dimanche 19 août 2012

La réalité du directeur d'école... (MAJ: 11/12/2013)



Pourquoi réclamer un statut particulier pour les directeurs des écoles publiques de France?

Il faut comprendre qu'aujourd'hui comme il y a un siècle les directeurs d'école ne sont que des enseignants qui ont accepté d'assumer une mission supplémentaire; ils ne sont rien d'autre, et en aucun cas les chefs de quiconque ou les supérieurs hiérarchiques de leurs collègues. Juridiquement, les directeurs d'école ne sont rien, leur signature ne vaut rien, même si dans l'esprit des français le directeur d'école a une aura particulière. Ou du moins... avait...

Parce que la mission de direction d'école a beaucoup changé en un siècle. Là où l' État ne réclamait qu'une gestion sommaire des écoles, aujourd'hui il a donné aux directeurs d'école une phénoménale responsabilité, tant dans l'accueil des familles qu'en terme de sécurité, ou d’administration. Le directeur d'école de 2012 est responsable de tout ce qui peut arriver dans son école, aux yeux de sa hiérarchie comme à ceux de la commune qui l'accueille, comme à ceux des parents d'élèves ou aux yeux de la Loi. Le directeur est aujourd'hui pénalement responsable du moindre incident, on l'a vu de nombreuses fois depuis deux décennies. Quant à sa charge de travail administrative, on aurait pu croire qu'avec l'informatique elle se serait allégée. Que nenni! Elle s'est au contraire franchement amplifiée, au point qu'un directeur d'école aujourd'hui passe des heures devant son écran à remplir des bases de données ou des enquêtes administratives fort diverses et en général redondantes ou parfaitement inutiles à sa mission quotidienne.

L' État a-t-il tenu compte de ces changements? Non. La mission du directeur d'école réclame aujourd'hui des heures de travail dont personne ne tient le compte. La mission du directeur d'école réclame aujourd'hui des compétences dont l' État ne tient pas compte puisque la formation des directeurs a leur mission est ridiculement sommaire et jamais renouvelée (la formation en gestion de conflit est par exemple inexistante). Ce que les familles d'élèves attendent des directeurs d'école est aujourd'hui en parfaite contradiction avec le fait que les directeurs ne sont pas les supérieurs hiérarchiques de leurs adjoints. Ce que les communes attendent des directeurs d'école est en parfaite contradiction avec notre inexistence juridique. Parlerai-je du respect autrefois attaché à la fonction? Au sein même de l’Éducation Nationale les directeurs d'école étaient considérés par leurs inspecteurs comme des pairs, aujourd'hui ils ne reçoivent que mépris et volées de bois vert; quant à celui que leur accordaient les familles, s'il fut grand, il est désormais presque inexistant.

Vous me direz que le directeur d'école est payé pour sa mission... Non, le directeur d'école est "indemnisé" (et la majeure partie de cette indemnité n'est pas comptabilisée lors de la retraite, puisqu'il s'agit d'une prime). Cette indemnité est dérisoire, inadaptée, elle est même si peu attrayante que chaque année depuis vingt ans 10% des directions d'école -c'est un pourcentage énorme- ne sont pas pourvues lors de la rentrée, et qu'un enseignant y est nommé d'office (il peut refuser, mais gare alors à ses fesses! L'administration peut aller jusqu'à la réquisition).

Mais le directeur d'école a du temps pour faire son travail... C'est vrai pour quelques directeurs, qui ont ce qu'on appelle une "décharge de direction", c'est à dire qu'un autre enseignant vient prendre leur classe en charge pendant une journée, ou plus. Parce que, j'oubliais de le préciser, le directeur d'école français étant d'abord un enseignant, il a une classe en charge. Comme s'il était facile de faire les deux en même temps! Quand vous êtes directeur, c'est à plein-temps (coups de téléphone, plaintes diverses des parents ou des adjoints, soucis variés, personnel municipal qui passe ou hiérarchie qui vous réclame une info pour l'avant-veille dernier délai, etc...). Alors c'est forcément la tenue de classe qui en souffre. Ce temps de décharge est donc une nécessité. A condition d'en avoir un. C'est seulement à partir de cinq classes à gérer que vous recevez une décharge, en-dessous vous pouvez vous brosser. Et comme plus de 52% des écoles françaises ont moins de cinq classes, cela signifie que 52% des directeurs et directrices d'école n'ont aucun temps particulier prévu pour cette charge qui s'est considérablement amplifiée depuis des lustres. Chaque soir, après sa journée bien remplie à tenter de sortir ses élèves de l'ornière, le directeur d'école remplit donc sa mission de direction en plus de la préparation de sa classe.

Pour que vous compreniez mieux, je vous ai fait un tableau. Vous y trouverez le montant total de l'indemnité que reçoit un directeur d'école en fonction du nombre de classes qu'il administre, ainsi que le temps qui lui est spécifiquement accordé pour le faire. Vous constaterez que l'indemnité royalement accordée à chaque directeur n'est en aucun cas proportionnelle au nombre de classes. Le temps de décharge non plus, alors que mathématiquement vous avez plus de travail pour gérer par exemple neuf classes plutôt que cinq. Bref, le système est absurde, et certaines configurations d'écoles sont nettement moins favorables que d'autres. Voici le tableau (cliquez dessus pour l'agrandir):


Note du 2 septembre: on m'a fort justement fait constater une erreur, le régime des décharges ayant récemment changé pour les écoles à quatre classes; j'ai donc rectifié le tableau ci-dessus.

J'ai inventé pour ce tableau la notion de Part Incompressible de Travail (PIT): celle-ci représente la partie administrative liée la mission de direction dont on ne peut réduire la quantité (tenue des registres d'élèves, plans de sécurité, etc.). Qu'il ait une, deux ou quatorze classes dans son école, le directeur est tenu d'accomplir cette partie de son travail. En revanche, cette part incompressible va augmenter en fonction du nombre d'élèves, d'à peu près 10% par classe supplémentaire. Cette quantité est parfaitement subjective, mais par expérience je la sais assez juste. Remplir une base de données, cela fait partie de la PIT, mais quand vous avez plus d'élèves cela vous demande plus de temps. La dernière ligne du tableau montre donc le temps que les directeurs d'école doivent investir pour leur mission de direction après leur temps de travail, qu'ils aient une décharge de direction ou non. Lorsque j'ai fait ce tableau, j'ai constaté avec une certaine satisfaction qu'avoir cinq classes était aujourd'hui une des meilleurs configuration d'école possible. Pourquoi avec satisfaction? Parce que j'ai connu personnellement ce cas, et que je peux en confirmer la réalité.

Pour que vous compreniez le montant de l'indemnité des directeurs d'école, je vous donne l'exemple du directeur à deux classes: il touche au total 2929,14 € par an en plus de son traitement d'enseignant -et ce n'est pas cher payé! comme disait M. de Robien, alors ministre, en 2007-, mais seuls 1333,52 € lui seront éventuellement comptabilisés pour sa retraite, les 1595,62 € qui restent étant une prime ("indemnité de direction").

Voilà, j'espère que ce billet vous aura donné une meilleure idée, même partielle, mais non partiale, des raisons qui me font réclamer à cor et à cri un changement de situation, et particulièrement la reconnaissance administrative, juridique, technique et financière attachée à un statut particulier pour les directeurs d'école.

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