lundi 10 avril 2017

Et les Directeurs d'école, dans tout ça?

Et les Directeurs d'école, dans tout ça?

Je viens de partager sur Facebook un article clair de vousnousils qui évoque proprement la nécessité d'un statut juridique pour les écoles, préalable certainement à un statut pour les Directeurs d'école. C'est le SGEN-CFDT qui s'est emparé du dossier, avec vigueur, et je les en remercie.

Je viens également de faire un tour sur divers sites du SE-UNSA... et bernique! Alors que Christian Chevalier nous a longtemps soutenus dans notre démarche, faisant partie de ceux qui nous ont accompagnés pour une reconnaissance de notre métier spécifique, aujourd'hui acté par un référentiel précis, une recherche sur n'importe quel site du syndicat ne donne pas grand chose. Ne donne rien, ne fait. Pire: le métier de Directeur d'école n'apparait nulle part!

Où est le SE-UNSA aujourd'hui? Car s'il est bien une période où nos centrales syndicales devraient bouger leur petit cul, c'est bien celle des élections présidentielles, et avec des revendications précises et claires comme vient de le faire le SGEN-CFDT. Personnellement, je n'ai pas vraiment envie de me retrouver sous la coupe d'un principal de collège (projet qui traîne dans les valises de certains candidats) ou dans un statu-quo mortifère, ou encore des discussions sans fin qui ne feraient que retarder un peu plus ce qui est à mes yeux indispensable et inévitable, soit la transformation des écoles en établissements avec à leur tête un vrai Directeur d'école issu du primaire.

C'est maintenant qu'il faut y aller. Attendre ne sert à rien sinon à faire peser des risques importants sur l'avenir de l'école.


dimanche 9 avril 2017

Je me sens très seul...

C'est un sentiment très curieux qui m'assaille depuis de longs mois. Celui d'être totalement seul. Dans mon travail j'entends, pas dans ma vie privée. Une étrange sensation d'isolement, d'être devenu en quelque sorte imperméable à ceux qui gravitent auprès de moi.

Intellectuellement je sais parfaitement que ce n'est pas vrai. Émotionnellement en revanche j'ai le sentiment de planer au-dessus des autres. Ils ne me concernent pas, alors qu'ils me touchent, qu'ils me blessent ou qu'ils me réjouissent. Mais curieusement je m'en détache, comme si je n'en avais plus rien à faire.

C'est d'autant plus surprenant de ma part que j'ai toujours été un personnage sociable. C'est même chez moi une manœuvre de survie, je ne supporterais pas d'être au cœur de conflits larvés, de malveillances et de rancœurs inavouées. Alors je souris, je ris, je concilie, j'apaise, j'affronte les problèmes à mesure qu'ils viennent, dans la mesure du possible. Ce qui ne signifie pas pour autant que je me livre plus que ça, mon dehors affable ne livre rien de ce que je suis ou pense réellement, ce n'est qu'une image et ça l'a toujours été. Je ne suis pas transparent, je suis même plutôt secret et la confiance comme l'assurance que je montre quotidiennement ne sont qu'une façade riante et charmante qui cache un bâtiment instable. Et inachevé.

Mon épouse me disait récemment que je faisais un travail exceptionnel, comme enseignant et comme Directeur, mais que je ne m'en rendais plus compte. Je ne sais même pas si je m'en suis rendu compte un jour. J'en ai des preuves, je sais l'estime que me portent ma hiérarchie, mes parents d'élèves, les enseignants de mon école, les élus et les services de ma commune d'exercice, je sais ma réputation dans le métier. Tout cela ne vient certainement pas par hasard. Mais mon malheur - un bonheur peut-être pour ceux que je côtoie et mes élèves en premier - est de me remettre en question chaque jour et de douter quotidiennement de mes compétences comme de la qualité de mon travail. C'est d'autant plus absurde que je vois bien jusqu'où j'accompagne les enfants, leurs progrès constants, et l'affection profonde qu'ils me portent (et comme Directeur c'est aussi le cas des enfants des autres classes qui fantasment pour venir dans la mienne tout en redoutant mes coups de gueule). C'est aussi à mon sens nécessaire, chaque enfant que je croise est une personne différente qui mérite qu'on s'occupe d'elle individuellement. Néanmoins en dépit du travail accompli je n'ai chaque fin de journée comme chaque fin d'année que des remords et des regrets, ceux de n'avoir peut-être pas fait pour certains tout ce que j'aurais pu faire.


On pourrait croire qu'avec l'âge et l'expérience cette impression s'atténuerait. Au contraire elle s'exacerbe. Toute la considération qu'on me porte ne change rien à mon sentiment. Savoir que mes adjointes estiment réellement mon boulot (qui est de les épargner pour qu'elles puissent travailler avec le maximum de sérénité), savoir que les enfants et les familles sont ravies de venir à l'école, savoir... ne fait rien à mon incertitude ni à cette sensation d'isolement qui est la mienne depuis longtemps et s'amplifie à mesure que les mois passent.

Savoir est une chose, l'entendre en est une autre. On pourrait m'exprimer de temps à autre que je fais du bon boulot, mais le système éducatif français ne va pas dans ce sens. Dans notre métier la pyramide institutionnelle considère que tout va bien tant que ça ne va pas mal. Pas de plainte? Bon enseignant! Le Directeur d'école est dans le même lot. Pas de récrimination des familles ou des adjoints? Alors tout va bien. Ce qui n'empêchera pas la hiérarchie de nous tomber dessus à bras raccourcis à la moindre peccadille. Le projet d'école existe, et fonctionne bien? C'est normal, c'est le contraire qui ne le serait pas. Les longues heures passées à prévoir, préparer, organiser, puis faire, indiffèrent totalement. A moins que ce projet soit mis en avant de façon à valoriser l'institution, comme par exemple avec de prétendues innovations qui n'en sont pas, un Directeur et son équipe ne recevront en remerciement de leur travail qu'un silence assourdissant.

Je me demande si aujourd'hui "innover" ne consisterait pas simplement à faire le maximum que nous pouvons pour nos élèves. Mais cette innovation-là, si elle se fait au grand jour, n'aura pas les honneurs. De personne.

Hier samedi, j'ai travaillé pour l'école. J'ai du boulot cet après-midi et ce soir, pour l'école encore et pour ma classe aussi. Comme chaque jour, vaqué ou non. Des heures volées qui me permettent d'être performant, de mieux répartir mes tâches, et de tirer une certaine satisfaction de ce que l'école "tourne bien" ou "fonctionne". Satisfaction de courte durée, délétère, qui accentue chaque jour ma solitude tant j'ai l'impression que cet état de grâce est devenu une norme que je devrais forcément chaque jour dépasser. Je ne le peux pas, j'ai peur de la moindre faillite, du moindre grain de sable qui viendrait perturber la machine, de la rouille qui ferait grincer les rouages. Chaque matin je viens à l'école et je fais bonne figure, l'appréhension au ventre, chaque soir je souffle de soulagement en m'enfuyant littéralement. Et je me sens encore plus seul.

Je suis comme une île qui à chaque instant m'éloignerais un peu plus du rivage...