Le fonctionnement pyramidal de l’Éducation nationale en France n'a jamais autant montré ses limites qu'aujourd'hui. Hérité du XIXème siècle, où un centralisme fort était nécessaire pour fédérer le pays autour de valeurs républicaines communes -surtout après une guerre de 1870 perdue et traumatisante-, ce prototype est aujourd'hui battu en brèche par la décentralisation. D'aucuns regretteront leurs illusions perdues du "tout État", qui s'échappent avec le "grand soir" et autres utopies égalitaires qui ont surtout largement démontré leur corollaire d'écrasement de l'individu au nom du bien de la collectivité. Mais la décentralisation est nécessaire à une époque où les distances de toutes sortes s'amoindrissent, et où le fédéralisme comme la gestion déconcentrée sont des réalités quotidiennes adaptées aux besoins des populations. L'Europe ou la France des régions ne sont plus des utopies, ou des résidus d'ancien régime, mais bel et bien le modèle futur du fonctionnement des états s'ils ont la volonté de persister au cours du présent siècle comme des suivants.
Malheureusement, si dans la réflexion le besoin de décentralisation s'impose, dans les faits l'abandon par l’État de certaines prérogatives d'ordre national ne se fait que difficilement, et dans la douleur. L'accouchement est difficile pour des hommes politiques ou une caste de hauts fonctionnaires qui ont été élevés dans l'idée qu'il était aujourd'hui comme avant nécessaire de concentrer tous les pouvoirs aux mains de quelques hommes regroupés dans la capitale. Mais comme Paris n'est pas la France, comme la France n'est pas l'Europe, l’État français n'est pas la Nation.
On en a vu l'illustration flagrante ces jours derniers, où une réforme somme toute minime du fonctionnement des écoles primaires publiques a mis d'un coup tout le pays en émoi. Le Ministre de l’Éducation nationale a décidé de changer les "rythmes scolaires", ce qui d'une part était nécessaire et réclamé depuis des lustres, ce qui de plus était attendu et annoncé depuis des mois voire des années, et qui enfin était préparé avec de nombreux interlocuteurs depuis de nombreuses semaines.
Mais Monsieur le Ministre n'a pas réellement envisagé tout l'impact de sa décision: impact aux niveau des personnels concernés, impact au niveau du fonctionnement des communes, et impact financier. Ce qui est désastreux quand on pense que la réforme en question n'a rien de réellement compliqué, et qu'elle sera certainement en partie bénéfique pour les premiers concernés, c'est à dire les élèves.
Comment le Ministre en est-il arrivé, en dépit d'une volonté consensuelle de changement et d'un capital élevé de sympathie, à mettre des milliers d'enseignants dans les rues et la totalité des municipalités françaises dans l'embarras? Tout simplement d'une part en oubliant que si aujourd'hui l’État impose un changement dans les territoires, ce sont ces mêmes territoires qui maîtrisent le nerf de la guerre, c'est à dire l'argent: dans le cas qui nous occupe, ce sont les communes qui vont payer de leurs deniers les fameuses activités périscolaires complémentaires de l'enseignement scolaire -quand elles le pourront!-, et ce sont les départements qui vont régler la facture du transport scolaire dans un pays où nombreux sont les élèves qui n'habitent pas près de leur école. Tout simplement d'autre part en oubliant que ce sont les agents de terrain, enseignants et directeurs d'école, qui vont devoir organiser et gérer quotidiennement de nouveaux fonctionnements, apporter de profonds changements à leur emploi du temps hebdomadaire, au fonctionnement de leur école, comme à leur propre organisation familiale.
Monsieur le Ministre n'a pas consulté les agents de terrain. Il a certes discuté avec les syndicats, mais ceux-ci sont aujourd'hui si éloignés de leur base, si divisés entre eux, si partagés entre leurs convictions politiques et leur appréhension erronée du fonctionnement des écoles, que rien de clair ni de positif ne pouvait assurément en sortir. Ajoutons à cela les avis contradictoires des représentants de la société civiles, des associations de parents d'élèves, des représentants du tourisme ou des organismes territoriaux, ou...
On aurait pu imaginer le Ministre interrogeant les directeurs d'école quant aux difficultés que cette réforme allait entraîner. Sur ce point, nous aurions certainement tous apporté les mêmes réponses. Mais ceci n'est pas dans la culture de l’État français. Il faut rappeler que les directeurs d'école dans ce pays ne sont rien, qu'ils ne sont que des enseignants "comme les autres" qui ont à leur grand dam accepté une mission difficile pour laquelle ils n'ont ni reconnaissance ni statut ni salaire. Je suis persuadé que l'idée même de leur poser la question n'est venue à l'idée de personne dans la hiérarchie ministérielle tellement l'idée leur aurait semblé ridicule. Et pourtant...
Quelle est donc cette pyramide inefficace? J'en ai fait un schéma rapide que voici (cliquez sur l'image pour l'agrandir):
Un petit détail qui m'a amusé en faisant cette illustration, c'est que j'ai mis en bas de la pyramide qutre silhouettes féminines pour une silhouette masculine, histoire de rappeler qu'il y a dans l'enseignement 83% de femmes. Qui parle de parité? Il y aurait beaucoup à dire sur ce fait, quand on sait que traditionnellement la féminisation à outrance d'un métier montre le peu de cas fait de cet apostolat mal payé. Mais ce n'est pas le propos de ce billet.
Dans l’Éducation nationale, tout part du sommet, au travers d'une profusion inégalée de fonctionnaires qui n'ont aucun contact avec les enfants de ce pays. Il faut savoir que dans ce ministère il y a un fonctionnaire de bureau pour quatre enseignants sur le terrain... Oui, 20%. Voilà une proportion que je défie quiconque d'égaler. J'ai déjà expliqué sur ce blog que chaque fonctionnaire inutile se doit de pondre les pires âneries pour justifier son existence. J'ajouterai donc que l'efficacité du ministère est depuis longtemps maintenant inversement proportionnelle aux nombre de ses administrateurs, le rendement d'une administration ayant comme l'impôt une courbe en cloche:
J'ai marqué sur le schéma, avec un point vert, l'emplacement de l’Éducation nationale, qui doit être le même que celui du rendement de l'impôt en France aujourd'hui. On sait que l'imposition doit diminuer, on sait moins qu'il faudrait supprimer de nombreux administratifs de ce ministère de l’Éducation nationale aux effectifs pléthoriques -et pas supprimer des enseignants comme le faisait avec un aveuglement frappant le précédent gouvernement-.
On pourrait donc avec profit, sans compter un certain nombre de très hauts fonctionnaires, supprimer aux moins deux étages de la pyramide. Lesquels? Celui des IEN et celui des DASEN brillent par leur inefficacité, qu'ils ont largement démontrée ces dix dernières années. Au profit de qui? Mais de la direction d'école, pardi! Pourquoi? Mais parce que ce sont les directeurs d'école qui gèrent quotidiennement le fonctionnement de terrain du système scolaire public, et qu'un rapport direct entre un Recteur et un directeur d'école statutairement reconnu accélérerait d'autant des prises de décision qui aujourd'hui stagnent et pourrissent dans les méandres nauséabonds d'une administration inefficace. Je souhaite bon courage à quiconque qui aujourd'hui désirerait escalader un ou deux étages de la mastaba institutionnelle pour faire connaître un souci ou une idée... L'innovation est tuée dans l'oeuf, les pratiques d'enseignement efficaces ou ingénieuses ignorées, les problèmes et questions pratiques qui se posent aux enseignants et à la direction d'école tout bonnement occultés. Oserai-je évoquer les obstacles continuellement posés en travers de la route des directeurs d'école par des IEN qui croient que leur utilité se mesure à la dimension de leurs vociférations ou de leurs lubies?
Le directeur d'école de demain est statutairement reconnu. Sa signature a une valeur juridique d'engagement de l'institution scolaire, responsabilité lourde dont il est dépositaire à bon escient et avec responsabilité. Sa parole a un poids reconnu par ses partenaires, qu'ils soient payeurs comme la commune ou prescripteurs comme le Rectorat ou l’administration centrale, qu'il s'agisse des principaux de collège, des responsables associatifs, des Directeurs de l'enseignement des villes, des sociétés d'assurance mutuelles ou non, et de la Justice...
Le directeur d'école de demain n'a qu'un seul objectif: il s'engage pour la réussite de tous les élèves de son école ou son regroupement. Il est dégagé de toute obligation d'enseignement mais peut s'il le désire encadrer des élèves.
Le directeur d'école de demain est rémunéré à hauteur de son travail et de sa responsabilité. Il est assisté du personnel qui lui est nécessaire en fonction de la taille de son école.
Le directeur d'école de demain, enfin, a d'emblée- sans avoir besoin de
rendre continuellement des comptes- la confiance de son institution.
Seule compte la réussite des élèves dont il a pris la responsabilité.
Pour ce faire, il a la maîtrise totale des temps et des projets de son
école.
Gageons que demain, avec des directeurs d'école reconnus, la France aura regagné quelques places dans les études comparatives internationales.
Et le directeur d'aujourd'hui doit se montrer capable d'être le directeur de demain...
RépondreSupprimerEn tous les cas, pour toi, pas de doute.
Pierrot
Enfer, un compliment! :-) Merci.
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