dimanche 29 mai 2016

Où va la gouvernance de l'école ?

Les élections présidentielles sont dans un an (un an!) mais pourtant depuis des mois nous sommes en campagne électorale, et ce qui me navre est que l'école, loin d'être laissée apaisée à l'écart des enjeux de pouvoir, reste un argument électoral. Brinquebalée entre partisans d'un énième retour à un passé fantasmé de hussards noirs - avec blouses, craies et férules, une école à la Doisneau - et partisans dont je suis d'une évolution nécessaire, l'école française va de nouveau connaître les affres d'une remise en question. C'est une "révolution permanente" dans le mauvais sens, celle qui autorise n'importe qui à dire ou écrire n'importe quoi, et surtout que les enseignants sont des feignasses qui ne bossent que 15h par semaine - oui, je l'ai déjà lu - aux frais du contribuable et se foutent des résultats scolaires de leurs élèves. Nous allons lire et relire ces prochains mois à quel point les petits français sont mal formés, ne savent pas - plus - lire, ne savent pas - plus - compter, ne connaissent pas l'histoire ni la géographie de leurs pays, ni ne connaissent par cœur les numéros des départements.

C'est lassant, bien entendu, et inconfortable. Il aura fallu quatre ans pour nous réconforter après les épreuves difficiles que nous avons connues et le mépris que nous avons dû supporter entre 2007 et 2013, et encore la confiance ne nous est-elle pas totalement revenue. Nous sommes repartis pour un tour.

Chacun aujourd'hui fourbit ses armes, et nous abreuve de projets plus ou moins exotiques pour "l'avenir de l'école", dont bien entendu chacun s'accorde à écrire qu' "elle ne fonctionne pas", qu' "elle ne remplit pas son rôle". Qu'aucun de ces personnels politiques ne se pose la question de sa propre responsabilité dans ce constat m'ébahit, alors que nous n'avons face à nous qu'anciens Président ou Premiers ministres, ministres, députés, sénateurs... qui depuis quinze ou vingt ans au moins sont pourtant aux commandes de la Nation. Admettons alors que ce n'est qu'un jeu, que je ne trouve pas drôle du tout, mais un jeu. Qui s'étonnera lors des taux d'abstention lors des scrutins?

Parmi les arguments évoqués par la majorité des candidats potentiels à cette élection, il en est un qui retient particulièrement mon attention, c'est celui de "l'autonomie" de l'école. Évidemment personne n'est d'accord sur la définition de ce mot, mais ça fait joli même si on n'a aucune idée de ce dont il peut bien s'agir. Nos candidats sont un peu ce que Jean-Christophe Torrès appelle des "cabris de l'autonomie", sympathique allusion à une déclaration fameuse du général de Gaulle. On n'y comprend rien mais ça fait bien d'en causer, ça fait moderne et renseigné. Il faut néanmoins remarquer qu'il existe sur ce point un certain consensus, à gauche comme à droite voire à l'extrême-droite (l'extrême-gauche y est pour sa part farouchement opposée, elle a au moins le mérite de la clarté et de la pérennité de son point de vue). Que ce soit crédible, c'est autre chose. Le jour où je verrai cet État jacobin et centralisateur qui est le nôtre accepter de perdre son pouvoir coercitif et injonctif, les poules auront peut-être des dents: "... la culture administrative envisage toute liberté locale comme une menace à l’efficacité " (Jean-Christophe Torrès). Mais j'ai le droit d'espérer! Émanciper l'école, c'est un beau programme. Je regrette simplement que le terme ait été kidnappé un jour par une centrale syndicale. Il est aujourd'hui très connoté dans le milieu enseignant.


Néanmoins je la veux, cette autonomie! Comme directeur d'école, je veux être autre chose que la dernière roue du carrosse dans toutes les discussions qui impliquent l'école que je dirige. Comme le rappelle Frédéric Sève (SGEN-Cfdt) dans un entretien récent:

"On l'a vu par exemple dans les discussions sur les rythmes scolaires ou les PEDT. L'école n'est jamais en capacité d'avoir la parole. C'est toujours la mairie et l'inspection académique qui discutent et contractualisent."

Pourtant tout le monde sait que c'est localement que les problèmes de nos élèves peuvent au mieux être résolus. Car nous ne devons jamais perdre de vue que la réussite scolaire des enfants qui nous sont confiés est l'essence de notre métier. Gérald Chaix nous rappelle que le système tel qu'il est actuellement administré manque d'efficacité et creuse les inégalités, que l’Éducation nationale ne garantit pas l'égalité des chances. Écrivons-le: l'école se trouve dans une injonction de réussite pour tous alors qu'elle n'a pas ou que très peu de moyens sur le terrain pour y répondre. Sans le choix raisonné par les partenaires locaux et l'équipe éducative des moyens d'action pour y parvenir, avec les contraintes et les possibilités de chaque école, garantir la réussite scolaire de tous nos élèves reste une gageure... ou une illusion. Le Sénat aussi ne dit pas autre chose :

"... c'est l'établissement, et non la classe, qui constitue la brique fondamentale du système éducatif. L'esprit d'équipe, sa solidarité et le développement d'un véritable travail collectif sont présentés par l'ensemble de la recherche comme une condition essentielle de la réussite des élèves."

Mais quelle autonomie? Il faudrait déjà que les acteurs de l'école soient d'accord entre eux. Les enseignants d'abord, qui souvent voient "une autonomie de l’établissement confondue avec celle du chef d’établissement, et ressentie comme potentiellement menaçante pour leur liberté pédagogique" (Jean-Michel Catin). Les directeurs d'école ensuite, qui s'imaginent "devant de nouvelles responsabilités, synonymes à leurs yeux d’un surcroît de charges et de complexité; la dépendance à une hiérarchie assez lointaine fait finalement courir moins de risques qu’un engagement dans le cadre de responsabilités assumées" (Jean-Paul Delahaye, Jean-Charles Ringard). Les syndicats : "Elle effraie les syndicats enseignants... Elle déroge à la culture administrative en vigueur depuis toujours" (Jean-Christophe Torrès). Même les "penseurs" de l'éducation s'y mettent, qui y voient certainement aussi à juste titre les arrières-pensées politiques, mais en profitent pour tacler une éventuelle autonomie perçue comme une "libéralisation de l'enseignement" (au sens politicien de "libéral"), comme l'écrit Meirieu :

"Je suis même convaincu qu’une partie de la droite rêve, aujourd’hui, de cette libéralisation complète du système, et se prépare à mettre en œuvre une dérégulation progressive de l’éducation, selon des principes plus ou moins inspirés du chèque-éducation."

Philippe Meirieu a des craintes, mais il n'en a pas moins tort. D'autant que l'équité pécuniaire des moyens accordés aux écoles fera rigoler tous les collègues qui me lisent. Je vois moi dans l'autonomie des écoles non pas une libéralisation, mais une libération. Comme directeur d'école, avoir le choix de mes projets directement nécessaires à la réussite de mes élèves et passionnément discutés en équipe, pouvoir en élaborer tenants et aboutissants sans avoir à me référer à des injonctions académiques ou ministérielles totalement éloignées des réalités locales, pouvoir en discuter les budgets avec une municipalité partenaire privilégiée sans attendre l'aval de quiconque, voilà quelques possibilités qui me font rêver. J'ai simplement envie de continuer à œuvrer au mieux, mais sans entrave administrative ni suspicion préalable. L’autonomie, qu’on ne confondra pas avec l’indépendance, c'est avoir le choix des moyens et des méthodes. Elle a nécessairement ses limites et suppose une complémentarité avec le regard externe (Bernard Dizambourg, Jean-Paul Delahaye), pour poser des "garde fous" (Jean-Michel Catin) et favoriser un pilotage institutionnel : "Il faut que l’État ait les moyens de suivre finement les évolutions dans les établissements et d’anticiper les risques éventuels" (Bernard Dizambourg). Car évidemment il n’existe pas d’autonomie sans responsabilisation, et "nulle part on ne crée d’autonomie sans créer en même temps, dans la même logique, (…) des modalités de régulation" (Roger-François Gauthier). L’évaluation par exemple est une étape indispensable au pilotage (Roger-François Gauthier, Gérald Chaix, Alain Tanguy, Bernard Dizambourg). Mais c'est d’abord une autoévaluation, afin de permettre aux équipes de vérifier dans quelle mesure les pratiques mises en œuvre remplissent la mission de l’École dans tous ses aspects.

Cette autonomie qui fait si peur passe certainement par la création d' "établissements du 1er degré". Encore faut-il s'entendre là aussi sur le sens à donner à ces mots. Je ne suis pas certain que la proposition, faite par "Les Républicains" dans leur projet présenté en avril dernier de la création d' EPLP, soit autre chose que verba volant. Nous avons déjà donné, merci, et nous en avons pris plein les dents. Le même projet venant de l'extrême-droite fait aussi bien rire quand on constate ce qui se passe dans les écoles des communes tenues par ces gens-là. Passons, je veux rester charitable.

Le Sénat lui-même n'est pas forcément très clair lorsqu'il propose de "reconnaître un statut de chef d'établissement aux directeurs d'école, ce qui implique, par conséquent, de conférer le statut d'établissement public local d'enseignement aux écoles". Lorsqu'on lit le rapport, on comprend le juste point de vue, et une volonté réelle de faire progresser le système vers une nécessaire efficacité. Pour autant on sent que nos sénateurs ne cernent pas forcément tous les tenants et aboutissants de leur proposition, comme LR également se gardent bien de préciser leur projet. Quid par exemple des chefs d'établissement du primaire? Si dans l'esprit il s'agit de créer un nouveau corps, on court à la catastrophe, car un nouveau corps, de par le fonctionnement de la fonction publique, est accessible sur concours à n'importe qui. J'imagine difficilement un ancien principal de collège ou un quelconque administrateur civil ou militaire devenir chef d'établissement, avec un Conseil d'administration tout autant ignorant de ce qu'est l'école. Il est clair pour moi qu'un chef d'établissement du primaire ne peut être qu'un ancien enseignant du primaire (et j'entends bien venant de la maternelle ou de l'élémentaire) en connaissant bien le fonctionnement, les tenants et aboutissants, les plus petits et infimes recoins qui vont des soins que l'on donne à un enfant qui s'est blessé au genou en récréation à la remise en route d'un photocopieur qui flanche. Le concevoir autrement serait une absurdité mortifère. J'ajouterai même qu'une expérience enseignante d'une dizaine d'années serait un pur bienfait à une époque où la mission de direction d'école est si peu intéressante qu'elle n'est le plus souvent pourvue que par des débutants.

C'est pourquoi les propositions du GDiD ou du SGEN-Cfdt (toujours droit dans ses bottes sur ce point, ce qui n'est pas forcément le cas d'autres centrales syndicales) sur le sujet me semblent autrement plus réfléchies et concevables. Au delà  de la reconnaissance administrative et de la charge de travail des directeurs d'école qui pointe son nez depuis quelques années (décharges, référentiel-métier, charte de confiance, un GRAF bientôt... et je vous serais grâce de bien y réfléchir en mai 2017), l'idée de bientôt aboutir à un changement majeur de la gouvernance de l'école primaire réjouit mon âme. Je suis un vieux bonhomme qui cours désormais vers le temps où je serai en retraite, je n'en serai pas. Mais après aujourd'hui 37 années consacrées à la réussite scolaire des enfants que me confient avec une confiance chaque fois renouvelée des parents d'élèves anxieux, je ne veux, je ne souhaite, je n'espère et je n'attends que ce changement indispensable. Je ne joue plus pour moi. Je joue pour mes pitchounes et mes pitchounettes de cinq ans qui me grimpent sur les genoux en récréation et me sourient totalement avec une désarmante innocence. C'est pour eux que mon cœur fond, c'est pour eux que je me bats.

PS: je me suis beaucoup appuyé pour ce billet, et en particulier pour les citations, sur un document remarquable de l'AFAE consacré à l'autonomie... C'est à lire!

dimanche 22 mai 2016

Système à la con...

Pourquoi, oui pourquoi le Directeur d'école est-il le dernier informé de ce qui se passe "officiellement" dans son école? Dans le cadre du mouvement, un enseignant doit y être nommé. La Commission ad hoc s'est tenue il y a plusieurs jours et je ne sais toujours pas si quelqu'un a obtenu le poste ni quel est son nom, ou si personne n'a été nommé pour une raison quelconque. S'agit-il donc d'un "pré carré" syndical auquel on ne doit pas toucher? Le programme informatique est-il infoutu d'envoyer un courriel de principe pour informer le Directeur? Dans un cas comme dans l'autre, je passe pour un con auprès des familles auxquelles je suis incapable de dire seulement le nom de l'enseignant que leur enfant aura l'année prochaine. Quel système, mon Dieu mais quel système!

Signé: un dirlo en colère qui en a marre d'être la dernière roue du carrosse.

Les dirlos ne sont pas à la fête...

La polémique sur l'organisation des fêtes d'école et autres kermesses cette année dans les écoles est parfaitement symptomatique. Deux faits indiscutables en ressortent :

1) la position du Directeur d'école n'est claire pour personne, y compris pour les Directeurs eux-mêmes;
2) l’État et ses diverses administrations ignorent le fonctionnement des écoles.

On peut, et c'est suffisamment rare pour le signaler, lire la vérité dans les médias grâce à une bonne action de communication du Ministère. Effectivement pour l'organisation d'une fête d'école plusieurs cas sont possibles, selon que celle-ci doit se dérouler sur le temps ou hors temps scolaire.

Sur le temps scolaire, c'est le Directeur d'école - responsable de la sécurité des personnes et des biens - qui est responsable de la fête, de son organisation et de son bon déroulement. Le cas est rare voire aujourd'hui inexistant, car si d'une part les enfants restent sous la responsabilité des enseignants, d'autre part la sécurité des adultes invités est de la responsabilité du Directeur. Qui voudrait assumer dans ces conditions les complications liées à un éventuel accident, ou un conflit, ou.... ? Il y a deux ans une petite fille de ma classe s'est fracturé le poignet lors d'une fête d'école, il m'aurait fallu l'assumer administrativement si cela s'était passé pendant le temps scolaire : déclaration d'accident, explications, assurance.... Non, même sans envisager un éventuel attentat, c'est impensable.

Hors temps scolaire, les enfants sont sous la responsabilité de leurs parents, et les locaux scolaires sous celle du Maire de la commune, qui devient donc responsable de la sécurité des personnes et des biens dans l'enceinte de l'école si la fête s'y passe, mais également dans tout autre lieu public. Le Maire, et je ne sais pas si tous les Directeurs d'école en sont conscients, doit donc non seulement en être averti mais également accorder son autorisation. Je ne suis pas sûr que tous mes collègues aient au cours des années passées effectué les démarches nécessaires. La polémique de cette année aura eu le mérite de rappeler textes et responsabilités à tout le monde.

Mais pour toute manifestation festive il doit également y avoir un organisateur, auquel la Mairie va déléguer en confiance l'organisation et le bon déroulement. Cet organisateur sera dans tous les cas une association, soit de parents d'élèves si une telle association existe, soit la coopérative de l'école quand elle respecte le cadre légal et est affiliée à l'OCCE ou autre organisme fédérateur. Ce second cas présente plusieurs avantages : d'abord les participants comme les biens sont assurés par la structure fédératrice, ensuite l'équipe enseignante garde la haute main sur l'organisation de la manifestation, sur son déroulement et sa durée, et enfin sur la gestion de l'argent qui circulera.

Celles ou ceux de mes collègues Directeurs qui se sont déjà trouvés dans le premier cas de figure de l'organisation prise en charge par une association de parents d'élèves savent qu'il peut être source de conflits, entre les parents et l'école, ou entre parents eux-mêmes. C'est un choix que je déconseille, même si évidemment le second cas de l'organisation prise en charge par l'école représente forcément un gros investissement de temps et d'énergie. Mais il y aura toujours de nombreuses familles prêtes à s'y investir et y travailler. C'est certainement aujourd'hui la façon dont une grande partie des écoles françaises fait le choix d'organiser les fêtes de fin d'année scolaire.

Alors pourquoi cette année une telle polémique autour des fêtes d'école? Suite aux attentats de 2015, notre pays est en "état d'urgence". C'est une réalité, comme le danger potentiel représenté par un regroupement d'élèves et de leurs familles autour des valeurs laïques d'une école menacée explicitement par le terrorisme est aussi une réalité. Dans ce cadre le législateur qui donne à l'organisateur d'une manifestation festive la responsabilité de sa sécurité lui a accordé des responsabilités de police, comme celui d'en filtrer les accès, ou de fouiller les effets personnels. Rappelons que le Maire d'une commune et ses adjoints sont de par leur mandat officiers de police judiciaire. Mais qui parmi mes collègues Directrices et Directeurs d'école peut se voir engager le coup de poing à l'entrée d'une fête d'école, ou fouiller les sacs de ses parents d'élèves?


Car c'est bien là que le bât blesse. L'école primaire française a des traditions d'accueil qui ont étonné les forces de police de la Nation. Lors des exercices de sécurité effectués cette année, des gendarmes ont pu être surpris de voir les familles pénétrer dans les enceintes scolaires, surtout en maternelle. "Quoi? Les parents d'élèves rentrent dans l'école pour accompagner leur enfant? Ce n'est pas possible!" Ben si c'est possible, c'est même indispensable. Outre l'aspect pratique et l'impératif de sécurité pour des enfants en bas-âge, il est de toute façon, pour des raisons simples de pédagogie, de bien-être et de confort affectif de nos élèves, trop important que les familles se sentent accueillies à l'école, estimées, écoutés, prises en compte, pour que l'école française renonce à cette tradition même temporairement. Oui, les écoles françaises sont ouvertes. Heureusement! Oui, les écoles françaises ont de grandes surfaces vitrées pour laisser entrer la lumière. Heureusement! Oui, tous les parents d'école maternelle accompagnent leur enfant jusque dans sa classe et le remettent à la maîtresse ou au maître "en main propre", avec sourires et partage d'informations, avec plaisir et confiance. Heureusement!

Je comprends alors que de nombreux Directeurs d'école se sentent désarmés devant les consignes de sécurité transmises par l’État et parfois accentuées par certains Préfets. Il est clair pour chaque Directeur que le filtrage des entrées lors de l'accès quotidien à nos écoles, de quelque façon qu'il soit organisé, n'empêchera jamais un terroriste décidé d'accéder à nos locaux et d'y faire un carnage. Mais nous appliquons les consignes. Lors d'une fête d'école, qui se tient souvent au mois de juin en extérieur, comment faire? Le Maire n'a certainement pas dans une petite commune les moyens financiers de faire surveiller l'entrée par des agents de sécurité, une association encore moins. Peut-être, s'il existe une police municipale, le Maire peut-il lui ordonner le filtrage. Mais dans combien de communes existe-t-il une police municipale, voire encore un "garde-champêtre"? Et la fouille? N'oublions pas que ce sont nos élèves, nos familles, que nous accueillons. Avec des policiers à l'entrée, je ne vous dis pas l'ambiance. Et puis, si le Maire a la responsabilité légale de l'évènement, le Directeur d'école en a lui la responsabilité morale, celle d'en avoir été l'instigateur et l'organisateur. Je fais ce métier de dirlo depuis trop longtemps pour ne pas savoir que cette responsabilité-là est aussi bien réelle et effective.

Je conçois alors que de nombreux Directeurs d'école aient préféré renoncer. Je ne peux pas en conscience leur reprocher. Mais pour moi cette abdication est le signe que les terroristes ont gagné cette bataille, c'est pourquoi en ce qui me concerne je ne lâcherai rien. Je crois profondément en l'école publique et laïque, l'école qui tente de donner sa chance à chaque enfant sans distinction de sexe, d'origine, de couleur de peau ou de croyance. Je crois que l'école française doit rester forte, montrer sa détermination à ne pas céder à la menace aussi réelle soit-elle. Ce n'est pas du courage, c'est simplement de la conviction. Alors je mettrai des parents d'élèves à l'entrée de la fête, l'accès sera donc a priori sécurisé. Nous vivrons ensemble ce dernier moment de forte convivialité. Et comme dans ma petite école toutes nos familles se connaissent, je serais surpris qu'il y ait un quelconque incident.

Du moins je l'espère.

dimanche 15 mai 2016

PPCR, c'est parti !

C'est bien la première fois que je vois - depuis des lustres - un gouvernement faire ce qu'il a dit qu'il ferait. Les accords PPCR en sont un excellent exemple, et je me frotte les mains de contentement. Pour ce qui concerne la fonction publique en général, et l’Éducation nationale en particulier, les premiers décrets sont parus le 13 mai au Journal officiel. Pour ce qui concerne les enseignants, il s'agit du transfert primes/points, soit la transformation d'une partie des "indemnités" en points d'indice à partir de janvier 2017. Une partie seulement (au maximum 167 € en 2017, 389 € en 2018).

Je râlais récemment encore contre ce principe des "indemnités", qui me parait ahurissant, même si une partie est prise en compte dans le calcul de la retraite additionnelle de la Fonction publique. Voilà donc une première mesure qui va dans le bon sens de la prise en compte de ces "indemnités" pour le calcul de la pension de retraite.

Rappelons que quelques syndicats préhistoriques qui ne veulent que mon bien malgré moi ont refusé de signer ces accords. Ceux-ci qui croient encore au "grand soir" imaginent je suppose une grande fraternité debout qui vit toute nue en jouant du tam-tam. Je suis navré que ma vision de l'école ne soit pas celle-ci, ce serait pourtant rigolo ce gigantesque foutoir fornicateur, même s'il y a de grandes chances qu'il se termine en fête cannibale. Mais heureusement le SE et le SGEN, de leur côté, sont adultes, comme d'autres centrales plus petites, et jouent le jeu d'une réforme de fond qui n'est qu'à notre avantage.

Le SNU, lui, fait comme de juste cavalier seul, un pied à gauche un pied à droite, dans une danse très originale qui n'est pas sans rappeler celle de Saint Guy. Dans plusieurs articles récents, ce syndicat totalement égaré rappelle qu'il est encore et toujours contre le GRAF, et qu'il veut un grade supplémentaire pour tout le monde. Ce qui revient bien entendu à nier toute mission particulière au sein de l'école, et surtout celle de Directeur d'école. Comme si ma fonction n'était pas un métier, ce que pourtant le ministère a clairement expliqué en décembre 2014 avec un référentiel très propre qui prouve abondamment que le Directeur d'école a des devoirs et des responsabilités que les autres n'ont pas, et qui a encore été malheureusement prouvé cette année avec les évènements que nous savons et les mesures de sécurité qui ont abondamment pesé sur les dirlos. Mais il n'est pire sourd, n'est-ce pas... il va leur falloir arrêter la branlette intellectuelle qui n'aide pas leurs facultés auditives.


Ce GRAF, ou Grade à Accès Fonctionnel, nous allons en entendre bientôt parler. Mme la Ministre l'a elle-même évoqué récemment:

"... la question du parcours de carrière des personnels de l'éducation nationale de tous les niveaux. Il est en train d'être repensé pour faire en sorte qu'on puisse mieux reconnaitre le travail des enseignants, leur progression de carrière, leur engagement car il est des missions comme des responsabilités particulières que les enseignants prennent dans les établissements qui doivent être mieux valorisées et mieux accompagnées par y compris des inspections qui doivent jouer davantage un rôle d'accompagnement, de conseil. Tout cela , ce parcours de carrière est en train d'être repensé. Dans quelques semaines je vous présenterai cela en détail. ..."

Je l'attends de pied ferme, ce grade. Les Directeurs en seront, c'est certain. Dans quelle proportion? C'est là la question. Mais je ne suis pas forcément pessimiste sur ce point. En revanche, il est clair que cette reconnaissance institutionnelle et financière ne changera pas forcément beaucoup mes conditions de travail, c'est pourquoi dans le paquet j'attends aussi avec intérêt ce qui concernera le rôle des IENs et leurs rapports avec les Directeurs d'école. Je subodore que le travail effectué par le GDiD ces dernières années va commencer à payer, je ne serais pas étonné que le Ministère reprenne à son compte la Charte de confiance du GDiD signée avec les syndicats SI.EN-UNSA, SE-UNSA et SGEN-CFDT.

Bref, il y a du mouvement en cette fin d'année scolaire. Cela fait longtemps que nous attendons, mais je pense que le présent gouvernement veut réellement avancer malgré les oppositions, et avant mai 2017. Tant mieux. Je n'ai pas la mémoire courte, je saurai m'en souvenir.

... les Dirlos de cœur sont aisés à connaître.

Je ne suis point, mon frère, un docteur révéré,
Et le savoir chez moi n'est pas tout retiré.
Mais, en un mot, je sais, pour toute ma science,
Du faux avec le vrai faire la différence.
Et comme je ne vois nul genre de héros
Qui soient plus à priser que les parfaits Dirlos,
Aucune chose au monde et plus noble et plus belle
Que la grande ferveur d'un véritable zèle,
Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux
Que le dehors plâtré d'un zèle spécieux,
Que ces francs charlatans, que ces dirlos de place,
De qui la sacrilège et trompeuse grimace
Abuse impunément et se joue à leur gré
De ce qu'ont les enfants de plus saint et sacré,
Ces gens qui, par une âme à l'intérêt soumise,
Font de l'école foutoir et marchandise,
Et veulent acheter crédit et dignités
A prix de faux clins d'yeux et d'élans affectés,
Ces gens, dis-je, qu'on voit d'une ardeur non commune
Par le chemin du fiel courir à leur fortune,
Qui, brûlants et priants, demandent chaque jour,
Et prêchent la retraite au milieu de la cour,
Qui savent ajuster leur zèle avec leurs vices,
Sont prompts, vindicatifs, sans foi, pleins d'artifices,
Et pour perdre quelqu'un couvrent insolemment
De l'intérêt de l'enfant leur vil ressentiment,
D'autant plus dangereux dans leur âpre colère,
Qu'ils prennent contre nous des armes qu'on révère,
Et que leur passion, dont on leur sait bon gré,
Veut nous assassiner avec un fer sacré.
De ce faux caractère on en voit trop paraître ;
Mais les Dirlos de cœur sont aisés à connaître.
Notre siècle, mon frère, en expose à nos yeux
Qui peuvent nous servir d'exemples glorieux ;
Ce titre par aucun ne leur est débattu ;
Ce ne sont point du tout fanfarons de vertu ;
On ne voit point en eux ce faste insupportable,
Et leur Direction est humaine, est traitable ;
Ils ne censurent point toutes nos actions :
Ils trouvent trop d'orgueil dans ces corrections ;
Et laissant la fierté des paroles aux autres,
C'est par leurs actions qu'ils reprennent les nôtres.
L'apparence du mal a chez eux peu d'appui,
Et leur âme est portée à juger bien d'autrui.
Point de cabale en eux, point d'intrigues à suivre ;
On les voit, pour tous soins, vouloir bien diriger ;
Jamais contre un parent ils n'ont d'acharnement ;
Ils attachent leur haine au mensonge seulement,
Et ne veulent point prendre, avec un zèle extrême,
Les intérêts de l'enfant plus qu'il ne veut lui-même.
Voilà mes gens, voilà comme il en faut user,
Voilà l'exemple enfin qu'il se faut proposer.

Merci JBP...

samedi 7 mai 2016

Les dangers du scientisme éducatif...

Ma surcharge de travail ces derniers mois m'a - à mon grand dam - fait louper plusieurs billets d'Olivier Rey. Profitant de ces quelques jours de repos pour me remettre au parfum, je découvre à mon grand plaisir quelques considérations étayées qui me confortent dans ma méfiance de ce que je pourrais appeler un  "élan scientiste" dans l'éducation, dont depuis plusieurs années je constate la virulence dans sa volonté d'implantation, et surtout je perçois les dangers.

Au même titre qu'il y a vingt ans on a commencé à médicaliser la difficulté scolaire, on veut aujourd'hui nous faire croire que tout ce qui est "apprentissage" scolaire serait scientifiquement mesurable et donc forcément réitérable. J'ai dénoncé lorsque j'étais beaucoup plus jeune les dérives psycho-sociales des réseaux d'aide qui existaient alors dans les écoles, et leurs faillites: toutes les difficultés infantiles étaient alors considérées comme les fruits de difficultés psychologiques généralement liées à l'entourage familial, ou autres billevesées. Si je ne veux pas nier l'importance du contexte familial et de l'éducation apportée à la maison, cette approche n'était pas suffisante, et surtout son traitement était totalement inefficace. Les connaissances scientifiques récentes permirent alors de découvrir quelques pathologies jusqu'alors ignorées, et de définir un certain nombre de dysfonctionnements - dysphasies, dysgraphies, dyscalculies, etc - qu'il devenait alors possible de pallier grâce à des techniques individualisées. Ce fut un gros progrès. Mais il devenait trop simple de considérer alors chaque difficulté comme un possible handicap; cela apportait un certain confort aux familles qui ne se voyaient plus remises en question, et cela rassurait des enseignants confrontés qui pouvaient alors se déclarer incompétents. Le système étant ce qu'il est, il tomba alors dans la médicalisation de la difficulté. Votre enfant est insupportable? C'est certainement qu'il est hyperactif. Il a des problèmes en maths? Il est dyscalculique, etc. Parallèlement d'ailleurs se fit jour une obsession pour les tests de QI, pratiqués au petit bonheur par des médecins aux connaissances sommaires. Combien d'enfants géniaux - pardon, "intellectuellement précoces" - fit-on semblant de découvrir à cette époque? Un milieu médical pas trop regardant frétillait d'aise qui se voyait soudain autorisé à tailler des croupières aux enseignants.

Il ne s'agit pas pour moi de refuser certains diagnostics, qui ont permis et permettent à de nombreux enfants de retrouver la confiance qu'ils avaient perdue et de résoudre leur problème. Loin de moi cette idée. Mais la médicalisation des troubles des apprentissages a eu autant d'effets pervers qu'elle a eu d'intérêt. D'abord elle a permis une absence de remise en cause des méthodes d'enseignement et un retour forcené à l'apprentissage doctoral. Pardi! Si un enfant n'y arrive pas, c'est qu'il est handicapé! C'est l'époque où l'école maternelle que je connais bien a abandonné tout ce qui faisait sa singularité - jeu, travail manuel, plaisir de découvrir... - au profit d'une "primarisation" acharnée, les "grandes classes" de maternelle tout à coup composées d'une majorité d'enfants normaux, de trois "dys" et de deux génies, devenant soudain des CP avant la lettre, abreuvés de "fiches" et autres documents totalement déconnectés de la réalité de la petite enfance. C'est allé très vite! Autant l'école maternelle avant 1990 ne faisait que peu de cas des "apprentissages" structurés, autant celle qui a suivi est devenue scolaire - dans le mauvais sens du terme - avec la bénédiction explicite des intellectuels et du ministère. Pas de milieu! Il faut dire qu'enseigner ainsi, avec des élèves silencieux en rangs d'oignon, devait paraître plus simple et plus confortable pour de nombreux jeunes enseignants qui n'avaient pas connu l'école maternelle de leurs proches aînés. Évidemment ce fut une catastrophe.

Les récents programmes de maternelle, le CSP en soit loué, reviennent aux fondamentaux d'une éducation adaptée à la petite enfance: découverte par le jeu, autonomie, plaisir, sans pour autant négliger les apprentissages. Enfin un juste milieu, après tant d'années d'errance! Mon cœur de vieil instit se réjouit fortement de se voir conforté dans ce qu'il a toujours perçu... et pratiqué, je l'avoue, tant je crois aux possibilités et au potentiel des individus, aient-ils cinq ans. Cela évidemment n'exclut pas la possibilité de rencontrer parfois un enfant ayant malheureusement pour lui un trouble reconnu, mais cela autorise aussi une approche adaptée et individualisée au sein de la classe, sans exclusion ni mise au ban. A condition que le milieu médical ne lui ait pas trop mis le grappin dessus, envoyant la moitié de la semaine en hôpital de jour des enfants qui mériteraient certainement un meilleur accueil. J'exagère? Non, je connais quelques exemples.

On avait ouvert la boîte de Pandore. Après la médecine, d'autres milieux scientifiques se crurent soudain autorisés à donner leur opinion et à fustiger l'incompétence du milieu enseignant ou une prétendue absence d'ouverture. Cela permettait d'ailleurs, après avoir tué la "psychologie scolaire", de remettre en cause les "fausses sciences" dont en particulier celle de l'éducation. On vit apparaître le Saint Graal des médias, les neurosciences.

Ah, les neurosciences... On ne connait rien du fonctionnement du cerveau, on ne peut qu'observer un certain nombre de phénomènes, de préférence en IRM, avec des capsules collées sur la tête. On constate tout et rien, aucun scientifique qui travaille sur le sujet n'est d'accord avec son voisin. Mais on voit de belles images avec de splendides explosions de couleurs, et on en tire des conclusions, et surtout pour les processus éducatifs. Quel orgueil.

Olivier Rey en parle très bien dans un billet du 28 avril:

"A l’occasion d’un article hagiographique sur Céline Alvarez, on a pu lire récemment, dans un magazine bien connu dans le monde éducatif, la phrase suivante : « Les neurosciences sont les seules à pouvoir nous renseigner sur la complexité de l’être humain » ( «Le cerveau d’un enfant varie selon la pédagogie qu’on lui applique », Lorraine Rossignol, Télérama, 19 février 2016).

Dans son simplisme grotesque, l’affirmation a suscité quelques vives réactions de lecteurs, mais la plupart des professionnels de l’éducation se sont contentés de réactions narquoises. Sur le fond, elle ne fait pourtant que caricaturer ce que l’on entend parfois, y compris dans certaines institutions de l’éducation nationale.

C’est un mouvement qui évoque le ressac : l’agenda médiatique ou politique est régulièrement saisi par telle ou telle personnalité qui invoque l’urgence de donner une base scientifique aux pratiques éducatives.

Cela évoque souvent une réplique de (mauvais) boulevard :
  • Sur un ton expert indigné : « comment est-il possible qu’à notre époque on ne se décide pas à enfin utiliser les acquis de la science pour enseigner !? » ;
  • Sur un ton politique exaspéré : « il faut en finir avec l’idéologie et enfin appliquer dans les salles de classe les méthodes appuyées sur des vrais sciences » ;
  • Sur un ton universitaire sarcastique : « il faudra m’expliquer pourquoi on ne pourrait pas appliquer à l’éducation les protocoles scientifiques qui ont fait leur preuve dans les autres domaines » ;
  • Sur un ton journalistique: « de nouvelles recherches capitales pour l’éducation de nos enfants sont pourtant ignorées par le système académique ! ».  ..."

Cela fait très longtemps que les intellectuels se posent des questions sur les processus d'apprentissage. L'IFE par exemple, regroupe un certains nombre de chercheurs en Sciences de l'éducation. Cette veille intellectuelle, depuis Henri Marion en France, a permis de comprendre beaucoup sur le développement cognitif et ses conditions. Mais aujourd'hui les sciences "exactes" voudraient purement et simplement éliminer les sciences de l'éducation, au titre d'une "hiérarchie de sens commun, partant des sciences expérimentales, considérées comme les plus « scientifiques », pour aller jusque vers les disciplines les plus littéraires, qu’on ose même plus qualifier de science." (Olivier Rey, Op.cit.)

Cette idée fait purement et simplement abstraction des conditions dans lesquelles s'exerce le noble métier d'enseignant. On voudrait nous faire croire que tout est rigoureusement mesurable et forcément réitérable, comme toute bonne démonstration chimique ou mathématique. Mais une classe n'est pas une éprouvette, les conditions d'expérimentation ne sont pas strictement reproductibles, les enfants ne sont pas des rats de laboratoire. Cette approche fait fi de l'individu et de sa construction préalable, comme des conditions d'enseignement ou de la fascinante hétérogénéité du groupe.

Ne vous leurrez pas, c'est un vrai danger! Un puissant mouvement positiviste est en marche, et on en constate à l'école régulièrement les effets ou les tentatives d'intrusion. Un bon exemple en est l'idée des "bonnes pratiques", contre laquelle je m'insurge fortement. Si on peut comprendre, comme l'exprime Olivier Rey dans un autre billet, une "demande légitime des décideurs", il y a lieu aussi de rappeler qu'éduquer "n'est pas une somme de techniques":

"... la question des bonnes pratiques représente un problème réel quant à la conception de l’action éducative qu’elle sous-entend.

Elle implique en effet qu’il est facile d’identifier des pratiques suffisamment robustes pour servir d’exemples voire de modèles dans une pluralité de contextes éducatifs. Elle va de pair avec une idée de gestes et de connaissances suffisamment isolables et documentés qu’ils peuvent être répliqués et transférés.

Autrement dit, parler de bonne pratique revient souvent à considérer qu’une action éducative peut se résumer à une technique précise, qu’on peut transporter et reproduire sans difficultés majeures. On a multiplié ces dernières années les standards de résultats dans l’éducation, c’est-à-dire les objectifs que l’on fixe pour un système éducatif. Avec les bonnes pratiques, il est question de définir également des standards de production.

C’est là où le bât blesse, car l’éducation est rarement un ensemble de procédures techniques.

On compare souvent de façon abusive l’éducation à la médecine, pour imaginer une action éducative qui pourrait se conformer à certains protocoles scientifiques, comme on le fait dans les hôpitaux. Or, si la chose est déjà délicate en milieu médical, elle devient un casse-tête en milieu pédagogique. Dans une école, il ne s’agit pas en effet de “guérir” un élève de quelque maladie et à court terme, mais de lui faire apprendre quelque chose qui devrait lui servir durant toutes ses études, voire toute sa vie. L’essentiel des questions d’apprentissage ne relève heureusement pas des “troubles” de l’apprentissage (dyspraxie, dyscalculie, etc.) même si l’on a assisté ces dernières années à de vraies dérives en matière de médicalisation de l’échec scolaire.

Si on accepte la comparaison avec la médecine, on est en fait plus proche d’une éducation à un comportement qu’à la reproduction de protocoles de soin. Or, on sait comme il est compliqué d’éduquer à des comportements aussi élémentaires que l’hygiène corporelle ou alimentaire : même le fait d’habituer les personnels médicaux à se laver systématiquement les mains (pour prévenir les maladies nosocomiales) était tellement compliqué à obtenir qu’il a suscité de nombreuses recherches!

Ensuite, il faut bien reconnaitre qu’on ne peut évacuer la question des “valeurs” qui est omniprésente dans toute pratique éducative. On le constate évidemment dès lors que l’on traite de questions qui touchent à des questions vives (le racisme, la religion, la citoyenneté…) : enseigner l’évolution en SVT est devenu parfois tout aussi délicat que d’enseigner l’histoire de la colonisation.

Cette question des valeurs va pourtant bien au delà et se rencontre dans tous les enseignements si l’on prend la peine d’y réfléchir. Comment présente-t-on les savoirs qu’on enseigne: comme une description du monde ou comme l’état actuel des connaissances? Quel statut donne-t-on à l’erreur : celle d’une faute qu’on sanctionne ou d’un moment inévitable dans l’apprentissage? Veut-on former des élèves qui savent défendre leur point de vue et argumenter ou au contraire des élèves qui respectent d’abord la parole des aînés?

En quarante ans, certaines pratiques ont évolué et d’autres sont devenues interdites dans l’enseignement. Les punitions corporelles sont par exemple proscrites aujourd’hui, non pas tant au nom de l’efficacité qu’au nom de certaines valeurs. La mixité est devenue largement la norme dans les classes, de façon relativement récente (et parfois contestée…). Or ces valeurs sont différentes selon les pays, les cultures, les religions, les groupes de référence.

Les objectifs même qu’on donne à tel ou tel savoir enseigné peuvent varier. En histoire, sans même parler de périodes à privilégier ou à éviter, on sait bien qu’il y a des conceptions différentes de l’enseignement qui vont d’une histoire comme récit édifiant pour les jeunes générations jusqu’à une histoire qui vise d’abord à “faire faire” de l’histoire, c’est à dire à comprendre ce qu’est une source historique, à comparer et vérifier les traces, etc.

Comment, dans tous ces cas de figure qu’on pourrait multiplier à loisir, fixer des “bonnes pratiques” univoques ? L’étalonnage qui est bien souvent implicite derrière le Benchmarking s’avère ici problématique..."

En somme, on tendrait à vouloir nous faire croire qu'enseigner n'est qu'un corpus de techniques que les enseignants dans le meilleur des cas ignorent, dans le pire refusent d'appliquer pour d'obscures mais certainement inavouables raisons. L'apprentissage de la lecture, par exemple, est forcément "global" quand un enfant a des difficultés, et c'est donc la faute de l'enseignant. Voilà qui est facile! Voilà qui est pratique! Voilà qui évite de se poser d'autres questions quant à l'efficience du système, ou celle de la formation initiale ou continue... C'est dans le même esprit que l'on veut absolument nous imposer des évaluations normées absurdes qui laissent de côté l'évolution globale de l'individu et ses compétences individuelles au profit de notions certes utiles pour la poursuite des études, mais qui récusent le potentiel d'un enfant dans des domaines qui peuvent même être non-scolaires, comme son droit à grandir à son propre rythme. Je ne veux voir qu'une seule tête?

Bien entendu, je ne cherche pas non plus à nier l'intérêt de telle ou telle "technique", même si son application si elle est formalisable n'est pas forcément pour autant aisée à faire. On connait par exemple aujourd'hui tout l'intérêt de l'apprentissage de l'écriture manuscrite cursive et liée pour la construction de la pensée et l'acquisition de la lecture, passage direct de la main au cerveau. Tout enseignant de maternelle digne de ce nom sait à quel point la conquête des compétences corporelles est un préalable indispensable à tout apprentissage. Un jeune enfant doit connaître son corps, en expérimenter les possibilités pour les dominer. Le mouvement du bras, du poignet, de la main, doit être maîtrisé mais pour cela il doit être pratiqué. Si l'enseignant a cette connaissance, alors les techniques d'apprentissage de l'écriture deviennent aisées à appliquer, et l'enfant y trouve son compte. Mais encore faut-il que l'enseignant soit formé. Lui faire parvenir en courriel des instructions sur ce thème avec un petit film aussi bien fait-il soit-il ne suffira pas à assurer une application productive des techniques. Pire, elles peuvent être au mieux inefficaces, au pire dangereuses ou sources de blocages.



Le scientisme pédagogique est un réel danger aujourd'hui pour l'école. Croire que tous les enfants grandissent de la même façon et au même rythme, qu'on peut les éduquer comme on dresse des chevaux, est absurde et illusoire. Croire que l'éducation pourrait être une science "exacte" est, je ne mâcherai pas mes mots, une crétinerie. Enseigner est une discipline difficile, qui réclame de puissantes capacités d'analyse des situations et de compréhension de ces individus qu'on appelle nos élèves, ainsi que de grandes capacités d'adaptation. Il faut de l'empathie et avoir envie de faire un travail de "passeur". Jamais un cours en ligne, jamais un robot quelconque ou une tablette numérique, aussi bons outils puissent-ils être, ne saura remplacer ces êtres particuliers que sont les professeurs. Alors certes il y en aura toujours des bons (beaucoup) voire des excellents (nombreux aussi), ainsi que d'autres moins bons ou exécrables, le milieu enseignant étant à l'image de notre société et de sa pluralité. Mais clairement on ne pourra jamais schématiser idéalement la façon d'enseigner. Et c'est tant mieux. Car je préfère définitivement une école permettant dans l'absolu l'explosion des capacités et des trajectoires individuelles, même construites dans l'opposition, à une société de clones aux compétences similaires dont à jamais seraient exclues l'imagination, la fantaisie, ou la vision artistique.

vendredi 6 mai 2016

C'est le printemps, c'est l'heure de relire Marbœuf !

Ce soleil qui réchauffe mes vieux os me donne l'envie de relire l'excellent bouquin de Lucien Marbœuf "Vis ma vie d'instit".

... avec ma vieille main...

Je sais bien que je l'ai déjà lu trois fois, mais il y a dans ce livre un je-ne-sais-quoi, un souffle d'optimisme qui fait un bien fou, une petite brise de bonheur qui soulage, et qui va bien avec la lumière et la chaleur. Conseil d'ami: faites-le lire à quelqu'un qui n'est pas du métier mais que vous savez l'esprit clair. Je suis sûr qu'il adorera ça! Avec un pastis peut-être aussi...

65 millions de spécialistes...

Le gouvernement a voulu cette semaine présenter un bilan de la "Refondation" initiée en 2012 par Vincent Peillon. Nous avons bien entendu assisté à une sorte de "show" à l'américaine dont j'avoue qu'il était assez bien vu. Somme toute, le présent gouvernement n'a pas à rougir de ce qui a été fait depuis quatre ans, j'ai trop présent en mémoire le souvenir des sinistres années Darcos pour ne pas apprécier les nouveaux programmes, les créations de postes, l'initialisation d'une réforme indispensable du collège, ainsi que d'autres mesures passées inaperçues auprès du grand public mais qui nous allègent un peu le travail sur le terrain. Avec les opinions politiques qui sont les miennes, je ne devrais peut-être pas l'écrire, mais avoir des idées n'interdit pas l'honnêteté, et sur ce sujet de l'éducation il faut bien avouer que le courage fut "de gauche", qui fit ces dernières années une grande partie de ce que "la droite" n'avait pas osé faire, et tenta également de réparer une partie des indiscutables âneries des années 2007-2012. Mais ce n'est pas vraiment le propos de ce billet, d'autres que moi ont proposé ces jours-ci des bilans autrement mieux écrits que ce que je pourrais faire, comme par exemple Philippe Watrelot qui outre une connaissance quotidienne du terrain fait toujours preuve d'une facilité d'écriture qui m'épate comme d'une conscience claire des réalités. Bref, c'est à lire pour garder la tête saine et froide sur le sujet! Quatre billets sur ce lien...


Le gouvernement a profité de l'occasion pour annoncer un alignement de l'indemnité ISAE du primaire - qu'il avait lui-même créée il y a deux ans - avec l'ISOE du secondaire. Aujourd'hui que tous les enseignants, quel que soit leur niveau d'enseignement, sont recrutés sur les mêmes bases et ont la même formation, la différence de rémunération était absurde. La voilà réparée. Je m'abstiendrai de signaler les râleurs invétérés - il y en a toujours -, la "droite" elle-même ayant préféré fermer sa grande gu[...] sur le sujet. Il faut dire que la rémunération des enseignants français, largement inférieure à celle des autres enseignants de l'OCDE, est un vrai sujet de honte pour elle qui malgré sa connaissance du problème n'a rien fait pendant ses années de pouvoir pour y remédier, transformant avec indifférence ou dédain les passeurs de savoir en une classe paupérisée sans avenir et déprimée. Bien sûr, même si les indemnités - et non les "primes" comme en parlent les médias - rentrent dans le calcul de la RAFP (Retraite Additionnelle de la Fonction Publique), je préfèrerais pour ma part qu'elle s'intègrent pleinement dans le calcul de la pension de retraite. Mais c'est ce vers quoi, entre autres, s'oriente le travail du gouvernement, avec certaines mesures du plan PPCR (Parcours professionnels, Carrières et Rémunérations), le grand chantier de la fonction publique visant à unifier et simplifier le grand puzzle coloré et inéquitable des parcours professionnels des fonctionnaires. Il reste des mois de travail, et je suis persuadé que de nombreuses bonnes surprises nous attendent encore. Encore une fois, je l'avoue, le courage est "de gauche". Je salue aussi le boulot remarquable de Mme Vallaud-Belkacem dont j'avoue qu'elle m'épate! Si je regarde les ministres qui se sont succédé à l’Éducation nationale depuis vingt ans, il n'en est guère que trois qui surnagent dans mon bon souvenir: elle-même, M. Peillon et M. de Robien. C'est peu. Je ne cite pas les monstres, bien entendu, ni les incompétents, les feignasses ou les trouillards, parce que là j'aurais trop de noms à écrire, certains même ayant cumulé. Bref...


Les médias s'en sont donné à cœur joie avec ce bilan de la "Refondation" (j'ai quand même encore du mal à écrire ce mot que je trouve fort prétentieux). Mais il n'y comprennent pas grand chose à part l'aspect financier de la question. Heureusement, l'idée à finit par s'imposer dans l'esprit des journalistes que les enseignants français sont vraiment mal payés, comme la vague idée que c'est un peu honteux pour un pays comme le nôtre. Il n'y a donc eu que peu ou pas de reproche sur ce point, si on excepte les commentaires festifs des lecteurs des sites internet des quotidiens, dont vous connaissez la teneur sans avoir besoin de les lire: enseignants feignants, incompétents, toujours en vacances, mieux payés que moi qui suis maçon/retraité/chômeur ou autre - rayez la mention inutile-. Le tout venant habituel, quoi, tant il est vrai que nous avons dans notre pays 65 millions de spécialistes de l'éducation qui ont tous leur solution (comme si moi-même, qui ai passé ma vie chez le dentiste, me présentais comme spécialiste en odontologie), cette solution d'ailleurs étant généralement celle de "revenir" à l'école d'antan (à ce sujet, il y a un excellent billet ici).


Du coup les médias se sont pour une fois intéressés à l'aspect technique de ce bilan, et ont fait appel aux habituels "spécialistes" de l’Éducation. Citons pour mémoire parmi ceux-ci l'inénarrable Sébastien Sihr qui me fait toujours hurler de rire, son syndicat que par charité je m'abstiendrai de nommer ayant repris à son compte et s'étant vanté de l'alignement d'une indemnité qu'il avait conchiée il y a seulement deux ans. Les centrales syndicales SGEN-CFDT et SE-UNSA, qui elles avaient signé le protocole d'accord, ont bien fait de le rappeler.

J'ai donc lu et écouté avec attention et circonspection un certain nombre d'interventions. Parmi celles-ci je dois citer sur France-Culture (à écouter ici) Florence Robine de la DGESCO, dont je reconnais les compétences mais qui a bien du mal à quitter sa position officielle pour entendre d'éventuelles reproches surtout si l'on parle des blocages à répétition d'un système éducatif français jacobin et pyramidal, et Philippe Watrelot (oui, encore lui) qui m'a donné le titre de ce billet.


Car je dois encore une fois ici dénoncer les faillites du système. Autant je suis persuadé de la bonne volonté, et de la volonté tout court, de ce gouvernement et de ce présent ministère pour changer les choses, autant il faut bien reconnaître que les discours comme les actes ne sont que peu suivis d'effet. Les tentatives d'évolution sont constamment bloquées par les baronnies locales qui ne voient souvent dans les mesures proposées que des atteintes à leur pouvoir ou à leur confort: DGESCO, recteurs, directeurs académiques, proviseurs, principaux, IENs, centrales syndicales, jusqu'aux professeurs eux-mêmes parfois... souvent. Pourtant nous savons tous que le système est inopérant, nous le déplorons, nous le stigmatisons! Mais que faisons-nous pour le rendre efficace, si chaque proposition est systématiquement décriée par l'un ou l'autre au nom de tout et de rien? Quand on discute "en haut lieu", on nous avoue la surprise de se heurter à des obstacles insidieux et imprévus, et l'impossibilité de les surmonter; des recommandations, des circulaires, se perdent dans les limbes de la pyramide institutionnelle, sont au mieux ignorés, au pire récusés ou détournés. On a souvent dit et écrit que l’Éducation nationale était irréformable. Ce n'est pas forcément une idée fausse.


Il n'est donc comme solution pour un gouvernement volontaire que de procéder autrement, soit de procéder à des réformes brutales qui passent par des décrets ou des textes de Loi. C'est en partie ce que personnellement j'ai cru percevoir dans les discours de Mme Vallaud-Belkacem ou de M. Valls. Il leur reste une dizaine de mois pour faire ce qu'ils estiment devoir être fait. Vincent Peillon avait perdu du temps au début de son mandat. Un gouvernant bénéficie de deux périodes clés pour son action, celui de l' "état de grâce" des six premiers mois, quand les adversaires politiques sont au tapis, et celui des six derniers mois, quand il n'y a plus grand chose à perdre. J'espère donc bien que certaines réformes seront faites, certaines mesures indispensables prises, dans les semaines et mois qui viennent et précèdent les prochaines présidentielles dont on nous rebat les oreilles depuis plus d'un an.


Je plaide évidemment en grande partie pour ma paroisse. Celle du directeur d'école que je suis, qui aurais bien besoin d'une reconnaissance institutionnelle qui me donnerait les moyens de mon action quotidienne. Le gouvernement avait par exemple lancé un ballon d'essai en demandant aux académies de mettre en place une simplification administrative. Elle a été honnêtement faite en quelques endroits, est restée lettre morte ailleurs malgré les rappels pourtant comminatoires. Et soyons clairs: ce ne sont pas les minces mesurettes proposées et passées sous les fourches caudines syndicales qui changeront quelque chose à la désastreuse situation des directeurs d'école. J'escompte donc des décisions "chocs" prochaines quant à la distinction (au sens premier du terme) dont nous avons besoin, tant dans la reconnaissance de notre importance, institutionnelle et financière, que dans les moyens qui nous seront donnés. Nous avons besoin d'avoir les mains libres! Nous sommes les mieux à même de connaître les besoins matériels et pédagogiques de nos élèves, de notre école; nous sommes les mieux à même de trouver des solutions, d'élaborer des plans et des projets adaptés. Ce qui nous tient tous à cœur, c'est la réussite de nos élèves, et elle ne passe pas forcément par les lubies d'un tel ou d'une telle, qu'il s'agisse de la DGESCO ou d'un recteur ou d'un DASEN ou d'un IEN. Chaque école est différente et unique, avec un public différent et unique, des besoins spécifiques. Qui, autre que nous, pourrait se targuer de connaître notre école et son public?


Une fois n'est pas coutume, je suis optimiste. Le printemps enfin présent y est peut-être pour quelque chose, même si je suis surchargé de tâches diverses et variées, parfois ingrates, entre ma classe et ma mission de direction. Mais je crois que le temps est venu pour de réels changements. Il ne faudrait pas laisser se refermer cette fenêtre d'opportunité. Sinon, j'ai bien peur qu'un éventuel retournement en mai 2017 ne soit pour l'école telle que je l'imagine qu'un enterrement de première classe.


PS: tous les dessins de ce billet ont été faits par mes élèves il y a quelques années...