lundi 22 août 2016

Le monstrueux problème des smartphones...

Même à l'école maternelle les smartphones deviennent un problème. Bien entendu nos élèves n'en ont pas, sauf quand ils piquent celui de leur maman (cela m'est arrivé). Mais nos parents, eux, en ont, et j'en fais régulièrement la cruelle expérience.

Désormais il est de bon ton pour certains parents mal éduqués, et fort impolis, de venir chercher leur enfant ou de l'accompagner le matin téléphone à l'oreille. Comme s'il était devenu en 2016 impossible d'interrompre une conversation certainement primordiale (c'est ironique bien entendu) pour seulement sourire ou dire bonjour à la maîtresse. J'ai généralement dans ces cas là une furieuse envie de taekwondo pour balancer un pied rageur dans leur engin, ce que mes genoux hélas m'interdisent. La bienséance m'amène juste à souvent littéralement hurler un "bonjour" retentissant qui les fait sursauter et quitter momentanément leur torpeur  nauséabonde. Clairement cet engin diabolique qu'est le téléphone mobile asservit l'homme à un point que j'aurais difficilement pu imaginer, moi qui m'en passe fort bien.

Je m'en passe, mais il semblerait que l’État considère aujourd'hui que cet outil soit indispensable à un directeur d'école, puisqu'il a récupéré mon numéro pour m'envoyer éventuellement un SMS en cas d'alerte terroriste ou autre. Que mon téléphone soit enfoui au fond de mon sac et y passe des heures paisibles ne semble pas gêner ma hiérarchie, ni mes interlocuteurs d'ailleurs qui me laissent un message quand ils ont vraiment quelque chose à me dire. Je ne vous raconte pas l'efficacité improbable du système:

- On vous a prévenu avec un SMS!
- Ah ouais, mais je ne regarde pas mon téléphone quand je travaille avec mes élèves. De toute façon je suis mort. Adieu!

Soulignons au passage que l’État n'a pas jugé bon de me fournir un téléphone de fonction qu'on pourrait réserver à ce genre d'usage ou aux contacts officiels, et donc m'en réclamer qu'il m'accompagne en permanence. Comme je n'ai non plus aucun outil informatique de fonction, ni rien d'autre d'ailleurs. Démerde-toi petit dirlo, utilise ton matériel perso! Quand je vois de jeunes cadres du privé avec portable et smartphone et voiture de fonction, je me dis qu'il y a encore du boulot... Non, dans l'Educ' Nat' vous fonctionnez bien comme vous pouvez. Si vous ne pouvez pas, tant pire comme dirait Zézette épouse X.

Mais ce pire est justement je crois à venir. Vous connaissez Périscope? C'est une application qui permet de transmettre en direct ce que l'on filme, avec la 4G aujourd'hui n'importe qui peut s'improviser "reporter" avec son smartphone. Je ne  sais pas pourquoi, mais je soupçonne fortement ce prochain mois de septembre des retransmissions de rentrée: "Ma pitchounette rentre à l'école. #live #lol #mdr" Que faire contre ça? Filmer quelqu'un sans son autorisation est bien entendu formellement interdit par la Loi, qui plus est dans une école. Mais à notre époque personne n'a cure de ce genre de prohibition, même les soi-disant journalistes encombrent les médias de "caméras cachées" et autres dégueulasseries. Et puis il est si facile d'être discret.

Enfin il y a le syndrome des bestioles virtuelles, j'évoque évidemment le célèbre jeu "Pokémon Go". Je ne sais pas si des créatures colorées se promènent dans mon école mais je m'attends au moins à ce que certains parents partent en chasse et circulent sans prévenir un peu partout les yeux rivés sur leur écran, le cerveau absent mais le regard bleuté, modernes zombies égarés dans tous les sens du terme. Vais-je devoir chasser les chasseurs? Pourquoi le Ministère ne réclame-t-il pas que les bulbizzares et autres rattatas soient expulsés des écoles et établissements? Parce que franchement, me réclamer de façon péremptoire des mesures de sécurité exceptionnelles et draconiennes dans ces conditions, que l'on m'en excuse mais je pense que c'est incompatible. Je vois d'ici des hordes de parents et d'adolescents balancer des pokéballes tout le long des trottoirs qui longent l'école, sur le parking, voire dans ma cour de récréation ou le dortoir, ou dans les toilettes pendant que leur petit a le pantalon sur les pieds...

En vérité je vous le dis, mes sœurs, mes frères, directrices et directeurs d'école compagnons de douleur et d'abnégation, nous ne sommes pas sortis de l'auberge. Ce qu'il nous faut ce sont des mesures claires et universelles, connues des parents, comme l'interdiction formelle faite aux familles de l'usage des téléphones mobiles dans les écoles et établissements tant qu'ils y sont présents. Mais c'est aussi valable pour le reste, pour tout le reste de nos responsabilités, il n'est plus possible aujourd'hui de simplement dire aux directeurs d'école "débrouillez-vous" ou "faites pour le mieux", "c'est à vous de juger", "c'est au directeur qu'incombe ce genre de responsabilité", tout ça pour mieux nous tomber dessus à bras raccourcis au moindre pet de travers. Ou alors qu'on nous en donne le pouvoir, c'est à dire une autonomie réelle et non fortuite, qui ne puisse être battue en brèche par le premier venu qu'il soit parent ou syndicat ou IEN ou DASEN ou Recteur. Mais je rêve, là. Oui, je rêve.

dimanche 14 août 2016

L'art de resservir les plats...

Ainsi donc, en ce mois d'août pourtant destiné au repos et à la récupération d'une énergie qui à mon âge est difficile à renouveler, de prétendues "nouvelles" instructions ont été transmises aux Recteurs quant à la sécurité des écoles face au terrorisme. Je ne doute pas une seconde que ces grands commis de l’État ne tarderont pas à les faire descendre sur nos têtes en les aménageant à leur sauce voire en les durcissant plus qu'il serait raisonnable de le faire, et je m'attends à la rentrée, lors de la traditionnelle réunion des Directeurs d'école, à en entendre pis que pendre quant à "mon rôle", "mes responsabilités", et gna gna gna. Comme si je ne connaissais rien de mon métier!

Nous avons vécu une année scolaire 2015-2016 anxiogène. Des personnes bien intentionnées nous ont inondés d'instructions diverses et variées dont pour elles la forme importait plus que le fond. Cela m'inquiète énormément. Depuis quand le signifiant est-il plus important que le signifié? Nos politiques et leurs administratifs font depuis trente ans plus de cas des documents que nous pouvons leur transmettre que de la façon dont nous enseignons. Les discours réitérés sur l'école des candidats potentiels à la future présidentielle sont ainsi conçus, qui mettent en avant la forme nécessaire que notre métier doit présenter plutôt que l'importance de la réussite de chacun: obéissance - de l'élève mais aussi du fonctionnaire -, tenue, programmes, méthodes... La réussite de nos élèves, si elle est réclamée, ne passe pour ces gens-là que par ce qu'ils considèrent comme des impondérables nostalgiques d'époques révolues où pourtant chacun était laissé dans son jus, et où 80% d'une classe d'âge ne réussissait même pas le Certificat d'étude.

L'école est-elle menacée par le terrorisme? Oui. Clairement. L'école française laïque, qui réunit dans une dualité diabolique l’État français et la laïcité, est une cible de choix qui a été nommément désignée. Et nous nous rapprochons forcément, mathématiquement, du temps où une école sera la cible d'un acte pervers. Devons-nous nous protéger? Évidemment. Mais devons-nous le faire de cette façon-là?

Je devrais, comme Directeur d'école, limiter l'accès des familles et fouiller leurs sacs, interdire les rassemblements sur la voie publique, j'en passe et des meilleures. L’État me donne l'autorisation de fouiller les sacs, mais le Droit lui ne me le donne pas! Je ne suis pas officier de police judiciaire, et j'ai du mal à m'imaginer réclamer chaque matin la présence du Maire de ma commune qui l'est par son mandat, ou de l'un de ses adjoints. L’État me demande d'agir contre les rassemblements devant l'école, mais la voie publique ne relève pas de mes prérogatives qui se circonscrivent aux locaux scolaires! On ne peut pas, ce n'est pas légalement possible, me donner des droits qui ne sont pas prévus dans les textes. Quant à limiter l'accès des familles... ma petite école maternelle et mes élèves ne s'en relèveraient pas. C'est idiot, ces demandes sont idiotes, illégales et contre-productives. Pire, elles renient tout ce qui fait la spécificité de l'école maternelle en France, notre tradition d'accueil et d'ouverture. Quand on sait les difficultés des parents d'élèves pour accéder aux écoles élémentaires, aux collèges ou aux lycées... Les Fédérations ne disent rien, je ne comprends pas. Et puis, ces demandes ne font non plus aucun cas de la géographie de nos écoles, aérées, ouvertes, lumineuses. Fariboles.

Bien entendu, je comprends pleinement les difficultés de nos gouvernants, qui savent que l'école est une cible potentielle voire probable. Ils en savent même peut-être plus. Mais pour autant devons-nous renoncer à tout? Devons-nous laisser des terroristes religieux fascisants, sexistes, pédophiles et meurtriers nous dicter notre façon de vivre, nous enlever nos aspirations à un monde équitable qui reconnaisse la valeur et le potentiel de chacun? Certainement pas. Je me rappelle le désarroi de Mme Aubry contrainte d'annuler la braderie de Lille qui pourtant remonte au XIIième siècle, pour la première fois depuis les années sombres de l'Occupation. Si cela pouvait faire admettre à certains que notre pays est réellement en guerre... Mais pour autant je refuse de céder à la peur.

Je serai attentif, je serai responsable, lors de cette nouvelle année scolaire, comme je l'ai été l'année dernière. Je suivrai les consignes qui ne seront imposées, car c'est le verbe qui convient. Même si je sais qu'elles n'empêcheront jamais une personne déterminée de commettre chez moi un massacre dont je serais certainement une des premières victimes.

Mais clairement je refuse de vivre une nouvelle année dans l'anxiété et le stress. Je pense à 2016-2017 mais aussi à 2017-2018, puis 2018-2019, et... Nous irons où ainsi? Jusqu'à quand? Dans mon travail quotidien, dans mon devoir d'amener chacun des élèves de mon école du mieux que nous pouvons à son épanouissement personnel, le stress est le pire des conseillers, qui désarme et qui épuise. Alors je veux bien qu'on me resserve le plat de la sécurité "nécessaire", des mesures "indispensables", des exercices de sécurité "inévitables", mais qu'on me laisse le faire comme je l'entends, et surtout qu'on ne vienne pas me brailler aux oreilles quelque consigne ridicule ou traumatisante pour les pitchounes que j'ai en charge. Parce que je crois que je deviendrais mauvais.