dimanche 26 octobre 2014

L'illusion numérique et la parole du Prince...



Cela fait longtemps que je voulais écrire un billet sur l'illusion numérique, cet usage forcené de l'informatique et de ses outils qu'on tient absolument à nous présenter comme une panacée pour tous les maux de l'école. J'accumulais de la documentation, mais je me sentais un peu feignant, et voilà qu'une triste actualité me ramène à ce propos.

Un collègue, par ailleurs excellent connaisseur des outils numériques -voire même spécialiste de leur usage en situation-, s'est vu reprocher par sa hiérarchie un billet pourtant innocent de son blog, dans lequel il critiquait la pensée magique qui consiste à croire que le numérique peut être la solution ultime au fameux "décrochage" et autres échecs scolaires. Rappelons-le, il n'existe aucun devoir de réserve dans notre métier mais juste un devoir de discrétion quant à nos opinions religieuses ou politiques, et quant à ce qu'il nous est donné de connaître de nos élèves. Rien que de très logique en somme. Mais notre pléthorique et surtout jacobine administration ne l'entend pas de cette oreille, qui tient à ce que surtout ses personnels ne critiquent jamais rien de l'institution, même ce qui pourtant nous apparait comme évidemment idiot ou éminemment mensonger. Et c'est ainsi que quelques fonctionnaires qui se pensent certainement investis d'une mission divine n'hésitent pas à convoquer leurs ouailles pour les engueuler, leur reprocher leur manque de respect, voire même peuvent aller jusqu'à les suspendre de leur mission comme l'a appris à ses dépens Jacques Risso.

J'ai connu des déboires similaires il y a quelques années, sous l'ère Darcos. J'avais le malheur, en toute confiance, de bloguer sous ma véritable identité. J'avais la parole aussi libre qu'aujourd'hui, et il n'a pas manqué un veilleur internet pour rapidement repérer ma prose... qui n'a pas plu au ministère, lequel a demandé à l' Inspecteur d'Académie (les DASEN n'existaient pas encore) de me convoquer pour m'administrer un blâme. L'inexistence d'un devoir de réserve ne gêne pas ces gens là qui détestent qu'on leur mette le nez dans leur pipi.

J'ai eu à l'époque le même réflexe que notre malheureux collègue aujourd'hui, soit celui de supprimer mon blog, la mort dans l'âme. Mais ma carrière jusqu'alors sans tache ne pouvait alors à mes yeux s'encombrer d'un tel écart dans mon dossier. Je suis profondément fonctionnaire, j'aime mon métier, je ne concevais pas ne pas respecter quelque part la volonté de mon administration.

Le naturel a heureusement vite repris le dessus, j'avais besoin d'exprimer les manques, les errements, les blocages, les absurdités du système. J'ai rapidement créé un nouveau blog, anonyme celui-là, celui que vous lisez présentement. Je déteste l'anonymat, je le conchie. Mais je ne pouvais pas laisser tomber. Et voilà -je le suppose- un ministère heureux de provoquer chez ses agents leur passage dans la clandestinité. Je ne croyais pas une seconde, après les présidentielles de 2012, que les choses changeraient, j'en ai aujourd'hui une éclatante confirmation si j'en avais eu besoin après l'affaire Risso.

Tout cela pour quoi? Les propos mesurés de notre collègue aujourd'hui maltraité ne faisaient pourtant qu'enfoncer une porte ouverte, celle de l'inanité du "grand plan numérique" proposé -imposé!- à l'enseignement par notre Président, plan qui ne vise qu'à noyer le poisson des échecs de la rénovation de l'école, parmi ceux de la présente politique en général. J'en parle suffisamment depuis plus de deux ans ici pour ne plus vous présenter les causes de ces échecs: administration pyramidale, centralisée, infantilisante, sans réactivité... refus de confier les rênes des écoles à ceux qui les connaissent le mieux et en subissent quotidiennement les contraintes, soit les agents de terrain... obsessions pédagogiques, pensée magique... j'en passe et des meilleures. Comme s'il suffisait d'exprimer que l'on va équiper les écoles de tablettes numériques et autres dispositifs pseudo-interactifs pour résoudre les soucis d'une société devant lesquels nos gouvernants restent eux-mêmes tétanisés. C'est une pensée dévastatrice, mais c'est -n'est-ce pas?- la parole du Prince! Yaka, ilfo, et nous serons sauvés; l'école sera efficiente pour tous, aucun de nos élèves ne sortira plus du système scolaire sans diplôme ni sans métier.

Ceux qui se sont frottés aux MOOC, que déjà on nous a présentés comme l'avenir de l'enseignement, le savent bien: apprendre seul est extrêmement difficile, et réclame des armes que seule une formation intellectuelle complète peut fournir. Si c'est effectivement dans l'interaction qu'on peut le mieux apprendre, c'est surtout et définitivement avec l'aide et le support d'un mentor, d'un guide, c'est une interaction humaine qui est nécessaire, c'est... un enseignant. Certes l'outil numérique, s'il est utilisé à bon escient par un formateur qui en connait tenants, aboutissants et surtout limites, peut être un dispositif favorable. Mais il ne remplacera jamais un échange humain, le chemin que peut tracer pour un disciple son maître d'étude. Croire le contraire n'est même plus s'illusionner, c'est jeter de la poudre aux yeux. L'autonomie et les compétences nécessaires à l'acquisition des savoirs est hélas souvent hors de portée de ceux qu'on tente d'aider, alors les abandonner devant un ordinateur... On connait l'intérêt formateur des travaux de groupes, vouloir venir à un face-à-face élève-machine est suicidaire. Encore plus quand on le présente comme l'ultime salut.

Soyons honnêtes, ce "plan numérique" ne sera pas totalement inutile... pour nos meilleurs élèves, qui eux sauront en tirer parti. Est-ce le public visé?

Nous l'avons déjà vécue, la révolution numérique. Moi du moins. En 1985, avec le "Plan informatique pour tous", dont j'ai toujours pensé qu'il servait surtout à essayer de sauver Thomson de la faillite. Qui n'a jamais planté un MO5 ou 6 et vaillamment tenté de recharger un programme de la gamme ne peut pas comprendre... Les défauts de l'époque sont presque les mêmes aujourd'hui: manque de formation, manque de maintenance, obsolescence matérielle, etc. Mais les enseignants utilisent tous l'informatique aujourd'hui, me dira-t-on. Certes. Plus ou moins bien. Mais qui me fera croire qu'à la première panne le matériel lui-même ne sera pas abandonné? Et puis quels programmes nous seront proposés, alors que les manuels continuent inexorablement à perdurer sous un format papier de plusieurs kilos -je suppose qu'il faut soutenir la filière d'édition-? Honnêtement, à moins que l'enseignant soit lui-même passionné par l'outil, ce nouveau plan numérique finira comme le(s) précédent(s): tablettes brisées, ordinateurs en panne, tout ça prenant la poussière comme la plupart des TBI aujourd'hui, eux qui furent la "révolution" d'hier. Et ce ne sont pas des directeurs d'école submergés de travail, de tâches variées et de devoirs, qui vont se substituer à une maintenance dédiée qui prend un temps fou et réclame des compétences spécifiques.

Je me demande combien dans ce gouvernement seraient capables d'utiliser le "code" dont ils nous rebattent les oreilles. Moi oui, des if... then... else... j'en ai manipulé pas mal, je faisais de la programmation au début des années 80, ce qui ne me rajeunit pas. J'avais en amont une formation classique qui m'a bien servi: quel meilleur apprentissage de la logique nécessaire à la manipulation d'un code binaire aurais-je pu avoir par exemple que mes sept années de latin? Traduire Cicéron ou Virgile réclame une gymnastique intellectuelle qui me fut bien utile. Je me suis frotté par la suite au C++, à Delphi, etc. Par pur plaisir (ou par vice, choisissez). Aujourd'hui cela n'a plus aucun intérêt sauf pour les quelques qui se destinent à la programmation, et de toute façon se pencheront sur Python ou autre dans leur IUT, leur université ou leur école d'ingénieur. Tiens , j'en profite pour dire qu'on parle de "programmeur", et pas de "programmateur", merci. Le matériel et les programmes qui nous sont aujourd'hui proposés ne réclament plus qu'on se penche attentivement sur eux pour les exploiter (ceux qui ont déjà créé des disquettes de démarrage pour optimiser l'usage de 640 Ko de RAM au lancement d'un jeu gourmand me comprendront). Le fameux "apprentissage du code" est une sinistre blague, travailler les langues vivantes ou mortes serait plus formateur, et ouvrirait à d'autres perspectives -géographiques, historiques, étymologiques...- et d'autres points de vue, alors qu'un langage informatique n'ouvre rien qui ne se referme sur son propre usage.

Bref, notre pauvre collègue maltraité pour ses propos malheureusement honnêtes et pertinents est la victime d'une pensée unique dont on aurait pourtant aimé imaginer il y a deux ans qu'elle allait disparaître. Il ne fait pas bon dire la vérité, tant nous vivons sous le règne du mensonge et de l'illusion, dans un monde féérique peuplé de magiciens et de princesses. Je ne saurais trop recommander aujourd'hui comme je l'aurais fait hier, à tous ceux qui travaillant pour le sacro-saint ministère de l’Éducation nationale auraient la plus minime velléité d'exprimer une opinion quelconque, de le faire anonymement. Juste une histoire de confort intellectuel...

lundi 20 octobre 2014

Appel à la résistance...

Je parcours quasi quotidiennement le net à la recherche de ce qui concerne les directrices et directeurs d'école, que ce soit en France ou ailleurs. De nombreux forums ou sites personnels foisonnent de témoignages, et ce que j'y lis m'effare.

Le directeur d'école m'apparait clairement comme la cible numéro un de l'école, tenu pour coupable de tous les défauts du système scolaire français, qu'il s'agisse des parents d'élèves qui persistent à croire que le directeur est responsable de tout ce qui se passe dans son école -pédagogie et comportement de ses adjoints compris-, ou qu'il s'agisse de l'administration qui le considère comme une vache à lait corvéable à merci. Il faut dire que l'institution de l’Éducation nationale s'ingénie à brouiller le message, en refusant de nous donner une définition claire de nos missions, soit le fameux "référentiel-métier" qui joue l'arlésienne. Cette absence de précision autorise bien entendu tout un chacun, IEN en tête, à réclamer au directeur les rapports et documents les plus ahurissants -sans bien entendu aucune coordination départementale, académique ou nationale-, ou à lui reprocher avec allégresse tout et n'importe quoi.

Je rappelle à mes lecteurs qu'un directeur d'école n'est rien sinon un chargé de mission sans pouvoir, mais avec des devoirs. Le seul et unique supérieur hiérarchique des enseignants comme du directeur est le Directeur Académique ou DASEN, qui délègue aux IEN.

C'est ainsi que le directeur prend les coups sur le terrain, au propre comme au figuré, et se voit réclamer comptes-rendus, enquêtes, rapports, qui ne seront jamais lus mais permettront à un IEN de se couvrir "au cas où". Il faut aussi réaliser que depuis quelques années l'inflation des demandes est constante et favorisée par l'invention maudite du courrier électronique, les dernières réclamations en date concernant par exemple la fréquentation du mercredi matin ou diverses enquêtes de présence pour les remplaçants, les EVS et les AVS... N'importe quoi.

Il est donc largement temps de faire un appel à la résistance, et surtout de prioriser les besoins. Quels sont ces derniers, et dans quel ordre?

1) La majorité d'entre nous sommes chargés de classe, et comme la première mission d'un enseignant est bien de s'occuper de ses élèves, le boulot de classe passe donc en premier.

2) Le directeur d'école a pour devoir de veiller à la sécurité de son établissement. Ce n'est pas forcément la mission la plus simple, mais elle est primordiale.

3) Le directeur d'école veille à la répartition des moyens, et au confort de travail de ses adjoints.

4) Quelques documents sont indispensables légalement: registre matricule, cahiers d'appel, Base-Élèves.

Le reste des sollicitations sera dépendant des points ci-dessus: pour le premier vient évidemment en complément le rapport avec les familles, pour les deux suivants les rapports avec les partenaires de l'école et en premier lieu la municipalité, etc.

Le reste?

Ne renvoyez plus rien à votre IEN. C'est inutile, souvent redondant, ce ne sera jamais lu, c'est chronophage et énergivore, et vous n'y gagnerez rien de plus. Croyez-vous vraiment que votre IEN vous sera reconnaissant de lui renvoyer recta tout ce qu'il réclame? Le jour où vous aurez besoin de lui il sera aux abonnés absents, ou incapable de vous répondre. J'exagère? Non, cela se vérifie dans 90% des cas, rares sont les IEN qui se mouillent pour leurs dirlos... quand ils ne leurs tombent pas sur le dos par opportunisme, lâcheté, ou frustration.

Soyez donc vous aussi aux abonnés absents. Ne répondez pas au téléphone pendant que vous êtes avec vos élèves et surtout enlevez-le de votre classe -c'est mon cas, je n'ai aucune décharge, et mes interlocuteurs ont appris à s'en accommoder-, éteignez votre répondeur. Un courriel vous emm[...]? Poubelle! Si par la suite on vous contacte en vous demandant quelque chose dites que vous n'avez pas reçu la demande, que votre ordinateur est en panne, que votre connexion internet a joué les filles de l'air, ou simplement que vous n'avez pas le temps. En ce qui me concerne personne ne pense ou n'ose me réclamer ce que je n'envoie pas (il faut dire qu'avec ma grande gueule...). Vous l'avouerai-je? Je ne renvoie plus rien. Si, j'ai renvoyé la synthèse de la consultation sur les programmes de maternelle, faite en "live", puisqu'on m'en avait pour le coup donné le temps.

C'est donc bien un appel à la résistance que je lance. Tant que la mission de directeur d'école n'aura pas été clairement définie par un texte opposable ("Vous me réclamez ça? Ce n'est pas dans le référentiel." Fermez le ban.), tant que la mission de directeur d'école ne sera pas mieux considérée institutionnellement ("Non Monsieur l'IEN, je ne suis pas votre esclave."), tant que le directeur d'école ne sera pas considéré statutairement et reconnu par ses pairs, sa hiérarchie et ses partenaires, tant que le directeur d'école ne sera pas payé à la hauteur de son travail et de ses responsabilités, je ne vois pas l'intérêt de faire quelque effort superflu, dans la mesure où mon école "tourne", fonctionne bien, que les enfants y sont heureux et y réussissent dans la sérénité.

Point barre.

dimanche 19 octobre 2014

Lynchage et porte ouverte...

Nous avons dans les écoles l'habitude des rumeurs. Il faut dire que longtemps fermées aux familles, elles furent un lieu secret auquel les parents d'élèves n'avaient pas accès, situation propice aux médisances de trottoir. Aujourd'hui encore si certains bruits se propagent c'est souvent la preuve d'un défaut de communication de la part de l'école et en particulier de sa directrice ou son directeur. Je ne saurais trop recommander à mes jeunes collègues qui débutent dans notre difficile mission de direction de beaucoup parler et beaucoup expliquer pour couper court à toute velléité de commentaire malveillant.

Il reste néanmoins parfois qu'une personne mal intentionnée parvienne à répandre des rumeurs malfaisantes, malgré les efforts d'un directeur d'école. Contre cela il n'y a guère à faire, sinon rapidement porter plainte et se faire assister d'un avocat -l'assurance professionnelle est dans ce cas particulièrement bien venue-. D'autant que souvent ce n'est pas l'école qui est visée mais bien le professionnalisme des enseignants ou du directeur... voire leur vie personnelle.

En revanche, lorsqu'il s'agit des médias, c'est l'école dans son ensemble et son intégrité qu'on cherche à toucher, à blesser ou à discréditer. Des scribouillards peu scrupuleux, de plus souvent inaptes à l'écriture, incultes et illettrés, écrivent au mètre de pseudo-articles truffés d'approximations et de mensonges, dans le but avoué de faire de la copie et de toucher de substantielles piges. Comme par nature la presse a pour vocation de flatter les plus bas instincts -car quoi de plus vendeur qu'une accroche du style "L'école en faillite" ou "L'instit était pédophile"-, elle tend à exalter sur trois colonnes les erreurs ou les faits divers, quitte à colporter à son tour les rumeurs imbéciles et non vérifiées, et à universaliser les paradigmes locaux. Paris, c'est la France, et ce qui se passe ou se dit à Paris forcément se passe et se dit dans tout le pays.

Avec un suivisme effarant tous les organes de presse reprennent avec une touchante unanimité les racontars et les bobards les plus ahurissants. C'est à qui sortira le premier une imbécillité sur notre métier, qui sera reprise intégralement partout. Dans cette optique internet, que je loue quotidiennement pour son intérêt documentaire, a fait un mal profond à l'information -au sens noble du terme- en privilégiant la vitesse au détriment de la réflexion, la quantité au détriment de la qualité. La page internet doit être pleine, et constamment renouvelée pour faire revenir le pékin. Mon titre compte trois erreurs d'orthographe par ligne? Pas grave, de toute façon dans cinq minutes une autre "information" (ou ce qui en tient lieu) aura pris la tête de la gondole. Oui, comme dans les grandes surfaces, l'information est devenue un bien de consommation aussitôt lu aussitôt digéré aussitôt chié.

C'est une catastrophe pour l'école. Nos gouvernants, assujettis aux organes de presse et aux sondages qui les concernent, ne visent plus à exercer leur mandat avec la sérénité et la projection qui seraient nécessaire, mais à ce qu'on parle souvent d'eux et de préférence en bien, quitte à renier sans vergogne leurs prétendues convictions, ou à changer d'une semaine sur l'autre leur fusil d'épaule, reniant un jour ce qu'ils ont loué la veille, ou changeant d'avis comme de chemise. L'école a besoin de temps, un temps qui n'est pas celui de la mode ou de la politique. L'école ne peut pas fonctionner sans savoir précisément quel est son objectif, et c'est un objectif à moyen terme de dix ou quinze ans, qui ne peut se satisfaire des atermoiements ou renonciations. L'école n'est pas en campagne électorale, elle, l'école forme et construit des individus, futurs citoyens, futurs mères ou pères; l'école construit l'avenir, pas le présent.

Cette frénésie d'information est évidemment un boulevard pour les extrémismes et les bas instincts, pour les projets pervers, pour les communautarismes désolidarisateurs. On le voit très précisément depuis quelques mois, quand les groupuscules les plus divers ou certains élus aux objectifs inavouables tressent des mensonges éhontés repris sans recul par les médias: l'école enseigne la masturbation, les nouveaux rythmes scolaires sont une catastrophe généralisée, les enseignants font l'école buissonnière, les professeurs sont incompétents, ou embauchés par pôle-emploi sans titre universitaire, ou... Chaque jour apporte son lot d'approximations, de désinformation, de singularités qu'on généralise à toute la Nation.

Ce n'est pas pour les enseignants qui se décarcassent quotidiennement une situation confortable. Comment travailler sereinement dans ces conditions? Comment admettre, alors que nous tâchons tous de sortir de la mouise nos élèves en difficulté, que notre professionnalisme ou notre implication soient quotidiennement bousculés, mis sur la sellette, discutés, niés, remis en cause? Comment travailler avec des injonctions institutionnelles qui font du yoyo? C'est ô combien démotivant, fatigant, lassant. C'est aussi un bon prétexte, parfaitement compréhensible, pour un repli sur soi démobilisateur et destructeur.

A une époque les portes de l'école ont été ouvertes. On a voulu faire croire aux Français qu'ils avaient leur mot à dire sur l'enseignement apporté à leurs enfants. Comme s'ils y comprenaient quelque chose! Chacun son métier, et les vaches seront bien gardées. Quand je lis dans une pétition relayée par un média qu'il faut "exiger" ceci d'un directeur d'école ou "interdire" cela à un enseignant par communautarisme ou intérêt politique, quand j'apprends que des parents d'élèves s'amusent à retirer leur enfant de l'école certains jours sous des prétextes ahurissants ou parce qu'une activité scolaire ne leur convient pas, je pense que nous sommes tombés bien bas. Notre école régulatrice et assimilatrice a été proprement castrée.

Bien sûr parfois cela peut aussi nous servir. Plus personne aujourd'hui ignore que les professeurs des écoles sont très mal payés. Plus personne aujourd'hui ignore que notre métier est effroyablement difficile. Mais le prix à payer pour que la société prenne conscience de ces réalités est tel que je crois qu'il n'était pas bon d'ouvrir la boîte de Pandore. Je ne crois pas que l'école s'en remettra facilement. Oui, l'enseignement est affaire de spécialistes, et en premier lieu viennent les enseignants, et les directeurs d'école. Mais s'il en est dont on ne prend jamais l'avis, ou sinon pour amuser la galerie et faire accroire à un fonctionnement démocratique, ce sont bien les praticiens de terrain. Ce ne sont pas des "consultations" qui vont conforter les enseignants dans l'idée qu'ils maîtrisent le destin de l'école, alors que son fonctionnement pyramidal et jacobin reste d'actualité. On l'a bien vu lors du choix des journées de "consultation" par les recteurs... Que d'erreurs! Que de maladresses! Quelle image pour l'école...

Je crois bien qu'aujourd'hui le premier désir des enseignants, du primaire au moins, c'est qu'on nous foute la paix. De l'air! Qu'on arrête de parler de nous, de nous prendre comme témoins ou responsables de la déliquescence de cette Nation, qu'on arrête de nous prendre comme otages des projets les plus divers et les plus pervers. Marre. Moi je continue à travailler, à faire de mon mieux pour mes élèves malgré les changements de cap et les obstacles. Le reste...

jeudi 9 octobre 2014

Le grand foutoir...


Je suis en colère contre l’Éducation nationale.

Il fut une époque où on nous foutait la paix. Les écoles tournaient tranquillement, ronronnaient certainement un peu, mais vaille que vaille fonctionnaient. Quelques ministres ont tenté de secouer le cocotier pour qu'il donne de meilleurs fruits, avec plus ou moins de talent, plus ou moins d'intelligence, et un petit peu de résultat.

Puis sont arrivés les "réformateurs". Lesquels? Tous. Une obsession de ces quinze dernières années: il faut "réformer" l'école, ou la "refonder", ou ce qui vous passe par la tête.

Quand un État centralisateur se mêle intimement de ce qu'il ne comprend pas, cela apporte une jolie somme d'effets pervers. Qu'on ne vienne pas me raconter que ce soit un hasard si depuis quelques années les agressions envers les enseignants se multiplient, jusqu'au meurtre. Plus personne ne comprend rien à l'école, les enseignants y compris. J'avoue moi-même ne plus rien saisir ce qui se passe dans les arcanes d'un ministère qui multiplie à l'envi les bourdes les plus inconcevables, la dernière en date ayant été de laisser aux recteurs le choix des dates de la "consultation" sur les programmes ou le "socle commun" -oui, je multiplie les guillemets, mais comment faire autrement avec cette palinodie de vocabulaire abscons?-.

Ce sont les directeurs d'école qui ont dû annoncer aux familles que leur enfant n'aurait pas classe une demi-journée... Les dents ont grincé, mais la plupart des familles nous aime bien, alors elles ont fait contre mauvaise fortune bon cœur en prenant une demi-journée et en râlant un peu, justement dois-je dire. Voilà qu'à la suite de divers référés les tribunaux administratifs récusent les recteurs dans plusieurs académies. Joli résultat, bel effet, les recteurs sont ridiculisés et le ministère aussi. Mais ce sont les directeurs qui de nouveau doivent informer les familles que... euh... vous comprenez... Qu'on se fasse engueuler sur le terrain la Ministre s'en tamponne le coquillard, les recteurs inatteignables dans leur tour d'ivoire également.

Après un pré-rentrée absurdement repoussée alors que tout le primaire est sur le terrain largement avant, après des "ABC de l'égalité" allègrement balancés aux oubliettes (tant mieux d'ailleurs, le bébé était trop moche), après une commission des programmes qui joue à la tournante... voilà le comble de l'absurdité érigé en règle quotidienne de fonctionnement d'un ministère totalement désagrégé.

Quand je suis entré dans la carrière, ce n'était peut-être pas jojo, mais ça fonctionnait. Il y avait plein de remplaçants qui remplaçaient, plein d'enseignants qui enseignaient à des classes aux effectifs raisonnables, les salaires étaient corrects, la formation continue bien que peu folichonne existait. Aujourd'hui ce n'est même plus la Bérézina (novembre 1812), c'est l'Amazone.

J'aimerais qu'on me dise quand un minimum de logique arrivera dans la tête ébahie de ces gens là. De nombreux directeurs d'école auraient préféré faire cette consultation sur les 108 heures. Les directeurs voudraient d'ailleurs qu'on leur laisse le choix d'organiser ces 108 heures comme ils l'entendent, sans qu'un IEN leur piétine les godasses pour savoir ce qu'ils y font et quand, et à la minute s'il vous plait. Et en règle générale, les enseignants et leurs directeurs d'école voudraient qu'on leur foute la paix et qu'on les laisse tranquillement gérer leur école à leur idée, parce que personne d'autre ne pourra jamais le faire mieux qu'eux, qu'il soit parent ou ministre ou recteur ou directeur de la DGESCO ou IEN ou DASEN ou camion-benne. Parce que continuer ad libitum à payer les conneries d'autrui, ça commence à bien faire.

Je suis un alcane acyclique -blague de chimiste... je suis saturé-, et je suis en colère. Mauvais mélange.

samedi 4 octobre 2014

Planter l'attente...

Je l'ai écrit plusieurs fois ces dernières semaines, la rentrée a été difficile. Un quart des directeurs d'école de France a essuyé l'année dernière les plâtres de la réforme des rythmes scolaires, et cette année les autres dont je suis ont à leur tour goûté les joies d'une organisation municipale parfois brinquebalante. Je fais partie de ceux qui n'ont pas à se plaindre, mais alors qu'une rentrée est déjà toujours un moment compliqué, énergivore et chronophage, y ajouter cette couche de boulot n'a pas amélioré les choses.

Puis il y a les élections des représentants des parents d'élèves... Du temps -encore-, de l'énergie gaspillée -encore-, puis de l'argent pris sur le budget quelquefois limité des écoles, sans compter l'inénarrable ECECA qui nous pend au nez, histoire de compliquer un peu plus ce qui n'était déjà pas simple. Vous avez un scanner dans votre école, vous, pour numériser votre procès-verbal? Tant mieux pour vous, ce n'est pas le cas partout. J'espère qu'il fonctionne. Mais il est vrai que les signatures des participants au dépouillement sont indispensables... Imprimer un feuillet vierge et le remplir à la main puis le poster devait être trop compliqué. L’Éducation nationale est décidément championne pour nous pondre joyeusement en interne chaque année un nouveau GML.


Uh? Ah oui, un GML pour moi c'est un Générateur de Merde en Ligne. Comme le fut Base-élèves pendant plusieurs années -ça va mieux maintenant, soyons honnêtes-... Vous avez tenté d'imprimer les étiquettes pour les élections avec BE? Ah ah ah! Inconscient! Je n'évoque que pour me marrer la beauté des documents obtenus, aussi ravissants que ce qu'on imprimait il y a vingt ans avec les imprimantes à picots. GMML, Générateur de Merde MOCHE en Ligne.

Connaissons-nous quelque progrès, si minime soit-il? Oui, des avancées dans le régime des décharges... Bon, je passe de deux jours/an à quatre (septembre et juin), avec ma petite école. Je l'avoue, je n'ai rien  à faire le reste de l'année, je suis connu pour me tourner les pouces d'octobre à fin mai. Je me demande bien pourquoi j'ai un bureau, tiens, et ce qu'y font tous ces documents qui quotidiennement s'y empilent, certainement juste pour la décoration. Méthode Gaston, la poubelle n'est pas loin, c'est aussi facile que dans mon logiciel de courriel.

On m'a aussi enlevé des heures d'APC. De toute façon j'étais bien obligé de les filer à d'autres, notre administration s'ingéniant à me dénicher chaque semaine des documents urgents "c'est pour avant-hier dernier délai". Soulignons pour l'anecdote que comme d'habitude notre hiérarchie pense que les directrices et directeurs des "petites" écoles n'ont rien à faire de leur fin d'après-midi. Comme si nous n'avions pas TOUS besoin de temps.

Il parait qu'on m'a légèrement augmenté mon indemnité. Rien vu. La période n'est pas pécuniairement aux réjouissances entre impôts divers, charges, dépenses imprévues et autres augmentations surprises... On va se marrer avec le budget 2015. Vous arrivez à mettre des sous de côté? Vous avez bien de la chance. Ou alors il faut que vous me donniez des cours de comptabilité familiale.

Alors? Alors nous attendons. Tel sœur Anne, je poireaute dans mon coin en ne voyant que l'herbe qui ver... euh non, qui jaunit, il a peu plu par chez moi. Je poireaute en contemplant les tableaux Excel et autres mignardises à remplir pour une hiérarchie qui n'a renoncé à rien de ses exigences. Le choc de simplification n'a clairement été qu'une pichenette vite oubliée. C'est même pire que l'année dernière. Je vais de nouveau devoir faire le mort en espérant qu'on m'oublie. Faire le mort, c'est ne remplir aucun tableau, faire l'étonné si on me le réclame: "Ah bon? Vous croyez? Je ne l'ai pas renvoyé, ce tableau de la mort qui tue? Ah ben je vais regarder, désolé, une défaillance momentanée, je vous envoie ça..." et puis remplir le document n'importe comment avec n'importe quoi qui fera plaisir à l'institution, histoire de ce débarrasser d'un truc-machin inutile qui bouffe de l'énergie pour ensuite dormir dans un classeur gonflé de temps perdu. Que voulez-vous, mes élèves m'attendent, ils sont certainement à mes yeux plus importants et plus précieux que ces prétendus devoirs du directeur d'école de suivre les injonctions les plus idiotes de sa hiérarchie.

Je ne suis même pas révolutionnaire quand je vous raconte ça. Je suis persuadé que nous sommes nombreux à faire la même chose chacun dans notre coin. Nous aimerions tous avoir une école plus efficace, performante, nous aimerions tous que tous nos élèves réussissent. Mais comment concilier ma fatigue avec ces tâches inutiles qui ne font en rien avancer le schmilblick? Je suis crevé, là, j'ai plus besoin de préparer ma classe -à plein temps-, que faire du superflu.

Et on nous en rajoute encore. Nombre d'entre nous sont déchargés par des stagiaires, qu'on nous demande de former alors que nous n'en avons pas le temps. Ce ne serait pas la volonté qui nous manquerait, nous aimerions bien pouvoir les aider, ces petits ou petites jeunes, mais comment faire? Quand j'écris "jeunes" je rigole, j'ai moi-même dans mon école une stagiaire fraîchement débarquée sur une création de classe, elle n'est pas de mon âge mais elle n'a largement plus dix-huit ans comme moi quand j'ai débuté. Bientôt, avec le manque de candidats pour ce métier compliqué et mal payé, nos stagiaires seront cacochymes... Du neuf avec du vieux, comme dirait Robert Scipion (en onze lettres).

On nous demande aussi d'encadrer la "réflexion" sur le "socle commun" ou les programmes de la maternelle. Nous savons faire, et en plus c'est sur le temps de travail devant élèves. Mais qui va se taper la synthèse? Devinez mes chéris! Et puis nous devons expliquer aux familles que leur enfant n'aura pas classe, merci du cadeau...

Oh, je sais bien, je vois bien, je suis persuadé que ce gouvernement est sincère dans sa volonté de changer notre travail. Plus certainement que le guignol mal rasé qui nous revient de ses vacances en Italie dans la richissime famille de son épouse. Lui de toute façon l'a dit il y a quelques années et le répète aujourd'hui, il veut virer tous les fonctionnaires. Oublions-le, il ne mérite pas plus. Mais sincère ou non, le gouvernement reste dans un atermoiement qui me tue à petit feu. Nous avons eu trois ministres de tutelle cette année! Trois! Cela n'aide certainement pas à respecter un calendrier qui pour nous sur le terrain nous semble pourtant si important. Tout traîne, s'étire, se délite... En plus les élections professionnelles approchent, et du coup nos gouvernants ne veulent pas faire d'ânerie et choisissent l'expectative, en se disant qu'après les élections ils pourront peut-être avancer plus sûrement avec leurs partenaires syndicaux. C'est humain, c'est juste. Mais ça rallonge la sauce avec laquelle les directeurs d'école sont aujourd'hui accommodés. On ne sait jamais, imaginez que le SNU ou FO ou SUD gagnent en importance dans leur représentation syndicale nationale... Ces adversaires déclarés d'un statut pour les directeurs d'école verraient d'un mauvais œil toute avancée dans ce domaine, et freineraient le travail d'un ministère aux abois. Alors en attendant c'est "wait and see" jusqu'en novembre pour Mme Vallaud-Belkacem.

Bref, je crois qu'il est inutile d'attendre quoi que ce soit pour les directeurs d'école avant 2015. En 2012 j'écrivais "pas avant 2013", en 2013 "pas avant 2014", aujourd'hui... Il y a de quoi déprimer. Heureusement, je le dis je l'écris je le répète, il y a les poignées de main franches de mes parents d'élèves, les bisous de quelques mamans que je connais depuis longtemps (j'ai eu les grands frères, les grandes sœurs qui adultes me sautent au cou quand elles me voient...), et surtout les sourires entiers, édentés et clairs de mes pitchounes qui me cassent les oreilles et les pieds mais qui justifient chaque jour, chaque heure, chaque minute, ma présence et mon travail à leur service. Alors je peux peut-être encore attendre. Mais faites que ce ne soit plus trop long, parce que je craque chaque année de plus en plus vite et de plus en plus tôt...