dimanche 29 septembre 2013

Architecture sacrée...


On m'a reproché -gentiment- de me disperser dans les billets que je vous livre, et de trop évoquer (je résume) l'école en général, et ses problèmes actuels, au détriment de la direction d'école, qui devrait faire l'essentiel de la teneur de ce blog.

Toute critique comme toute erreur étant formatrice, et certainement symptomatique, je me suis penché sur la question avec curiosité, et en pliant les genoux comme tout bon instit' de maternelle qui sait ce que sont les problèmes de dos.

Je suis arrivé à la conclusion que loin de m'égarer je restais au contraire pleinement dans mon sujet. N'aborder les problèmes de l’Éducation nationale qu'à travers le prisme déformant de la direction d'école serait une erreur. L'école est une globalité, une entité qui adopte un fonctionnement propre, une architecture complexe qui diffère selon le lieu où elle est placée, et si le directeur d'école missionné pour appliquer les textes qui la régissent en est la clef de voûte, il n'en reste pas moins qu'un élément constitutif, certes indispensable pour que l'édifice ne s'effondre pas, mais qui ne peut en être abstrait.

C'est que l'école est un lieu particulier, singulier. C'est pour l'élève un refuge, qui devrait rester éloigné des préoccupations familiales et sociétales. L'école est l'endroit où pour la première fois de son existence on demande à l'enfant de devenir un individu.

Qu'est-ce que "devenir un élève" pour un enfant de trois ans qui y fait ses premiers pas? Jusqu'à présent il est resté au sein du cocon familial, le centre de l'attention de sa famille -ou du moins c'est ce qu'il pense!-. On a flatté son égocentrisme. A l'école, on lui demande de devenir quelqu'un d'autre, un individu dont les besoins ne seront pas forcément prioritaires. Il doit se plier à des règles collectives, supporter que d'autres prennent le pas sur lui, accepter des fonctionnements externes. Il devient une personne, une individualité partie d'un collectif. Lorsqu'il le comprend, lorsque l'enfant intègre pleinement ces contraintes et sait en faire usage et en profiter, il est devenu un élève.

L'école devient alors un lieu privilégié où c'est lui même qui compte, où il va pouvoir s'y construire. Il peut, il doit, laisser à la porte de l'école ses soucis familiaux... lorsque sa famille le lui laisse faire, hélas. Nous voyons trop d'enfants aujourd'hui contraints de porter avec leur cartable une valise supplémentaire emplie de scories, voire pour certains une pleine malle de cadavres et de non-dits. Je me rappelle un petit garçon écartelé entre père et mère séparés, auquel je demandais qui venait le chercher à l'école le soir même, et qui me répondit "Papa... non, maman... non, papa... oh zut j'aimerais bien que ce soient les deux parfois!".

Leur classe devient rapidement pour nos élèves un lieu particulier dont ils apprécient la disposition, la couleur, le mobilier, la lumière, l'odeur... Ne vous reste-t-il pas vous-même des impressions voire des images claires de certaines classes de votre enfance? Et c'est avec un plaisir particulier empreint de nostalgie que nous nous les remémorons.

Le "maître" ou la "maîtresse" est également une personne particulière. Je passe bien entendu sur les dragons et autres sales bestioles que nous avons éventuellement pu rencontrer dans notre enfance. L'enseignant est in loco parentis, mais n'est pas un parent, quel bonheur! On peut lui dire certaines choses, on lui en cache d'autres avec malice et satisfaction, et ainsi on fait l'apprentissage de la vie sociale, on apprend à avoir des envies et des secrets, à partager avec autrui ou à ne pas partager, ce qui n'est pas possible à la maison. D'où d'ailleurs le besoin enfantin de ne pas parler de l'école à sa famille, de ce qu'on y vit, de ce que qu'on y crée ou on y subit, de ses drames et de ses joies. C'est notre pré carré, notre vie propre et intime -enfin!-.

C'est pourquoi d'ailleurs les municipalités qui aujourd'hui organisent des activités périscolaires dans nos classes font une grave erreur, dont on ne perçoit pas les conséquences qui sont je pense extrêmement dommageables dans la construction de la personnalité de nos élèves. La classe n'est plus un lieu unique, cette grande pièce chaude et lumineuse qu'on conserve dans son cœur et qu'on interdit à autrui comme on en interdit l'accès aux élèves des autres classes ("M'sieur! Y'a un CE2 qu'est entré dans la classe!"). On organise une confusion, on désacralise, pire on en vire l'enseignant pour la livrer à des intrus qui, comble de l'équivoque, vont parfois y organiser des activités proches de ce qu'on peut faire en classe. Il ne faudra pas s'étonner, en transformant l'école en hall de gare, qu'elle ne soit bientôt plus du tout respectée. Rendre un tel lieu trivial, c'est en tuer la singularité.

Qu'est le directeur d'école pour un enfant? Il n'en sait pas le rôle, il n'en connait pas les responsabilités, mais il perçoit instinctivement que le directeur n'est pas dans l'école un adulte comme les autres. On le voit passer avec des papiers dans les mains, on le voit sortir de l'enceinte et ouvrir la boîte aux lettres, il peut frapper à la porte de la classe pendant le temps scolaire et sera reçu par l'enseignant avec lequel il mènera une courte conversation à voix basse... Vague sentiment de culpabilité: ne parlent-ils pas de nous, de moi? Il a un bureau, dans lequel les enfants n'entrent que rarement, qui impressionne et qui fait peur. Lorsqu'il élève la voix, tout le monde se tait. L'enfant perçoit le directeur de l'école comme une autorité suprême. Pourquoi, comment, cela n'a pour lui aucune importance, le directeur est une représentation de la Loi. Il est l'institution à lui tout seul. C'est vaguement effrayant, mais c'est tout autant rassurant pour l'enfant qui s'est créé un cocon scolaire, un temple de confiance dont le directeur est le grand prêtre. Un peu de cette aura passe même à ses élèves ("T'es dans la classe du directeur?"), souvent les "grands" de l'école qui en profitent parfois bassement. Effroi et attirance sont les deux mamelles de cette reconnaissance infantile de l'autorité.

On aimerait bien que cette perception reste, mais les adultes même encore imprégnés de ce respect enfantin savent bien, souvent trop bien, que le directeur d'école n'est qu'un petit fonctionnaire d’État -et encore, nombreux sont ceux qui ignorent à quel point le directeur d'école n'est rien au sein de cette monstrueuse entité institutionnelle qu'est l’Éducation nationale-. On a voulu, louable intention, faire "entrer" les familles à l'école, les faire participer à l'instruction de leurs enfants. Grave erreur là aussi, il faut aujourd'hui l'admettre. Le mystère de l'école participait de son efficacité. Bien sûr, cela autorisait de nombreux abus qu'il fallait combattre, une sorte d'impunité détestable qu'il fallait anéantir. Mais en s'ouvrant ainsi au profane on a cassé le sacré, supprimé la distance nécessaire au respect, rendu trop accessible ce qui n'est pas forcément compréhensible pour une famille. Les êtres conscients ont besoin du numineux, "ce qui saisit l'individu, ce qui, venant d'ailleurs, lui donne le sentiment d'être" (Jung). L'école, lieu de construction de soi, n'est plus l'école. Le directeur d'école n'est plus "Monsieur le directeur".

C'est pourtant toujours le directeur d'école qui organise, gère, encadre, limite, autorise et interdit. Il est responsable de la sécurité de l'école et de ceux qui y travaillent, enfants comme adultes. Il en est la pierre angulaire, la clef de voûte de l'ensemble. Mais l'architecture générale est fragile. Tout est fait depuis vingt ou trente ans pour casser l'édifice. On est bien prêt d'y parvenir. Aujourd'hui le seul moyen de rendre à l'école un peu de sa solidité serait de lui donner les moyens de ses ambitions. D'abord en arrêtant de considérer les écoles comme de simples bâtiments qu'un Maire peut utiliser comme il l'entend en dehors des heures de classe pour tout et -presque- n'importe quoi, et avec n'importe qui. Ensuite bien entendu en faisant des directeurs d'école des fonctionnaires statutairement et juridiquement reconnus, à la mission forte clairement et précisément définie. En fait, donner aux directeurs d'école une autorité fonctionnelle, reconnaître leurs compétences et l'importance de leur rôle au sein de l'école publique, ramènerait certainement une partie du respect et de la sérénité nécessaires au plein accomplissement de la mission première de l'école, qui est d'instruire les enfants, mais aussi de leur donner les compétences et les permissions nécessaires au plein accomplissement de leur construction individuelle.

Oui, quand je parle de l'école et de ses directeurs, je parle bien d'un tout. On ne peut abstraire les uns de l'autre, le bien de l'ensemble procède du bénéfice des parties. Le statut de la direction d'école, aujourd'hui nécessaire au bon fonctionnement de l'institution scolaire, est certainement la dernière opportunité pour rendre à nos enfants ce qui leur a été progressivement enlevé, à moins qu'on y préfère un total et définitif effondrement.

samedi 28 septembre 2013

Mais qu'est-ce qui leur prend?


Enseigner en primaire n'a jamais été facile, contrairement à ce que peuvent imaginer les tenants nostalgiques d'une époque révolue ou les hérauts d'une "école" qui n'a jamais existé que dans des souvenirs faussés par le temps. Mais mission, programmes, responsabilités et devoirs des "maîtres d'école" ont tout de même tant changé depuis même mes débuts dans la carrière que ce qui fut à l'origine une vocation -et un moyen de changer de statut social- est devenu au fil des décennies qui s'écoulaient un métier extrêmement exigeant, compliqué, voire risqué. L'école primaire -la première école- est aujourd'hui la pierre d'achoppement de toutes les frictions de la société française.

C'est en primaire que se font jour les blessures sociales. Ce lieu dans lequel devraient disparaître toutes les différences entre les individus, ce creuset républicain qui devrait offrir à chaque enfant toutes les opportunités sans qu'il soit question de son origine, sa couleur, ou encore moins des vertus ou péchés de sa famille, est devenu un révélateur cruel des différences sociales et culturelles. Non, les élèves de l'école française contemporaine ne sont plus égaux dans leur droit à apprendre.

On entend, on lit, dans des médias ignorants ou pervers, que "les enfants aujourd'hui ne sont plus ce qu'ils étaient"... Quelle erreur! J'ai le souvenir de mes propres condisciples, il y a bien cinquante ans: certains n'étaient pas des flèches, d'autres frôlaient déjà la délinquance. Pour autant l'école leur donnait les bases d'une instruction qui leur permettait de sortir du lot, de s'affranchir de leur famille et d'un déterminisme social destructeur. Ils le savaient, et le respect concomitant pour l'école et pour ses "maîtres" était une réalité. Oui, le fameux "ascenseur social" fonctionnait, rares étaient ceux qui quittaient l'école sans savoir lire et compter. L'école ne remplit plus ce rôle. Ou du moins, ce qui est pire quand on connait l'arrogance du système, ne le remplit pas mieux en dépit de l'argent que l’État y investit et de la peine que se donnent les enseignants.

Pourquoi? J'y vois pour ma part le résultat d'une politique qui depuis plusieurs décennies, sous prétexte d'égalité de traitement des élèves, a abandonné toute équité. Non, ces deux mots "égalité" et "équité" n'ont pas le même sens. Tous nos élèves sont égaux en droits, celui de s'instruire étant à cet âge un des plus précieux. Mais ils ne sont pas traités de façon équitable. L'école devrait faire fi de toute différence, et donner le même enseignement à chacun. Ce n'est pas le cas.

Depuis leurs trois ans, depuis la "petite section" d'école maternelle, les enfants sont constamment vérifiés, contrôles, évalués. Rentre-t-il dans le moule? Acquiert-il correctement les bonnes compétences? N'est-il pas "en retard" sur ses camarades? En retard... A trois ans... Oui, déjà.

Cette manie, que dis-je cette maladie, de l'étiquetage permanent a gangrené tous les niveaux de l'école. A défaut de savoir exalter les individualités, à défaut de repérer et mettre en valeur l'infini des possibilités personnelles, l'école aujourd'hui n'a qu'une obsession, celle de faire rentrer dans la norme. Et pas n'importe laquelle, celle d'une prétendue "égalité" républicaine qui n'existe que dans l'imaginaire étriqué des politiques publiques, qui nient l'individu au profit du système. Je ne veux voir qu'une tête, rien ne doit dépasser, plus personne n'a le droit d'être entreprenant, cultivé, ou riche. C'est suspect! Je préfère ne voir que des pauvres, l’État s'occupera d'eux et saura les assister mieux qu'ils ne sauraient le faire eux-mêmes.

Triste constat. C'est un désastre. Et à moins d'en avoir les moyens financiers, et de le comprendre, personne ne peut y échapper.

Il est ainsi logique qu'au cours des ans se soit développé dans l'école, à la mesure de cet étiquetage constant, un flicage permanent. Évaluations normées, notations vicieuses et autres dépistages divers vont tous dans le sens d'un étampage qui devient la règle, qui marque les corps et les esprit, et auquel il est impossible d'échapper comme de s'en affranchir. Devenu adulte et maintenu dans une sujétion aux diplômes et autres traces républicaines inscrites dans la chair, l'individu n'aura guère de chance de sortir du tiroir dans lequel il aura été rangé depuis sa prime enfance. A chacun son code-barre. Nous vivons dans le cauchemar d'Orwell.

Dans cet objectif, à défaut d'enseigner, la maître d'école aujourd'hui contrôle et évalue. Ce n'est pas simple, c'est même fort compliqué, cela prend du temps, beaucoup de temps, et se fait au détriment des apprentissages. L'enseignant du primaire aujourd'hui remplit d'innombrables tableaux de chiffres erronés et inutiles, constats faussés sans justification ni intérêt. Cette activité chronophage prive l'enseignant du temps nécessaire pour accompagner ses élèves, pour que les enfants acquièrent à leur rythme les connaissances ou les compétences qui leur manquent. On constate, mais on n'y remédie pas. Pas le temps, les programmes sont trop lourds, et puis "évaluer" est une exigence de l'administration. Enseigner en 2013, c'est être un garde-chiourme doublé d'un statisticien.

Ce flicage s'est étendu comme de juste à ceux qui le pratiquent sans forcément s'en rendre compte. Les enseignants du primaire, directeurs d'école compris, portent sur leur front la marque de Caïn. Depuis vingt ans s'accumulent ordres et injonctions divers, obligations de travailler de tel ou telle façon, interdictions d'opérer de telle ou telle manière. L'enseignant du primaire est "maître dans sa classe"? Mon œil! Gare à celui qui sortira de la norme édictée par le ministre, le recteur, le DASEN, l'IEN. Malheur à celui qui voudra s'extirper, ne serait-ce que légèrement, du pesant carcan qui n'a fait que s'alourdir au cours des ans. Celui-ci sera marqué du sceau d'infamie, mis au ban du système, et disons-le clairement harcelé par son supérieur hiérarchique immédiat qui a fait de sa propre sujétion à l'institution un mode de vie qu'il voudrait à son tour imposer à ses ouailles.

Il faut avouer que c'est entre 2007 et 2012 que les choses se sont vraiment gâtées. Les IEN auparavant tâchaient pour beaucoup d'aider les enseignants dans leur difficile mission. Il y avait bien quelques tortionnaires, mais ils n'étaient pas le principal de la troupe. En revanche en 2008 les fauves ont été lâchés! La haine profonde des enseignants qui inspirait à l'époque la politique éducative du pays a donné aux recteurs, DASEN et IEN la permission de fondre sur les enseignants tels des rapaces amateurs de chair humaine. Pour ce système outrageusement administratif, centralisé et déshumanisé qu'est l’Éducation nationale, il était évident que les enseignants de terrain -sale engeance!- ne pouvaient être que les seuls et uniques artisans de sa propre faillite. Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage...

Ce métier compliqué est depuis devenu un cauchemar. Les IEN, pour ne parler que d'eux, ont pour la plupart conservé de ces années perverses leurs mauvaises habitudes, et ne conçoivent une inspection que comme le procès de l'enseignant qu'ils vont voir, alors que leur premier rôle serait de l'aider à mieux remplir sa mission. Mais bernique! Il est plus facile d'écraser que de conseiller. Il faut dire aussi que pour conseiller quelqu'un, encore faut-il en avoir les compétences.

Et que dire des directeurs d'école? Chargés de classe pour les 9/10ème d'entre eux, submergés de tâches multiples dont beaucoup sont redondantes, inutiles voire absurdes, ils sont coincés entre le marteau et l'enclume. Le directeur d'école n'a que des devoirs et des responsabilités, il n'a aucun droit. Il faut dire qu'il n'a aucun statut, il n'est rien ni personne, et chacun se fera un point d'honneur à bien le lui faire sentir, qu'il s'agisse d'une famille qui ne respectera pas son autorité -si elle ne lui fiche pas un coup de poing- , d'un collègue qui le méprise et s'assoira sur ses consignes, d'un Maire qui ne daignera pas l'écouter, ou d'un IEN qui l'écrasera de son autorité.

C'est l’Éducation nationale qui le dit elle-même: un directeur d'école sur quatre est harcelé, victimisé, ou le sera.

J'ai connu le temps où le directeur d'école était respecté par sa hiérarchie. L'inspecteur le respectait, l'écoutait, suivait souvent son avis. Il lui faisait d'emblée confiance, pas forcément sans méfiance -après tout, on n'est pas à l'abri d'un roublard-, mais savait l'entendre et pouvait parfois établir des relations cordiales. Certes l'IEN restait l'IEN, donc le supérieur hiérarchique, mais la confiance autorisait un respect mutuel des compétences et des responsabilités de chacun. Il n'y avait pas d'ambiguïté.

Aujourd'hui la défiance est de mise. L'inspecteur qui visitera une école fouillera, fouinera, cherchera tout ce qui peut remettre en cause le travail et le sérieux du directeur d'école. On est passé de la confiance à la méfiance. J'exagère? Non. Cette demande, l'avez-vous suivie? Ce tableau, l'avez-vous rempli? Avez-vous bien comptabilisé les heures hors temps scolaire de vos adjoints? Comment avez-vous organisé ceci? Où est votre compte-rendu? Où est votre bilan? Où est... où est...

Mais qu'est-ce qui leur prend?

Est-ce la peur qui motive les IEN pour martyriser leurs enseignants et leurs directeurs d'école? Il y a toujours eu des abus d'autorité de la part des petits fonctionnaires, mais on en observe aujourd'hui une inflation tellement phénoménale qu'on peut légitimement se demander ce qui a bien pu se passer pour que casse ainsi un lien de confiance qui fut autrefois si fort. Des directeurs d'école blackboulés comme des malpropres on en a vu quelques-uns, mais une histoire comme celle qui arrive par exemple à Jacques Risso est proprement stupéfiante! Comment un IEN peut-il mêler ainsi rumeurs, délation, courrier personnel détourné au mépris de la Loi, dessins et caricatures de presse utilisés également au mépris de la Loi, j'en passe et des meilleures... ? C'est ahurissant. Je n'en reviens toujours pas. Mais c'est bel et bien symptomatique. Le lien est brisé. Et on n'a pas fini de voir des recours en CHSCT.

Je l'ai déjà écrit dans de nombreux billets: en dehors de leur rôle premier d'inspection et de conseil pédagogiques, dans lequel les IEN doivent retourner pour n'en surtout plus sortir, il est nécessaire de donner aux directeurs d'école la pleine et entière gestion de leur établissement. Un directeur reconnu statutairement, reconnu juridiquement, à la mission clairement définie et précise, saura mieux que personne gérer son école et le temps des personnels qui y travaillent. Il sera toujours le mieux placé pour apprécier les diverses situations auxquelles sera confronté son établissement, et saura comme personne prendre les décisions qui s'imposent. La direction d'école est une mission primordiale, elle doit être reconnue et personne ne doit pouvoir s'y interposer ni s'en défier sans valable raison.

De même il y a plus qu'urgence à nettoyer furieusement des programmes qui sont devenus si enflés que tels la grenouille de La Fontaine ils vont finir par éclater. Les méthodes de travail aussi doivent être revues: accompagnons nos élèves, ne laissons jamais aucun enfant au bord du chemin, accordons à chacun le temps qui lui est nécessaire pour acquérir pleinement connaissances et compétences, au lieu de se contenter de constater et évaluer des carences qui finalement sont celles de l'école elle-même.

Et cessons de croire, ou de faire semblant de croire, qu'avec le temps les choses ne peuvent que s'améliorer. L'école primaire publique est malade, elle étouffe sous son propre poids, certains de ses membres sont gangrenés. On dit qu'il n'est jamais trop tard pour intervenir. Mais j'ai quand bien peur que les remèdes de bonne femme qu'on veut aujourd'hui lui appliquer ne soient que quelques cautères sur une jambe de bois.

mercredi 25 septembre 2013

L'affaire Risso...


Si je fais dans le titre de ce billet une allusion claire à "l'affaire Dreyfus", ce n'est pas par hasard. Certes il faut toute proportion garder, et la gravité des évènements actuels n'a évidemment pas de mesure avec le drame national que fut à la charnière du XXème siècle le déballage hystérique et antisémite qui divisa la France.

Je vois néanmoins avec le procès en sorcellerie qui est fait à notre collègue Jacques Risso de nombreux similarités. A commencer par un dossier à charge totalement ahurissant, mêlant courriels personnels, dessins de presse, rumeurs et dénonciations. De quoi aussi largement diviser, et semer la panique dans un village qui pour beaucoup d'entre nous prend soudain une place particulière sur la carte de France. Je ne savais pas où était Rustrel, je n'en connaissais pas l'existence, et j'aurais préféré en percevoir la beauté par d'autres biais qu'une affaire aussi lamentable.

Le fond de l'affaire est clair: des familles ont contacté la cellule "Stop Harcèlement" du rectorat d'Aix-Marseille pour "dénoncer" une prétendue mauvaise gestion par Jacques Risso d'une histoire de harcèlement entre élèves. Ne nous leurrons pas, cela peut arriver, les cas de harcèlement réels sont graves. Et il est parfaitement plausible qu'un directeur d'école ne sache pas en gérer un, ou préfère ne pas le voir. Ce n'est pas là-dessus que je veux mettre un doigt accusateur.

Que se passe-t-il concrètement dans ce genre de cas? Le rectorat, qui représente directement le ministère de l’Éducation nationale, renvoie l'affaire vers le Directeur Académique (DASEN), qui se renseigne auprès de l'IEN concerné, et prend alors les premières mesures qui s'imposent. C'est là que le bât blesse: si l'IEN a de larges épaules et fait confiance à son directeur d'école, il le contactera, essayera d'en savoir plus, afin de vérifier ce qu'il en est et connaître son point de vue; puis il montera son dossier et le remettra au DASEN qui prendra alors ses responsabilités. J'ai personnellement connu une affaire similaire -toutes proportions gardées- à mes débuts en direction d'école il y a une quinzaine d'années, affaire qui s'est réglée rapidement sans conflit à la satisfaction de tous. Mais mon IEN m'avait contacté et me faisait confiance. Et il n'existait pas une plate-forme internet de dénonciation comme celle dont nous constatons aujourd'hui la perversité.

C'est manifestement ce qui a fait la différence dans le drame personnel que vit actuellement notre collègue. Son IEN a monté un énorme dossier de deux cent pages en y mêlant tout ce qui devait l'irriter depuis des années: petits dessins dénonciateurs de JAC, histoires et rumeurs diverses, etc. J'ai déjà expliqué dans un précédent billet que les caricatures de presse de JAC relevaient de la liberté d'expression, et qu'en aucun cas ils ne devraient se trouver dans un dossier de cette nature, d'abord parce que "la liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires" selon l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983. Ensuite parce qu'ils n'ont rien à voir avec un harcèlement entre élèves qui aurait éventuellement pu avoir lieu.

Un deuxième détail fort gênant, extrêmement grave également, est la présence dans ce fameux dossier de courriels "échangés de la boîte mail personnelle de Monsieur Risso vers une boîte mail hors la messagerie académique en ac-aix-marseille.fr et totalement hors temps de service" (je cite Chantal Fassié, qui défend Jacques Risso pour Force Ouvrière). Je rappelle que la Loi est extrêmement claire en ce qui concerne le courrier personnel, et qu'il est hors de question qu'un employeur quelconque, fonction publique ou entreprise, intercepte le courrier personnel d'un de ses employés sans qu'il le sache. C'est la Cour de cassation qui nous le dit en 2009:

"...l’employeur ne peut ouvrir les messages identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé..."

Je suis effaré que pour constituer un dossier à charge son IEN se permette donc d'y inclure des pièces dont la loi interdit l'usage et qui de plus n'ont rien à voir avec les faits reprochés à Jacques Risso! N'importe qui saura apprécier le procédé, pas la peine d'être avocat pour avoir des haut-le-cœur devant de tels agissements. Que cette IEN se soit également permis de présenter en public la mise à l'écart de Jacques comme une "mesure disciplinaire" est extrêmement grave, mettant à mal la présomption d'innocence accordée à tout citoyen, fonctionnaire ou non, et de plus un absolu mensonge indigne d'un fonctionnaire d'autorité.

Le DASEN du Vaucluse, qui je le rappelle arrivait tout juste d'un autre département, a fort logiquement au vu du dossier pris en urgence les "mesures conservatoires" qui s'imposaient et qui sont de mise lorsque l'intégrité professionnelle d'un personnel de l’Éducation nationale est mise en cause. Soit une mise à pied immédiate, et sans en donner aucunement la raison au principal intéressé. Si le procédé est cavalier, il n'est hélas pas rare dans l’Éducation nationale. Ce qui ne signifie pas qu'ils soit justifié. Et ce que ne savait pas le Directeur Académique à cet instant, c'est qu'il allait se retrouver avec dans les mains une patate chaude particulièrement difforme...

J'évoquais plus haut la perversité de la plate-forme "Stop harcèlement" mise en place par le ministère. Elle montre ici largement ses limites. Elle n'est qu'une porte ouverte aux rumeurs et aux malfaisances. Ce système, comme la fameuse "veille internet" du ministère, s'il a des oreilles n'a pas de cœur! N'importe quel fait imaginaire peut par ce biais froidement redescendre tel un couperet vengeur sur un enseignant ou un directeur d'école. Que dis-je! Qu'il soit ou non l'origine des faits ou l'objet des rumeurs, le directeur d'école prendra nécessairement tout dans les dents, car sans statut, sans existence juridique, sans reconnaissance administrative, sans mission et responsabilités clairement définis, il sera toujours tenu pour responsable, même en dépit de toute logique. Ce genre de "plate-forme" n'est que l'équivalent contemporain des lettres de dénonciation que notre pays a connues en d'autres temps. C'est moderne, c'est facile, et ça a le même goût. Car le principe court-circuite sans état d'âme toute la logique humaine qui consiste à s'adresser d'abord au directeur de l'école pour se plaindre, puis à l'IEN en cas de désaccord, et enfin au DASEN si le parent concerné s'estime incompris ou lésé. A chaque étape la procédure peut s'arrêter, des mesures peuvent être prises, des interventions adaptées décidées. Avec les "plate-formes" qui se multiplient, rien de tel, l'humain est nié au profit de l'administratif centralisateur et borné, le tout au nom de la justice -mon Dieu!- et de l'efficacité. Nous en crèverons tous.

Je ne peux que maintenir mon complet soutien envers Jacques Risso, cette histoire est trop ahurissante pour que je laisse tomber un collègue qui du jour au lendemain voit son intégrité professionnelle et ses compétences remises en cause, qui se retrouve écarté de son école, de sa classe, de ses élèves... De quoi être encore un peu plus dégoûté d'un système inhumain, paternaliste et castrateur. J'espère qu'il s'en sortira, non seulement la tête haute, mais aussi sans haine ni découragement. Car au-delà du drame professionnel que peut représenter pour un enseignant confirmé une mise à l'écart aussi brutale, c'est aussi et surtout un drame personnel que vit Jacques actuellement. Tiens le coup, mon vieux, nous sommes là!

Je pense aussi et j'apporte mon soutien au village de Rustrel, en lui souhaitant de retrouver rapidement une sérénité mise à mal par certain désir vengeur de mettre au pas le directeur de son école.

Mais pensez-y bien, chers collègues directeurs d'école: aucun d'entre nous ne sera à l'abri d'une histoire de ce genre tant que nous n'aurons pas de statut clair et définitif. L'épée de Damoclès est au-dessus de nos têtes.

samedi 21 septembre 2013

Dernières nouvelles du front...


La rentrée a trois semaines, et s'il est trop tôt pour en tirer quelque conclusion définitive, on peut du moins fortement nuancer les appréciations officielles qui nous furent susurrées dès le premier jour par divers ministres, appréciations proches de la méthode Coué et qui m'ont fortement rappelé un sketch célèbre de Dany Boon "Je vais bien, tout va bien!"...

Moi je trouve que c'est le bordel. Mais bon, c'est un sentiment tout personnel, hein. Et puis traînent aussi quelques odeurs nauséabondes qui me gênent un peu...

D'abord, en ce qui concerne les écoles qui sont passées au nouveau rythme de quatre jours et demi, il semble que le système soit franchement bancal, ce qui était logique vue la franche impréparation de la chose. Tout ce fatras, au lieu de diminuer la fatigue des élèves, aurait plutôt tendance à l'accentuer. On verra à la Toussaint, mais pour l'instant c'est plus proche d'un joyeux foutoir que d'autre chose. Ce qui me remet en tête -décidément!-un dessin de Martin Vidberg qui prend aujourd'hui tout son sens (cliquez dessus pour l'agrandir):


Je ne parlerai pas, pour ne fâcher aucun collègue surmené, des emberlificotis amenés par la gestion des temps périscolaires, chaque élève du primaire étant aujourd'hui à se poser dès la fin des cours la question récurrente: "Euh... je vais où maintenant moi?" Passe pour un CM2, mais pour un CP... Mes confrères directrices et directeurs d'école s'amusent avec leurs listes pour savoir qui fait quoi, entre les TAP organisés par les municipalités, les APC organisées par l'école, ceux qui rentrent chez eux, ceux qui vont en garderie... Qu'est-ce qu'on rigole! Je vous le dis, directeur d'école est un métier d'avenir. Gérer les 108 heures annuelles que doit chaque enseignant en plus de son temps d'enseignement est un pur bonheur quand on n'en a aucune maîtrise. Quand le ministre se décidera-t-il à laisser aux dirlos cette gestion au lieu d'intercaler là-dedans des IEN qui ne pannent que couic aux besoins d'une école?

Quoique... Cette gestion, si on tient compte des décharges de direction d'école qui varient au gré du nombre de classes et des besoins des enseignants en formation qui les assurent, des heures à mettre à droite ou à gauche et qui varient aussi selon les dernières directives ou lubies ministérielles -temps de formation à distance sur internet, trois heures à prendre sur les 24 de réunion prévues dans les 108 pour répondre à un sondage sur les programmes dont on se demande bien à quoi il va servir, etc-, et je ne vous dis pas si vous avez un représentant syndical déchargé dans votre école, bref cette gestion est devenue quasi incompréhensible! Je fais pourtant partie des initiés, et je suis très organisé. Mais là... Quel bordel!

Et puis, dans le rayon "odeurs nauséabondes qui empêchent de travailler sereinement", il y a cette histoire de Jacques Risso dont je parlais dans mon billet précédent et qui commence à prendre de l'ampleur. La mobilisation s'organise et commence à largement dépasser le cadre de l’Éducation nationale. La presse et les médias s'y mettent (ici, , ou ), un comité de soutien dans le village de Rustrel se réunit cet après-midi, la blogosphère, où les enseignants pullulent, se mobilise aussi autant pour des raisons pédagogiques que de principe (ici, , ou , là encore, et ici, il faut dire que depuis des années, outre ses dessins, Jacques Risso partage beaucoup de fiches pédagogiques et a aidé beaucoup de monde), comme d'autres enseignants caricaturistes connus sur le net (merci Jack Koch), et même Pierre Frackowiak, célèbre dans le monde de l'éducation, y est allé sur sa page Facebook d'un billet rageur. Ses mots, très durs, méritent d'être cités:

"Jacques Risso, directeur et enseignant expérimenté, dont le travail a été reconnu dans les rapports d'inspection officiels, qui n'a jamais l'objet de sanction, d'avertissement, de menaces formelles, a été suspendu de ses fonctions dans des conditions déplorables. On a mis le feu dans l'école et dans le village et on l'entretient dans des conditions choquantes de la part de responsables du système.

On prétend que la mesure certes conservatoire mais on condamne Jacques Risso, au mépris du travail réalisé au cours de toute sa carrière, au déshonneur et à l'angoisse pour lui et pour ses proches. Le mal est irréparable. On prétend que la mesure n'a aucun rapport avec sa liberté d'expression et ses dessins, mais tout au long de son « dossier KGB » rassemblé à l'inspection académique par une personne qui ne peut être qu'un spécialiste de ces pratiques policières, on lit des critiques de l'expression de ses désaccords avec les politiques mises en œuvre par MM Darcos et Chatel, de son humour considéré comme de la déloyauté et de la désobéissance aux ordres.

Le motif officiel qui n'occupe qu'une petite partie du dossier est une affaire de harcèlement psychologique entre quelques enfants. Je ne conteste nullement la gravité de telles situations complexes et le devoir impérieux de protéger les intérêts de chaque enfant. Mes 30 ans de carrière d'inspecteur et de pédagogue, mes recherches et mes observations sur le fonctionnement du système, me permettent d'affirmer que

1° si tous les directeurs qui rencontrent des problèmes de ce genre et qui font de leur mieux pour protéger et les enfants et l'école étaient sanctionnés comme l'est de fait Jacques Risso, il n'y aurait plus beaucoup de directeurs en poste en France. L'affaire Risso risque fort d'ailleurs de dissuader de très nombreux collègues de postuler sur des postes dont les charges et la complexité n'ont cessé de s'accroître

2° si Jacques Risso a été en difficulté, c'est que ses supérieurs ont failli. Plutôt que de l'accompagner et de l'aider, voire de prendre les choses en mains intelligemment dans l'intérêt des enfants, de l'école et de la communauté éducative, on a eu de cesse de vouloir profiter de ce problème qui peut surgir dans toutes les écoles de France pour régler des comptes. Comme l'a dit une responsable locale, bien mal conseillée au niveau supérieur : « Il se croyait intouchable, cette fois, on va l'avoir » Ce sont ces supérieurs qui méritent d'être sanctionnés pour incompétence et acharnement injustifiable.

On ne l'aura pas.

L'affaire Risso n'est qu'un aspect de cette continuité imposée par un encadrement dont le sevrage avec les politiques ultra libérales autoritaires précédentes est long et difficile.

Nous allons nous mobiliser. Nous allons interpeler le DASEN nouvellement nommé, sans doute ravi d'arriver dans ce magnifique département du Vaucluse, qui n'a aucune responsabilité dans cette affaire mais qui est un peu contraint pas des solidarités de corps et qui hérite d'une véritable bombe. Nous allons alerter le ministère dans les meilleurs délais. Nous allons apporter notre aide aux organisations syndicales qui soutiennent Jacques Risso. Nous aiderons le comité de soutien qui se met spontanément en place malgré la campagne de désinformation organisée en direction des enseignants du secteur."

J'ai retrouvé un vieux dessin de Jacques, datant de 2005, qui ne concernait pas directement évidemment cette histoire, mais qui prend une autre dimension aujourd'hui (cliquez dessus pour l'agrandir):


Je plains, sincèrement, le DASEN du Vaucluse, qui est arrivé pendant les dernières vacances -son arrêté de nomination est paru jeudi dernier seulement au Bulletin Officiel-, et qui se retrouve avec cette histoire absurde sur les bras. Espérons qu'il saura l'arrêter avant qu'il soit trop tard.

Voilà donc les dernières nouvelles du front. Être directeur d'école en 2013 n'est toujours pas une mission enviable. Corvéables à merci, et jetables après usage sans avertissement ni frais, les directeurs d'école restent les rouages incompris mais indispensables d'une machine qui peut broyer sans état d'âme n'importe quel individu. Soyez-en conscients, vous qui voulez remplir aujourd'hui cette pourtant si belle mission, vous serez toujours tenus pour responsables de tout ce qui peut se passer dans votre école, voire au-delà si une administration aveugle a décidé de vous mettre au pas: le diplodocus cherche des serviteurs muets, pas des individualités conscientes et inventives, en dépit de tous les discours sur l'école innovante qu'on nous prodigue continuellement dans les médias. Sachez que par essence votre hiérarchie ne vous fait pas et ne vous fera jamais confiance, du moins tant que la direction d'école n'aura pas été rénovée. Mais j'ai bien peur de faire là un vœu pieux...

mercredi 18 septembre 2013

Une histoire peu claire...


Notre collègue Jacques Risso, directeur et enseignant de l’'école du village de Rustrel, dans le Vaucluse, a été suspendu de sa mission de direction d'école la veille de la rentrée scolaire.

Jacques, vous le connaissez sous le pseudonyme de Jac. Jac propose sur son site de nombreux dessins et caricatures pour dénoncer l'absurdité quotidienne d'une direction d'école sans statut, et par conséquence malheureusement à la merci de tout et de tous.


Ce qui lui arrive est une triste illustration du fait que le directeur d'école, esclave d'une administration qui n'aime pas qu'on la dérange, est souvent le bouc émissaire d'une situation que l’Éducation nationale ne peut pas dénouer sans avouer son incompétence. Sans statut, les directeurs d'école sont des fusibles pratiques, qui court-circuitent le cheminement normal de problèmes qui s'ils suivaient un parcours logique devraient monter beaucoup plus haut dans la hiérarchie de l’Éducation nationale. Car le directeur d'école, rappelons-le, n'est qu'un enseignant chargé de mission, qui injustement prend les coups si un adjoint fait n'importe quoi ou si un accident survient. On lui reprochera de n'avoir pas su "diriger son école" ou "prévenir une situation", alors qu'il n'a aucune des armes nécessaires pour le faire: formation adaptée, statut hiérarchique, pouvoir de décision, etc. Techniquement, quand arrive un problème, c'est le supérieur hiérarchique qui devrait en subir le désagrément, soit l'inspecteur de la circonscription (IEN). L’Éducation nationale a donc inventé et mis en place ces opportuns lampistes que sont les directeurs d'école, faciles à balancer après usage tels de bien pratiques kleenex. C'est ainsi que depuis des années le diplodocus préfère sacrifier ses directeurs plutôt que se poser la question de l'efficacité de son fonctionnement.

Cette rentrée n'a pas failli à la règle des sacrifices rituels, que ce soit à Lucé où la directrice, accusée de harcèlement et de maltraitance sur enfants, a été rapidement blanchie par la Justice mais déplacée quand même (de son propre choix peut-être, il faut l'admettre), ou à Rustrel pour Jacques Risso.

Concrètement, l'histoire de ce dernier est peu claire. D'abord, suspendre un directeur d'école la veille de la rentrée est une décision étrange: si incompétence il y a, pourquoi attendre si tard? Ensuite les faits qui lui sont reprochés manquent de clarté. Pour mieux appréhender ce salmigondis indigeste, il faut écouter le reportage de France Bleu du lundi 16 septembre, qui est éblouissant par son obscurité! Il s'agirait d'une vague histoire de harcèlement entre élèves, dénoncée par des parents sur une plate-forme internet... Certes le harcèlement existe, et dans l'enseignement les directeurs d'école en sont bien souvent les victimes, comme le dénonçaient récemment Eric Debarbieux et Georges Fotinos. Coincés de tous côtés entre une administration qui change d'avis comme de chemise et exige constamment rapports et justifications superfétatoires, des adjoints qui pour certains perçoivent le directeur comme un ennemi, et des familles déboussolées et parfois difficiles, les directeurs d'école n'ont pas la partie facile.

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Mais entre élèves aujourd'hui... souvent les parents trouvent plus facile de voir une situation de harcèlement dans un simple conflit entre enfants qui sans leur intervention n'aurait peut-être aucun lendemain. Quand je pense aux peignées que mes condisciples et moi-même nous mettions à la sortie de l'école! Mais nous ne risquions pas d'en parler à nos maîtres ni à nos parents. Le harcèlement entre élèves existe, le racket aussi, je ne veux pas minimiser les faits. Néanmoins leur inflation aujourd'hui me parait plus que douteuse. Surtout lorsque, c'est si facile, il s'agit de rumeurs et états d'âme parentaux étalés sur internet. C'est comme pour les enfants de quatre ans: même s'ils se font mal en tombant sans aucune intervention extérieure, ils chercheront et désigneront un responsable afin de satisfaire leurs géniteurs, qui ne peuvent admettre que leur descendance puisse se casser la gueule toute seule (je vois ça plusieurs fois chaque année...).

Encore une fois le reportage de France Bleu est édifiant. C'est la Direction Académique du Vaucluse qui a pris la décision de suspension à l'égard de Jacques Risso, et le moins qu'on puisse dire est que son discours est embrouillé: "une plainte sera -serait- déposée"... Donc pour l'instant il n'en est rien! Il s'agit donc d'une suspension préventive? Je ne connaissais pas l'existence d'une telle mesure... Même en droit commun un juge ne propose une détention préventive qu'en cas de flagrant délit. L’administration de l’Éducation nationale fait fort! D'autant que cette plainte reste hypothétique, pour des faits hypothétiques en l'absence d'enquête approfondie. J'apprendrais sous peu que les parents concernés sont anonymes que cela ne m'étonnerait pas. Mais l'IEN de la circonscription de Jacques Risso aurait un dossier de... 200 pages! Waouh! Rien de moins! Ce n'est plus un dossier, c'est un acte d'accusation, cela doit faire plusieurs décennies que les élèves de l'école de Jac s'entretuent sans qu'il intervienne...

Pour la Direction Académique du Vaucluse, cette suspension vise à mettre Jacques Risso à l'abri de familles qui pourraient éventuellement devenir vindicatives. Alors pourquoi s'est-il créé dans son village de Rustrel un comité de soutien (qui se réunira le 21 septembre prochain, pour tout contact soutien.risso@gmail.com) ? Et puis, ce serait bien la première fois que l’administration de l’Éducation nationale prendrait tant de soin d'un de ses agents. Pourquoi alors ne pas le lui avoir dit avant de le faire, et l'avoir suspendu sans explication? Cela sent largement son argument fallacieux de la part de gens bien enquiquinés par la tournure que prend cette histoire. Car Jacques Risso, rappelons-le, n'est pas n'importe qui. Dessinateur attitré du GDiD et souvent de certains syndicats, Jac depuis des années soutient comme moi -comme nous- l'idée que les directeurs d'école doivent avoir un statut spécifique et clair. Son arme étant le dessin, au même titre que la mienne est la plume (ou le clavier), il raconte régulièrement les avanies que nous subissons, ses caricatures et ses traits acérés n'épargnent personne. Il semble bien que dans le dossier à charge contre lui se trouvent un certain nombre de ses dessins, si on en croit Force Ouvrière qui le soutient activement dans sa défense, ou le reportage de France Bleu dans lequel la Direction Académique nie que ce soit le caricaturiste qui soit visé, avec force mais beaucoup de maladresse.

Car il s'agit là d'un fait extrêmement grave, et s'il est avéré l'IEN va à l'encontre de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983, qui s'exprime de manière on ne peut plus simple : "La liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires." C'est Anicet Le Pors, qui fut ministre de la Fonction publique de 1981 à 1984, qui l'exprime le plus clairement:

Ainsi, l'obligation de réserve ne figure pas dans le statut général et, à ma connaissance, dans aucun statut particulier de fonctionnaire, sinon celui des membres du Conseil d'Etat qui invite chaque membre à "la réserve que lui imposent ses fonctions".

Néanmoins,

Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tout ce dont ils ont connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions.

Il s'agit donc de savoir, si des dessins de Jacques Risso apparaissent dans le dossier à charge, si ceux-ci ont servi à colporter des faits qui auraient dû ne pas être divulgués. Mais dans ce cas, pourquoi la Direction Académique s'en défend-elle? Pourquoi alors un dossier de 200 pages pour un cas de harcèlement éventuellement mal traité -ce dont d'ailleurs Jacques Risso lui-même se défend vigoureusement-? Bref, cette histoire commence à sentir mauvais. Il est clair que je vais essayer de la suivre de près, car toute tentative d'intimidation à l'encontre de Jacques Risso pour des raisons autres que de réelles omissions, maladresses ou erreurs, alors peut-être justifiée mais qui une fois de plus marquerait le peu de considération qu'a notre administration pour ses directeurs d'école, me paraitrait difficile à supporter, moi qui tiens ce blog certes dans un esprit différent mais pour des raisons similaires. Ferais-je donc bien de le conserver anonyme? J'ai plusieurs fois failli me percer à jour, j'ai peut-être bien fait de ne pas y donner suite. Il semble bien que la liberté de s'exprimer reste très mal vue par une administration qui conserve vaille que vaille nombre de réflexes staliniens.

Jacques, je te garde toute ma considération et mon estime. S'il faut te défendre contre le fait du Prince ou tout abus de pouvoir, je le ferai, et je ne serai certainement pas seul. Les directrices et directeurs d'école de ce pays en ont définitivement marre de se faire exploiter, conspuer, martyriser par tous. Seras-tu le déclencheur d'un mouvement d'envergure? Je ne le souhaite pas, mais je ne m'y soustrairai pas non plus.

mardi 17 septembre 2013

Sortir la tête de l'eau!


Difficile de ne pas se noyer en ce moment quand on est directrice ou directeur d'école. Se partager entre sa classe, les responsabilités croissantes de la mission de direction, l'organisation des élections et des APC, la fin de la gestion de la rentrée avec ses joyeusetés (fiches de renseignements, assurances, Base-élèves, Arc-en-Ciel, gestion des 108 heures, j'en passe et des meilleures...), c'est à coup sûr accumuler les heures de travail, mal dormir et avoir le cerveau qui bouillonne.

Le lexomil n'étant pas une solution, il vous faut apprendre à vous relaxer. Inutile d'essayer de le faire dans votre bureau lorsqu'il est accessible, vous serez définitivement tenté de remplir les cases d'un tableau Excel ou de finir ce courrier que vous auriez dû envoyer depuis trois jours.

Non, la seule solution, c'est de dire "Stop!". Vous arrêtez, tout peut attendre. L'urgence ne peut être que celle que l'on se donne. Vous n'êtes pas surhumain, on ne peut pas vous réclamer plus que vous ne pouvez faire. Vous n'êtes pas non plus à l'abri de la surchauffe. Alors sachez vous arrêter, lâcher la pression, dire à tout le monde qu'aujourd'hui vous en ferez le minimum, ou que vous ne vous occuperez que de votre classe, ou... c'est selon votre organisation. Trouvez des plages de calme, voire de néant, c'est une question de survie! Vous devez tenir le coup jusqu'en juillet 2014, alors soyez raisonnable. Votre effondrement ne servirait à personne, et surtout pas à vous. Pensez à votre famille, à votre époux ou épouse, à vos enfants, à vos amis. Le week-end, laissez tout tomber, encore une fois il n'est rien qui ne puisse patienter quelques heures.

Soufflez!

Et puis adhérez ou ré-adhérez ou GDiD. Dès cette semaine son bureau commence à travailler avec le ministère en vue des négociations à notre sujet. C'est le nombre qui depuis des années fait notre force, il nous faut l'amplifier face à certains syndicats qui prétendent savoir mieux que nous ce qui peut nous convenir. Et puis l'argent c'est le nerf de la guerre: monter à Paris pour travailler au 110 de la rue de Grenelle, cela coûte des sous! Et il faudra y aller plusieurs fois pour que tous entendent notre voix, celle des directrices et directeurs d'école qui n'en peuvent plus de notre situation absurde. Pas d'hésitation, ce ne sont que 20€.

Allons, il faut tenir le coup!

dimanche 15 septembre 2013

La DEPP occulte...


La DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance), organe interne à l’Éducation nationale chargé comme son nom l'indique d'évaluer le fonctionnement du diplodocus, fait paraître régulièrement -sauf si on l'en empêche comme le faisait avec allégresse certain gouvernement récent "de droite"- des études et autres "notes d'information" dont l'intérêt et la pertinence varient selon la connaissance du sujet et le sérieux de la recherche.

La DEPP a fait paraître mi-juillet une note sur le temps de travail des enseignants du 1er degré. Le public, les politiques et les médias étant persuadés que les professeurs du primaire baguenaudent avec insouciance en profitant d'incommensurables loisirs, je ne peux que saluer l'initiative.

Néanmoins, lecture faite, je reste très dubitatif quant aux chiffres présentés par cette note, et fort circonspect quant à la pertinence des observations concernant les directeurs d'école. Oui, la direction d'école étant mon cheval de bataille, je suis évidemment très pointilleux sur le sujet.

D'abord la méthode empirique utilisée pour connaître le temps de travail, celle du sondage, ne me parait pas convenable. Basée sur le ressenti des enseignants, elle amène à fortement surestimer les heures hors élèves passées à la préparation, la correction, ou l'accueil des familles. Quand j'écris "surestimer", je suis gentil, je devrais utiliser le terme "exagérer". Mais curieusement la moyenne de 44 heures de travail que la DEPP met en avant correspond à peu de chose près aux chiffres avancés par les centrales syndicales, ce qui en cette période de négociations marque une synchronicité certainement louable mais qui me laisse dubitatif...

Baste! Admettons. De toute façon il est clair que les enseignants du primaire font largement plus que leur temps de travail en présence des élèves, beaucoup doivent approcher les trente-cinq heures, voire plus. Plus d'abord pour les débutants dans la carrière, la DEPP enfonce là une porte ouverte, car il est évident que l'âge et l'expérience amènent une meilleure efficacité. Mais peut-être était-il nécessaire de l'écrire.

En revanche, ce qui me fait fortement râler, c'est la façon dont est exprimé le temps de travail des directeurs d'école. La note de la DEPP présente avec assurance que (je cite)

Pour faire face aux missions d’animation de l’équipe pédagogique, de lien avec les parents d’élèves et les partenaires extérieurs à l’école, ils bénéficient de décharges de service, dont la quotité est fonction du nombre de classes.

et enfonce le clou en précisant

Les directeurs d’école bénéficient d’une décharge complète, d’une demi-décharge ou d’un quart de décharge selon le nombre de classes et le type d’école où ils exercent.

Mais bien sûr, Madame la Marquise! C'est un peu léger en besogne. Que le public croie que tous les directeurs d'école sont les supérieurs hiérarchiques de leurs adjoints et sont payés comme les chefs d'établissement, c'est une chose; mais qu'un organe interne à l’Éducation nationale colporte l'idée que tous les directeurs d'école bénéficient d'un temps de décharge, c'est un peu léger! Il faut être la DEPP pour oser occulter ainsi 40 % des directeurs d'école, qui n'ont aucun temps de décharge sinon deux jours en début d'année royalement accordés par l'administration du haut de sa magnificence... quand ils les ont!

Bref, la note de la DEPP noie absolument le poisson, mixant et broyant tous les enseignants du primaire dans le même bol, directeurs compris, et veut faire accroire que les directeurs d'école travaillent autant que leurs adjoints, mais certainement pas plus. Que mes collègues, qui ont passé largement une ou deux semaines de leurs grandes vacances dans leur école à boucler leur année scolaire dernière et à préparer la présente, qui depuis cette rentrée sont dans leur bureau jusqu'à 19h au mieux, qui s'arrachent les cheveux depuis quinze jours à galoper dans tous les sens, sachent bien que pour ma part je ne suis pas dupe de ce genre de document qui accrédite l'idée que les directeurs d'école sont "des enseignants comme les autres", et qu'il n'y a aucune raison de considérer la mission de direction d'école comme un métier à part. Oui, être directeur d'école en 2013, c'est faire un métier particulier, spécifique, indispensable et précieux, un métier qui mérite mieux que quelques prétendus et fort légers avantages ou de vagues indemnités chichement consenties. Qui peut croire, si je ne prends que mon cas, que je ne travaillerais pas plus que mes collègues alors que sans aucune décharge je dois faire classe six heures par jour, préparer le travail de mes élèves, et par-dessus le marché gérer l'école? Rencontrer les partenaires, prévenir les dangers, organiser le temps de travail de tous -dont maintenant les APC-, etc, cela se ferait donc par l'opération du Saint Esprit? Allons donc, soyons sérieux voulez-vous...

Je n'aime pas ce genre de document au moment où les négociations sur le statut des directeurs d'école et leur mission vont débuter, alors que parallèlement le GDiD est officiellement convié à travailler en amont avec le ministère -et dès le 19 septembre prochain si je ne m'abuse-. Je n'aime pas quand on cherche à manipuler l'opinion et celle des enseignants à la veille d'un si important rendez-vous, juste pour brosser les centrales syndicales dans le sens du poil...

C'était ma râlerie du dimanche.

mercredi 11 septembre 2013

Dieu que cette rentrée est difficile!


Pour diverses raisons inhérentes à l'école dont je suis directeur, cette rentrée 2013 est particulièrement compliquée, et fatigante. Je ne suis certainement pas le seul à devoir quotidiennement, outre redonner à mes trente loupiots de quatre et cinq ans le sens de fonctionnement de la classe (être calme, ne pas crier, ne pas courir...), gérer une multitude de petites choses énergivores: organiser ci, régler ça, préciser ceci, rectifier cela. C'est chaque minute de mon temps de professeur/directeur qui est pris par une action ou la nécessité d'une réflexion pour que cette école -nom de nom!- tourne correctement.

Et puis, il y a évidemment les nouveautés, APC en tête. Ces magnifiques Activités Pédagogiques Complémentaires sensées compléter les journées déjà bien pleines de mes élèves, alors que ma commune d'exercice fonctionne toujours sur quatre jours. Si je calcule bien, mes pitchounes auront parfois des journées de sept heures ou presque... Bel exploit! L'année 2013-2014 s'annonce prometteuse. Mais admettons. Ceci écrit, il va bien me falloir les organiser, ces APC. Et ce ne sont pas les six heures que l'administration m'autorise royalement à rabioter sur les trente-six d'APC qui vont m'aider, moi qui ne suis déjà pas déchargé pour ma mission de direction. Cela va être du joli, les soirs où je serai professeur/organisateur/directeur, avec mes trois casquettes pour encadrer, surveiller, et remplir simultanément mes devoirs de directeur d'école. J'attendais quand même mieux. Quand on a entendu certains hauts responsables du ministère admettre que ces APC étaient "incompatibles" (sic) avec la mission de direction d'école, c'est un peu fort de café de constater que pour autant nous n'en sommes pas dispensés. Allez comprendre! Tout ça en fait pour ménager des syndicats d'enseignants dont la plupart ne peuvent pas nous piffer. On pourrait faire des affiches à coller dans les écoles -c'est à la mode-: "Devenez directeur, ce n'est que du bonheur!".

Tiens voilà que je parle des syndicats... Cela faisait longtemps. Après la faillite prévue de la grève du 10 septembre sur la réforme des retraites, les centrales essayent de trouver coûte que coûte un moyen de mobiliser des troupes qui n'en ont plus rien à taper de la représentation syndicale. Syndicaliste aujourd'hui, ce n'est pas toujours une sinécure, certains vont devoir quitter leurs pantoufles s'ils veulent avoir quelque audience lors des élections professionnelles de 2014. Et puis les négociations quant au statut des professeurs vont s'engager ce trimestre, il faut avoir des billes et ne pas passer pour le dernier des crétins, ou pire se faire laminer par des interlocuteurs inattendus.

De ce point de vue, la question de la direction d'école est extrêmement importante, car si la majorité des professeurs des écoles reste silencieuse et peu intéressée par la question du statut des fonctionnaires en général, les directeurs d'école restent eux mobilisés et virulents. Quand on sait l'importance qu'a l'opinion d'un directeur au sein de son école, certains syndicats ont du souci à se faire.

Alors on voit aujourd'hui des centrales tenter de faire croire à leur intérêt pour la question, tel le SNUipp qui s'adresse encore une fois aux enseignants, par le biais d'un soi-disant sondage sur le net parfaitement partial, pour connaître prétend-il notre opinion sur la direction d'école. Comme si depuis des lustres les sondages, rapports et autres enquêtes ne s'étaient pas accumulés. Mais comme systématiquement les mots "statut des directeurs d'école" reviennent sur le tapis, et que cela ne plait pas à la FSU, les voilà qui font semblant de remettre le couvert. Quelle crédibilité prétendent-ils avoir?

Le GDiD, dont je rappelle que je suis membre, a reçu confirmation du ministère qu'il allait être un interlocuteur privilégié du ministère, travaillant en amont avec lui car en tant qu'association il ne peut participer aux négociations proprement dites. Il va avoir pas mal de choses à dire, en espérant que cette question d'un statut de directeur d'école, cruciale pour la réussite de la "Refondation" voulue par M. Peillon, crève enfin le plafond des peurs et des certitudes.

A propos, puisque je cause du GDiD, il va peut-être falloir que vous pensiez à renouveler votre adhésion, ou à adhérer si vous ne l'avez jamais fait. Le GDiD a besoin d'argent, c'est hélas le nerf de la guerre, alors allez-y  de vos 20 €, cela ne grèvera pas beaucoup votre budget et cela permettra au GDiD d'affronter la période qui s'annonce avec sérénité.

Bon, j'y retourne, j'ai un calendrier à élaborer et des élections de parents à affiner. Bon courage, chers collègues, et surtout sachez lâcher de temps en temps pour faire autre chose, sinon cette mission de direction vous rendra cinglé...

dimanche 1 septembre 2013

Rouages...


On y est, la machine s'est mise en route. L'énorme mécanisme de l’Éducation nationale a commencé à tourner. Ça grince, ça couine de partout, ça manque cruellement de lubrifiant, mais comme chaque année à la même époque les rouages du système s'ébrouent puis s'ébranlent. Il manque des dents à certaines roues, d'autres sont franchement rouillées, quelques-unes, grippées, bougent avec peine mais tentent courageusement de faire ce pour quoi elles ont été construites.

Comme d'habitude, ce sont les plus petits rouages qui se sont mis à tourner les premiers. Les minuscules roues cuivrées se sont élancées avec vigueur et énergie, quelques-unes même tournent à plein régime et depuis pas mal de jour: celles-ci sont appelées les "directrices d'école" et les "directeurs d'école". A leur suite elles ont commencé à entraîner les petits rouages enseignants qui leur sont parallèles.

Tels des mécanismes à tourbillon, les rouages de base sont pour l'instant affranchis de la gravité du système. Ils tournent seuls, sans aide mais sans opposition, rien ne contrarie leur course effrénée pour préparer la rentrée de mardi matin. Si certaines roues plus larges se sont également mises en route, beaucoup d'entre elles effectivement restent pour l'instant sans effet sur la mécanique de base. Elles sont il est vrai trop dépendantes de certains gros rouages qui tournent trop lentement pour avoir une quelconque influence sur le fonctionnement de la machine. Elles n'en sont pas conscientes...

J'ai lu et relu -de nombreuses fois- la merveilleuse nouvelle de Kipling intitulée "Le navire qui s'y retrouve". Chaque élément du bâtiment est convaincu de sa propre importance, mais ce sont les rivets qui tiennent la machine. L’éducation nationale est fort semblable, à la différence que chez Kipling les voix individuelles finissent par se taire pour n'en former plus qu'une, celle du navire entier. On en est loin dans ce ministère.

Concrètement, la plupart des directeurs d'école de France seront lundi en réunion avec leur IEN, afin que la "bonne parole" de la DGESCO et du rectorat descende sur eux telle l'esprit saint lors d'un concile. Je n'utilise pas ces termes par hasard, le fonctionnement de l’Éducation nationale -comme le pointait déjà Pagnol dans "La gloire de mon père"- est étonnamment proche du religieux. Chaque année donc le cérémonial est le même, qui permet aux inspecteurs de parader et de mettre en avant leur obsessions personnelles. Rappelons que de ce point de vue les années Sarkozy furent une splendeur d'injonctions absurdes, de tâches inutiles, de menaces peu voilées. De là à parler de "rentrée apaisée", comme le martèle à l'envi notre ministre adepte de la méthode Coué, il y a néanmoins un fossé. Disons que nous n'avons plus au-dessus de notre tête cette épée de Damoclès qui à chaque rentrée nous faisait nous demander quelle imbécillité avait bien pu être inventée pendant les vacances. C'est certes déjà bien, mais certainement pas suffisant pour nous faire jubiler ou danser la rumba.

Car en ce qui concerne la direction d'école, le bilan de ce qui nous attend, s'il n'est pas proche de zéro, n'en est pour autant que peu éloigné. Un certain nombre d'entre nous bénéficieront d'un EVS, emploi précaire mal rémunéré dont la compétence est loin d'être assurée. Et? C'est tout. C'est peu. C'est même que dalle pour moi, qui dans ma petite école, sans décharge, moins payé que mes collègues avec plus de classes, me taperai toute la journée mes trente mômes de quatre et cinq ans et devrai tenter de remplir vaille que vaille simultanément ma mission de direction. Sans un fifrelin de plus qu'avant, ni plus de temps. Ah! Si, j'oubliais! Le ministère m'octroie généreusement quelques heures à prendre sur les nouvelles Activités Pédagogiques Complémentaires. J'en suis ravi, il y aura six heures pendant lesquelles je ne devrai pas gérer et encadrer en même temps. Que du bonheur! C'est surtout n'importe quoi, moins on a de temps pour faire ce métier de directeur d'école, moins on vous en accorde. Le comble de l'absurdité, mais typique du fonctionnement centralisé et jacobin de ce ministère complètement éloigné des réalités.

D'après M. Peillon, je devrais être au comble du bonheur. Je pense à mes collègues directeurs déchargés qui vont devoir cette année se payer le luxe de former les débutants qui seront sensés les remplacer. Et savent dès maintenant qu'ils ne seront pas déchargés hebdomadairement comme ils en avaient l'habitude... et le besoin! Eux aussi doivent chanter la cucaracha tant ils sont heureux.

Il parait que des discussions vont se tenir prochainement quant à notre mission. Le GDiD y sera présent, même s'il ne pourra légalement négocier. Ce qui laisse un doute quant à ce qui va en sortir. En fait, c'est d'un débat sur le statut général des enseignants dont il est question, celui des directeurs d'école n'en sera qu'annexe. Nous aurons certainement droit à un -terme à la mode déjà dénoncé sur ce blog- "référentiel" de compétences de la direction d'école. Mais sera-t-il vraiment question de nos conditions de travail? Vue la façon dont se réjouissent déjà certains syndicats de mesurettes ridicules prises ponctuellement dans certains départements, je doute que ces discussions aillent bien loin pour reconnaître que la direction d'école est aujourd'hui un véritable métier, qui mérite un statut autrement plus clair, autonome et rémunérateur, que le vague état dans lequel nous stagnons aujourd'hui.

Bref, je suis dubitatif. Je ne suis pas sûr que les différents interlocuteurs des négociations aient vraiment la volonté ou l'intérêt de nous donner le statut qui nous est nécessaire pour la réussite de nos élèves.

Alors, petit rouage courageux que je suis, je vais en dépit des circonstances défavorables et des perspectives limitées continuer à tourner de la façon la plus souple possible, en évitant tant que faire se peut de dévier de ma course, ou les ratés, ou de me casser une dent. Comme tous mes camarades directrices et directeurs d'école, c'est l'intérêt des élèves et des familles qui prime, c'est faciliter le travail de mes collègues qui importe. Les consignes du ministère, de l'IEN, de la DGESCO, en bon fonctionnaire consciencieux je les appliquerai dans la mesure de mes possibilités. De toute façon, je ne suis pas fonctionnaire d'autorité, je n'ai qu'une obligation de moyens, celle de faire du mieux que je peux. Sans en avoir le temps ni l'autonomie, ce ne sera pas plus facile demain que ce l'était hier.

Que peut faire un rouage sans huile?