dimanche 31 mars 2013

Joyeuses Pâques, mes agneaux...


Beaucoup d'enseignants de l'école publique se disent athées, ou tout du moins agnostiques. Une tradition remontant je le suppose à la formation républicaine forte des "écoles normales" créées au 19ème siècle. Pagnol en a très bien parlé, de cette formation qui récusait religion et clergé mais en adoptait toutes les formes et les croyances. Le 20ème siècle en fut même cinglant de drôlerie quand le milieu enseignant suivait avec autant de fanatisme la doxa syndicale et politique de gauche que le clergé des siècles précédents pouvait en apporter à la direction morale de ses propres ouailles.

Les fêtes de Pâques sont des fêtes religieuses. Ce qui n'interdit nullement aux enseignants d'apprécier cette pause de début de printemps. J'avoue que la semaine qui vient de passer et que j'ai évoquée dans mon précédent billet m'a fait accueillir avec soulagement ces quelques jours de repos. J'ai sérieusement besoin de reprendre mes esprits avant de remettre le couvert pour les dernières semaines qui restent avant les vacances: j'étais sur le point, disons-le, de claquer un fusible. Et les retours que j'ai eu suite à mon écrit m'ont montré que la plupart des directeurs d'école de ce pays étaient dans le même état que moi.

Les cloches sont revenues. Je ne parle pas des syndicalistes qui s'excitent en ce moment (je suppose que les beaux jours vont voir refleurir d'ensoleillées manifs), mais bien du fait que les cloches sont restées muettes quelques jours et sonnaient ce matin joyeusement. J'ai eu une éducation religieuse, il m'en reste quelque chose. Mais curieusement, ce n'est pas la résurrection du Christ que nous fêtons en ce jour qui m'est venue en tête, mais le sacrifice d'Abraham.

Mais si, rappelez-vous! Même si vous êtes athée, vous devez connaître cet épisode fameux de l'ancien testament, dans lequel Abraham convaincu par Dieu de sacrifier son fils unique -qui ne l'était pas mais c'est une autre histoire- fut arrêté in extremis par la main d'un ange. Cet épisode épouvantable est symboliquement extrêmement important pour l'histoire des religions.

J'ai le cerveau qui fonctionne parfois bizarrement, et les analogies qui s'imposent à mon esprit sont parfois étranges. Me mettre dans la peau du sacrifié est somme toute logique, la direction d'école dans ce pays étant au plus mal. Mais imaginer M. Peillon, ministre de l’Éducation nationale, dans le rôle du sacrificateur, est peut-être plus osé.

Vincent Peillon prêt à sacrifier les directeurs d'école est retenu par la main du GDiD
(Musée virtuel de la Refondation - Paris)
Merci au Caravage pour le prêt involontaire...

De fait, l'image n'est pas non plus forcément mauvaise. Notre ministre semble sacrifier les directeurs d'école à l'idée qu'il s'est faite de ce ministère. M. Peillon, comme beaucoup d'autres, imagine que les agents de terrain, enseignants comme directeurs, sont d'horribles personnages sur lesquels on ne peut pas compter, qui ne font pas leur boulot, sont toujours en vacances et râlent pour un rien alors qu'ils sont surpayés et bénéficient de la sécurité de l'emploi. M. Peillon se replie, comme ses prédécesseurs, sur les hautes cimes d'un ministère aux effectifs bureaucratiques pléthoriques, et dédaigne avec condescendance les réels acteurs de l'école, ceux qui seraient pourtant les plus à même d'appliquer sur le terrain sa volonté d'évolution.

En bref, Vincent Peillon sacrifie les directeurs d'école sur l'autel de la Refondation.

C'est une fatale erreur. Les directeurs d'école sont les seuls qui puissent évidemment mettre en état de marche les divers changements que Monsieur le Ministre souhaite apporter à l'école primaire de la République, à commencer par les rythmes scolaires qu'il faudra bien organiser. Avec qui les municipalités discutent-elles donc de cette question? Certainement pas avec les IEN ou les DASEN, qui s'ils semblent avoir la haute main sur la question n'y pannent concrètement que couic et surtout n'ont pas l'oreille des élus, loin de là. Les Maires causent le bout de gras avec leurs directeurs d'école, c'est beaucoup et ce sera tout. Vouloir se passer des directeurs d'école, comme semble le faire notre ministre, est une idiotie totale. Alors certes un groupe de réflexion a été installé à la DGESCO, mais la mesure commence fâcheusement à prendre l'allure d'une fumisterie, d'un écran de fumée destiné à cacher le peu d'envie du gouvernement de donner à son école primaire les moyens d'être efficace, en donnant aux directeurs d'école un statut clair, différencié, responsable, reconnu juridiquement et administrativement, autonome et rémunéré à la hauteur de sa tâche. En ce sens, ce gouvernement ne diffère du précédent que par une fausse bonhomie qui ne vise qu'à égorger avec un sourire apitoyé le peu qui subsiste de l'école laïque et républicaine.

La question est: qui retiendra la main du ministre? Pour moi, ce ne peut-être que le GDiD, qui jusqu'à présent a réussi, et ce n'était pas rien, à imposer la question de la direction d'école à tous les acteurs politiques et syndicaux de notre pays; ce GDiD qui ne lâche et ne lâchera rien, ramenant constamment la question sur le devant de la scène. Le GDiD n'est pas une association de moutons que les politiques pourront tranquillement déguster avec des flageolets, et ne laissera pas les directeurs d'école être sacrifiés aux idées toutes faites sur l'école ou aux prétendus impératifs économiques.

Allez, joyeuses Pâques, mes agneaux...

mercredi 27 mars 2013

Sale semaine...


Il y a chaque année scolaire au moins une "sale semaine" pour les directeurs d'école. C'est la semaine où tout va mal, où rien ne fonctionne, où tout vous claque entre les doigts, où vous êtes au four et au moulin et que courir dans tous les sens n'amène rien de bon.

Pour moi, cette année, c'est cette semaine ci. J'appréhendais un peu par avance, car les hasards du calendrier ont fait que se sont accumulées une ou deux réunions quotidiennes, en plus bien entendu de mes six heures de classes. Je l'ai senti dès lundi matin: réveil à cinq heures avec fièvre, toux... Bon, on y va quand même, hein. Vous connaissez: vous avez beau être malade, c'est LA semaine où vous ne pouvez pas vous le permettre.

Faire classe avec de la fièvre, ce n'est pas extra, mais les Grandes sections à cette époque de l'année ont bien grandi, et savent ce que travailler veut dire, ce qui vous libère un peu. Si seulement mes Moyennes sections ne se tapaient, griffaient, pinçaient pas, ce serait drôlement bien!

Réunion entre midi et deux après un repas rapide, pour intégrer une future élève handicapée. Pas une réunion à rater, ça. J'ai le nez qui coule et je tousse mais ça fonctionne quand même. C'est tant mieux, la gamine qui a été pré-scolarisée est une bonne gosse, intelligente et maligne.

Puis en début d'après-midi mon ATSEM me lâche et s'absente pour deux jours. Oh, je vous rassure, l'absence est largement justifiée, mais travailler en ateliers avec trente gosses sans aide... Tout était installé et organisé, pas le choix, je changerai demain. Alors je galope entre mes groupes.

C'est le jour que deux de mes élèves, parfaitement propres,  choisissent pour consciencieusement et entièrement maculer leurs vêtements d'urine. En bref, ils pissent dans leur culotte. Mais bien, ça coule jusque dans les chaussures. L'ATSEM des petits qui court aussi dans tous les sens est mise à contribution. Les changes commencent à manquer. Je ne me plains pas, l'épidémie de gastro est ses embellissements vomitifs et diarrhéiques semble être passée.

Après la classe, réunion pour rapidement donner son dernier vernis à une animation pédagogique le mercredi qui suit, et que j'aide à encadrer, d'autant qu'elle se passe dans mon école. Bon, c'est rapide et efficace, je peux rentrer à la maison, la tête dans le... Je m'endors dans le canapé.

Je me réveille et me lève le mardi matin de nouveau fiévreux. Vous vous doutez bien que j'ai changé tout le travail de mes élèves que j'avais prévu pour ce jour, en allégeant au maximum les contraintes matérielles. Je reprendrai jeudi ce que je dois terminer, en particulier le cadeau de Pâques que la moitié de mes élèves n'ont pas terminé! Tout ce découpage, assemblage, collage... je ne me serais pas lancé là-dedans sans la certitude d'avoir de l'aide.

Mardi plus léger donc. Et aussi heureusement élèves plus calmes. Le lundi, ce sont de petits monstres. Le mardi, ils ont repris le rythme, ils sont calmes, souriants et travailleurs. Si seulement ma commune avait décidé de passer aux nouveaux rythmes scolaires en 2013, cela m'aurait peut-être à l'avenir épargné les grognements du jeudi matin similaires à ceux du lundi... Pas de bol, ce sera 2014. C'est justifié du point de vue municipal, mais ça ne m'arrange pas, d'autant qu'il me faudra caler les Activités Pédagogiques Complémentaires (APC) après les six heures de classe. On verra ça plus tard, ce n'est pas la semaine pour y penser.

A midi, quand je prends mon pain, la boulangère me trouve une sale tête et me le dit. Je confirme, madame.

Une réunion rapide sans complication en fin d'après-midi, puis des courses personnelles (oui, je mange) accompagnées d'achats d’œufs de Pâques pour emplir les cadeaux en cours de réalisation. J'achète aussi ce qui manque pour mes gâteaux de jeudi; nous fêtons les anniversaires du mois de mars, c'est prévu à cette date avec mes élèves depuis le début du mois, et ce sont les trois concernés qui nous font les trois gâteaux aux pommes nécessaires pour satisfaire mes trente affamés. C'est une excellente activité culinaire, les enfants aiment ça... j'espère simplement que mon ATSEM sera revenue.

Je tape ce billet le mercredi matin. Je me suis réveillé en sueur à trois heures du matin après un cauchemar scolaire. Vous ne connaissez pas? Vous êtes à l'école et tout fonctionne de travers. Comme dans la vraie vie, quoi. Sauf que le directeur d'école se passerait volontiers de rêver de ce qu'il vit quotidiennement. Je me rendors, me réveille à cinq heures le nez bouché, toussant et pleurnichant. Inutile de tenter de me rendormir, à mon âge cela ne se passe plus comme ça.

A 8h30 je serai dans mon école pour aider à installer l'animation pédagogique, en espérant qu'elle se passe bien. Après-midi libre, ou du moins personnelle, en espérant ne pas recevoir dans la boîte aux lettres une joyeuseté comme les deux reçues mardi: charges trimestrielles (ouille!), et avis négatif du tribunal de proximité pour une plainte envers un commerçant peu scrupuleux.

Jeudi, j'aurai donc en plus de mon temps de classe les gâteaux à faire, les cadeaux à terminer, une réunion avec la mairie à 17h30 pour d'importants travaux à venir... Vendredi... j'ai oublié, je regarderai ça cet après-midi. De toute façon, j'ai mal à la tête. Et je préfère ne pas envisager ce qui peut encore me tomber sur le dos.

Quelle vie!

dimanche 24 mars 2013

Non mais ça va pas la tête ?


Certaines réactions à mon précédent billet, qui me sont parvenues, me sidèrent! Que certains aient pu prendre cette galéjade au premier degré, et y aient vu une sorte d'appel à l'insurrection des directeurs d'école, m'épate! Non brave gens, c'est de l'humour, une blague, une plaisanterie... C'est pourtant lisible, non? Le manque d'esprit de notre époque est surprenant, l'absence de second degré effarante. Je m'en étonne, même si cela ne me surprend pas vraiment, trop de gens se prennent au sérieux sur internet.

Donc, je le dis: mon billet précédent intitulé "A l'assaut !" est une pure fiction, une parodie qui, si elle porte la vérité claire et parfaitement déplorable de l'absence de statut des directeurs d'école publique en France, n'a d'autre objectif que faire rire et détendre.

Incroyable!

A l'assaut !


- Alors Michel, quel est l'état des troupes à l'heure actuelle?
- Nous avons huit classes prêtes pour l'assaut, chef, et deux de réserve, ce qui fait au total 224 hommes... euh, enfants, prêts à en découdre!
- Quels sont les armes à leur disposition?
- J'ai une vingtaine de gastros, une quinzaine de rhinos, et un bon paquet de petites filles de cinq ans qui savent pousser des cris de fille! C'est horrible, chef, ça vous arrache les tympans!
- Nous les laisserons à l'arrière pour l'instant. Mettez les rhinos et les gastros en première ligne. Si l'attaque du rectorat doit être rapide, nous ne devons néanmoins pas gaspiller nos forces, ni trop nous découvrir.
- Oui chef.
- Les troupes de l'arrière ont leurs banderoles?
- Oui chef, nous avons quinze banderoles avec leurs trente porteurs.
- Quel est le slogan?
- "Un statut pour mon dirlo, ou on vous pecho!"
- C'est faiblard... Effectivement ça rime, mais on ne peut pas dire que ce soit génial.
- Il a fallu faire dans l'urgence, chef. Plusieurs classes de maternelle ont bossé hier toute la journée sur les banderoles. Elles ont bien du mérite!
- D'accord. Pas trop de fautes d'orthographe?
- Pas une, chef. Nos troupes sont fidèles.
- Que disent-ils de l'opération? Le moral est bon?
- Excellent, chef! Ils s'amusent. Pas mal de petits ont apporté des pelles et des seaux.
- Des seaux vides? Pour quoi faire?
- Des seaux pleins de sable, chef. En quelques secondes ça rentre dans les vêtements, dans les chaussures, ça gratte horriblement. C'est très efficace.
- Effectivement. Simple, mais efficace. J'ai l'impression que les maternelles sont en pointe dans notre affaire.
- Ben il faut bien dire que la plupart des directeurs d'école de maternelle n'ont aucune décharge, chef, alors s'il y en a qui se sentent blousés, c'est bien eux.
- Et les grands?
- Nos CM2 sont prêts à escalader la façade pour accéder au premier étage.
- Comment vont-ils faire?
- Les services techniques des communes qui nous soutiennent nous ont prêté des échelles. Et les gosses ont tous un tube de stylo-bille vide avec une réserve de grains de riz dans la poche. Simple aussi, mais tout aussi désagréable que le sable...
- Hmm, je le sens bien, cet assaut du rectorat! Suivez-moi bien: à 10h15, les gastros et les rhinos pénètrent le bâtiment par la porte principale...
- Vous croyez qu'ils vont ouvrir? C'est quand même Vigipirate...
- C'est Vigipirate depuis quinze ans! C'est une collègue directrice d'un certain âge qui va sonner. Croyez-moi, vu son état d'épuisement, ils vont lui ouvrir tout de suite. Donc les gastros et les rhinos par la porte principale, pendant que les CM2 escaladeront pour accéder au premier étage. Une fois tout ce petit monde dans la place, vous ferez entrer les petites filles pour qu'elles crient...
- Aïe chef! Ça c'est cruel...
- Et ne pas avoir de statut? Et ne pas avoir de temps pour bosser? Et ne pas être payé correctement? Ce n'est pas cruel, ça?
- Oui chef, bien sûr chef, je ne serais pas là autrement. Mais des cris de petite fille...
- Tant pis pour eux, le ministre n'avait qu'à entamer les discussions comme il l'avait promis. Les petites filles crient, donc, pendant que les grandes investissent les toilettes du rectorat et les bloquent. Vous enverrez les seaux de sable à ce moment-là. Les CP et les CE eux grimperont à l'étage pour soutenir les CM2. Ce sera le bon moment pour que les CM1 commencent dans la rue à hurler le slogan "Un statut..." euh...
- "Un statut pour mon dirlo, ou on vous pecho!"
- C'est ça, oui.
- Dites chef, vous croyez que ça va marcher?
- Franchement, oui. L'attaque est coordonnée dans tout le pays à la même heure. De Périgueux à Lille, de Brest à Strasbourg, partout des écoles monteront simultanément à l'assaut des rectorats. A défaut d'obtenir quelque chose, au moins nous ferons rigoler la population. Je vois les titres d'ici: "Le rectorat bloqué par des petites filles et des seaux de sable". A propos, les médias sont prévenus?
- Pas encore, chef. Nous attendons 10h pour que l'affaire ne s'évente pas.
- Bravo! Tu verras, Michel, nous finirons par l'avoir, notre statut...
- Peillon vous entende, chef, Peillon vous entende...

Bon, on peut rêver, non?

samedi 23 mars 2013

Les directeurs d'école, chasseurs de grenouilles...


Le servage (du latin servus, "esclave") est défini par la convention relative à l'abolition de l'esclavage des Nations unies comme la "condition de quiconque est tenu par la loi, la coutume ou un accord, de vivre et de travailler sur une terre appartenant à une autre personne et de fournir à cette autre personne, contre rémunération ou gratuitement, certains services déterminés, sans pouvoir changer sa condition".

Les directeurs d'école sont tenus par la loi de travailler dans une école communale et de fournir contre rémunération certains services déterminés sans pouvoir changer leur condition. Seraient-ils des serfs modernes?

Même pas! La différence entre le servage et l'esclavage provient du statut juridique du serf, qui jouit d'une personnalité juridique. Le directeur d'école n'a aucune personnalité juridique. L'enseignant de primaire en a une, le directeur d'école lui n'existe pas. Ainsi l'absence de statut des directeurs d'école les apparente-t-il plus à des esclaves qu'à des serfs.

De plus, la contrepartie du servage est que le serf ne peut être chassé de sa terre, puisqu'il ne fait qu'un avec elle. Le directeur d'école, lui, peut être viré de son école comme un malpropre par le régisseur du domaine, le DASEN, s'il a déplu au représentant local de son seigneur, autrement dit l'IEN. Ce qui une fois de plus apparente plus les directeurs d'école à des esclaves qu'à des serfs, auxquels d'ailleurs le lien de servage exige normalement que le seigneur doive protection. La protection que le ministère de l’Éducation nationale accorde à ses directeurs d'école n'étant qu'une vaste fumisterie, on peut supposer que les directeurs d'école sont bel et bien des esclaves de l’État.

Résumons: les enseignants du primaire ont de nombreux droits et quelques devoirs; les directeurs d'école ont de nombreux devoirs... et pas plus de droits que les enseignants. Ceci d'ailleurs avec la bénédiction syndicale, moderne clergé se pavanant dans ses privilèges, et dans l'ignorance totale de la population qui vaque à ses occupations en imaginant que les directeurs d'école sont des potentats locaux.

La principale occupation de la direction d'école primaire en France est de battre les étangs pour en chasser les grenouilles qui pourraient gêner le sommeil de leur seigneur... Traduisez: les directeurs d'école ont pour charge principale d'étouffer dans l’œuf tout bruit ou toute revendication qui pourrait déranger l'ordre établi du ministère et ses certitudes bien ancrées de sa toute-puissance et de son omniscience. Le ministère est l'alpha et l'omega de l'école, tout vient de lui et tout y retourne, le serf ou l'esclave directorial exécute et n'a rien à dire, de toute façon on ne lui demande pas son avis, c'est le Seigneur Ministre qui sait.

Bon, j'ai conscience que ce que j'écris ici s'apparente aux théories marxistes. Avec les opinions que j'ai, c'est un comble! Mais le travail des directeurs d'école sans statut s'apparente aujourd'hui tellement à la corvée moyenâgeuse que l'analogie s'est imposée d'elle-même à mon esprit. Comment aurait-il pu en être autrement? Le directeur d'école primaire publique en France n'a pas de statut juridique, il est corvéable à merci et les tâches accumulées sur son dos depuis quinze ans en font foi, il travaille gratuitement ou presque car je ne peux pas appeler rémunération ce que le ministère nous octroie chichement chaque mois, il exécute sans pouvoir rien dire et doit des comptes à tous sans en tirer le moindre profit, et sa condition ne change pas malgré les appels au secours quotidiens, les rapports divers et variés, les questions à l'Assemblée nationale, les commissions d'enquête, les... Comment appelleriez-vous ça, vous?

mercredi 20 mars 2013

J'accuse !


J'accuse le Ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon de vouloir avec "l'école du socle" supprimer les directeurs d'école en inféodant l'école primaire aux collèges. Les écoles élémentaires et maternelles vont être administrées matériellement et pédagogiquement par des Principaux qui n'ont aucune idée de ce qu'est un enfant entre deux et cinq ans. "L'école du socle" est le coup de grâce donné à l'école primaire, la mort programmée d'un enseignement individualisé au plus proche des besoins des élèves et des caractéristiques des communes, la disparition totale et définitive du peu d'autonomie qui restait aux écoles, l'ultime étape de l'étatisation extrême et mortifère de l'enseignement débutée par les gouvernements Sarkozy.

J'accuse de vacuité le ministère de l’Éducation nationale, mastodonte à la tête pesante et surpayée, préférant ses certitudes aux faits, niant l'intérêt de demander aux personnels comment l'école pourrait mieux se porter, ignorant ce qu'est un enfant, ignorant des réalités du fonctionnement du terrain, ignorant des problèmes de pilotage de l'école par des directeurs qui depuis des lustres réclament un statut qui leur permettrait de remplir avec efficacité et sérénité leur mission.

J'accuse les syndicats d'extrême-gauche FO, SUD et CGT, qui ne pensent qu'à exalter une idéologie surannée et pernicieuse qui de longue date a pourtant démontré sa profonde bêtise et son éloignement des réalités, de nier l'évidence au nom de la Révolution et du Grand soir que le plus efficace pour l'avenir des élèves de France est l'autonomie des écoles et le statut de leurs directeurs.

J'accuse les syndicats dit "modérés" de ne pas remplir leur rôle de défense des personnels, et de ne penser qu'à la conservation de leurs privilèges syndicaux et la préservation d'un statu-quo qui n'existe que dans leur imagination puisque la situation des élèves, des enseignants et des directeurs d'école n'a fait qu'empirer depuis vingt ans.

J'accuse les syndicats du secondaire, collèges et lycées, d'abandonner avec hypocrisie et dans la joie les enseignants du primaire, et de se frotter les mains par avance de tout ce qu'ils vont récupérer de pouvoir lorsque "l'école du socle" sera définitivement en place.

J'accuse l'extrême-gauche française de n'évoquer la question de l'école que lorsque ça l'arrange, de préférence lors de divers scrutins locaux ou nationaux, et au fond de profondément mépriser les directeurs d'école.

J'accuse l'extrême-droite française de n'évoquer la question de l'école que lorsque ça l'arrange, de préférence lors de divers scrutins locaux ou nationaux, et au fond de profondément mépriser les directeurs d'école.

J'accuse la droite française de vouloir, sous n'importe quel prétexte et en particulier de libéralisme, faire disparaître l'école primaire au profit d'officines sélectives qui pourraient faire entrer encore plus d'argent public dans les poches privées.

J'accuse les élus et édiles qui se réclament du "centre" de ne jamais savoir ce qu'ils veulent, et de volontiers abandonner leurs prétendues convictions, idées et envies, dès lors qu'un quelconque strapontin leur est offert.

J'accuse la gauche française d'avoir abandonné tous ses idéaux pour le pouvoir et l'argent.

J'accuse les enseignants du primaire comme du secondaire d'égoïsme, de lâcheté, de bêtise; des enseignants du secondaire qui restent inertes et silencieux face aux problèmes du primaire et à la paupérisation de leurs collègues; des enseignants du primaire qui suivent tels les moutons de Panurge n'importe quel mot d'ordre absurde du moment qu'il est question de leurs vagues petits privilèges, de leur petite personne, de leur nombril; des enseignants du primaire qui ont peur de leur ombre et qui alors même qu'ils ont raison se dégonflent tels de vilaines baudruches au moindre froncement de sourcil de leur administration de tutelle; des enseignants qui en général se désintéressent totalement de la question du pilotage des écoles et des problèmes des directeurs d'école, quand ils ne les accablent pas plus qu'ils ne le sont déjà sous des reproches ineptes destinés à excuser leur propre incompétence ou leurs propres âneries.

J'accuse les directeurs d'école de masochisme, de se laisser tondre sans réagir, de ne surtout rien faire, de ne pas bouger le petit doigt pour améliorer leur sort. On les crucifie, ils se laissent faire, et en redemandent.

J'accuse les Français de totalement et royalement se foutre de l'école, et de la laisser crever tout en l'accusant d'être responsable de tout ce qui ne va pas dans ce pays, sans jamais bien sûr balayer devant leur propre porte.

Voilà bien des maux typiquement français: lâcheté, couardise, irresponsabilité, égoïsme, cynisme... Je pourrais certainement en ajouter d'autres. L'école primaire française, celle que tout le monde exalte à longueur de romans ou d'essais, celle qu’avec nostalgie on évoque partout, celle des mémoires de Marcel Pagnol ou des photos de Robert Doisneau, celle d'aujourd'hui, moderne mais désespérée, qui essaye de faire son travail tant bien que mal en dépit des obstacles toujours plus nombreux... cette école meurt... elle est morte? Une seule chose pourrait encore la sauver, au plus grand bénéfice des élèves, des enfants de notre Nation: une autonomie affirmée et forte pilotée par des directeurs d'école statutaires. Je veux croire que tout n'est pas perdu, je vais continuer à me battre en ce sens. Mais sans la population et ses représentants, sans les politiques, sans les enseignants, sans les syndicats, sans aucun soutien d'où qu'il vienne, sans les directeurs d'école eux-mêmes qui restent inertes, invisibles et silencieux, le combat n'est-il pas perdu d'avance? S'il n'en reste qu'un, je serai celui-là. Par dignité. Et parce que je suis convaincu que la vérité finit toujours par surmonter le mensonge.

dimanche 17 mars 2013

La tactique du rasoir...


Certains propos récents du ministre de l’Éducation nationale, le ci-devant Vincent Peillon, sont plutôt inquiétants pour des directeurs d'école préoccupés par leur avenir. Effectivement, défendant sa graaaande Loi d'orientation face à des députés virulents, après une graaaande concertation qui a défaut d'être suivie d'effets a fait couler beaucoup d'encre, M. Peillon a le 13 mars dernier commis ces mots:

"Si le directeur d’école a un statut particulier de chef d’établissement, vous transformez les écoles en établissements, auquel cas elles ne sont plus rattachées au collège. Vous devez faire un choix. Le choix que nous avons fait pour nous inscrire dans une continuité que vous aviez développée, c’est d’articuler ensemble ce qui n’était pas le cas jusque là, soit le travail entre l’école et le collège."

Je sais bien que Monsieur le Ministre doit être un peu exaspéré de devoir se battre pied à pied, pour chaque mot, avec des députés peu convaincus. Néanmoins, rayer d'un trait de plume -pardon, d'une réplique cinglante- la direction d'école au profit d'une collégialisation que je suspectais il y a quelques mois (relisez ce billet du 3 octobre 2012), c'est tresser la corde pour se faire fouetter. Je me cite moi-même:

"La quatrième possibilité, celle qui se dégage des propos récents de M. Peillon, est de créer des "écoles du socle". Sous cette terminologie étrange se cache l'idée de donner la responsabilité des écoles aux collèges de secteur. J'utilise volontairement le verbe "se cache", car jamais dans aucun discours personne ne dit clairement que la disparition des directeurs d'école en est le corollaire. Bien sûr, en même temps que la direction d'école, disparaîtrait également la dimension locale du fonctionnement des écoles. Je ne suis donc pas certain que les communes françaises, souvent attachées à leur école dont les enseignants sont dans de nombreuses communes les derniers représentants de l’État, seront favorables à une telle proposition. Encore faudrait-il qu'elles aient voix au chapitre!

Qu'implique l' "école du socle"? Pour M. Peillon, ministre de l’Éducation Nationale, il s'agit de se débarrasser de cette question primordiale de la "gouvernance" des écoles en supprimant les directeurs d'école qui deviendraient des "coordinateurs" des écoles primaires. Au passage, cela lui permettrait également d'y casser le monopole historique du syndicat SNUipp. Sous couvert de favoriser la liaison primaire/collège (ne vous méprenez pas, ce n'est qu'un prétexte), le principal du collège de secteur deviendrait le responsable administratif des écoles, ainsi que le responsable des projets des écoles, ce qui lui donnerait la haute main sur les crédits afférents... et forcément aussi sur les méthodes d'enseignement des professeurs des écoles qui ne seraient plus maîtres de leurs projets! Le gâteau est appétissant pour les principaux de collège, qui se précipitent tous tête baissée dans la crème qui leur est offerte sur un plateau. C'est aussi pourquoi ce projet est aujourd'hui activement soutenu par le SE-UNSA et le SGEN-CFDT, qui lorgnent sur les professeurs syndiqués du collège et aimeraient bien croquer une part des effectifs des syndicats du secondaire."

Ainsi donc Monsieur Peillon va utiliser semble-t-il ce que j'appellerai la tactique du rasoir: la direction d'école est un problème; je ne peux le résoudre faute d'argent/de courage/de volonté (rayez la mention inutile, s'il y en a une); alors je supprime le problème... Monsieur le Ministre veut, c'est clair désormais, supprimer les directeurs d'école.

On aurait pu supposer une réaction syndicale outrée de tels propos. Même pas peur! En fait, les centrales syndicales, engluées dans leur problèmes internes suite à l'affaire idiote des rythmes scolaires, et les yeux rivés sur les rivalités inter-centrales, sont bien incapables de faire attention à ce qui est en train de se passer. Ou si elles s'en sont rendues compte, peut-être pour certaines est-il de leur intérêt de ne rien dire. Ne parlons pas du SNUipp, grand perdant de ces dernières semaines, qui ne réalise même pas qu'il est en train de se faire phagocyter par la FEN au sein de la FSU. Adieu le SNUipp, requiescat in pace.

Monsieur Peillon pense que rattacher les écoles primaires aux collèges, ce qui est déjà en marche avec Affelnet puisque les directeurs d'école sont désormais devenus les factotums des principaux, permettra de nous faire disparaître de la carte. Que l'attachement local des écoles soit leur principale force, et à mes yeux le meilleur moyen de favoriser la réussite scolaire des élèves, ne parait pas effleurer le moins du monde l'esprit du ministre, qui manifestement préfère le jeu politique à l'efficience, quitte à sacrifier sur l'autel d'une vision ahurissante de l'école plusieurs générations d'élèves à venir. Alors que tout le monde réclame depuis des mois voire des années l'autonomie des écoles, et préconise comme première mesure le statut pour les directeurs d'école, Monsieur le Ministre préfère botter en touche. Soit. C'est d'autant plus facile que les syndicats ne réagissent pas, et que les directeurs d'école eux-mêmes se laissent tondre panurgesquement sans rien dire -à part ceux du GDiD, bien entendu-. Quant aux municipalités, on leur a tendu un os à ronger avec les rythmes scolaires, et cet os cache la forêt (quelle image! Je suis navré.); bientôt elles devront payer les écoles communales sans plus avoir aucun contact ni interaction avec elles. Mais il sera trop tard quand elles s'en rendront compte.

Si depuis de nombreuses années les résultats de nos élèves s'effondrent, c'est bien en grande partie parce que nous n'avons aucune autonomie dans notre fonctionnement ni dans nos choix. Il est peut être temps pour les directeurs d'école de montrer qu'ils existent, qu'ils sont indispensables au fonctionnement et à la réussite de l'école de la Nation. Il est peut-être temps pour nous de taper du poing sur la table. Avoir un statut, devenir autonomes pédagogiquement, est la seule manière pour sauver ce qui reste de l'école primaire après plusieurs décennies de gabegie. Peut-être alors devenir directeur d'école sera pour les jeunes enseignants un choix raisonné de mission, au service du pays, au service des élèves et de la réussite scolaire, et non plus une opportunité comme une autre pour se rapprocher de chez soi, sans aucunement penser à la responsabilité primordiale qu'elle représente.

mercredi 13 mars 2013

On peut rêver...


Enfermés à clef depuis mardi matin dans le grand salon doré de l'hôtel de Rochechouart, au 110 de la rue de Grenelle, les édiles de l’Éducation nationale, ainsi que les représentants syndicaux et ceux du GDiD, doivent décider de l'octroi ou non d'un statut aux directeurs d'école de France.

La foule est nombreuse rue de Grenelle, la voie a été bloquée par les autorités depuis lundi afin de permettre aux fidèles de suivre le conclave sur place. Tous épient la cheminée de laquelle sort la fumée qui indique si la décision a été prise: bleue pour l'octroi, rouge quand les édiles n'ont pas réussi à se mettre d'accord.

Il y a plusieurs décennies que la question est en suspens. Notre reporter a discuté avec de nombreux directeurs et directrices présents sur place, et beaucoup refusent encore d'y croire. Quelques-uns sont agenouillés sur le trottoir et prient pour que l'esprit républicain descende sur les décideurs rassemblés. Parfois des chants et des prières, passionnés mais retenus, s'élèvent dans le froid vif de la matinée. Nul doute qu'ils sont nombreux également devant leur téléviseur, à attendre une décision si importante pour leur avenir.

Rappelons qu'il y a quatre scrutins quotidiens. La difficulté est que tous les protagonistes enfermés dans le grand salon doré arrivent à se mettre d'accord sur les termes du statut. Depuis hier matin déjà trois scrutins ont eu lieu, et à chaque fois c'est une fumée rouge qui est sortie de la cheminée. Le silence rue de Grenelle était impressionnant, seuls quelques soupirs se faisaient entendre.

"Cela fait si longtemps que nous attendons", nous dit Samuel,"alors quelques heures de plus ou de moins... Mais ça donne un coup au cœur à chaque fois!"

Mais la foule frémit, l'heure du premier scrutin de la matinée est arrivée. Les directeurs épient la cheminée. Rouge? Bleue? C'est une fumée bleue! Une directrice s'effondre en larmes, soutenue par ses collègues. Un directement répète continuellement, l'air éberlué: "J'y crois pas! J'y crois pas!" Beaucoup sourient, un directeur improvise une gigue sur le trottoir.

Une fenêtre s'ouvre sur la façade de l'hôtel. Alain Rei, président du GDiD, apparait, suivi du secrétaire Pierre Lombard en larmes, et hurle en souriant: "Habemus Statutum!"

C'est un hurlement de joie qui secoue alors les vitres de la rue de Grenelle! Ils l'attendaient depuis si longtemps, c'est comme un vent de libération qui parcourt la foule. Devant nous un directeur tombe à genoux et lève les mains vers le ciel en pleurant: "Enfin! Enfin!"

Bon... on peut rêver, non?

dimanche 10 mars 2013

Bienvenue en enfer !


Le "protocole d'accord" signé en 2006 par le seul SE-Unsa avec le ministre de l'époque Gilles de Robien, en échange de l'abandon de la grève administrative qui durait depuis sept ans, aura été vécu à l'époque par beaucoup de directeurs d'école, et par moi, comme une forfaiture.

Sept ans après, si je suis objectif, il n'en reste pas grand-chose, juste l'avancée -réelle- de la décharge d'une journée accordée aux écoles de quatre classes. Le reste a disparu dans les poubelles de l'histoire mouvementée d'un ministère centralisateur, méprisant, et inefficace.

En revanche, en 2013, la charge de travail des directeurs d'école s'est elle considérablement amplifiée, et la considération qui devrait leur être due n'est plus que portion congrue.

Les programmes informatiques de gestion internes se sont généralisés: la fameuse Base Elèves est désormais la règle partout, et l'ahurissant programme Affelnet est en voie de l'être. Ces deux programmes élaborés en interne par l’Éducation nationale, et qui ne sont utilisables qu'en ligne, sont les exemples types de ce que les programmeurs informatiques essayent en général d'éviter: lourdeur, laideur, absence de convivialité... Ils sont quasi incompréhensibles, et à moins d'une longue pratique il vous faudra cliquer vingt fois dans tous les sens pour obtenir le moindre résultat. Inutile de dire que le simple temps de saisie des informations demandées est ahurissant! Et je ne rappellerai pas à mes collègues qui ne le savent que trop que souvent le programme est inaccessible: trop de connexions simultanées, ou système en panne, ou mise à jour en cours, etc, en général bien entendu au moment où vous trouvez quelques instants pour l'utiliser.

Pour les néophytes, je préciserai qu'Affelnet est destiné à préparer le passage au collège de nos chers CM2. Auparavant utilisé tant bien que mal par les secrétariats des collèges, leur usage nous est soudain dévolu, comme si la direction d'école élémentaire n'avait que ça à faire. Je soulignerai également que la transmission de cette responsabilité aux directeurs d'école s'est faite au grand soulagement des collèges qui trouvaient le système lourd... Dois-je en rajouter?

Bien entendu, aucun moyen supplémentaire n'a été donné aux directeurs d'école pour cette gestion supplémentaire. La direction d'école déjà submergée, partagée entre son bureau et ses tâches innombrables, les familles et les élèves, doit assumer une tâche lourde de plus sans aucune contrepartie. Notre ministre a beau jeu de dire qu'il ne nous oublie pas, nous n'en voyons guère l'illustration sur le terrain.

D'autant que la prochaine rentrée verra encore nos devoirs amplifiés. Nous devrons assurer sans faillir la gestion des Activités Pédagogiques Complémentaires (APC) et leur articulation avec les Temps d'activité qui seront proposés par les municipalités, ou avec le départ des écoles d'une partie de nos élèves dont les parents n'auront pas accepté qu'ils les suivent. Jolie gestion, qui nous promet un sympathique salmigondis, chers collègues directeurs et directrices d'école, sans bien entendu être plus aidés puisque la plupart d'entre nous devrons également encadrer les APC. On va bien se marrer!

Le GDiD, suivi par de nombreux syndicats, réclame aujourd'hui l'exonération totale de l'encadrement des APC par les directeurs d'école, qui pour la plupart aux heures où elles se feront doivent assurer une partie de leur travail administratif. En ce qui me concerne, n'ayant aucune décharge, ce n'est certes pas pendant les heures où j'ai mes trente élèves que je peux m'amuser à tenter de travailler sur Base Elèves ou préparer une réunion comme en faire le compte-rendu. Mais allez faire comprendre ça aux hauts fonctionnaires de l’Éducation nationale qui n'ont aucune idée de ce qu'est une école et n'ont jamais vu un enfant.

Quand je pense à notre mission de direction d'école, je ne peux m'empêcher de penser aux jeunes directeurs et directrices, qui n'ont reçu pour la remplir aucune formation pratique, et qui souvent de plus débutent dans le métier. Il y a largement de quoi être dégoûté. Bienvenue en enfer!

Aujourd'hui plus qu'hier, et ce n'est pas peu dire, il est urgent de définir précisément la mission des directeurs d'école, de la reconnaître, de lui accorder les moyens de son action, de la rémunérer convenablement. Cela pour moi passe nécessairement par un statut du directeur d'école. C'est aussi ce que réclame le GDiD.

Monsieur le Ministre, Monsieur Peillon, vous aviez déclaré devant la Commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale que vous engageriez des discussions à notre sujet dès le premier trimestre 2013. Ce trimestre arrivera à sa fin dans une quinzaine de jours, et nous ne voyons rien venir. Allez-vous tenir vos engagements?

samedi 9 mars 2013

46000 grues...


Il semble de bon ton à notre époque de grimper sur une grue pour réclamer quelque chose. C'est ainsi que les informations nationales regorgent ces derniers temps de papas et de mamies crapahutant dans les hauteurs. Il faut bien admettre que les médias ont la partie belle, ça fait de bonnes images: les autorités ne peuvent pas empêcher les caméras de s'installer à cinquante mètres avec un zoom et hop! Voilà de quoi remplir une case vierge des infos, entre un dictateur sud-américain embaumé et deux plats surgelés enchevalinés... Et puis, ça a forcément plus d'impact que de s'enterrer dans une grotte: allez donc filmer dans le noir.

Finalement, l'idée n'est peut-être pas si mauvaise! Et si tous les directeurs et toutes les directrices d'école de ce pays grimpaient sur une grue pour réclamer un statut? Voilà de quoi émouvoir les médias: 46000 directeurs d'école perchés dans les hauteurs! Il serait étonnant que nous ne trouvions pas chacun près de notre domicile une grue disponible (j'en ai trois rien qu'autour de chez moi)...

Qu'en dites-vous, chers collègues? La direction d'école ne mériterait-elle pas cet effort? Bon, j'avoue que je ne suis pas forcément exempt de crainte, et que, sans être forcément toujours sujet au vertige, la simple idée de monter sur une échelle la hauteur de sept ou huit étages ne m'attire pas plus que ça. Mais être directeur d'école aujourd'hui c'est quotidiennement faire une autre sorte de haute voltige, qu'il s'agisse de jongler avec les célèbres base-élèves ou affelnet, programmes internes à l’Éducation nationale codés avec les pieds, ou de faire du trapèze entre sa classe et son bureau. Sans oublier qu'on peut à notre époque multiplier quasiment à l'infini les rapprochements entre l'école et le cirque, notre zoo à nous, avec M. Peillon en guise de M. Loyal, les IEN qui nous jouent du pipeau pour animer les séances, etc.

Allez, chacun sa grue! Non?

mercredi 6 mars 2013

Je suis directeur d'école: où est ma place?


Selon Edgar Morin, la complexité coïncide avec l'incertitude, une incertitude que l'accélération du temps renforce. J'arrive à un âge auquel l'impression de voir filer les heures donne le tournis, et notre civilisation dont l'âge est également avancé voit son temps social s'accélérer aussi vite que mon temps individuel. Nous vivons dans une ère d’innovation et de réforme permanente, de nouveauté continue, dont les attentes et les nouveaux outils (téléphonie mobile, informatique,... ) renforcent l’incertitude; nous sommes dans l'urgence, sans pouvoir réfléchir aux conséquences de nos actions. Les démonstrations et les nuances n'existent plus.

Politiquement, juridiquement, syndicalement, cette accélération continue fait un mal phénoménal à notre société. L'homme politique, le législateur, le responsable syndical, doit justifier sa place, il se persuade qu'il doit agir et réformer, quitte à faire n'importe quoi, à n'importe quel moment, sans que la réflexion altère d'aucune façon la perception qu'il veut sommaire des faits. Il a des excuses, il est la proie de médias qui pour survivre sont condamnés à une réaction et une relation immédiate d'évènements pour lesquels le recul comme la réflexion sont interdits. C'est l'époque du zapping, du futile, de l'évènement, du buzz, aussi vite passé qu'il est apparu.

Or ce temps là n'est pas le temps de l'école. Je recevais hier une maman inquiète des résultats scolaires de son enfant de quatre ans. Mon discours fut celui de la raison: laissez à votre fils le temps de grandir, le temps de l'enfant, celui de son évolution, n'est pas celui des discours ni celui de l'époque dans laquelle il vit. Je le vois chaque année, je l'observe avec patience, cet enfant qui devient un individu, qui s'autonomise, dont le cerveau se construit. Il ne va pas à la même vitesse que ses camarades, il va plus vite, ou moins vite, il se construit ses propres outils à sa propre vitesse, à condition bien sûr de ne pas le laisser en déshérence.

Depuis des années j'ai vu l'école maternelle passer d'une richesse folle de découverte et de patience à une scolarisation précoce et outrancière dont l'exigence accélérait à mesure que son indigence devenait de plus en plus flagrante. On a tant voulu "cadrer" les enfants de ce pays qu'aujourd'hui adultes, outre des compétences et des connaissances amoindries par rapport à leurs aînés, ils ont pour beaucoup perdu toute capacité réflexive.

J'ai la chance depuis peu d'avoir un ministre qui semble avoir compris que le temps de l'élève doit lui être rendu, qu'il est nécessaire de laisser nos enfants grandir. Et que pour ce faire il est nécessaire de gérer finement le temps réel d'apprentissage et scolaire pendant lequel il lui est demandé de s'investir. C'est ce qu'ont fait nos voisins finlandais il y a quelques années, avec le succès que l'on sait.

Pourquoi alors autant de ressentiment de la part des enseignants du primaire en France? Simplement je pense parce que jamais il n'est question d'eux... de nous. Notre travail est devenu plus complexe, et l'incertitude devient notre lot quotidien. Le temps des hussards noirs, aux croyances ancrées, qui comme l'écrit Pagnol "avaient une foi totale dans la beauté de leur mission, une confiance radieuse dans l'avenir de la race humaine", n'existe plus que dans une nostalgie inutile. Maintenant chaque jour qui passe amène chez l'enseignant du primaire un questionnement qui pourrait être bénéfique s'il n'était surtout dépréciateur: ai-je bien fait? Ne me suis-je pas trompé? L'instituteur, le professeur des écoles, est conforté dans ce doute permanent par sa hiérarchie, qui le juge injustement sur des pratiques qu'elle ne saurait elle même mettre en place, ou grâce à des statistiques absurdes qui ne sont guère que la démonstration ultime de sa totale incompétence pédagogique.

J'avoue me laisser aussi parfois toucher par ce doute. En dépit d'une carrière maintenant longue et d'une expérience assurée, il m'arrive encore de me demander face à un obstacle: l'ai-je bien franchi? Heureusement je sais attendre, les retours enfantins sont parfois longs à venir, mais ils viennent un jour ou l'autre, c'est un déclic d'une nuit de sommeil ou d'une période de vacances, qui fait qu'un élève qui peine revient en classe avec dans les yeux toute la compréhension du monde. Je plains les enseignants qui ne connaissent pas ce bonheur ultime de celui qui donne de tant recevoir d'un seul coup.

Ces deux derniers jours furent bien remplis. Outre ma classe toute la journée, je recevais donc une maman, et j'avais également comme directeur d'école deux réunions institutionnelles. Et curieusement j'ai eu lors de ces deux rencontres un égal sentiment, un égal questionnement, quant à ma position. Je suis directeur d'école: où est ma place? Un réunion de suivi de scolarisation, lors de laquelle ma présence était requise, mais qu'il n'était pas de mon ressort d'organiser ni d'en lancer les invitations et convocations; une réunion avec la municipalité, lors de laquelle il m'apparaissait que mon opinion était certes considérée comme importante mais qui en fait soulignait à mes yeux mon absence de latitude quant à la finalité des décisions.

L'enseignant doute, mais il a le choix de finalement s'organiser comme il l'entend pour l'objectif qu'il s'est fixé. Le directeur d'école, lui, n'en a aucun. Il respecte des règles qu'on lui impose, mais n'a à leur sujet aucune marge... ou si peu. Il est au service de tous, sans avoir jamais autre possibilité que proposer, à son équipe, à sa mairie, aux familles, quitte à se voir répondre vertement ou se faire bouler sans ménagement. Finalement, son seul pouvoir, c'est celui de l'admission des élèves... quand un DASEN ou un IEN ne lui téléphone pas pour imposer ses vues.

La direction d'école est pesante, elle n'est pas reconnue, elle est ingrate. Bienheureuse la direction d'école dont la municipalité est bienveillante et la hiérarchie immédiate attentive. Dans le cas contraire, le directeur d'école est bien seul. Les syndicats qui clament et réclament la préséance du Conseil des maîtres ignorent volontairement cette solitude qui ne se fait réellement jour que quand éclate un conflit ou intervient un problème.

J'attendais avec impatience les discussions promises par le ministre quant à la direction d'école et ses missions. J'espérais que rapidement certaines doléances des directeurs, faciles à résoudre et ne coûtant rien, seraient prises en compte ou du moins considérées avec attention. Il me faut admettre que pour l'instant il n'en est rien. Il me faut admettre que pour encore longtemps le directeur d'école n’aura aucune autonomie. Il me faut admettre que je dois, comme mes collègues, continuer à payer le prix des atermoiements et des malveillances. Il me faut admettre que je vais continuer à gérer la complexité de ma mission dans une totale incertitude. Alors que, j'en suis intimement persuadé, la question du statut des directeurs d'école est profondément liée à celle de la réussite des élèves.

Je suis directeur d'école: où est ma place?

dimanche 3 mars 2013

Les IEN ?


M. Pierre Frackowiak, Inspecteur honoraire de l’Éducation nationale, s'exprime souvent sur les méfaits et déséquilibres de ce ministère, et sur les missions des IEN, qu'il connait bien. Le voici qui exprime et qui met en débat dans les "Cahiers pédagogiques", sous le titre «Pas de refondation de l’école sans refondation de l’inspection», quelques réflexions qui rejoignent certains de mes billets, en particulier quand il évoque la monstrueuse pyramide de l’Éducation nationale. Mais il y a une différence entre M. Frackowiak et moi: celui-ci veut que les IEN accompagnent la ou les réformes, alors que moi j'aimerais autant qu'ils disparaissent tant la plupart d'entre eux sont incompétents et donc inutiles... Mais je rejoins M. Frackowiak sur son constat de la situation présente. Voici un extrait de son texte (les parties en gras sont de moi). Vous trouverez le texte intégral en cliquant ici.

"...
Au fonctionnement pyramidal classique ancien, avec ses tuyaux d’orgue et ses parapluies à chaque étage, avec les effets de zèle et les manœuvres d’auto protection de chaque catégorie professionnelle, avec comme seuls outils de commandement l’injonction et l’incantation, devra se substituer un modèle donnant toute leur place aux acteurs, à l’intelligence collective des partenaires dans et autour des établissements, reposant sur la confiance et la co-construction de tous les projets, sans attendre les ordres, les contrôles, les usines à cases, les instructions descendantes, les recommandations et les power points officiels.

(Dans le cadre de la refondation) Il est évident que les corps d’inspection ne pourront pas échapper aux révolutions attendues. Le pilote technocrate, «jeune» cadre dynamique, armé de son ordinateur, de ses courbes, grilles, tableaux, référentiels, feuilles de route préétablies, qui a oublié l’enfant et l’homme, en se prenant très au sérieux, devra laisser la place à un humain qui s’intéresse aux parcours des personnes, qui ne juge pas et ne sanctionne pas, qui essaie de comprendre les représentations des personnes, ce qui les pousse, les tire, déclenche des choix, et qui accompagne les changements de pratiques indispensables. Il ne s’agira plus de dire comment faire alors que l’on serait incapable de le faire soi-même, mais de rechercher uniquement le positif pour aider à la conscientisation des raisons des choix et à la compréhension des caractéristiques des modèles utilisés, pour favoriser la problématisation intelligente et la recherche partagée des évolutions possibles.

Il faudra reconnaître que cette vieille habitude de donner des conseils de moins en moins crédibles («cause toujours!») relève souvent d’une certaine malhonnêteté intellectuelle. «Monsieur P ou Madame Y pourrait, devrait, ne manquera pas, etc, etc» ces formules toujours faciles à égrainer du haut de sa fonction ne sont que des critiques en creux. Si Monsieur X ou Madame Y ne l’a pas fait, c’est qu’il ou elle a eu tort, et moi, chef, je sais comment il ou elle doit faire. On sait que les changements de pratiques sont très rarement provoqués par l’inspection. Les déclics nécessaires ne peuvent guère se produire dans un rapport de domination, de pouvoir. Ils se produisent au hasard de rencontres avec des collègues, avec un représentant de maison d’édition, avec un membre de RASED, avec un mouvement pédagogique… Ils ne peuvent se produire que si un fonds de formation professionnelle, d’information sur l’histoire de l’école, de culture pédagogique existe et si l’enthousiasme nécessaire au métier n’a pas été étouffé par le fonctionnement administratif de l’institution. D’où l’importance du dialogue ouvert non pas avec des hiérarques bardés de certitudes, mais avec des « ex-pairs experts » pour reprendre la formule de Philippe Meirieu, capables de comprendre, «d’expérimenter avec», de faire, d’accompagner les prises de conscience et les (une partie manquante).

Le fameux classique «je vais vous dire tout ce qui va. Vous êtes content(e)?» et le «et maintenant, je vais vous dire tout ce qui ne va pas» oubliant rapidement ce qui va et qui n’est qu’une mise en condition pour la démolition qui suit, est complètement obsolète. On sait depuis longtemps (exemple: les travaux de Victor Host à l’INRP au début des années 1980) qu’il ne sert à rien de dire à un enseignant qu’il parle trop, si on ne le connaît pas et si l’on ne recherche pas avec lui, en fonction de ses pratiques et non de nos certitudes, quelles stratégies il pourrait expérimenter pour que les élèves parlent plus.

Le pilotage par les résultats a encore aggravé le caractère infantilisant et désuet de ce type de pratiques. Il est dans la droite ligne de l’idéologie ultra libérale autoritaire. «Les courbes et les camemberts mettent clairement en évidence que les résultats dans votre classe sont nettement inférieurs aux moyennes du secteur, du département. Il faudra prendre toutes dispositions pour améliorer ces pourcentages l’année prochaine. Voici votre feuille de route!». Cette novlangue empruntée à l’industrie et à la finance a fait des ravages au cours de ces dernières années; elle prétend se justifier par les évaluations, alors que celles-ci n’en sont pas, il ne s’agit que de contrôle, que les critères sont contestables, que le fait de réduire les prétendues mesures aux maths et au français dans leurs aspects les plus mécaniques ne peut donner que de fausses images sur les compétences réelles des élèves. Elle cherche ses alibis dans la détection des fautes, des carences, des insuffisances avec la prétention affichée d’y remédier.
..."

samedi 2 mars 2013

Lassitude...


J'ai essayé de me reposer pendant ces deux semaines de vacances dont je vois la fin. Ce qui n'aura pas été simple, entre importants problèmes personnels et diverses sollicitations. Je suis aujourd'hui partagé entre une légère déprime (les conditions climatiques ne doivent pas y être totalement étrangères) et une certaine lassitude.

J'ai été plusieurs fois tenté d'ajouter quelques billets sur ce blog. Il faut dire que l'actualité ne manquait pas! Entre les intempestives déclarations de M. Peillon quant à la possible prochaine remise en cause des vacances d'été -dont tout le monde sait dans le milieu enseignant qu'elle est évidente mais fait semblant de l'ignorer-, les toujours intéressantes mais toujours tardives déclarations de M. Fotinos -j'y reviendrai peut-être dans un autre billet-, les rodomontades syndicales, les...

Je ne suis pas inquiet. Même si l'effarante quantité de réunions qu'il me faudra encadrer ou auxquelles il me faudra assister d'ici les prochaines vacances de printemps laisserait pantois n'importe qui. Je ne me questionne pas plus qu'avant quant à ma position de directeur d'école ou quant à mon labeur d'enseignant sur le billot pendant six heures quotidiennes. Au contraire, j'envisage avec une certaine sérénité de me pencher sur la diminution de la durée quotidienne de la journée d'école et l'organisation des futures APC. J'aurai au moins vu les prémices d'une amélioration des conditions de travail de mes élèves avant la fin de ma carrière.

Mais je suis las. Las d'entendre ou lire des collègues qui se croient investis d'une mission divine avec leur métier d'enseignant, et refusent tout changement au nom de choses auxquelles ils ne croient pourtant plus depuis longtemps. Las des sempiternels questionnements, toujours les mêmes, quant à leur place ou leur importance qu'ils surestiment largement. Las de leurs croyances absurdes -aaah, les dix mois payés sur douze!- et de leurs problèmes de communication dont ils ne voient pas qu'ils en sont les premiers responsables. Las des réclamations et déclarations syndicales incompréhensibles ou contradictoires parce qu'elles ne riment à rien, des envolées lyriques à l'emporte-pièce, des propositions de grève ou de manifestation inutiles et redondantes qui ne font qu'accentuer un peu plus chaque jour la scission entre le milieu enseignant et la population. Las des commentaires haineux dans les journaux et sur internet, dont l'intensité s'amplifie de jour en jour. Et las de lire ou entendre en permanence des constats d'experts ou de journaleux, toujours les mêmes experts et les mêmes constats et les mêmes gratte-papier, sur l'état de l'école en général ou l'état d'esprit des enseignants, alors que ces mêmes experts et ces mêmes fouille-m[...] n'ont pas fichu les pieds dans une école depuis des décennies, quand bien même ils l'ont fait un jour.

Je vais donc reprendre le boulot. J'ai intérêt à sérieusement consolider l'agenda de mars et avril des rencontres et réunions après le temps de classe si je ne veux pas m'y perdre! Et il est vrai que je serais certainement plus serein si je n'étais que l'adjoint attentionné d'une directeur d'école compétent, sans toute cette organisation à mettre en place.

Il faut bien le dire: la direction d'école, en ce moment, n'est pas à la fête. Vous qui me lisez savez depuis longtemps qu'avec abnégation nous continuons à remplir notre mission dans des conditions dont la difficulté s'amplifie. Notre rôle et notre importance sont niés, alors que tout repose sur nos épaules. Tout? Oui. Tous ces changements de rythmes devront être préparés, organisés, surveillés attentivement. Qui le fera sinon les directeurs et directrices d'écoles? Pour autant rien n'est venu pour l'instant nous affranchir de quelque responsabilité ou nous en donner le bénéfice. Pire, les discussions quant à notre statut, qui devaient se tenir ce premier trimestre 2013, sont repoussées aux calendes grecques. La direction d'école, concrètement, n'intéresse personne: les syndicats ne se sont saisis du problème que pour des raisons électoralistes, et certains sont manifestement prêts à l'abandonner à la première opportunité; les adjoints s'en foutent royalement et ne pensent qu'à leur petite personne; le ministère quant à lui "y réfléchit" et prend prétexte d'un "manque de moyens financiers dans une conjoncture difficile" pour ne pas seulement entamer la discussion ou proposer quelques mesures qui pourtant pour certaines ne coûteraient rien à l’État, mais seraient un réel gage de bonne volonté, et dès leur lancement amélioreraient grandement le quotidien des directeurs d'école. C'est même un recul qui à mon grand effarement nous est proposé avec le prétendu "allègement de service" des directeurs d'école sur les heures d'APC. Ces gens-là ignorent tout de notre mission, et se réjouissent clairement de leur geste royal qui consiste à soulager les directeurs d'un certain nombre d'heures en fonction de leur temps de décharge habituel. Alors qu'il eut été si simple de totalement exonérer la direction d'école des heures d'APC qu'ils doivent déjà organiser, et dont ils seront responsables de la sécurité car ce sera un temps scolaire. Sans compter que les directeurs d'écoles seront aussi légalement responsables de la sécurité des élèves pris par les personnels communaux intervenant sur ce temps dans les locaux scolaires, comme de celle des personnels eux-mêmes!

C'est donc ainsi que, n'étant pour ma part aucunement déchargé, on m'octroie impérialement six heures sur trente-six, j'en devrai donc trente d'encadrement -tout en veillant à ce que tout se passe bien ailleurs- que je cumulerai avec une joie ineffable à mes responsabilités habituelles. Je me promets de jolies fins de journées...

Bref, comme il était hélas prévisible et comme je l'avais prévu, dans tout ce salmigondis indigeste d'agitation médiatico-syndicale la direction d'école passe une fois de plus à la trappe. Je ne perds pas espoir, mais j'avoue que prêcher dans le désert devient laborieux, et je fatigue un peu. Je ne pense pas lâcher ma mission, qui pourtant est chaque jour un peu plus lourde et un peu plus absurde, au point d'ailleurs de parfois largement entamer celle de l'enseignant, mais combien de directeurs et directrices d'écoles vont craquer cette année et reprendre un simple poste d'adjoint? Depuis vingt ans la fonction est dévalorisée à un point tel que de nombreuses directions d'école restent vacantes et ne sont pourvues qu'à titre provisoire par de jeunes enseignants débutants. Combien y en aura-t-il cette année?