mercredi 30 janvier 2013

La stratégie du ben oui, ben non...


Le présent gouvernement, comme notre Président de la République, ont adopté une stratégie étonnante que j'appellerai la stratégie du "ben oui, ben non".

Ce succédané de gestion de l’État répond à la définition suivante: je reconnais un problème, et je ne fais rien pour le résoudre. C'est ce qu'on pourrait appeler le degré zéro de l'investissement politique.

Notez que je ne reproche rien à ce gouvernement sur ce point, car il ne fait que persister dans des atermoiements dont nous autres français sommes familiers depuis trente ans. Sauf que les précédents gouvernants cachaient leur inaptitude derrière une autosatisfaction puissante (Mitterrand), une hyperactivité forcenée mais déplacée (Chirac) ou en faisant strictement l'inverse de ce qu'il aurait fallu faire (Sarkozy). Le présent staff qui nous dirige, lui, regarde et reste inerte, tel une poule devant un couteau.

Voulez-vous un exemple? Celui de la rémunération des enseignants du primaire, question chère à mon cœur, est particulièrement parlant, d'autant que M. Peillon ne se prive pas de le colporter dans tous les médias:

- M. Peillon, pensez-vous que les enseignants du primaire sont mal rémunérés?
- Ben oui.
- Allez-vous faire quelque chose pour y remédier?
- Ben non.

Notez que son patron Président ne se prive pas d'utiliser la même stratégie. Dernier exemple en date, celui du "mariage pour tous" (quelle abominable expression!):

- Monsieur le Président, beaucoup de français ne veulent pas de ce "mariage pour tous", vous l'avez vu avec le succès incontestable de la manifestation du 13 janvier...
- Ben oui.
- Allez-vous aménager votre projet?
- Ben non.

Bon, forcément, le discours réel est plus construit que ce "ben oui, ben non" comminatoire. Mais cela revient strictement au même, tellement ces gens-là sont persuadés d'avoir raison. Sauf que les choix qui sont faits en dehors parfois de toute vraisemblance ne conviennent pas forcément à la majorité de la population. Étonnez-vous ensuite d'avoir aussi peu d"inscrits puis de votants aux divers scrutins qui ponctuent la vie française...

Je ne peux m'empêcher d'ailleurs de constater que cette stratégie est aussi contagieuse qu'un mauvais virus, si j'en prends l'exemple que les enseignants parisiens nous ont donné dernièrement en se mettant en grève seuls d'une manière qui a laissé pantois nombre d'enseignants de province et donné une image désastreuse de la profession dans les médias:

- Vous enseignant du primaire à Paris, vous êtes conscients que la semaine de quatre jours est une catastrophe pour les élèves?
- Ben oui...
- Vous devez donc saluer avec joie la réforme de M. Peillon?
- Ben non...

Avant de me mettre à dos tous les instits parisiens, je dois admettre que ceux-ci bénéficient aujourd'hui de quelques privilèges, sous la forme d'intervenants extérieurs payés par la ville de Paris, qui risquent fort de s'amenuiser prochainement devant les frais occasionnés par l'accueil périscolaire supplémentaire qu'implique la réforme des rythmes scolaires. Je ne peux guère leur reprocher de les défendre, d'autant que notre métier est devenu si difficile que pouvoir souffler de temps à autre n'est pas un luxe. Mais le résultat de cette grève est, disons-le franchement, catastrophique, public comme médias n'y ayant rien compris ou ayant fait semblant de n'y rien comprendre. Nous avions déjà une image horrible bien que parfaitement injuste, merci pour le charmant cadeau de nos chers collègues. Voilà bien d'ailleurs l'illustration de la parfaite inutilité d'une grève, et de l'action malfaisante de nombreux syndicats restés au stade de la lutte des classes -sans jeu de mots-...

J'ai bien conscience que ce raccourci du "ben oui, ben non" est parfaitement sommaire, et ne peut résumer les tenants et aboutissants d'une réflexion globale sur le fonctionnement du système scolaire public français. Il serait opportun d'y ajouter un "ben peut-être" très normand dans son expression, mais si sibyllin dans sa signification. Transformons donc notre première intervention:

- M. Peillon, pensez-vous que les enseignants du primaire sont mal rémunérés?
- Ben oui.
- Allez-vous faire quelque chose pour y remédier?
- Ben peut-être... quand j'aurai du flouze!
- Mais aujourd'hui?
- Ben non...

Vous admettrez que cela ne change pas grand chose dans les faits. Néanmoins, la porte reste ouverte -le PS aime les portes ouvertes, contrairement à l'UMP qui les tenait fermées d'une poigne volontaire bien que suicidaire-.

Pour les directeurs d'école aussi la porte est ouverte. Mais gare aux coups de vent qui les ferment bruyamment et coincent les doigts, ce qui fait très mal. Il va falloir que le GDiD cale fermement son pied pour l'éviter...

- M. Peillon, il y a en France un problème important de la direction d'école...
- Ben oui.
- Les directeurs d'école sont aujourd'hui les meilleurs garants de la réussite de la "refondation" que vous voulez accomplir...
- Ben peut-être...
- Allez-vous donner aux directeurs d'école le statut qui leur est nécessaire pour accomplir leur mission au mieux de l'intérêt de leurs élèves?
- euh...

Je préfère rester pour l'instant sur ce "euh" qui n'engage à rien... en attendant des discussions qui tardent à venir.

dimanche 27 janvier 2013

L'exploit !


Voilà qui est fait, le décret sur les "rythmes scolaires" est paru au Journal Officiel du 26 janvier.

J'ai suffisamment exprimé sur ce blog mes réticences sur certains points, sur certaines priorités, sur certains manques, pour ne pas forcément avoir besoin d'y revenir. En revanche, je voudrais exprimer ma satisfaction sur deux points, qui sont des points importants voire primordiaux:

1) enfin nous travaillerons le mercredi matin! Je réclamais ça depuis trente ans pour éviter à mes jeunes élèves de maternelle la dramatique rupture de rythme du mercredi...

2) l'aide personnalisée disparait! Joie, Noël, félicité! Cette invention diabolique qui n'a jamais été utile à grand chose, en dépit des argumentaires fallacieux émis depuis plusieurs années par des IEN à la botte, disparait dans les poubelles de l'histoire du système éducatif français. Alléluia!

Ce décret donc, sur ces deux points primordiaux, me satisfait pleinement en tant qu'instit'. Reste à définir les modalités de l'aide financière qui sera éventuellement apportée aux enseignants qui devront se déplacer une journée de plus par semaine, dans une période où il ne passe pas une semaine sans qu'un quotidien ou un magazine pointe et dénonce le désastreux niveau de rémunération des enseignants du primaire en France. Nous verrons bien.

Néanmoins, je dois saluer l'exploit rare commis par le ministère de l’Éducation nationale dans ce décret. Non, je ne parle pas des APC (Activités Pédagogiques Complémentaires) qui auraient dû être mises en place par les communes en fin d'après-midi pour des élèves lâchés 3/4 d'heure plus tôt qu'avant, APC qu'il ne sera finalement pas obligatoire de constituer et qui ne seront pas obligatoires pour les élèves... Rappelez-vous que M. Peillon avait dit qu'aucun enfant ne quitterait l'école avant 16h30. Cela s'appelle un joli renoncement, mais il est logique dans une France qui aujourd'hui encore compte de nombreuses écoles dans de toutes petites communes qui n'auraient de toute façon jamais eu les moyens financiers de le faire. Ce sera donc aux parents, comme je l'avais depuis longtemps prévu -relisez ce blog-, de payer leur nounous ou autre service de garde, en espérant que ces frais supplémentaires seront compensés par ceux qui étaient jusqu'à présent dévolus au mercredi matin.

Non, quand je parle d'exploit, c'est celui de n'avoir pas une seul fois dans le décret écrit les mots "directeurs d'école" ou "direction d'école". C'est un comble. Il faut croire que nous n'existons pas. Notre rôle dans cette nouvelle configuration de l'école publique est primordial, et nous ne sommes même pas cités. Voilà un mauvais signal envoyé par le ministère alors que des discussions quant à notre statut et notre mission devraient prochainement débuter si le ministre tient parole.

Je cite: « Art. D. 521-13. − Des activités pédagogiques complémentaires sont organisées par groupes restreints d’élèves :
1° Pour l’aide aux élèves rencontrant des difficultés dans leurs apprentissages.
2° Pour une aide au travail personnel ou pour une activité prévue par le projet d’école, le cas échéant en lien avec le projet éducatif territorial.
L’organisation générale de ces activités pédagogiques complémentaires est arrêtée par l’inspecteur de l’éducation nationale de la circonscription, sur proposition du conseil des maîtres. Les dispositions retenues à ce titre sont inscrites dans le projet d’école. Le maître de chaque classe dresse, après avoir recueilli l’accord des parents ou du représentant légal, la liste des élèves qui bénéficient des activités pédagogiques complémentaires. »

Ainsi donc, contrairement à toute logique et toute efficacité, le décret soigne l'ego des IEN en leur laissant  la haute main sur les APC, au grand profit de projets de circonscription parfaitement éloignés des réalités de chaque école, et au détriment d'une autonomie indispensable des unités pédagogiques locales. Travaillant moi-même dans une circonscription mixte dont les écoles n'ont entre elles aucun point commun (grosses écoles en ZEP-RAR / petites écoles rurales favorisées), je ne me fais aucune illusion quant à ce qui va être pratiqué. Le SIEN a bien travaillé.

Le ministre croit-il que la question de la direction d'école se résume à un problème de statut? Certes, notre mission a besoin d'être clairement définie; certes nous avons besoin d'une existence juridique; certes nous voulons que nos émoluments et notre position au sein de l’Éducation nationale soient à la hauteur de nos responsabilités. Mais ceci n'a pas de sens si les écoles ne recouvrent pas l'autonomie qui leur est nécessaire pour travailler, dans le respect de leurs besoins locaux. Les conseils de maîtres cités dans le décret, ce sont des équipes d'enseignants, avec leur directeur en tête, qui ne veulent plus être à la merci des obsessions ou des caprices d'IEN qui n'en font qu'à leur tête, au gré des modes ou des coups de projecteur médiatiques ou ministériels.

Nous voulons des écoles fortes, autonomes, attentives aux besoins de leurs élèves, dirigées par des directeurs d'école statutaires reconnus et valorisés. Nous ne voulons plus de cette pyramide jacobine qui tue l'école publique française depuis tant d'années. Quand le comprendrez-vous, Monsieur le Ministre?

samedi 26 janvier 2013

La chienlit...


Comment en est-on arrivé là?

Décriés, vilipendés, écrasés pendant cinq ans par un gouvernement qui les haïssait, les enseignants français accordaient au nouveau gouvernement un capital de confiance dont l'importance était à la mesure de l'espérance qu'ils mettaient en des jours meilleurs. Entendre pendant des années qu'ils étaient des profiteurs, des nantis, de plus incompétents et hostiles à tout changement, avait amené les enseignants à croire qu'un nouveau ministre, philosophe de formation et ancien professeur, saurait enfin les écouter et remédier aux maux croissants du système, comme reconnaître leur réel investissement au service de leurs élèves et remonter leur moral défaillant face à une paupérisation galopante.

La chute est brutale, et fait mal.

Après avoir écouté durant de longs mois tout le monde et n'importe qui, qui pouvait avoir une opinion aussi délirante soit-elle sur l'école et son fonctionnement, M. Peillon a enfin commencé son travail et sorti un premier projet de décret pour, selon ses dires, "refonder l'école". Le seuls à n'avoir été aucunement consultés, hélas, ont été bien entendu les enseignants. Laisser de côté plusieurs centaines de milliers d'acteurs quotidiens du système, il fallait oser. M. Peillon l'a fait. Il dira que les syndicats ont rempli ce rôle, mais quand on sait la représentativité des dits syndicats -et il suffit pour ça de regarder les chiffres des dernières élections professionnelles-, on comprend facilement que ceux-ci ne représentent plus qu'eux-mêmes, chacun d'entre eux avec de plus ses obsessions particulières, qui pour la réunionnite inopérante et galopante, qui pour le refus systématique de toute hiérarchie -ni Dieu ni maître!-... En fin de compte, si certaines centrales ont timidement mis en avant ce qu'elles appellent "des avancées", elles ont bien elle-mêmes été contraintes de voter contre le projet de décret au CSE. Comme quoi elles n'ont pas su faire entendre la voix des soutiers qui quotidiennement exercent leur métier d'enseignant dans des conditions de plus en plus difficiles.

Alors que sur le terrain chacun disait que la priorité devait être d'alléger des programmes d'enseignement lourds et inadaptés, M. Peillon s'est attaqué aux "rythmes scolaires". Pourquoi pas, il faut bien commencer par quelque chose. Monsieur le ministre a donc décidé de mettre au travail les enseignants le mercredi matin pour, selon ses propos, alléger la journée de travail des enfants.

Joli allègement. Là où un autre pays aurait en plus du mercredi joyeusement sabré les horaires quotidiens pour allonger l'année de deux semaines prises sur les longuissimes vacances d'été, Monsieur le Ministre a fait un choix mi chèvre mi choux qu'il croit sans doute consensuel mais qui au final ne satisfait personne car il met tout le monde dans l'embarras. Que s'est-il donc passé dans ce ministère entre septembre et décembre 2012 pour que puisse être proposé un projet de décret qui ne tienne compte d'aucune des réalités du terrain, qu'il s'agisse de son impact financier ou des personnels concernés? Ces gens se sont-ils autocongratulés pendant quatre mois?

En effet, M. Peillon clame à tous vents que le travail du mercredi ne coûtera rien aux communes ni aux territoires. Il faut oser. Ou alors c'est une illustration frappante de la méthode Coué. Ouvrir une demi-journée supplémentaire les locaux scolaires, avec ce que cela implique pour les transports scolaires, les frais de personnel et de nettoyage, d'éclairage et de chauffage, cela ne coûte rien? Vouloir garder les enfants au sein des écoles ou dans des locaux municipaux jusqu'à 16h30, à la garde des enseignants pour quelques-uns ou de personnels municipaux diplômés pour la plupart, cela ne coûte rien? Il faudra bien que les communes élaborent un budget particulier, et au final ce seront bien les contribuables qui mettront la main à la poche, ce qui illustre bien l'idée que la "gauche" française n'a jamais su qu'augmenter les impôts tout en s'en défendant. De plus, où les communes trouveront-elles le personnel pour cette heure quotidienne supplémentaire? La plupart n'auront pas le choix, elles devront faire payer les usagers, totalement ou plus probablement en partie. Quant aux toutes petites communes, dans lesquelles le périscolaire n'est pas présent -ni moyens, ni locaux-, elles ne pourront pas du tout faire face, ce qui laisse craindre que de nombreux élèves rentreront chez eux sans activité complémentaire aucune. Où est l'égalité des territoires là-dedans?

Et puis, cela amène d'autres interrogations pour les communes. Centres aérés, restaurants scolaires ou garderies fonctionnent grâce à des conventions particulières signées avec Jeunesse et Sports ou les CAF. Le mille-feuilles qui préside à l'élaboration d'un service municipal de la Jeunesse ne se met pas en place tout seul. Or Monsieur le Ministre donnait jusqu'au 1er mars aux communes pour prendre leur décision d'appliquer le décret en septembre 2013, ou par dérogation justifiée en septembre 2014. Ce n'était même plus illusoire, c'était absurde. M. Peillon comptait jusqu'à 60% de communes favorables en décembre 2012, un mois plus tard la proportion s'est fort logiquement inversée, et ne concerne plus au prime abord que les grandes agglomérations urbaines "de gauche" pour lesquelles il s'agit le plus souvent d'une décision purement politique (Nantes, Dijon, Lyon...). Bien sûr, le projet de décret est actuellement certainement en partie réécrit, le délai imparti a été repoussé in extremis à la fin mars, mais cela ne devrait pas changer grand chose tant que l’État refusera de prendre en compte le coût réel de sa décision comme le temps d'une institution territoriale, qui n'est pas le même que celui du ministère.

Pour les enseignants et les élèves, qui sont les premiers concernés, qu'en est-il? Pour les élèves, cela ne changera pas grand chose. On peut juste espérer que la semaine désormais continue sera propice aux apprentissages. Nous verrons bien. Pour les enseignants en revanche, le changement est plus important.

D'abord, il porte en germe une main-mise municipale sur les écoles, puisque les municipalités seront contraintes, même si elles n'en avait aucune envie, d'opérer des choix d'emploi du temps hebdomadaires et quotidiens qui impacteront directement le fonctionnement des écoles et le travail des enseignants. C'est une première. On peut l'estimer intéressante ou la honnir, cela reste une réalité. Moi qui milite activement pour une autonomie accrue des écoles au plus près des besoins des élèves, je ne peux que saluer le changement. Mais on peut légitimement craindre qu'à certains endroits du pays les évolutions ne s'opéreront pas sans douleur, ainsi qu'éventuellement à l'avenir cette emprise devienne plus forte. Sera-t-elle bénéfique? J'aime mieux rester optimiste. Je préfère de toute façon cette possibilité, toujours dans l'idée de la forte autonomie des écoles que je réclame, à celle d'un choix opéré par les DASEN (Directeurs Académiques) qui n'ont qu'une idée très vague du fonctionnement réel du terrain, mais qui ont de fait par le projet de décret le pouvoir de décision final quant aux choix d'emploi du temps proposés par les municipalités. Vous remarquerez que personne ne demande l'avis des familles, des enseignants, ou du Conseil d'école... Ah si, je mens par omission, le Conseil d'école peut "le cas échéant" (sic) émettre une proposition. Ah ah ah. J'espère qu'une majorité de municipalités préfèrera, ne serait-ce que par principe, consulter sa population et les écoles.

D'autre part, venir travailler une demi-journée supplémentaire implique de réels frais, de déplacement à une époque où l'essence coûte la peau des fesses, ou de garde pour les jeunes enseignantes en charge d'enfants -83% de femmes dans l'éducation nationale, ce n'est pas rien-. De plus, contrairement à leurs homologues du secondaire qui n'ont que dix-huit heures de cours à assurer et sont grassement défrayés pour leurs heures supplémentaires, heures de réunion, ou rencontres avec les parents, les enseignants du primaire eux n'ont que leur traitement de base sans aucun ajout et sont sur leur lieu de travail 27 heures par semaine. Les enfants n'en ayant plus que 24, la logique d'un état qui ne veut nous faire aucun cadeau implique qu'il faille bien occuper maîtres et maîtresses pendant les trois heures restantes.

Le gouvernement précédent avait inventé l'AP (Aide Personnalisée), celui-ci la remplace par l'APC (Activités Pédagogiques Complémentaires). J'en ai déjà parlé sur ce blog, les hauts fonctionnaires de l’Éducation nationale sont champions pour inventer des sigles. L'aide personnalisée est morte, qu'elle repose en paix, je l'ai suffisamment haïe pour la laisser dormir de son dernier sommeil sans aucun remord. Ces nouvelles APC ne durent plus qu'une heure par semaine, les enseignants se partageant les deux heures hebdomadaires restantes entre réunions et temps de formation, dont une partie à distance grâce à internet -on va bien rigoler-. Je peux imaginer que dans une grosse structure deux heures hebdomadaires ne soient pas de trop (quoique...), mais dans mon école de deux classes je ne vois pas bien ce qu'on pourra se raconter avec ma collègue. Compte-rendu de réunion: cette semaine, belote... Mais revenons aux APC. Elles sont destinées à aider les élèves en difficulté (on y revient), ou à pratiquer des activités en lien avec le projet d'école ou le "Projet Éducatif Territorial" (PEDT -ils ont mis le D parce qu'autrement il était trop facile de dire que...-). Pour une application de la réforme en septembre 2013, la mise en place par une commune des lignes directrices du projet éducatif territorial devrait avoir lieu avant avril 2013 au plus tard.

« Le projet éducatif ter­ri­torial com­prend l’ensemble des actions qui contribue à assurer la réussite de tous les enfants et les jeunes, à orga­niser la conti­nuité éducative entre le temps sco­laire et les autres temps de l’enfant, à associer les parents et plus lar­gement la com­mu­nauté éducative à l’atteinte de ses objectifs. Il permet de coor­donner les actions péda­go­giques orga­nisées dans le cadre du projet d’école avec les ini­tia­tives des col­lec­ti­vités ter­ri­to­riales et les pro­po­si­tions des asso­cia­tions dont celles de l’éducation popu­laire. Il organise et valorise leur com­plé­men­tarité au service de la cohé­rence et de la conti­nuité éducative à l’échelle ter­ri­to­riale. »

L’association des Maires de France (AMF) a cerné une partie du problème en affirmant : « Le projet éducatif ter­ri­torial est une condition obli­ga­toire à la prise en compte par le Dasen des pro­po­si­tions faites par le maire d’organisation de la semaine sco­laire. À défaut de pré­ci­sions sur son contenu, il est illu­soire de penser qu’il pourra être élaboré rapi­dement. Or il s’agit d’un élément déter­minant dans le choix des maires pour une appli­cation de la réforme. »

Le réseau Prisme soulève lui une autre question: « Les projets de réussite éducative, qui ont rendu obli­ga­toire le portage du projet par une structure juri­dique ad hoc ont montré la voie vers de nou­velles formes de gou­ver­nance du par­te­nariat éducatif où tous les acteurs concernés peuvent s’impliquer en étant reconnus. Il faudra bien pour les PEDT définir un cadre (juri­dique ?) réunissant tous les acteurs concernés pour définir, mettre en œuvre et évaluer la poli­tique éducative du ter­ri­toire. »

Voilà qui amène de nouveau évidemment à se poser la question de la place primordiale des directeurs d'école dans ce qui va se passer dans de nombreuses communes dès septembre 2013. Car qui décidera finalement du nombre et du nom des élèves encadrés par les enseignants lors de l'APC, qui doivent être pratiquées "en groupes restreints", et donc de ceux pris en charge par les agents municipaux? Les enseignants -par décret- et le directeur, forcément. Qui devra organiser l'articulation, en raison notamment des problèmes de sécurité? Le directeur, obligatoirement. Qui a la responsabilité des locaux pendant le temps scolaire? Le directeur. Il faut comprendre que les locaux d'une école forment un tout, et ne sont pas dissociables: si un accident survient pendant l'APC, qui est un temps d'école, dans une activité encadrée au sein de l'école par un animateur, le directeur en est responsable, sauf convention particulière agréée par l’administration. Mais quelle est la valeur juridique d'une convention signée par un directeur d'école qui n'a aucune reconnaissance légale pour le faire? Que se passerait-il si un accident grave survenait, ou un incendie? Il est à craindre que, conventionnement ou pas, la Justice retombe sur le dos de la direction d'école, qui est depuis toujours de facto la responsable des locaux.

Il faut néanmoins reconnaître que cette fois tout de même avec l'APC on tient compte de l'idée que peut-être certains enfants en difficulté ont plus besoin de voir d'autres horizons que de faire deux heures de boulot de plus que leurs camarades. Cette fois tout de même on tient compte de l'idée que cela permettra aux enfants de maternelle, qui à l'heure de l'aide personnalisée suçaient leur pouce et s'endormaient debout, de ne pas bachoter de façon inconstructive. Cette fois tout de même on tient compte de l'idée que peut-être le projet d'école a dans certaines écoles de l'importance. Bref, on va tout de même vers le mieux, en se laissant la possibilité d'aider ponctuellement certains enfants. Jusque là rien à dire.

Mais il va falloir que le ministère se penche sérieusement sur le problème de la direction d'école. D'abord parce qu'on sait qu'aucune réforme ne peut fonctionner sans l'implication des directeurs d'école, ce que de nombreux rapports soulignent avec constance depuis des années. Ensuite parce que les questions juridiques que le projet de décret souligne sont une sérieuse pierre d'achoppement. Clairement les directeurs d'école n'accepteront pas de rentrer dans un dispositif qui leur demande autant, en particulier en termes de responsabilité, sans en avoir un minimum les fruits. Il n'est plus possible de se passer d'une reconnaissance juridique claire et précisément définie pour tout ce qui se passe pendant le temps scolaire. Quant à imaginer un statut juridique sans tout ce qui l'accompagne, c'est à dire un statut différencié de celui des enseignants, avec du temps de travail, une reconnaissance institutionnelle et salariale, ce serait suicidaire pour un ministre qui depuis un mois accumule les maladresses.


vendredi 25 janvier 2013

La frustration du blogueur solitaire...


Ne croyez pas que je vous aie abandonnés! Une réinstallation d'ordinateur, quelques problèmes personnels, du boulot par-dessus la tête... et une puissante frustration née de la gestion au jour le jour par notre ministère des questions concernant l'école primaire publique française.

Effectivement, j'avais passé un certain nombre d'heures à écrire un fort long et fort passionnant -si, si!- billet sur les atermoiements, volte-face et autres joyeusetés de la réforme des rythmes scolaires, quand plusieurs décisions, changements et aménagements de dernière minute ont fichu en l'air tout le fond de mon article.

S'il y a un truc frustrant, c'est bien ça! Vous écrivez des tas de choses intéressantes, et paf! Par simple esprit de contradiction ceux que vous décriez remettent un peu d'ordre dans leurs billevesées. Comment voulez-vous travailler dans ces conditions?

Bon, sur le billot remet ton ouvrage, pauvre forçat de l'écriture mordante.

dimanche 13 janvier 2013

Le GDiD a besoin de vous !


Le GDiD, je vous le rappelle, est la seule association existante regroupant les directrices et directeurs d'école de France. Le GDiD a un objectif: obtenir un statut pour tous les directeurs d'école. C'est dans ce but qu'elle a été montée il y a maintenant plus de dix ans.

Aujourd'hui unanimement reconnue comme représentative, aussi bien par le ministère que par les principales centrales syndicales, le GDiD poursuit quotidiennement son action, et sera partie prenante dans les discussions qui doivent s'ouvrir ce trimestre quant à notre devenir.

Mais le GDiD n'est rien sans ses membres. Or aujourd'hui, si vous êtes nombreux à avoir rejoint l'association, tous n'ont pas réglé les quelques 20 € de leur cotisation 2012-2013. Ce qui représente relativement peu pour vous, mais représente beaucoup pour le GDiD. De nombreuses discussions et rencontres ont eu lieu dernièrement, qu'il s'agisse de la concertation voulue par M. Peillon, des rencontres avec les syndicats -et avec le SNUipp, grande victoire!-, avec l'Autonome, avec l'ANDEV, au Ministère de l’Éducation Nationale et à l’Élysée. D'autres auront lieu bientôt. Tout cela suppose de nombreux déplacements et frais d'hébergement qui coûtent cher à l'association, même si les membres du bureau qui y participent font très attention à leurs dépenses.

D'autre part, le travail de secrétariat du GDID ne peut être totalement pris en charge par les membres bénévoles de l'association qui sont quotidiennement sur le terrain à exercer leur métier de directeur d'école. C'est pourquoi le GDiD emploie une secrétaire qui doit être rémunérée pour son important travail. Les frais informatiques eux aussi sont réels, et ne peuvent être couverts par ceux qui les gèrent, notamment les frais de gestion et de tenue des forums sur lesquels vous êtes nombreux à venir discuter ou réclamer une aide ou un secours qui jamais ne vous sont refusés.

Bref, le GDiD a besoin de vous. Les fêtes de Noël ont peut-être grevé votre budget, et dans ce cas vous préférerez attendre la fin janvier. Mais rejoignez-nous non seulement sur le plan des idées et des revendications, mais aussi sur le plan financier: 20 €, ce ne sera pas beaucoup pour vous, ce sera beaucoup pour la cause commune, celle de l'octroi d'un statut clair pour tous les directeurs d'école de France.


samedi 12 janvier 2013

L'avantage des regroupements d'écoles (quelques idées pour M.Peillon)...


J'ai déjà exprimé l'idée que les regroupements d'écoles seront indispensables à court terme, non pas pour que le ministère de l’Éducation nationale fasse des économies, mais pour apporter à l'école de notre Nation cette impulsion que nous désirons tous et qui lui redonnera l'efficacité qui lui fait actuellement défaut.

Cette efficacité passe à mon sens par une autonomie affirmée des écoles. Continuer à centraliser l'éducation comme c'est le cas actuellement est à l'échelle de notre pays suicidaire. D'autant que le taux de fécondité français augmente notre population à une vitesse que nos voisins nous envient. Une centralisation peut se comprendre dans des "länder" de 1 à 10 millions d'habitants, pas avec 65 millions de français!

Cette autonomie dans les projets et l'organisation pédagogique, qui doit être affirmée et pérennisée, est conditionnée par l'octroi aux directeurs d'école d'un statut juridiquement clair aux missions précises, sans lequel toute velléité de réforme ne peut qu'échouer. Ce que notre ministre et son entourage, ou la DGESCO, n'arrivent hélas pas à comprendre. Je l'ai tellement écrit et réécrit sur ce blog que je ne me donnerai pas la peine de l'expliquer à nouveau.

Ce statut pour les directeurs d'école sera forcément concomitant à un regroupement des écoles, je vais m'en expliquer. Mais il doit être un préalable: le statut d'abord, les regroupements et leurs avantages ensuite.

Pourquoi regrouper? Si donner aux directeurs un statut juridique est une nécessité, il est évident que, même en augmentant la part de PIB investi par la France dans l'éducation, l'Etat ne peut se permettre de donner aux 50 000 directeurs d'école français, qui dirigent des écoles entre 2 et 14 classes ou plus, les mêmes avantages financiers ou les mêmes temps de décharge. Cela serait d'ailleurs absurde pour ce dernier point, car le temps nécessaire à la gestion d'une école diffère totalement si l'on a 2 ou 7 ou 12 classes. J'accorde en revanche que le temps en question est totalement ignoré pour les petites écoles (comme la mienne) dont les directeurs n'ont aucun temps de décharge alors qu'un minimum d'heures leur serait nécessaire. J'accorde aussi qu'en terme de salaire la responsabilité réelle qui incombe aux directeurs est parfaitement dédaignée: être cadre dans les faits et vaguement rémunéré comme nous le sommes est méprisant, il faut le dire.

Regrouper les petites écoles, à condition que ces regroupements soit territorialement logiques, permettrait de résoudre une grande partie de ces problèmes. le tableau qui suit va vous le démontrer. J'ai pris plusieurs situations courantes, dont entre autres celle de la commune dans laquelle j'exerce, qui comprend deux écoles de 2 et 5 classes. J'ai calculé le coût actuel cumulé pour l’État de ces deux directions, dont les deux directeurs aimeraient construire de plus étroits rapports mais qui dans les faits restent cloisonnées en dépit des volontés réelles d'échanges.

Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Je me suis basé sur le traitement médian annuel brut en 2012 d'un professeur des écoles. Ce qui ne m'interdit pas d'espérer une franche valorisation de notre métier, mais pour faire des calculs il faut bien se baser sur quelque chose de concret. Cela reflète donc uniquement la situation présente, mais la reflète fidèlement.

J'ai imaginé ensuite ce qu'il en serait si les deux écoles étaient regroupées en une seule école primaire. Pour le coup, l’État fait de sérieuses économies, ce qui n'est pas l'objectif de la démonstration car le directeur d'école qui subsiste, lui, n'y gagne rien, et surtout pas du temps pour faire correctement son travail. Mais j'ai aussi imaginé que cet unique directeur subsistant voie sa ridicule indemnité disparaître au profit d'un salaire augmenté de 50% (première hypothèse). J'ai enfin imaginé ce que coûterait un directeur revalorisé à hauteur de 50% mais également totalement déchargé de classe (seconde hypothèse).

Dès le premier exemple, les calculs sont parlants pour la seconde hypothèse: le coût pour l’État est le même qu'actuellement dès 7 classes! En revanche, le directeur est cette fois correctement rémunéré, à hauteur de ses responsabilités, et totalement déchargé il peut enfin se consacrer entièrement à sa direction d'école. Est-il utile, chers collègues qui connaissez bien la réalité du terrain, de préciser l'efficacité du travail d'un directeur d'école qui travaillerait dans ces conditions, avec une autonomie affirmée des choix pédagogiques de son "établissement" ?

Au-dessus de 7 classes l'Etat fait des économies, ce qui autorise à imaginer la possibilité d'un secrétariat à 1/4 temps, à 1/2 temps ou à plein temps selon la taille de l'école. Financièrement à budget constant, plus rien ne s'y oppose. Et ce calcul n'est que sommaire, rien n'interdit de voir plus loin.

CQFD. Pour ma part, dans ces conditions, j'aimerais assez devenir directeur de l'unique école primaire de ma commune. Je suis persuadé que les élus en seraient ravis de n'avoir plus qu'un seul interlocuteur juridiquement reconnu et à la mission précisément définie. Je peux également affirmer que l'efficacité de notre enseignement n'aurait plus aucune mesure avec celle de nos écoles actuelles. Alors, Monsieur le Ministre, si vous souhaitez vraiment transformer l'école française, vous savez de quoi il faudra entre autres discuter avec les gens sérieux du GDiD lors des prochains entretiens sur la direction d'école.

mercredi 9 janvier 2013

Et maintenant, ta ta ta ta... que vais-je faire ?


Comme prévu, le projet de décret de M. Peillon sur le changement des rythmes scolaires a été recalé par le Conseil Supérieur de l’Éducation. Rejet massif d'ailleurs, que même M. Darcos en son temps n'avait pas connu.

Il est prévisible que ce même décret paraîtra tout de même rapidement au Journal Officiel, M. Peillon pouvant difficilement -hélas- tout remettre sur la table. D'autant que l'Association des Maires de France (AMF) a voté pour, ce qui est un comble quand on connaît l'argument utilisé: "l'échec scolaire coûte beaucoup trop cher à la société", a effectivement expliqué son vice-président Pierre-Alain Roiron. Si M. Roiron pense que les changements apportés résoudront l'échec scolaire, je crains qu'il ne se prépare que de fortes désillusions.

Car en fait, que reprochent à ce projet ceux qui ont voté contre? La même chose que moi: c'est trop, ou trop peu. Rejetons l'argument du "trop", qui ne tient pas, et conservons plutôt celui du "trop peu". Effectivement, je l'ai écrit dans mon précédent billet, le ministre ne va pas assez loin, et la réduction attendue de la durée de la journée d'école est si sommaire qu'elle n'aura clairement aucune incidence sur la réussite de nos élèves.

Et puis, surtout, que cette réforme est mal ficelée! Qu'il ait fallu mobiliser tant de monde, pendant tant de temps, pour aboutir à ce texte incomplet et obscur est relativement fascinant. Que ce soit un gouvernement "de gauche" qui le ponde est encore plus ébarnoufflant!

Car enfin, quel sera son impact immédiat? Pour les communes qui le mettront en œuvre, cela coûtera cher... Très cher. Pour quel retour? Il faudra bousculer le système, mis en place depuis de longues années, de Centre aéré le mercredi, avec les implications logiques que cela représente pour l'emploi des personnes qui s'en occupaient. Ces personnels seront-ils disponibles pour gérer les activités de fin d'après-midi? Il faudra certainement embaucher. Mais qui? Dans quelles conditions? Il faudra peut-être ajouter un temps de restauration scolaire le mercredi midi. Il faudra chauffer, éclairer, nettoyer les écoles le mercredi matin. Il faudra mobiliser les personnels municipaux qui accompagnent les enseignants, comme les ATSEM.

Il y aura également un fort impact pour les associations de jeunesse ou les clubs sportifs qui avaient pris leurs habitudes le mercredi: les enfants ne seront plus disponibles, certains lieux ou locaux municipaux partagés avec les écoles non plus.

Et pour les enseignants? Ceux-ci devront se déplacer une journée de plus, avec les frais que cela représente: frais de garde -plus de 80% des enseignants sont des femmes, et beaucoup sont jeunes- et frais de déplacement à une époque ou le litre d'essence vaut son pesant d'or, alors que la plupart des enseignants habitent loin de leur lieu de travail. Ces frais sont totalement passés sous silence par le ministre, qui a préféré ne pas évoquer du tout les enseignants ou les directeurs d'école dans son projet de décret.

Une incidence qui n'est évoquée par personne est celle de la gestion des services de l'Education nationale. Tenez, évoquons par exemple les enseignants qui travaillent à mi-temps -et ils sont nombreux, beaucoup de jeunes mères veulent, et je les en félicite, s'occuper de leur progéniture le plus possible-. Jusqu'à présent la semaine pouvait être facilement partagée deux jours/deux jours entre deux professeurs des écoles. Qu'en sera-t-il le mercredi? Un sur deux pour l'un, un sur deux pour l'autre? Les remplacements aussi vont se compliquer. J'embrasse d'avance les secrétaires des inspections en charge de la question...

La direction d'école? Parlons-en. Un certain nombre de directeurs ont une demi-décharge, c'est à dire qu'ils sont comme les enseignants à mi-temps deux jours dans leur classe et deux jours dans leur bureau (ce n'est pas la panacée mais bon...). Leur faudra-t-il également travailler un mercredi sur deux? Je sens pointer de grosses difficultés de gestion et d'organisation du travail au sein des écoles. Et comme d'habitude ce sera aux directeurs d'école de se débrouiller. Une charge de plus, joie!

Une autre chose n'a pas été précisée par le ministre: si la journée des élèves diminue -peu-, leur temps de classe reste de 24 heures, et le temps de travail des enseignants ne bouge pas. Ce temps hors élèves représente 3 heures pas semaine, 108 heures dans l'année, et était jusqu'à présent réparti entre cette abomination d'Aide Personnalisée, temps de formation (animations dites "pédagogiques", ah ah ah) et réunions diverses (Conseils d'école, de maîtres, de cycles...). Qu'en sera-t-il désormais? Car si les réunions se faisaient surtout en soirée, la teneur de l'APC qui remplace l'AP est à la merci des DASEN et des IEN (reportez-vous à mon billet précédent pour le bonheur des sigles de ce ministère) qui semblent pour l'instant fort dubitatifs face à l'absence totale de précision du texte de M. Peillon, et les animations pédagogiques avaient lieu le mercredi matin. Ces temps de formation devront-ils être exercés le mercredi après-midi? Quel bonheur, je m'en réjouis d'avance.

Une chose est sûre: l'intérêt des écoles passera en dernier. Je réclame à cor et à cri depuis longtemps une indépendance affirmée des écoles quant à leurs choix et projets pédagogiques, le ministre avec ce décret nous en éloigne à grands pas. D'autant que les décisions qui doivent rapidement être prises le seront soit par les municipalités (on peut garder l'espoir que certaines d'entre elles demanderont l'avis des enseignants qui exercent dans leur commune, ce qui n'est d'ores et déjà pas le cas dans les "grandes" villes) soit par l'administration de l’Éducation nationale. Et il est fort à craindre que nous autres directeurs et directrices d'école nous retrouverons avec moult nouveaux jolis tableaux à remplir, émanations énergivores et chronophages d'une administration bureaucratisée à l'extrême, afin de préciser pour notre hiérarchie qui fait quoi quand comment, sans oublier bien sûr compte-rendus et autres procès-verbaux. Les directeurs d'école qui ne touchent déjà plus terre finiront certainement par s'envoler avec la paperasse.

samedi 5 janvier 2013

Rythmes scolaires, désastre annoncé...


Ainsi donc le ministère a rendu sa copie sur la première partie de la "refondation" de l'école, en remettant aux syndicats pendant les vacances de Noël son projet de décret sur les rythmes scolaires.

Ce texte sera sera soumis au Conseil supérieur de l'éducation (CSE) le mardi 8 janvier.

Autant dire tout de suite qu'il fait grincer les dents. Pour trente six mille raisons toutes plus pertinentes les unes que les autres.

Rappelons que les élèves de France ont plus d'heures de travail que la moyenne de leurs condisciples des autres pays de l'OCDE (25% de plus que les petits finlandais), mais surtout que ces heures sont concentrées sur un nombre de semaines très réduit. Il était donc nécessaire de mieux répartir ces heures, et en ce sens ajouter le mercredi matin la demi-journée qui nous avait été unilatéralement enlevée il y a quelques années n'est pas une mauvaise chose. Il aurait également fallu augmenter le nombre de semaines de classe, quitte à les prendre sur les longues vacances d'été, ce qui aurait pu être accepté par les enseignants dans la mesure où la semaine de travail aurait elle-même été rendue moins fatigante. Mais demander comme l'a fait M. Peillon son avis à tout le monde, et en particulier aux professionnels du tourisme, amenait forcément à se passer de cette dernière possibilité. Je dois reconnaître, je l'ai déjà écrit, qu'il est difficile de passer outre les impératifs d'un secteur économique dont on connait en France l'importance et le poids sur notre économie. Soit. Mais d'emblée la question était faussée, et proclamer à tous vents qu'on va "refonder l'école" pour finalement comme prévu -car c'était prévisible, combien de fois ai-je écrit ici ce qu'il fallait penser de la graaaande concertation?- se contenter de mesurettes, cela laisse un goût amer, surtout aux enseignants et aux communes qui vont conjointement payer toute la facture.

Le CSE n'a qu'un rôle consultatif, et en aucun cas décisionnel. Le décret va donc passer tout debout. Quel en est la teneur? Vous trouverez en cliquant ici le texte soumis aux syndicats. En voilà un résumé:

 - le décret sera opérant dès la rentrée de septembre 2013, ou par dérogation à la demande des communes à la rentrée de septembre 2014, les municipalités devant faire leur choix avant le 1er mars prochain;

- les élèves de primaire ont comme avant 24 heures de cours hebdomadaires, mais réparties sur 4 jours et demi au lieu de quatre, la demi-journée supplémentaire étant le mercredi matin ou par dérogation justifiée le samedi matin;

- la journée ne peut dépasser 5h30, et la demi-journée 3h30;

- la pause méridienne ne peut être inférieure à 1h30;

- les enseignants devant 27 heures à leur administration, ils devront assurer chaque semaine 2 heures supplémentaires devant élèves "en groupes restreints" pour faire de l'aide aux devoirs, aider les enfants en difficulté, ou pratiquer des activités prévues au Projet d'école; la 27ème heure est consacrée aux réunions obligatoires hors présence d'élèves (Conseils d'école, de cycle, de maîtres, travaux pédagogiques, etc...).

Tout cela est fort peu satisfaisant. L' Aide Personnalisée (AP), dont j'ai abondamment dénoncé toute la nocivité, prend une lettre et devient APC, ou "Activités Pédagogiques Complémentaires", ce qui revient au même. C'est là une spécificité bien française, qui veut faire accroire que changer légèrement un sigle changerait le destin de l'humanité. Et puis, l'administration de l’Éducation nationale est championne pour l'invention de sigles obscurs qui cachent leur inopérance sous une acronymisation outrancière dans laquelle se perdent même ceux qui comme moi ont trente et quelques années de métier, et ont vu plusieurs fois les services et les personnels du ministère changer de nom comme de chemise: l' IA (prononcer iya) est devenu DASEN (prononcer dazène), l' IDEN (idène) devenu IEN (hyène), etc j'en passe et des meilleures...

Concrètement, réduire d'une demi-heure le temps de classe fait reposer sur les fragiles épaules des communes une charge financière certes attendue (les communes ont toutes fait des simulations pour voir ce que cela allait leur coûter) mais qui n'en reste pas moins lourde, l'aide que l' État prévoyant de leur accorder ne représentant qu'approximativement 25% des frais occasionnés, et uniquement pour la première année de mise en place. De plus, si les payer sera douloureux mais reste budgétisable, il ne sera pas forcément simple de trouver des personnels disponibles aux heures nécessaires, les enfants n'ayant pas d'APC sortant des classes une demi-heure plus tôt qu'avant, ou pire selon la répartition des heures qui sera choisie. Et cela dans la mesure également où les communes bénéficient d'équipement collectifs susceptibles de les accueillir en grand nombre.

Je ne crois pas que les familles réalisent aujourd'hui que pour beaucoup d'entre elles il faudra ajouter une heure et demie ou deux heures hebdomadaires de garde à leurs frais habituels, qu'il s'agisse de garderies municipales ou de nounous agréées...

Au fait, les communes ont-elles pensé aux frais d'éclairage et de chauffage des écoles le mercredi matin? Ainsi bien entendu qu'à ceux générés par le personnel municipal qui aide à l'encadrement comme les ATSEM (atessème) ou qui nettoie les locaux... Je rappelle également à la commune dans laquelle je suis directeur d'école que les locaux ne seront plus disponibles le mercredi matin pour les activités sportives ou culturelles qui s'y déroulaient. Eeeh oui! Il faudra les héberger ailleurs.

Je n'évoquerai également que pour mémoire les difficultés que vont rencontrer les organismes qui se chargent du transport scolaire ou des activités particulières comme la natation et autre activité sportive souvent encadrées par des professionnels dans des lieux comme les piscines ou les gymnases aux plannings déjà serrés. On va bien rigoler.

Mais parlons donc de l'école proprement dite. Ce qui frappe d'emblée le professionnel que je suis, c'est l'absence totale dans le décret de référence au travail des enseignants ou des directeurs d'école. Les premiers vont se taper le boulot, les seconds se retrouvent avec une charge d'organisation supplémentaire alors qu'ils n'en peuvent déjà plus, car si nulle mention n'en est faite vous ne croyez tout de même pas que c'est le Père Noël qui va se charger de gérer le souk généré par le système? Pas de mention de l'organisation du travail donc, ni des frais que représentent pour les enseignants les déplacements supplémentaires du mercredi ou de garderie de leurs propres enfants. C'est anecdotique? Certainement pas. Au prix où est l'essence dans ce pays, et compte tenu que la plupart des enseignants habitent aujourd'hui loin de leur lieu de travail (les instits ne sont plus logés sur place depuis belle lurette), c'est une charge financière concrète pour les 330 000 enseignants du primaire. D'autant que leur salaire, déjà largement en dessous de la moyenne de l'OCDE, est je le rappelle bloqué depuis plusieurs années. Concrètement, les enseignants français sont les seuls de l'OCDE à s'être appauvris depuis quinze ans, surtout ceux du primaire qui sont loin d'avoir le salaire et les avantages financiers de leurs collègues du secondaire pour lesquels chaque heure au-delà de leurs 18 heures de service est fort bien rémunérée. Ajouter pour le primaire une demi-journée supplémentaire à préparer et organiser ne se fait pas tout seul, alors travailler plus pour gagner moins...

Je préfère par charité chrétienne ne pas rappeler la situation catastrophique des directeurs des écoles publiques françaises, j'en cause bien assez à longueur de blog. Mais pour les 51000 directeurs et chargés de direction d'école qui ont en plus charge de classe... J'en suis, sans aucune décharge, et je préfère ne pas y penser.

M. Peillon a dit qu'il allait discuter avec les représentants du personnel d'éventuelles compensations financières. Ah ah ah. Il va également discuter avec les mêmes et le GDiD (prononcer "j'ai des idées") de la situation de la direction d'école en France. Euh... Pourquoi suis-je autant dubitatif? Est-ce parce que les perspectives budgétaires de notre pays sont si peu réjouissantes? Les directeurs d'école devront-ils demander un passeport belge -les directeurs sont dans ce pays fort bien traités, mieux en tout cas que dans la patrie des Lumières- ? ... Il y a de fortes chances que nos syndicats maison se retrouvent Gros-Jean comme devant face à un ministère dont les hiérarques ignorants de l'école primaire ne voudront pas bouger le petit doigt, englués dans leur certitude de notre peu d'importance. Syndicats dont je dois rappeler qu'ils ont soutenu le présent ministre avec une confiance aveugle qu'ils risquent de payer fort cher lors des temps à venir. Mais c'est un autre débat.

L'absence totale de référence aux enseignants et aux directeurs d'école dans le projet de décret de M. Peillon s'accompagne d'une main-mise affirmée des DASEN et des IEN dans le fonctionnement des écoles, puisque ce sont eux qui décideront concrètement des emplois du temps hebdomadaires et de l'utilisation des heures d' APC. L'autonomie des écoles que j'appelle si fortement de mes vœux n'est pas pour aujourd'hui ni pour demain. Ce qui m'amène à penser que, réitérant les mêmes erreurs sous une forme ripolinée, l'école primaire publique française n'ira pas mieux dans les années qui viennent. J'espère qu'elle n'ira pas plus mal. Mais je ne crois pas une seconde qu'on pourra favoriser la réussite de nos élèves en sous-payant les enseignants et en ne donnant pas aux écoles l'autonomie indispensable à des choix pédagogiques particuliers adaptés à leur population scolaire. Laisser ces choix aux IEN et aux DASEN est une erreur dramatique que nous paierons collectivement très cher.

Alors, me demanderez-vous, au moins ce changement dans les rythmes hebdomadaires sera-t-il bénéfique pour les enfants? J'aimerais pouvoir le dire. Je crois aux vertus du mercredi matin, je l'ai déjà écrit. Faut-il pour autant le payer si cher? Quant à la minime réduction du temps scolaire sur la journée, il restera inopérant: les enfants les plus fragiles auront toujours autant de travail pour très peu de réussite en plus, alors qu'ils devraient être pris en charge pendant les cours et au sein de leur classe par du personnel supplémentaire. Vœu pieux qui me fait lorgner avec envie les écoles finlandaises.

Voilà donc le tableau que j'aurais voulu moins dramatique de ce qui attend l'école à la rentrée 2013. Nous reculons face à l'obstacle de l'inefficacité de notre enseignement, mais pas pour mieux l'enjamber, non, nous allons nous fracasser dessus. Je ne pensais pas arriver dans la dernière partie de ma carrière avec une perspective aussi désastreuse. Et c'est avec un moral au 36ème dessous que je vais reprendre lundi matin la route de mon école. En écoutant les déclarations de M. Peillon en mai et juin, je n'attendais certes pas de miracle. Mais je ne m'attendais pas non plus à être plus écrasé encore que je le suis déjà.

jeudi 3 janvier 2013

La clé du succès...


"All evidence shows that supporting the professional development of school principals and leaders is a key to success in any reform aimed at improving the quality of education and transforming the school culture."

"Toutes les preuves montrent que le soutien au développement professionnel des directeurs d'école et des chefs d'établissement est une clé du succès de toute réforme visant à améliorer la qualité de l'éducation et transformer la culture de l'école."

C'est Irina Bokova, directrice générale de l'UNESCO, qui a prononcé ces mots. Tous ceux qui observent l'école, de l'intérieur de la structure comme de l'extérieur, ont conscience de cette évidence : le leadership exercé par le directeur d'école constitue un élément déterminant de la réussite scolaire. Les acteurs de l'école le savent, les observateurs et les penseurs le savent, les municipalités le savent, les parents d'élèves le savent. Les seuls qui l'ignorent en France sont malheureusement ceux qui gouvernent l'école.

J'ai abondamment exprimé sur ce blog le centralisme destructeur du ministère de l’Éducation nationale, ainsi que dénoncé son embonpoint paralysant. Cet embonpoint profite à une caste de hauts fonctionnaires traités avec déférence et payés à cette mesure, nababs dont l'intérêt persiste à occulter la vérité d'un fonctionnement déficient de l'institution scolaire à son plus haut niveau. Autant les agents de terrain, et en particulier les directeurs d'école, travaillent et dépensent au maximum leur énergie, essayant d'amener leurs élèves à l'excellence, autant la nomenklatura de l’Éducation nationale tresse au quotidien une profusion de voiles opaques qui cachent la réalité aux yeux du ministre. Cette danse des sept voiles à l'envers paralyse l'école depuis plusieurs décennies, avec l'active complicité des centrales syndicales. C'est ainsi qu'on a pu entendre en juillet 2012 un nouveau ministre aux œillères toutes neuves exprimer son dédain pour l'évidence, qui déclarait que "le statut des directeurs d'école n'était pas à l'ordre du jour de la refondation".

Quel aveuglement! Quel manque de conscience!

Il aura fallu de nombreuses déclarations lors de la concertation expliquant l'importance du rôle de la direction d'école, déclarations certes timides mais réelles; il aura fallu l'entregent particulier du GDiD dont les représentants se sont démenés pendant plusieurs mois; il aura fallu l'implication profonde de plusieurs syndicats d'enseignants -et en particulier du SE-Unsa- qui au cours des dernières années auront fait leur aggiornamento... pour que finalement le ministre se décide à dire que des discussions allaient avoir lieu dès le début 2013 -donc maintenant- quant à l'évolution de notre métier.

Cela signifie-t-il que l'évidence se soit imposée? Certes non, je n'y crois pas une seconde. Le ministre ne voit dans la question des directeurs d'école qu'un léger obstacle qu'il doit surmonter. Il laissera la gestion du problème à son cabinet, qui ignore tout de la question et pense certainement qu'il ne s'agit là que d'une difficulté mineure.

Et pendant ce temps au plus haut niveau les gestionnaires de l'école tâcheront d'apporter quelques retouches cosmétiques en agitant le chiffon des rythmes scolaires, en faisant de nombreuses déclarations lénifiantes quant à la volonté de bouger les lignes, en aménageant par ci par là quelques petites choses mais en ne surtout rien changeant des structures surannées du ministère afin de conserver intacte leur rente viagère, faisant semblant de croire et voulant faire croire que cela suffira pour rendre à l'école de France son efficience.

Comment peut-on être aveugle à ce point? Comment peut-on, lorsqu'on est comme Vincent Peillon Agrégé de philosophie, confondre la forme et le fond, le signifiant et le signifié? Comment peut-on imaginer, alors que tous les pays du monde s'escriment à donner à leurs directeurs d'école les armes nécessaires à l'exercice de leur mission, qu'une "refondation de l'école" puisse être efficace sans les directeurs des écoles publiques françaises? S'attaquer à la forme en nous faisant travailler le mercredi matin est certes une bonne chose -du moins personnellement je la considère comme telle-, mais il est illusoire de croire que cela sera nécessaire et suffisant pour remonter le niveau d'instruction des élèves de notre pays. Ce sont des femmes et des hommes épuisés, surchargés de responsabilités et de travail, sans reconnaissance et maltraités, qui font au quotidien l'école de la Nation. Les directeurs d'école sont au bord du gouffre, ils souffrent de ne pas pouvoir exercer sereinement leur mission, ils voient jour après jour malgré leurs efforts permanents leurs élèves s'enfoncer dans la médiocrité sans rien pouvoir y faire tant ils n'ont rien pour y remédier, tant on ne leur donne rien de qu'ils savent nécessaire pour y remédier. Le désir d'abandon est de plus en fort chez les directeurs d'école, un "après moi le déluge" désabusé de ceux qui sauraient quoi faire mais n'y peuvent pas grand chose, sans temps ni moyen, empêtrés dans les mesures contradictoires, les évaluations inutiles, les instructions comminatoires, les menaces institutionnelles violentes d'une administration sourde ou des potentats locaux que sont les IEN, j'en passe et des meilleures... relisez les autres billets de ce blog.


2013 sera-t-elle l'année des directeurs d'école? Dans de nombreux autres pays, oui : le Canada est en pleine réforme, les États-Unis, les pays émergents aussi... Partout on se pose la question d'une direction d'école efficiente et on y trouve la réponse, simple et structurante, d'un leadership institutionnalisé clair et affirmé. En France? Nous restons englué dans une vision passéiste d'un système jacobin centralisé aux petites mains méprisées. Alors je suis plus que dubitatif quant à la portée des fameuses discussions qui s'engageront bientôt. A moins que M. Peillon ait profité des fêtes de Noël pour se documenter sur la question et regarder ce que font les nations qui nous entourent en terme de statut de la direction d'école et de rémunération de la fonction enseignante... On pourrait alors espérer que notre ministre de l’Éducation nationale ait soudain pris conscience de l'importance du rôle du directeur d'école, et surtout qu'il serait vain de croire à l'efficacité de toute réforme dont nous ne serions pas les principaux acteurs.

Hélas, je ne crois plus au père Noël depuis longtemps.

mardi 1 janvier 2013

Clic, clic, bang bang !


Établissement primaire d'enseignement de Trifouillis sur Globule, octobre 2027.

Le journaliste du Soir: - Monsieur le Directeur, bonjour.

Le Directeur: - Bonjour.

- Monsieur le Directeur, cela fait maintenant deux ans que les Directeurs d'établissement primaire français sont armés par l’État. Quel bilan pouvez-vous faire aujourd'hui de cette mesure?

- Eeeh bien, ce fut une excellente idée. Depuis le massacre de Pigtown en 2019 et ses 293 victimes, il était clair que la France devait réagir comme les États-Unis, en armant les cadres scolaires. Nos amis américains ont vu franchement baisser depuis huit ans le nombre de victimes des massacres scolaires grâce au dévouement des Directeurs d'école, qui ont depuis 2019 abattu près de 1378 tueurs potentiels. Heureusement, en France, à part la malheureuse histoire de Champignon-sur-Seine où le Directeur a zigouillé par erreur le concierge de son établissement, aucun Directeur d'établissement primaire n'a encore eu à utiliser son arme.

- Croyez-vous que le fait d'être armé décourage vraiment les éventuels agresseurs?

- Je n'en ai aucune idée. En revanche, cela rassure mes parents d'élèves. Au même titre d'ailleurs que les portiques détecteurs que la Mairie a placés en 2025 à la porte de mon école. Nous avons tout de même récupéré de cette façon en deux ans 56 tétines, 37 jeux d'osselets et 102 cordes à sauter, autant d'armes ou de dangers potentiels pour nos élèves. Le port de l'uniforme, qui ne comporte pas de poche, est également un succès. Et depuis les règles égalitaires mises en place en 2018, nous avons pu établir une milice interne de filles qui fouillent consciencieusement certains élèves en fonction de critères précis.

- Pourquoi des filles?

- Cela nous évite les accusations de sexisme.

- On a parlé de fouilles anales...

- Ces pratiques n'ont jamais eu lieu ici. Il est vrai que certains élèves sont fouillés profondément par la milice. Mais je ne m'en mêle pas, je fais confiance à mes filles! (rires) Celles-ci sont toutes volontaires, et croyez-moi je ne manque pas de candidates!

- Les syndicats d'enseignants se plaignent d'une inégalité de traitement au sein de l'école publique, car contrairement aux directeurs les enseignants ne sont pas armés...

- Ils n'en ont pas besoin, je suis là pour les protéger. Ils savent que si un élève transgresse le "nouveau règlement public des classes" mis en place par l’État en 2019, ils peuvent m'appeler, et que j'ai le pouvoir de mettre le récalcitrant au frais, en utilisant la force si besoin, ou avec l'aide de ma milice de fillettes.

- Certains évoquent des cachots insalubres...

- Ce sont de mauvais plaisants. Notre salle de réflexion individuelle est certes d'un confort sommaire, mais les enfants n'y restent qu'une demi-journée au plus. Elle a été repeinte l'année dernière, et comprend désormais un sanitaire fonctionnel. Et puis, nous avons aussi un barême de TIS, ou Travaux d' Intérêt Scolaire, qui se font après les quatre heures de classe et les deux heures de Jeux Municipaux obligatoires.

- Il y a moyen de visiter la salle en question?

- Certainement.

(Le Directeur nous accompagne. La petite pièce aveugle de 3 mètres sur 2 est propre mais sent le renfermé. Elle est occupée par un élève qui s'affole quand il nous voit arriver.)

Le Directeur: - Il a peur, c'est bien.

- Qu'a-t-il fait pour arriver ici?

- Il a pété avec vigueur pendant le cours, ce qui a provoqué l'hilarité de ses camarades. Nous ne pouvons tolérer de tels agissements.

(Nous retournons dans le bureau. Nous sommes suivis par les yeux inquisiteurs de la milice de fillettes que nous croisons dans le couloir.)

Le Directeur (avec fierté): - Elles sont vigilantes, hein?

- Revenons à votre armement: que pensez-vous de l'entraînement que vous devez suivre pour l'usage de votre arme?

- Au vu des résultats de certains collègues, ce n'est pas un luxe. Moi-même j'ai eu pas mal de difficulté au début.

- Pouvez-vous expliciter?

- Eh bien, vous ne le savez peut-être pas, mais notre arme de service est fabriquée en interne par l’Éducation nationale, comme tous les outils que nous utilisons d'ailleurs. Elle est reliée à internet en 5G, de cette façon notre ministère de tutelle peut faire des statistiques en temps réel quant à son usage. Mais souvent ça bugue! Et l'arme s'enraye, ce qui constitue tout de même un problème. Mais bon, l'entraînement en lui-même est tout de même une bonne chose. J'améliore mon score à chaque séance. Quoique... (rire) La dernière fois, j'ai été virtuellement abattu trois fois avant de pouvoir utiliser mon pistolet!

- Pourquoi?

- Comme cette arme nous est fournie par l'administration à titre personnel, nous devons avant chaque usage entrer un code OTP (One Time Password, note du journal) sur le clavier de la poignée, et c'est un peu long. En plus, ça se désactive après un certain temps de non-utilisation et il faut recommencer. C'est un vrai handicap face à un adversaire déterminé, fut-il virtuel lors d'un entraînement!

- Nous avons pu interroger votre entraîneur, qui nous a dit que lors de votre dernière séance vous aviez virtuellement tué d'une balle en pleine tête trois figurines représentant des parents d'élèves furieux, et deux figurines d'élèves de CM2...

- (rires) Oui, c'est vrai! D'où l'intérêt de s'entraîner. Mais bon, j'ai des excuses. J'ai quelques soucis avec les parents d'élèves depuis la rentrée, alors... Quant aux CM2, nous avons également des problèmes avec certains d'entre eux. Notre salle de réflexion individuelle ne désemplit pas depuis trois semaines, et les fillettes de la milice sont surbookées. Je suppose que ce fut un réflexe.

- Monsieur le Directeur, je vous remercie.

- Je vous en prie.

(Quand notre journaliste a quitté le bureau, lors de la fouille corporelle qui lui fut administrée par quelques jeunes filles aux mains expertes, notre journaliste a pu voir le Directeur sortir son arme et la graisser. Nous savons désormais que la sécurité de nos enfants est parfaitement assurée au sein des écoles françaises.)

***

En 1993, le grand dessinateur Art Spiegelman, auteur de la célèbre bande dessinée Maus, dessinait pour le New Yorker la couverture suivante...


Prémonitoire? Ou simplement réaliste? Nous n'en sommes plus très loin peut-être... Aujourd'hui le gouvernement de l’État d'Arizona veut armer ses directeurs d'école. Ce n'est certes pas l'avenir que je revendique pour mon métier, mes enfants, ou mes élèves.

Voeux...