Louise Tourret dans un récent article évoque avec son talent habituel les "vacances" des enseignants, et tente d'expliquer qu'elles sont toujours en grande partie studieuses. Elle ne sera évidemment pas lue par ceux qui le devraient, ce qui est bien dommage. Et puis, les aurait-elle convaincus? J'en doute fort, tant les enseignants sont depuis trente ans devenus les boucs émissaires de tout ce qui va mal dans notre société.
Lors de mon dernier Conseil d'école j'ai été pris à partie par un parent d'élève qui dans une attaque ad personam m'a affirmé haut et fort et avec agressivité que si ma classe cette année était une classe difficile c'était forcément de ma faute, de quelque manière que je m'y prenne. Cette génération nous aura pourri la vie durant trois ans dans notre école, tout aura été essayé sans que ça change, mais c'est bien entendu de notre responsabilité. C'est plus facile.
Dans un autre registre, le déficit prévisible des comptes de l’État souligné récemment par la Cour des comptes, organisme indispensable pour lequel j'ai un profond respect, est certainement de la faute des fonctionnaires. L’Éducation nationale étant le premier employeur d’Europe, la responsabilité de ces nantis d'enseignants est bien entendu évidente. Que les rapports de l'OCDE puissent nous prouver par A plus B que nous sommes les enseignants les moins bien rémunérés de toute l'OCDE n'est que billevesée face aux soucis de français. Il est donc facile pour un nouveau gouvernement qui bénéficie de l'aura d'un récent plébiscite de proposer comme première mesure d'économie de nous mettre à la diète. la priorité à l'éducation aura vécu.
Nantis, feignants, incompétents, que n'avons-nous pas entendu depuis tant d'années? Ces mots résonnent à mes oreilles depuis bientôt quarante ans. Pourquoi n'arrivons-nous donc pas à mieux nous défendre? Déjà il est difficile d'aller contre les poncifs complaisants martelés à longueur de temps depuis des lustres par une classe politique qui nous courtise tout autant qu'elle nous hait. Et nous sommes stupides, il faut bien l'écrire. Nos ailes ont été rognées depuis bien longtemps, nous sommes fatigués, las, et nous n'avons plus la force de nous battre. De plus nous continuons bêtement à faire confiance à nos élèves, nous voulons qu'ils réussissent tous malgré l'évidence que ce ne sera pas le cas. Nous sommes bienveillants, c'est peut-être un tort. Laisser croire aux petits français qu'ils peuvent tous accéder à des études supérieures est un leurre qui se heurte avec une violence inouïe à la réalité après le baccalauréat.
Et puis nous avons laissé entrer la société civile dans nos écoles, en trompant les parents d'élèves quant à leur rôle. Ils ne savent pas être parents et il faudrait qu'ils sachent être "parents d'élèves" ? Mauvaise plaisanterie. L'enfer est pavé de bonnes intentions. Je ne nie pas ma responsabilité dans ce processus, j'y ai naïvement cru. Je n'y crois plus, je m'en suis trop pris dans les dents, et je ne sais pas être cynique dans la vie réelle comme je peux l'être par écrit ici.
C'est ainsi que récemment un collègue du supérieur m'a raconté abasourdi qu'il lui arrivait maintenant de recevoir des parents d'étudiants, désespérés par la réalité des compétences de leur enfant. Que doit-il faire? Ses élèves sont adultes, ont 20 ou 22 ans, que peut-il se permettre de dire à des parents qui ne sont plus responsables civilement? Et puis surtout à ses yeux - il est jeune - le fond de ces interventions est ahurissant. Il a raison, c'est pleinement représentatif d'une époque et d'une société déboussolées.
Je vais essayer de tenir le coup jusqu'au bout de cette année scolaire qui n'en finit pas, malgré la fatigue et les coups. C'est difficile.