Il existe au sein de l'éducation nationale certaines catégories de fonctionnaires qui pour justifier leur existence inventent des usines à gaz. Elles sont ensuite injectées dans les écoles à grands coups de consignes péremptoires, alors qu'elles emmerdent tout le monde et sont d'une inutilité consternante. Les évaluations, par exemple.
L'instit'humeurs évoque le sujet dans un billet récent qui prend comme prétexte un débat qui fut organisé il y a peu à l'université René Descartes (Paris 5). Ce débat animé par Alain Bentolila opposait Michel Quere, directeur de la DEPP -(Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance), organe superfétatoire puisque nié par les précédents gouvernements, et dont l'absence n'a pas gêné grand monde pendant ces quelques années- à Laurent Danon-Boileau, professeur à Descartes, psychanalyste et linguiste, spécialiste du langage chez l’enfant.
Bref, ce débat opposait un fonctionnaire à un spécialiste de l'enfance. Dit de cette façon, vous comprenez où se placent mes amitiés.
M. Depp... pardon, M. Quere fait évidemment l'apologie de l'évaluation à l'école. M. Danon-Boileau, lui, explique avec pertinence que "sur le terrain ces évaluations sont considérées comme des obligations, pas comme des outils, parce qu’inadaptées". Inadaptées effectivement, car inutilisables par les enseignants pour leur travail quotidien. Sans compter la somme considérable de temps nécessaire à la passation de ces évaluations et à leur traitement par les directeurs d'école -qui d'autre est censé en avoir le temps?-. Tout ça pour qu'en fin de compte un IEN ou un DASEN ait le plaisir ineffable -j'en ai vu qui se délectaient- d'avoir des statistiques sous le nez. Mais M. Depp... --décidément- M. Quere expose que ces évaluations sont intéressantes "si elles sont pratiquées correctement." Ce qui signifie que les enseignants ne le font pas, alors que les consignes de passation nous sont données par le ministère. Ah oui, mais c'est vrai, j'oubliais que ces gens-là ne sont pas enseignants! Outre un flagrant mépris, M. Quere montre ici clairement les limites d'un système inadapté. Car soyons clair: si l'objectif d'une évaluation est, comme il le dit lui-même, "d’infléchir les pratiques pédagogiques", pourquoi y aurait-il besoin d'évaluation externes normées et généralisées, alors que nos conditions de travail sont partout différentes, nos élèves aussi? Contrairement aux finlandais, qui ne donnent pas de note au travail de leurs élèves avant l'âge de dix ans, nous allons même jusqu'à évaluer les enfants de maternelle, ce qui est un pure et simple aberration! Mais nos IEN sur le terrain y tiennent, et soutiennent mordicus que c'est utile, alors que c'est surtout la preuve de la totale méconnaissance par ces gens là de la façon dont grandit un enfant entre deux et dix ans!
M. Danon-Boileau a beau jeu de rappeler que "le savoir est toujours émergent, en ébauche. Il est donc nécessaire de varier les supports, de multiplier les occurrences. L’inverse de ce que proposent les évaluations standardisées."
Je dis toujours qu'il est primordial, lorsqu'on accompagne un enfant sur le chemin de la connaissance ou de la compétence, de lui en laisser le temps de l'acquisition. Et ce temps ne dépend de personne sinon de l'enfant lui-même. L'enseignant propose, l'enfant dispose. C'est ce que font intelligemment les nations évoluées. Ce n'est pas le cas de la France, qui voudrait tout normer. Même Alain Bentolila, qui dirigeait le débat évoqué ci-dessus, ajoute que "Il ne faut pas jeter l’évaluation en maternelle a priori." Eh bien si, s'il s'agit d'une évaluation normée. C'est une pure ineptie en maternelle. Ne peut-on faire confiance aux enseignants? A condition qu'ils soient formés, bien entendu. Depuis trente cinq ans que je fais ce métier, je sais parfaitement, sans avoir besoin de papier à en-tête de l'éducation nationale, où en sont mes élèves à un instant T. Et surtout lequel d'entre eux a besoin d'aide. Mais notre administration, dont la DEPP, non contente de mépriser les agents de terrain qui pourtant font tout le boulot, n'a aucune confiance en nous. Ce fut certes flagrant ces cinq dernières années, mais cette méfiance est en fait très ancienne. Et elle commence à sérieusement nous peser sur les genoux...
Bref, il faut abandonner ce système pesant et absurde qui ne sert à rien sinon à justifier la présence et la paye de nombreux fonctionnaires qui seraient certainement mieux ailleurs. Et, disons-le vulgairement, lâcher la grappe aux enseignants qui ont assez à faire comme ça avec les programmes démentiels concoctés par d'autres inutiles. Au passage, supprimons aussi cette pure idiotie d' "aide personnalisée" qui n'a que rarement aidé qui que ce soit et coûte des sommes folles à la Nation. En maternelle en particulier, elle relève carrément de la maltraitance. Mais qui osera le dire? L'idée d'assommer les élèves les plus faibles d'un temps collectif supplémentaire consacré au notionnel ne peut être sortie que d'un cerveau malade.
Et puis, cela permettra peut-être aux directeurs d'école de récupérer ces deux heures hebdomadaires dont personne ne les a sevrés et qui leur seront bien nécessaires pour accomplir leur importante mission.
Et si on en profitait aussi pour alléger les programmes? Comme l'éducation nationale est similaire aux écuries d'Augias et requiert un nettoyage d'importance, de même les programmes sont un salmigondis de tout et n'importe quoi au détriment de l'essentiel. Au cours des décennies sont venues s'y ajouter des enseignements qui relèvent de l'obsession de personnages divers -l'histoire de l'art, tiens, quel joli cadeau ce fut-, de faillites sociétales -les dangers domestiques, par exemple, ou les méfaits de l'alcool et du tabac-, de la morale -et là c'est plus douteux, car la morale n'est pas universelle- ou plus simplement des manques du milieu familial. Pourquoi diable les enseignants doivent-ils apprendre aux enfants tout ce qui relève normalement de l'éducation parentale? Sexualité, lutte contre l'homophobie, exaltation de l'altérité et de la différence, traverser la rue, rouler en vélo... Flûte! Je n'ai jamais eu ce genre d'enseignement lorsque j'étais élève (oui, je commence à me faire vieux), et j'ai eu une sexualité heureuse et construite, je n'ai jamais tabassé personne, je n'ai jamais provoqué d'accident de la route... Je crois même que plus on en parle pire est la situation. Pourquoi vouloir répondre à des questions que les enfants ne se posent pas? Il en existe suffisamment qu'ils se posent et auxquelles nous n'avons plus le temps de donner de réponses.
Mais en ce sens, hélas... Je croyais naïvement qu'avec l'arrivée de la gauche le temps des âneries concernant l'école primaire était fini. Je dois vraiment être d'une naïveté confondante. Notre époque, qui veut tout réguler et tout interdire, au nom d'une morale bien-pensante qui relève de la méthode Coué, nie de plus en plus la sexualité et sa différenciation, alors que dans le même temps vous pouvez trouver sur internet les formes les plus éloquentes de l'aberration dans ce domaine. Vincent Peillon et Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, se sont soudain trouvés pris d'une farouche volonté de nous apprendre que les hommes et les femmes sont égaux. Certes, je n'en disconviens pas, et qui me connait sait que je n'ai jamais ni dans ma vie personnelle ni dans mon enseignement pratiqué une quelconque ségrégation ou simplement différencié mes relations ou élèves en fonction de leur sexe. Mais lorsque deux ministres, dont mon ministre de tutelle, me disent que la construction, "dès la maternelle, d’une éducation qui porte et transmet la culture de l’égalité entre les sexes est un impératif républicain", je commence à voir rouge. Je rappelle avec chaleur que la Déclaration des Droits de l'Homme nous dit que les "hommes naissent libres et égaux en droit". EN DROIT! Doivent-ils pour autant tous porter un pantalon ou une jupe, selon ce que décidera le gouvernement? Devrai-je interdire à mes petites élèves de jouer dans le coin-dînette de ma classe? Devrai-je les obliger à jouer avec des petites voitures, alors qu'elles n'en ont rien à faire? Il faudra faire la lecture à ces messieurs-dames, leur lire Jung, leur faire comprendre ce que sont des stéréotypes et des archétypes, leur en expliquer l'importance dans la construction de leur esprit. Plus tard, ces enfants seront des hommes et des femmes adultes, aux différences sexuelles marquées et réelles. L'individualisation sexuelle est d'une importance cruciale dans la construction d'un individu, et la différence entre les sexes est une réalité physique. Et quant à ce qui est des jeux infantiles, qui suis-je pour intervenir et suggérer, alors que mes petites filles aiment jouer à la dînette et se déguiser, et que mes petits garçons jouent aux voitures et à des jeux de construction? Devrai-je interdire à mes fillettes d'utiliser les feutres roses pour dessiner des princesses, et à mes garçonnets de dessiner des véhicules de police? Cela touche profondément à l'éducation familiale, à la morale familiale, à la religion familiale. Ce n'est pas du domaine de l'école! Laïcité ne signifie pas intrusion dans les valeurs personnelles garanties par la Constitution. Je m'insurge totalement et viscéralement contre ce que ce nouveau gouvernement veut nous faire ajouter à notre enseignement. Je m'en insurge même doublement, car à l'heure où il est urgent de mieux payer les enseignants, d'alléger les programmes, de supprimer les scories que sont les évaluations et l'aide personnalisée, et de donner aux directeurs d'école un statut clair qui leur permettra de remplir leur mission avec sérénité, rajouter une couche supplémentaire d'inenseignable est une provocation. C'est l'arbre de la bien-pensance et du politiquement correct qui occulte la forêt des réformes indispensables au bon fonctionnement de l'école de la république. C'est dérisoire, au moment où tout l'édifice menace de s'effondrer.
Je le savais, je le disais, mais je ne m'en console pas: cette "refondation" est vraiment une fumisterie.
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