrice" et "directeur" d'école. Exit donc en partie la fameuse "direction d'école", le syndicat parait s'intéresser désormais aux personnes qui remplissent cette mission. S'agirait-il d'un aggiornamento tardif? Que nenni hélas, car ce sont aussi quelques vieilles lunes syndicales qui veillent sur notre mission.

Épluchons ce document dans l'ordre qu'il nous propose.

Tout d'abord le syndicat d'élève contre la multiplication des "postes à profil", estimant que pour être directeur d'école un simple entretien est nécessaire, et que tous les postes de direction se valent. Si vous lisez ce blog, vous connaissez déjà mon opinion: pour moi tous les postes de direction sont des postes à profil qui, s'ils réclament certaines compétences de base qu'ont tous les directeurs, sont en revanche tous différents pour le reste, aucune école n'ayant les mêmes besoins. Il n'y aurait pas chaque année tant de directeurs éprouvés, bousculés, amers ou dégoûtés, si toutes les directions étaient similaires. Il n'y aurait pas non plus à mon sens autant de conflits idiots avec les municipalités ou les familles: être directeur d'école est aujourd'hui un métier, ce n'est plus une vague perspective de carrière, un poste qu'on prend deux ans avant sa retraite pour augmenter sa pension.

Le SNUipp donne ensuite la parole à quelques collègues qui se plaignent des tâches nombreuses et chronophages. Sur ce point le syndicat tape plutôt juste, mais honnêtement en ce qui me concerne je trouve que la fameuse "simplification des tâches" avance, même s'il reste de nombreux points noirs comme la multiplication des "équipes éducatives" et autres réunions institutionnelles, ou Affelnet. Le syndicat évoque l'aide des EVS, mais cite aussi avec honnêteté une collègue qui explique que « Comme il s’agit d’une personne en difficulté personnelle, sa présence me pèse plutôt qu’elle ne m’aide et je me demande toujours ce que je peux lui faire faire. » Un bon point pour le SNUipp qui semble ne plus vouloir faire de ces emplois précaires sans qualification la panacée de notre métier. Mais se prononce-t-il contre? Nous verrons plus bas que ce n'est pas le cas.

Le syndicat évoque ensuite les évolutions apportées par le "chantier-métier", et là encore à mon idée tape assez juste. Citons en particulier: « Un tutorat est prévu pour accompagner la première année de prise de poste. chaque nouveau directeur sera accompagné par un directeur expérimenté, rémunéré pour cette mission, mais sans temps de décharge supplémentaire. le ministère prévoit aussi un dispositif de formation continue. L’ensemble de ces propositions constitue une avancée dans la reconnaissance de la fonction et un préalable indispensable pour préparer à la diversité des missions. Pour autant on ne peut qu’être inquiet quant aux possibilités concrètes de mise en œuvre à moyens constants. Aujourd’hui même, dans beaucoup de départements, la formation préalable des directeurs et directrices d’école est réduite à sa portion congrue faute de remplaçants disponibles. » Voilà un texte contre lequel je n'ai rien à dire, je ne peux qu'en souligner la justesse et les doutes qui sont aussi les miens.

Cela se gâte à la page suivante, où le syndicat parle du référentiel-métier paru au Bulletin Officiel en décembre dernier. Je posais plus haut la question de ce que le SNUipp pensait aujourd'hui des EVS, et voici la réponse, bien cachée dans un petit coin discret: « Pour le SNUipp, ce nouveau référentiel doit être un appui pour la formation mais ne doit pas venir encore alourdir les responsabilités et les missions. d’autres voies sont à explorer : remettre le conseil des maîtres au centre des décisions, doter les écoles d’une véritable assistance administrative... » Aïe! Nous refiler encore en 2015 le fabuleux "conseil des maîtres décisionnaire", il fallait oser! Je rappelle à tous que ce CM n'a jamais été décisionnaire de quoi que ce soit, donc vouloir l'y "remettre" est un mensonge. C'est ensuite évidemment, chacun ici de ceux qui dirigent une école le sait, la porte ouverte à la déresponsabilisation, à l'absence de décision et au temps perdu, aux conflits idiots entre collègues ou avec la municipalité, à l'irrespect des textes, aux... Bref c'est bien la dernière chose à faire. Et puis revoilà "l'assistance administrative". Si le syndicat utilisait le mot "secrétariat" je serais d'accord et rassuré, mais nous remettre une couche d'EVS c'est du foutage de gueule. Je l'ai toujours dit et écrit: un directeur avec du temps disponible n'a pas besoin d'une aide aléatoire et incompétente dans des domaines qui aujourd'hui réclament expertise et professionnalité.

Ensuite le SNUipp nous annonce qu'il s'oppose au futur GRAF qui ne concernera qu'une petite partie des directeurs d'école. Pour moi le GRAF est une bonne idée qui autorise une réelle distinction de fonction et de métier entre celui d'enseignant et celui de directeur d'école, mais pour autant qu'il ne soit pas "universel" m'indispose aussi. Admettons. Le syndicat nous dit aussi que les directeurs des petites écoles sont lésés en terme de décharge d'APC, ce qui est vrai car cette décharge suit de façon ridicule le régime des "décharges de direction". Ce sont donc effectivement les directeurs en charge de classe toute la journée et tous les jours (ce qui est mon cas) qui doivent en plus un certain nombre d'heures d'APC. Vous connaissez mon opinion sur ces absurdes Activités Pédagogiques Complémentaires, mais si APC il doit y avoir tous les directeurs d'école devraient évidemment en être dispensés pour avoir le temps de remplir leur mission. Le plus simple serait évidemment de balancer les APC dans la poubelle de l'histoire de l’Éducation Nationale, surtout aujourd'hui que les communes ont en charge de nouvelles activités périscolaires.

Le SNUipp évoque ensuite la simplification administrative, et estime qu'elle traîne. C'est vrai, certaines académies font soit la sourde oreille soit traînent les pieds. Il va falloir que le ministère mette un peu les pieds dans la fourmilière par le biais des Recteurs. Ce sera d'ailleurs la même chose, je le crains, pour les cellules juridiques. Nous verrons.

Bref, que résumer de ce document? Un ton légèrement différent, moins vindicatif... Une reconnaissance tardive des "directrices" et "directeurs" d'école (vieux motard que j'aimais, comme nous disions à mon adolescence)... Des constats assez justes, et parfois surprenants comme les pincettes prises pour les EVS... Mais toujours hélas de vieilles revendications idiotes, et un fond qui laisse dubitatif. Car enfin, encore une fois le SNUipp balance entre réformisme -sans s'y lancer vraiment, il ne propose rien- et immobilisme voire passéisme comme le prouvent sa lubie du CM décisionnaire et son engagement régulier avec les syndicats de conflit que sont SUD, la CGT ou FO. Clairement aujourd'hui le SNUipp ne veut plus bouger du tout, s'il bougeait encore. C'est un syndicat hésitant, certainement scindé en deux courants contradictoires, ce qui rappellera aux vieux dans mon genre le début des années 90. C'est un syndicat moribond qui ne survit que grâce à son histoire. Ce n'est pas avec le SNUipp que la cause des directeurs d'école avancera sur la voie de la reconnaissance pleine et entière de sa mission particulière.

dimanche 3 mai 2015

Individualiser...

La réforme des programmes du collège, pourtant minime, agite beaucoup le microcosme intellectuel français en ce moment. Et pas que lui, tant il est vrai que la France compte 66 millions de spécialistes en éducation, comme le rappelle Philippe Watrelot dans son dernier bloc-notes. Mais le nombre des agitateurs -car il ne s'agit que de ça- qui profitent de la réformette pour se montrer est étonnant. On nous a même sorti Régis Debray de la naphtaline! Ils sont nombreux à raconter n'importe quoi, qui colportent les rumeurs les plus idiotes ou des mensonges éhontés, montrant ainsi surtout qu'ils n'ont pas lu le projet des nouveaux programmes. Car ce n'est qu'un projet, ce qu'a beau jeu de rappeler Michel Lussault dans "Les échos" en expliquant que ce projet est amendable et que la formulation doit en être améliorée. Bref, on sent derrière ce dénigrement systématisé qui fleure bon les fameux "éléments de langage" célébrés par certain gouvernement dit "de droite", sinon une campagne politique organisée par "Le Figaro", du moins une grande partie des maux qui gangrènent notre pays: corporatisme, égoïsme, conservatisme... Les enseignants eux-mêmes ne sont pas en reste, qui cultivent le chacun pour soi et la défense de leur pré carré disciplinaire. Ce ne sont que lamentations, protestations, gémissements divers. Les enseignants ont pourtant les moyens de s'y retrouver, dans ce projet. A condition de savoir se remettre en question. Je ne les condamne pas pour autant, je crois qu'une grande partie de ceux qui protestent aujourd'hui, en dehors des corporatistes invétérés comme les syndicalistes du SNES -ne touchons à rien, nos statuts sont menacés!-, ne donnent que l'écho de l'abandon dans lesquels on les a laissés depuis quelques lustres. Quand on ne les a pas tétanisés à grands coups d'évaluations normatives, ou de qualificatifs outrés: profiteurs, nantis, privilégiés...

Je me bagarre depuis quelque temps sur les réseaux sociaux et autres forums pour défendre ce projet (ici par exemple). Comme j'ai défendu les excellents nouveaux programmes de la maternelle, et comme je regarderai avec attention le projet de ceux de l'élémentaire. C'est une de mes réponses à un billet récent qui motive l'article que je suis en train d'écrire. Car le sens de la rénovation nécessaire du collège est celui que je défends pour l'enseignement en général, comme pour ma mission de directeur d'école en particulier.

Car enfin que demande-t-on à l'enseignement? Qu'il soit efficace. Le constat est qu'il ne l'est pas. Enseignant du primaire je vois une partie appréciable des élèves qui le quitte sans avoir acquis certaines "bases" du langage ou des mathématiques, ce qui creuse déjà un écart avec leurs condisciples. Cet écart s'accentue tant au collège que nombreux sont ceux qui "lâchent". On peut raisonnablement considérer que l'enseignement se disperse, au nom des "humanités" et de la culture générale, au détriment des disciplines primordiales comme l'accès au langage et à ses pleins compréhension et usage. On me rétorquera qu'il ne faut pas envisager un enseignement à "deux vitesses" parce que ce ne serait pas "égalitaire". A mon sens l'équité serait au contraire d'envisager un enseignement à autant de vitesses qu'il y a d'élèves, ce qui implique que ceux qui peuvent accéder à des savoirs complémentaires doivent y avoir droit, mais également que ceux qui ne peuvent pas doivent avoir l'assurance de recevoir un enseignement de base efficace. Dans certains pays de l'OCDE c'est ce qui a été compris.

C'est une révolution de la façon dont nous considérons nos élèves et un enseignement de masse qu'il nous faut envisager, je pense sérieusement que cette toute petite réforme du collège en est un premier pas -qui ne va d'ailleurs pas assez loin tant la force d'inertie de l’École est grande-. Ce n'est pas une question disciplinaire, ni d'abandon de quoi que ce soit, ni... c'est l'idée que l'enfant est le premier moteur de ce qu'il apprend, et qu'il en est aussi souvent la première victime.

Car si on peut dans un sens légitimement considérer que tous les enseignements, toutes les disciplines, sont indispensables, combien le sont-elles vraiment aujourd'hui pour le commun, ou la majorité, des français? Et je ne mets dans ce mot "commun" aucune valeur appréciative. Je constate simplement qu'il est souvent plus facile par exemple d'apprendre une langue quand adulte on en a besoin, que c'est très rapide, et concentré sur le langage parlé et le jargon professionnel. Je constate que le latin dont j'ai pris le goût pendant de longues années ne m'est aucunement utile, sinon pour sortir à bon escient de temps à autre une citation -en revanche je pense qu'il me fut une bonne formation logique-. L'est-il vraiment pour ceux qui ne se destinent pas à des lettres classiques? Pour les sciences ou la pharmacie peut-être... Certainement pas, un nom latin est un nom, simplement, qu'on apprendra comme autre chose. Je pourrais multiplier les exemples à l'infini, et tout autant les exemples de mes millions de compatriotes qui ne maîtrisent ni la compréhension ni l'usage de leur propre langue faute d'un enseignement en français qui leur fut adapté et surtout efficace. Combien ont-ils appris de choses jusqu'à leur éventuel bac qui leur sont totalement inutiles et que fatalement ils ont aujourd'hui oubliées? Combien de temps, combien d'années ont-ils perdu? Combien de temps se sont-ils ennuyés? Non, aujourd'hui, on ne peut plus se passer d'individualiser l'enseignement.

C'est ce qui est fait en maternelle. J'explique régulièrement à tous les jeunes enseignants qui passent dans mon école que ce n'est pas ce qu'ils ont prévu dans la journée qui compte, que ce n'est pas d'avoir une fiche photocopiée de plus dans un classeur d'élève. Ce qui compte, c'est que chaque travail, chaque action, chaque réflexion, soit compris, assimilé, réussi. Le travail du maître ou de la maîtresse, c'est de faire réussir tous ses élèves dans les fondamentaux, c'est de ne laisser personne en déshérence. Et ça fonctionne quand on prend le temps nécessaire, sans dispersion, sans activisme forcené.

Cette façon de faire prend pied doucement en élémentaire -pas assez vite à mon goût, mais certains freinent des quatre fers pour une question de confort et parce qu'on les a tétanisés avec des évaluations normées généralisées idiotes-. C'est évidemment aussi ce qui est indispensable au collège. Au même titre qu'ânonner ou déchiffrer n'est pas lire, remplir le cerveau de notions mal maîtrisées, et qui seront rapidement oubliées car elles ne reposent que sur des bases instables, est une idiotie. L'enseignement doit prendre de le temps de sa compréhension et de sa pleine assimilation. On est évidemment dès lors confronté à une hétérogénéité qui ne fera que s'accentuer avec le temps, ce qui n'enlève aucune richesse individuelle mais ne peut au contraire que la conforter. On est loin du nivellement réclamé depuis toujours aux enseignants par l'institution. Et je comprends que cela puisse être perçu comme inconfortable. Et alors? Qu'est-ce qui compte? Le confort des enseignants et de l'institution, ou l'épanouissement intellectuel de nos élèves?

Le projet de réforme est un premier pas, fort léger et peu appuyé, en ce sens. C'est le bon sens.

Il faudrait alors généraliser l'idée. Si je prends l'exemple de ma mission de directeur d'école, je constate qu'elle est aujourd'hui confiée à n'importe qui n'importe comment. Oh certes il existe un entretien "d'embauche" et une liste d'aptitude, mais celle-ci ne tient aucunement compte de certaines compétences indispensables aujourd'hui aux directeurs d'école, ni des spécificités des écoles où les directeurs seront affectés. Seuls les postes en réseau prioritaire (REP ou REP+) sont aujourd'hui considérés comme "à profil". C'est un tort, chaque école de chaque commune réclame des compétences différentes. Et d'abord évidement une forte habileté diplomatique, comme de claires aptitudes à la communication. 80% des problèmes rencontrés par les directeurs d'école aujourd'hui sont liés à une absence de communication, ou à un conflit souvent absurde avec un partenaire, famille ou municipalité.

Au même titre que chaque élève a des besoins particuliers différents de ceux de ses condisciples, chaque école a des besoins de gestion spécifiques. Chaque poste de directeur d'école est un poste "à profil" qui ne devrait être pourvu qu'après une bonne appréhension de son terrain et une formation préalable adaptée. Et certainement pas dans un "mouvement" qui offre une direction d'école au premier qui la demande, débutants et stagiaires compris si personne d'autre n'est intéressé. Je ne doute pas une seconde que certains y parviennent, mais combien sont rapidement dégoûtés, ou en conflit qui avec un enseignant, qui avec le Maire de la commune, qui avec une famille... Absurde.

J'ai tellement râlé depuis 2012 contre la "refondation" que je peux aujourd'hui, sans me sentir coupable ni passer pour un naïf, constater que beaucoup de ce qui en est le fruit va dans le sens de ce que je pense que l’École doive devenir. De nombreux pays ont fait leur aggiornamento, pourquoi la France ne le pourrait-elle pas? Cela prendra du temps comme cela en a pris au Canada ou dans les pays scandinaves. Il ne faut par refuser systématiquement pour des raisons douteuses ou égocentriques de petits changements qui doivent à mon sens lancer une dynamique constructive qui nous est indispensable. C'est l'avenir de notre profession, et surtout celui de nos enfants, dont il est question. Cela mérite certainement mieux que des polémiques comme celles que l'on observe aujourd'hui.