samedi 8 décembre 2012

Le directeur est un spécialiste...


Je crois qu'il n'existe pas en France, voire même ailleurs dans le monde, un métier aussi spécialisé que celui de directeur d'une école publique en France. Les compétences que l’État exige de lui sont, si on y réfléchit bien, démentielles.

Il y a quelques années, certains magazines s'étaient amusés à calculer le salaire qu'aurait dû recevoir une femme au foyer pour la multiplicité des tâches qu'elle accomplissait. C'était frappant, et juste.

Mais que dire d'un directeur d'école? S'il était rémunéré à la hauteur de son travail, c'est un salaire d'un montant extrêmement élevé qu'il devrait recevoir. Mais ceci ne frappe manifestement personne, dans le public bien sûr, intimement persuadé que nous sommes hiérarchiquement bien placés et payés à cette hauteur, mais non plus au sein de l’Éducation nationale, ni même, jusqu'à il y a peu, à celui des syndicats prétendument représentatifs. Il faut dire qu'il n'existe pas de syndicat de directeurs d'école, ceux-ci étant pour tout le monde éducatif, et c'est fort pratique, des "enseignants comme les autres". Je veux démontrer le contraire, en présentant une petite partie -car je vais en oublier ou en occulter beaucoup- des tâches afférentes à la direction d'école. Il faut dire que depuis trente ans chaque nouvelle année, chaque nouveau gouvernement, chaque nouveau ministre, chaque fait divers, nous amène son lot de réglementation prégnante à l'utilité contestable -c'est un euphémisme- et à l'efficacité consternante. Le Code civil français est devenu illisible, les fonctionnaires de Bercy ne comprennent eux-mêmes plus rien au Code des impôts, le Code du travail ressemble à une œuvre cubiste, pourquoi l'éducation nationale échapperait-elle à la règle? Voici donc les différentes fonctions, représentées par autant de métiers, assumées par les directeurs d'écoles français:

  • Le directeur d'école enseigne:
Sur un peu plus de 48 000 écoles publiques, seules 1850 ont 13 classes ou plus. Ce qui signifie que plus de 46 000 directeurs en France ont une charge d'enseignement, et parmi ceux-ci près de 15 000 sont enseignants à temps plein! C'est déjà en soi un métier qui réclame des compétences claires et précises, une formation pointue; l'enseignant est redevable envers ses élèves, les familles, sa hiérarchie, et c'est à lui qu'on reprochera les faillites du système public d'éducation, même s'il fait tout pour les pallier. D'autre part, c'est là en temps comme en énergie le rôle le plus prenant d'un directeur d'école non déchargé, le reste de sa mission devant être accompli en dehors des heures de classe. J'ai moi-même à gérer et à faire travailler 6 heures par jour une trentaine de loupiots de quatre et cinq ans, qui réclament en permanence toute mon attention et vampirisent mon énergie; réclamer de moi que j'aie après 17h mes pleines capacités de directeur d'école, c'est méconnaître totalement mon métier. J'ai plutôt l'impression d'être devenu à ce moment de la journée un zombie balbutiant ou l'ombre de moi-même.

  • Le directeur d'école est agent administratif:
Le directeur procède à l'admission ou à la radiation des élèves de son école, en établissant à ce titre plusieurs documents administratifs qui peuvent avoir en justice force de preuve, comme un registre écrit des élèves de l'école. Il veille également à ce que ses adjoints tiennent avec rigueur leur registre d'appel, qui précise au quotidien les absences des élèves. Il s’assure de leur fréquentation régulière et intervient si nécessaire auprès des familles ou en rend compte au Directeur Académique des Services. Il établit des certificats de scolarité ou d'assiduité qui sont parfaitement considérés par d'autres administrations ou les entreprises. Le directeur organise chaque année de façon administrativement stricte et vérifiable les élections des représentants des parents d’élèves, et prend en règle générale toute disposition utile pour que l’école assure sa mission de service public. A ce titre, il représente l’institution auprès de la commune et des autres collectivités territoriales, et préside le Conseil d'école. Il veille également à la légalité de toute présence humaine ou de toute activité effectuée dans l'école. Représentant de l’État, il est chargé dans son école de la bonne application des textes de loi qui la régissent, même les plus farfelus (vérifier la pression des pneus des bus scolaires...), mais il ne dit pas ce qu'il en pense car il est un directeur d'école consciencieux, et il sait qu'il a un devoir de discrétion et de loyauté envers son institution.

  • Le directeur d'école gère les ressources humaines:
Le directeur répartit les élèves entre les classes et les groupes, dans l'intérêt des élèves, même s'il doit pour ce faire aller contre les intérêts particuliers de certains adjoints qui n'hésiteront pas à le traiter de dictateur. Il organise le service des instituteurs et professeurs des écoles, toujours dans l'intérêt des élèves et contre les intérêts particuliers si nécessaire. D'ailleurs, il surveille l'assiduité des enseignants de son école -et des enseignants ELCO (Langues et Cultures d'Origine)- au même titre que celle des élèves. Il veille à favoriser la bonne intégration des maîtres nouvellement nommés dans l’école et des autres maîtres qui y interviennent (RASED), ainsi que la collaboration de tout autre intervenant extérieur qui aura été agréé. Le directeur organise également le travail des personnels communaux qui, pendant leur service dans les locaux scolaires, sont placés sous sa pleine autorité. Il faut noter que cette gestion des ressources humaines amène le directeur à recevoir de la part des ses adjoints comme du personnel plaintes, soupirs et récriminations, et doit parfois soutenir, consoler, convaincre, et même contraindre. Ce n'est pas pour le directeur d'école son rôle le plus facile. Il m'est arrivé de contacter ma hiérarchie pour signaler l'alcoolisme sur son lieu de travail d'un collègue en profonde dépression, et qui comme toute personne dans ce cas refusait l'aide de quiconque... Je peux vous assurer que ce n'est pas évident.

  • Le directeur d'école est animateur:
Le directeur assure la coordination nécessaire entre les maîtres, et organise pour l’équipe pédagogique diverses réunions et Conseils (des maîtres, de cycle,...) qu'il anime. Il réunit et anime s'il en est besoin l’équipe éducative. Puis-je préciser que chacune de ces multiples réunions doit faire l'objet d'un compte-rendu amoureusement concocté par le directeur d'école, et scrupuleusement envoyé à sa hiérarchie? Le directeur aide au bon déroulement des enseignements en suscitant au sein de l’équipe toutes les initiatives qui peuvent améliorer son efficacité, mais il doit souvent lui-même proposer certaines actions si son équipe est amorphe, ou en refuser d'autres à l'intérêt douteux ou à la limite de la légalité (ventes diverses, fêtes sur le temps scolaire...), même si cela va à l'encontre de l'avis de la majorité d'une équipe qui sait pertinemment qu'au moindre problème c'est le directeur et seulement le directeur qui s'en prendra plein les dents.

  • Le directeur d'école est formateur d'adultes:
Le directeur peut être amené à participer à la formation des futurs directeurs d’école, comme à l'encadrement d'une animation pédagogique. Le directeur forme comme il le peut et quand il le peut, sur le tas, les EVS, AVS et autres emplois d'avenir nommés dans son école et qui n'ont en général aucune compétence dans la fonction qu'ils sont destinés à assumer. Nous sommes combien à l'avoir fait pour finalement avoir vu les gens partir? Que de temps et d'énergie gaspillés en pure perte... Il peut aussi être demandé au directeur un rôle de conseil auprès d'enseignants débutants nommés dans son école.

  • Le directeur d'école est responsable pédagogique:
Étonnant, non? Et pourtant c'est vrai. Alors que notre hiérarchie comme nos adjoints ou les syndicats dénient aux directeurs d'école toute responsabilité pédagogique, il en est pourtant une qui nous incombe, c'est celle du Projet d'école. Techniquement, le projet d'école est élaboré par la communauté éducative (mon œil!) au sein de laquelle -je cite- "l’équipe pédagogique présidée par le directeur joue un rôle central pour tous les aspects concernant spécifiquement l’enseignement, puis il est soumis pour avis au Conseil d’école qui en arrête la forme définitive". En fait, c'est le directeur qui fait le bilan du projet précédent et qui met en forme le nouveau à partir des idées, besoins, envies ou propositions de l'équipe pédagogique... si elle en a. La responsabilité du directeur est primordiale car la démarche d'élaboration du projet d'école implique une connaissance globale des élèves, de l'équipe et de l'environnement que lui seul en général maîtrise et peut mettre en cohérence pour la réussite des élèves dans leurs apprentissages. C'est aussi le directeur qui présentera ce projet et le défendra devant le Conseil d'école... et son IEN! Et c'est lui aussi qui se fera taper sur les doigts si le projet n'est pas totalement dans les clous plantés par le ministère. Projet d'école? Les derniers élaborés dans les écoles venaient en partie en droite ligne de la DGESCO...

  • Le directeur d'école est gestionnaire mobilier:
La Loi est claire: l'ensemble des locaux scolaires est confié au directeur de l'école, responsable de la sécurité des personnes et des biens. Le directeur d'école doit donc quotidiennement vérifier l'état des locaux et signaler aux services techniques de la commune tous les travaux d'entretien ou de réparation à réaliser dans l'école en précisant le caractère d'urgence que peut présenter une intervention, pour des raisons de sécurité par exemple. Il veille quotidiennement à leur hygiène (nettoyage, toilettes bouchées...) comme au confort et la sécurité de ses élèves (défaillances techniques, de chauffage...). Pour la préparation du budget communal, le directeur est sollicité pour indiquer les gros travaux qu'il estime nécessaires. Le directeur prévoit et organise les besoins mobiliers (tables, chaises...) avec un maximum d'équité, ce qui n'est pas toujours bien vu des enseignants, répartit les classes entre eux, organise les autres locaux en fonction des besoins de l'école (cour de récréation, garderie, restauration, bibliothèque, RASED...), en fixe les modalités d’utilisation pendant les heures au cours desquelles ils sont utilisés pour les besoins de l’enseignement et de la formation, et s'accorde avec la municipalité pour les conventions d'utilisation en dehors de ces heures, car des locaux à usage scolaire, en dépit des velléités de certains élus, ne peuvent être utilisés qu'en respectant leur neutralité laïque, et donc aucunement pour des besoins confessionnels ou politiques.

  • Le directeur d'école est responsable hygiène et sécurité:
Comme on l'a vu plus haut, l'ensemble des locaux scolaires est confié au directeur de l'école, responsable de la sécurité des personnes et des biens. Les responsabilités des directeurs d'école en matière de sécurité sont énormes, et confinent souvent à l'absurde, car on leur demande dans ce domaine des compétences et des connaissances qu'ils n'ont pas. Si leur rôle de gestionnaire des ressources humaines n'est pas simple, que dire de ce rôle ci!

Pourtant la responsabilité pénale de la direction d'école a été souvent engagée, surtout s'il s'agissait de maltraitance. Mais il s'agit peut-être alors de la responsabilité la plus compréhensible pour un agent de terrain dont la première mission est celle de recevoir de nombreux enfants entre deux et onze ans, et qui doit logiquement veiller, en liaison avec les services compétents, à la protection des enfants qui sont à sa charge. Nous accueillons nos élèves au moins six heures par jour, et nous les voyons souvent plus longtemps que leurs parents eux-mêmes. Kipling écrivait que nous sommes in loco parentis. C'est vrai, nous en sommes conscients, et nous acceptons cette charge avec chaleur et considération. Mais cela reste néanmoins une charge.

Le directeur doit veiller à ce que les activités scolaires se déroulent de façon sécurisée: cela inclut le matériel qui doit être en état (en EPS par exemple), l'installation électrique qui doit être aux normes (les multiprises sont à bannir), les locaux sûrs et entretenus y compris la cour de récréation. Si l'entretien des installations de sécurité (boîtiers d'alarme, sirènes, panneaux des consignes ou d'évacuation, éclairage de secours, extincteurs...) est à la charge des communes, c'est néanmoins le directeur qui vérifiera leur état de fonctionnement ou leur date de révision, notamment au cours des nombreux exercices d'évacuation qu'il doit faire dans l'année, entre alarmes-incendie et alarme-danger majeur. D'ailleurs, une commission de sécurité visite régulièrement les écoles, et le directeur doit être présent, et prêt à se faire disputer par un capitaine de pompiers pour quelque chose qu'il ne maîtrise pas -cela m'est arrivé-.

Les registres de sécurité où sont consignés tous les contrôles et exercices effectués doivent être à jour. Attention, chers collègues! Seuls les registres conformes à la loi et attestant des courriers transmis aux services municipaux peuvent dégager la responsabilité des directeurs en cas d'événements graves survenus dans l'école. Vous êtes prévenus. Si vous ne pouvez pas prouver que vous aviez signalé un danger et qu'un accident arrive, c'est vous qui prendrez. Agréable perspective, n'est-ce pas? Vous ne saviez pas forcément ça quand vous avez accepté cette mission... Et il est inutile pour vous remettre de vous précipiter sur un verre de gnôle ou de griller une cigarette, l'alcool est interdit à l'école et c'est le directeur qui veille à faire respecter l'interdiction de fumer dans les locaux scolaires, dont la cour de récréation fait partie.

Le directeur veille aussi aux accès de son école, à qui y entre et qui en sort, quitte à se colleter avec un intrus -cela m'est aussi arrivé-. Voilà une mission de police que je n'avais pas imaginée en devenant directeur. D'autant que le plan Vigipirate est au niveau rouge depuis juillet 2005, et prévoit que le directeur est tenu de mettre en place un filtrage à l’entrée des écoles, de maintenir les portes de l’école fermées, d'interdire le stationnement devant l’établissement, de signaler tout colis suspect, de contrôler l’accès et repérer les objets douteux lors d’un regroupement (réunion, événement sportif, fête d’école...), et de vérifier l’identité et les bagages des personnes participant à une sortie ou un voyage scolaire. Signalons d'ailleurs que le directeur d'école doit donner son autorisation écrite, ou non -s'il estime les conditions de sécurité insatisfaisantes-, aux enseignants de l'école qui désirent effectuer une sortie. Et pour une sortie avec nuitées, c'est aussi le directeur qui se charge du dossier énorme qui doit être envoyé au DASEN qui seul peut donner l'autorisation. Même si c'est quand même le directeur qui au moment du départ vérifiera le bus de transport récupérera la marque, le numéro d'immatriculation et le numéro de la carte violette du véhicule, ainsi que ainsi que le nom du conducteur et le numéro de son permis de conduire... Oui. C'est lourd, hein? Cela date de 1999, nous le devons à Ségolène Royal, fameuse pasionaria de la bureaucratie galopante et de l'autorité méprisante, dont la maxime était "je me couvre"...

Signalons en passant aux collègues qui l'ignorent que la police, à moins d'avoir été appelée, doit elle aussi montrer patte blanche pour entrer dans un école; elle ne pourra pas par exemple emmener ou interroger un élève sans commission rogatoire délivrée par un magistrat, et même l'interrogatoire devra être mené en présence du directeur qui contresignera le procès-verbal.

Il est d'autres domaines de la sécurité dans lesquels le rôle du directeur dépasse largement ses compétences, à moins peut-être d'avoir été sapeur-pompier -et encore!- dans une vie antérieure. Le directeur élabore un PPMS (Plan particulier de Mise en Sûreté face aux risques majeurs)... Ah, le PPMS... Ce "truc" a été inventé après l'accident de l'usine AZF. Comme si un tel plan pouvait prévenir la soudaineté et l'inattendu d'un accident industriel majeur. Le PPMS, c'est du pipeau. Mais du pipeau lourd, et c'est une responsabilité étrange que son élaboration. Le PPMS s'applique dès lors qu'un "risque majeur" intervient dans un périmètre variable dont l'école fait partie: camion-citerne chargé de produits toxiques qui se reverse, usine "type Seveso" qui lâche de la dioxine dans l'atmosphère, missile sol-sol qui tombe sur la base aérienne voisine, etc... Dans ce cas, les élèves doivent être confinés dans un lieu sécurisé, de l'eau mise en réserve peut leur être servie, etc. Que ce soit depuis 2002 à un directeur d'école d'élaborer un tel plan de trente ou quarante pages me fascine. D'autant que le PPMS en question ne tient absolument pas compte des plans élaborés localement par la municipalité ou la préfecture, plans qui évidemment prennent le pas sur celui de l'école. Mais bon, je ne m'étendrai pas plus là-dessus, tous les directeurs d'école qui me lisent savent de quoi je parle. Voici le lien des textes officiels, si vous aimez vous prendre la tête faites-vous l'ultime plaisir de les déchiffrer! Voilà ce que c'est que d'exercer ce métier de directeur d'école à une époque où chaque pet de travers amène une nouvelle réglementation. Au fait, chers collègues, depuis 2002 que nous avons cette responsabilité, avez-vous seulement changé une fois vos réserves d'eau, qui doivent être croupies aujourd'hui?

Mon Dieu, j'allais oublier le DUER! La Loi impose à tout employeur de plus d'un salarié de créer un Document Unique d’Évaluation des Risques. L’objectif principal de ce document est de définir les risques inhérents à l'activité professionnelle dans un lieu donné afin de réduire le nombre et la gravité des accidents du travail et des maladies professionnelles. Sur le fond, je n'ai rien à y redire, bien au contraire. En revanche, que l’administration de l'éducation nationale demande aux directeurs d'école de le faire sous peine de sanction m'insupporte: un directeur d'école est un employé! S'il gère une partie du travail sur le temps scolaire des enseignants ou des personnels communaux présents à l'école, il n'est en aucun cas leur employeur, et ne maîtrise rien de ce qu'il peut présenter comme danger potentiel dans son école. Un exemple? Un directeur d'école a plusieurs portées d'escaliers dans ses locaux; des escaliers, c'est dangereux pour tout le monde, dont le personnel adulte; donc il signale dans son DUER le danger potentiel représenté par les escaliers. Et? Et rien, on ne va pas lui enlever les escaliers. Un autre exemple: il est nécessaire d'être attentif aux produits d'entretien utilisés dans l'école, afin d'éviter toute intoxication accidentelle -ou volontaire, connaîtra-t-on un jour le nombre de suicides dans les écoles?-; mais si la municipalité pour une raison quelconque décide d'utiliser un autre produit en cours d'année sans en avertir le directeur?

Bref, je ne saisis pas pourquoi l'élaboration des DUER n'est pas donnée à un organisme extérieur ou à un fonctionnaire spécialisé. D'autant que les municipalités font leur propre DUER, et que je sache les écoles font partie du patrimoine communal. Allez comprendre.

Je préfère m'arrêter là sur la question des responsabilités délirantes des directeurs d'école en terme de sécurité, les lister me donne le bourdon. Mais je citerai tout de même pour clore ce panorama les merveilleux cadeaux que nous a fait l’État il y a quelques années en inventant l'Aide personnalisée dont j'ai déjà dit pleinement ce que j'en pensais, et les Stages de Remise à Niveau (SRAN) pendant les vacances scolaires, stages dont la gestion incombe aux directeurs d'école dont chacun sait que leurs longues siestes au soleil pendant l'année leur évite d'avoir à se reposer pendant les vacances. Beaucoup de directeurs ignorent que la sécurité des locaux et des personnes pendant ces stages leur incombe, même s'ils ne les encadrent pas et préfèrent faire du trekking dans les Alpes pour oublier quelques heures leurs charges. Un accident pendant ce temps? Pan dans les dents! Aaaah, mais vous avez choisi d'être directeur, hein, fallait pas si vous ne vouliez pas prendre avec le bébé l'eau du bain, les couches à changer et les maladies infantiles...

  • Le directeur d'école est secrétaire:
Voilà bien la partie de son travail qui prend au directeur le plus long de son temps. J'ai déjà évoqué l'élaboration et la confection de documents variés comme le PPMS et le DUER, qui prennent beaucoup d'heures. J'ai également parlé de la rédaction des divers procès verbaux ou compte-rendus qui doivent être établis et transmis à la hiérarchie pour chaque réunion à l'école: conseils de maîtres, de cycles, d'école, d'équipe éducative... J'en oublie certainement. Cela représente un temps infini passé avant ou après les heures de classe dans le bureau ou chez soi à tapoter sur le clavier de son ordinateur. Notons d'ailleurs que l'ordinateur, outil pratique par excellence que les directeurs d'école ont béni il y a quinze ans, est devenu aujourd'hui une malédiction depuis que l'administration a découvert l'existence d'internet et du courrier électronique... Chaque bureau de la DASEN ou du Rectorat s'ingénie aujourd'hui à envoyer aux écoles -c'est si facile!- son lot de réclamations, d'injonctions, de documents à remplir et renvoyer dans l'heure quand ce n'est pas pour l'avant-veille. Comme en plus ces gens-là n'ont pas forcément une pratique raisonnée et construite de leur engin, il n'est pas rare de recevoir le même courrier en deux ou trois exemplaires, voire plus s'il est retransmis par les IEN ou autre. Je ferai abstraction, je suis aimable, des courriers qui se succèdent à une heure d'intervalle parce que la pièce jointe avait été oubliée, comme du suivant parce qu'il y avait une erreur dedans. Dois-je citer les courriers vides? Ou ceux qui me sont adressés alors que je ne suis pas concerné? Le meilleur reste la totale ignorance par les services de l'éducation nationale de l'envoi possible en CCI (Copie Conforme pour Information) qui m'éviterait dans chaque courrier la liste complète des  destinataires, qui peut faire une page. Z'avez pas intérêt à imprimer la chose...

Je veux maudire également les manies conjointes de l'évaluation et de la statistique qui ont saisi ces dernières années les divers organes administratifs de l'éducation nationale. J'ai abondamment écrit ailleurs que chaque fonctionnaire, pour justifier son existence, se devait d'élaborer une enquête superfétatoire mais qu'il pourrait présenter à ses supérieurs. Les enseignants d'abord, qui évaluent à tour de bras de façon normée mais n'ont plus le temps d'enseigner, puis les directeurs d'école, en font les frais, en étant contraints de rédiger ou remplir de multiples tableaux redondants dans divers formats informatiques. Entre Évaluations nationales, Livrets d'évaluation de l'école, Livrets Personnels de Compétences (LPC) et autres Brevets divers (natation, informatique, vélo...), les directeurs s'éclatent à mort, surtout s’ils ont beaucoup d'élèves, et finissent étouffés de rire convulsif sur leur clavier, quand ils ne noient pas leur chagrin dans l'absorption salvatrice d'alcools divers pour oublier leurs larmes. C'est d'autant plus de temps perdu inutilement que la plupart des chiffres transmis sont faux, les évaluations normées étant conçues en dépit du bon sens ou les enseignants eux-mêmes en ayant changé les passations ou les résultats pour tenter de sauver les meubles et ne pas anéantir leurs élèves. Mais l’administration est heureuse, et les IEN jubilent de suffisance en voyant en dépit de toute vraisemblance les chiffres de leur circonscription évoluer de façon favorable. C'est pathétique.

Gérer le fameux fichier Base Elèves est aussi un régal de fin gourmet. Alors qu'il n'y a que peu d'années il suffisait de remplir avec conscience un registre matricule écrit des élèves de l'école, qui encore aujourd'hui fait seul preuve auprès d'une instance administrative ou judiciaire, les directeurs d'école aujourd'hui font le travail en double en remplissant "en ligne" le fichier Base Elèves, qui dut être conçu par un esprit pervers façonné dans les enfers: quand le programme est atteignable -vous avez intérêt à avoir une bonne connexion internet dans votre école-, quand vous réussissez à l'ouvrir -c'est au bon gré du responsable technique académique qui a sous-dimensionné les accès faute de sous-, vous vous retrouvez dans un monde étrange au fonctionnement bizarre qui surpasse toute logique, et réclame de cliquer cinquante fois sur des menus aux appellations étranges, pour arriver à faire en vingt minutes ce qu'à la main vous faisiez en trois. Je dois signaler aux néophytes que l'accès à ce programme, summum incontesté de l'intelligence humaine, ne peut se faire qu'à l'aide d'une clé électronique OTP, signe distinctif aujourd'hui du directeur d'école qui la porte généralement en sautoir au bout d'une chaîne en or. Ce bijou vivant, dont les numéros changent de minute en minute, sert de signe de reconnaissance et n'est délivré qu'au cours d'une cérémonie particulière orchestrée par les instances académiques. Sans cette clef, ne rêvez pas, vous n'êtes rien. Administrativement du moins. Mais ne la perdez pas, ça coûte bonbon...

J'ai décidé de passer sous silence le travail de secrétariat que le directeur d'école fait de lui-même pour gérer son école ou communiquer avec les familles. Il prend du temps aussi, beaucoup de temps parfois, mais voilà du vrai et du bon boulot, au plus près des besoins, utile et efficace.

  • Le directeur d'école est comptable:
Normalement, une école, qui n'est pas un établissement, n'a pas de budget propre. Mais depuis longtemps les écoles, qui ont des besoins qui ne peuvent être pris en compte par les budgets votés par les municipalités, ont créé des coopératives ou des associations qui leur permettent plus de souplesse dans leurs activités: sorties, achat de petit matériel, etc. Normalement, ces coopératives d'école ne devraient pas être gérées par les directeurs, mais c'est hélas souvent encore le cas. Et voilà une charge supplémentaire pour de nombreux collègues directeurs amenés aujourd'hui à gérer des rentrées et des sorties monétaires. Quand il s'agit de vendre des photos de classe, bonjour la gestion!

Parallèlement, le directeur de par sa fonction doit gérer la répartition équitable des moyens financiers votés par la municipalité. Il fait des choix, sans perdre de vue l'intérêt des élèves, s'occupe des bons de commande auprès des fournisseurs ou de la centrale d'achats, réceptionne, etc... et se débrouille pour ne pas faire d'erreur!

De fait, le directeur d'école est comptable.

  • Le directeur d'école fait de la communication:
Un directeur d'école est d'abord un communicant. Même si son public est captif, il lui revient d'expliquer, de temporiser, d'arrondir les angles. D'abord bien sûr dans les réunions, qu'elles soient publiques (réunions de parents) ou non (réunions internes à l'équipe ou conseils d'école, mais aussi réunions institutionnelles avec la municipalité, sa hiérarchie, etc). Le directeur d'école doit savoir résumer, ramener au propos, sourire même s'il n'en a pas envie, éviter les débordements, calmer divers protagonistes, expliquer tenants et aboutissants, présenter des mesures officielles même s'il ne les approuve pas... Il sait rester loyal envers l'institution lorsqu'il parle, il sait écouter reproches et récriminations qu'elles soient justifiées ou non. Le directeur compétent est un as de la diplomatie, qui sait "vendre" son projet d'école auprès de sa hiérarchie, de sa municipalité ou de ses parents d'élèves qui ignorent souvent son absence de statut au sein de l’éducation nationale. Il est la vitrine de son école, le garant de sa bonne ambiance. Il est parfois le recours de nombreux conflits. Et c'est bien pourquoi il est la première victime des agressions perpétrées en milieu scolaire, qu'elles viennent des parents ou des enseignants. Autrefois premier dans son école -primus inter pares-, l'alpha est devenu l'omega, celui qui prend les coups à la place des autres, celui qui comme il s'interpose reçoit de plein fouet les insultes ou les coups, réels et virtuels. Comme dernier représentant de l’État dans de nombreuses communes, le directeur d'école est aujourd'hui le réceptacle de la plupart des faillites sociétales, institutionnelles et parentales. Tampon, exutoire, souffre-douleur... Le prix est cher à payer. 



Tous ces métiers font aujourd'hui des directeurs d'école des spécialistes, des maillons indispensables au bon fonctionnement de l'école primaire. Certains voudraient l'oublier, et faire fi de leurs justes revendications. Mal payés, mal considérés même par leur propre hiérarchie, accablés de tâches diverses dont beaucoup sont inutiles ou redondantes, écrasés sous des responsabilités qui au cours des décennies n'ont fait que croître, désarmés juridiquement et administrativement, les directeurs d'école maintenant n'ont plus d'alternative: soit on leur donne un statut clair et ce qui l'accompagne (salaire, moyens, temps), soit ils disparaitront, certains partant car l'honnêteté implique de renoncer lorsque la mission est impossible à remplir, le reste s'effondrant sous son propre poids. Combien de postes sont désertés chaque année? Au détriment des élèves et du bon fonctionnement de l'école, évidemment. Le choix est désormais entre les mains du ministre, mais aussi entre les nôtres: si nous ne nous manifestons pas, rien ne changera, jusqu'à l'écroulement de l'édifice. Il y a maintenant urgence à sauver la direction d'école.

2 commentaires:

  1. C'est comme pour un signalement. lorsque l'on pose les faits sur le papier, ça prend une toute autre dimension!!!

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  2. oups ! sais pas si je vais aller au travail demain matin moi ... Suis fatiguée rien qu'à lire tout ce que je dois faire chaque jour...

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