samedi 22 juin 2013

Harcèlement...


Quand on est un directeur d'école un peu impliqué dans la vie publique et citoyenne, lorsqu'on s'intéresse à tenter de changer les conditions de travail de sa branche professionnelle, lorsque comme moi on s'essaye à dénoncer une organisation aussi absurde que celle de l’Éducation nationale, on se retrouve souvent face à des questions et des problèmes dont on se rend rapidement compte qu'ils sont plus courants qu'ils n'y paraissent. Il faut dire que les services de l’État en général, comme les entreprises de services publics ou assimilées, font depuis des décennies du silence une des conditions premières de leur fonctionnement, sous prétexte d' "obligation de réserve" ou de "discrétion professionnelle". On ne dit rien, c'est le black-out total, c'est l' "omerta" permanente institutionnalisée.

Rappelons pour mémoire que la notion d' "obligation de réserve" n'existe pas dans les textes législatifs et réglementaires régissant la fonction publique française. La Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ne fait nulle part mention d'un "devoir de réserve", ni d'une "obligation de réserve". C'est volontairement qu'il n'a pas été intégré à l'époque par M. Le Pors aux obligations des fonctionnaires, laissant à la jurisprudence le soin de réguler les situations rares et particulières.

Le "devoir de réserve" des fonctionnaires, comme celui des enseignants envers l'institution et leur hiérarchie, est donc une légende urbaine, ou du moins qui reste bien ancrée dans les cours d'école. Il en est d'autres, certaines concernant par exemple les directeurs d'école, quelques-uns les croyant instinctivement "quelque part" (sic) leurs supérieurs hiérarchiques, d'autres au contraire leur refusant leurs rares prérogatives comme celle de répartir élèves, classes, et moyens d'enseignement. C'est pourtant la Loi! Mais peu d'enseignants connaissent les textes qui régissent et encadrent leur métier.

Ce silence institutionnalisé, entré dans les mœurs enseignantes et qu'il faut combattre de toutes ses forces, porte avec lui des conséquences perverses. Pas tant pour le fonctionnement de l’État ou de l’Éducation nationale, qui est rarement publiquement dénoncé par le milieu, ni pour la discrétion professionnelle instinctivement observée par les enseignants ou les directeurs d'école qui jamais n'auraient l'idée de divulguer des renseignements familiaux qu'ils seraient amenés à connaître, ou encore pour l'accès de la presse aux écoles, chacun dans ce métier considérant avec raison l'école comme un sanctuaire qui doit surtout rester protégé des soubresauts sociaux ou moraux de la société civile.

Mais l'omerta en revanche doit être dénoncée avec force dans ce qui concerne les rapports humains au travail. L'État dénonce avec raison depuis quelques années le harcèlement entre élèves, qui a toujours existé et existera encore car un enfant est d'abord un petit monstre tant qu'il n'a pas été correctement éduqué, et tant l'effet de harcèlement de groupe porte en lui de satisfactions perverses partagées. Ce harcèlement doit être évidemment fortement combattu dès le premier signe, et sans concession aucune. C'est là le rôle d'un enseignant conscient et d'une direction d'école responsable. Car, étant du métier et ayant déjà rencontré le cas plusieurs fois, personne ne pourra me faire croire que ce genre de comportement puisse passer inaperçu. Les excuses ridicules qu'il m'a été donné de connaître à l'occasion de recherches sur le sujet sont effarantes de veulerie. Ce qui ne signifie pas non plus qu'il faille transformer toute altercation entre élèves en cas de "harcèlement", comme certaines familles aveuglées par des médias alarmistes voudraient le faire. Il faut dire dans ce dernier cas qu'il s'agit évidemment d'une méthode facile pour nier toute responsabilité de son propre enfant, qui remettrait en cause une éducation familiale parfois négligée ou dévoyée, au profit d'une victimisation fort pratique. Le fameux triangle persécuteur/sauveteur/victime a encore de beaux jours devant lui tant que l'humanité n'aura pas réussi à accéder à un niveau de conscience supérieur... et elle n'en prend pas le chemin.

Pour autant le harcèlement en milieu scolaire ne se limite pas aux élèves. Au même titre que dans les entreprises publiques, les cas de harcèlement entre collègues sont fréquents ("harcèlement horizontal"), comme les cas de harcèlement des directeurs d'école par les familles, et pire les cas de "harcèlement vertical" aussi.

J'ai pu observer au cours de ma carrière aujourd'hui longue des exemples où toute l'équipe des enseignants d'une école se liguait contre un collègue isolé qui avait le malheur de ne pas travailler comme eux, ou préférait rester en marge de manifestations pseudo-amicales et autres "pots".

J'ai connu nombre de cas de directeurs d'école harcelés par des familles. Sur ce sujet, le récent rapport Debarbieux-Fotinos de septembre 2012 est une somme. Combien de directeurs d'école harcelés pour les raisons les plus absurdes ont-ils dû se tourner vers une hiérarchie amorphe et sans courage, qui finit généralement par leur recommander de "changer d'école"?

J'ai pu également observer des cas de "harcèlement vertical", quand un directeur ou une directrice d'école prenait en grippe pour une raison inconnue un de ses adjoints et lui menait une vie impossible. Ce métier est déjà suffisamment difficile, énergivore, épuisant, sans y ajouter une pression quotidienne forte et injuste qui venant d'un adulte et d'un égal ne peut que porter doute de soi, dépression, et mener jusqu'au suicide. Oui, cela s'est vu, cela se voit, même si c'est souvent tu, car il ne faut pas faire de vagues... Certains syndicats, qui s'élèvent contre le statut des directeurs d'école que personnellement j'appelle pleinement de mes vœux, dénoncent souvent une éventuelle "caporalisation" de l'école, ou ce qu'ils appellent les "petits chefs". Je suis suffisamment conscient, et j'ai suffisamment de bouteille, pour savoir que le risque existe. J'ai connu des directeurs qui n'étaient pas à leur place. J'ai connu des harceleurs qu'il n'était possible que de fuir pour se préserver. Mais je m'élève fortement contre l'idée que le statut des directeurs d'école amènerait nécessairement des comportements de ce genre. Néanmoins, il est clair qu''un tel statut porte avec lui l'obligation de ne pas le délivrer à n'importe qui! Je suis bien évidemment pour que la direction d'école devienne complètement une mission "à profil". Aujourd'hui la plus grande partie de la fonction consiste en un travail de communication et d'organisation, il existe suffisamment sur le terrain de directeurs et directrices d'école qui ont fait leurs preuves dans ces domaines pour ne pas se trouver en panne de futurs gestionnaires d'école.

Second cas de "harcèlement vertical", totalement nié par l'institution, celui de la hiérarchie existante envers les directeurs d'école. Le 26 février dernier, Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, et Eric Debarbieux, délégué ministériel, ont dressé un point d’étape sur les travaux de la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire. On peut y lire:

Le rapport 2011 du Carrefour Santé Social et les enquêtes de victimation menées ces dernières années montrent que l’exposition des personnels d’enseignement et d’éducation à des violences répétées est un facteur de difficulté, de tension, voire d’épuisement professionnel (burn-out).

Dans le cas de personnels confrontés au quotidien à un climat scolaire dégradé, la solidarité au sein de l’équipe pédagogique et le soutien de la hiérarchie constituent souvent la meilleure des réponses. Les milliers de participants aux différentes enquêtes de victimation insistent d’ailleurs sur l’importance de la réactivité et du soutien des collègues et de la hiérarchie lorsqu’un enseignant ou un personnel d’éducation doit faire face à des tensions répétées.

Évidemment, ces propos sont absurdes lorsqu'on évoque le cas d'un supérieur hiérarchique qui harcèlerait un professeur ou un directeur d'école. Un directeur d'école victime ne pourrait donc trouver refuge pour se protéger qu'auprès de son harceleur?

La plupart des académies ont mis en place des dispositifs ad hoc : cellules d’écoute et d’assistance, réseaux d’aide, personnes ressources, etc. "

Les "dispositifs" dont il est fait mention sont normalement destinés à recueillir les problèmes d'enseignants confrontés à d'autres problèmes que celui du harcèlement: le Ministère entretient ici une confusion délétère entre les victimes de harcèlement moral et les profs "fragiles" ou en proie au "burn-out". J'ai connaissance d'un cas très récent -en cours devrais-je écrire- dans lequel il a fallu à un directeur d'école harcelé par son IEN le soutien de ses homologues pour mettre en branle le CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Je ne connais pas les suites qui seront données, mais je suis extrêmement dubitatif. Wait and see. Toujours est-il que le directeur d'école en question, par ailleurs irréprochable de l'avis même de ses confrères, est aujourd'hui gravement malade. Pourra-t-il continuer sa mission par la suite? En aura-t-il la force? J'en doute aussi, hélas.

Le dernier cas de "harcèlement vertical" que je dois évoquer, et hélas il est très courant, est celui des directeurs d'école par leurs adjoints, ou un de leurs adjoints. De ce cas, j'en connais à la pelle! Il s'agit là d'une "verticalité ascendante" totalement niée aussi bien par l'institution que par les syndicats pourtant sensés défendre tous les personnels. Un directeur d'école sans statut n'est rien, certains le savent, en profitent et en abusent. La direction d'école concernée n'a d'autre choix que de se tourner vers sa hiérarchie, qui considérera souvent, et c'est un comble, que le directeur en question "ne sait pas se faire respecter" -alors qu'il n'a pas les moyens institutionnels pour-, que c'est un faible qui n'est pas à sa place, et lui suggérera généralement -encore une fois!- de "changer d'école", ou pire de demander un poste d'adjoint. Voilà comment la hiérarchie de l'Education nationale gère la réalité des violences scolaires entre adultes: elle les nie, et charge encore un peu plus la victime. Quel adjectif pourrais-je ajouter? Lamentable? Catastrophique? Désastreux? De toute façon, c'est d'une totale injustice, et d'une inhumanité frappante.

Je suis désolé, le billet d'aujourd'hui n'était pas drôle, mais le sujet ne s'y prête pas, et c'est de cela que j'avais envie de parler aujourd'hui. Il est absolument nécessaire de totalement réviser, je l'ai déjà écrit, je le répéterai sans fin, il est totalement nécessaire de bousculer totalement la pyramide de l’Éducation nationale, d'en changer les fonctionnements qui nient l'humain au profit d'une machine dont je suis le premier à dire que les rouages devraient tourner sans heurt, mais qui aujourd'hui grincent abominablement et grippent de partout. Commençons par le commencement, c'est à dire le fonctionnement sur le terrain. Interrogés par des syndicats qui pourtant ne sont pas favorables au statut des directeurs d'école, les enseignants réclament eux-mêmes une hiérarchie proche d'eux et de leurs préoccupations quotidiennes. Donnez enfin aux directeurs d'école le statut qui leur est nécessaire, qui les protégera, et leur apportera les moyens locaux de leur action au service de leurs élèves.

4 commentaires:

  1. Je change d'école cette année victorieux d'un harcèlement, victorieux par la fuite, victorieux parce que n'ayant pas trébuché, c'est à dire continuant sur le même chemin de la direction... Perdant toutefois parce qu'on est effectivement touché au minimum par la pensée qui entoure le fait "il n'a pas su se faire respecter", paroles non prononcées ainsi mais plus "subtilement" (ben non!!): "ce n'est pas grave si vous ne reprenez pas une direction..." (si si, vécu.).
    Seule une énorme patience et une capacité à laisser glisser m'a fait tenir.
    On veut des gens solides, point final. Des administratifs, loyaux (normal), des pilotes pédagogiques, des gens extraordinaires, mais qui ont la particularité exceptionnelle de n'attendre aucun retour, aucune reconnaissance (des paroles de management adressées lors de réunions de direction, qui ne touchent pas parce que nous les comprenons dans leur contexte...)
    Un sentiment de solitude certain nous entoure, il faut des jambes en roc pour tenir bon ce à que l'on se demande pourquoi on essaye de tenir bon.
    Une énorme capacité à remettre les compteurs à zéro, indéfiniment. Pourtant, certaines épreuves nous entaillent, et il faut une belle et bonne vie privée pour compenser, pour cicatriser ces plaies. Certaines, invisibles s'accumulent. Je me demande par quel constat à terme ceci apparaîtra: une grave maladie, un burn-out, un désistement, un renoncement, ou si cette super capacité de "laisser glisser" suffira.
    Je ne sais pas vous, mais sans Lexomil...

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    1. Merci pour ce poignant témoignage. Oui, je suis d'accord avec vous, c'est une victoire, même par la fuite, car vous avez préféré vous sauvegarder et vous avez bien fait, un million de fois bien fait. Vous aurez certainement du mal à vous retrouver, mais n'hésitez pas à en parler, nous sommes nombreux à connaître ce dont vous parlez, à savoir un peu de vos souffrances. Vous avez toute mon amitié.

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  2. Que la lecture de cet article et de ces rares commentaires me font du bien. Je subis une situation de harcèlement de la part d'un collègues manipulateur pervers de façon evidente. Je suis la 3e directrice à en faire les frais mais je n'ai pas voulu subir leur sort et j'ai dénoncé ces abus à ma hiérarchie. J'attends ce qui va se passer. Quoiqu'il en soit avoir denonce cela m'a permis de ne pas m'anéantir, il fallait que je le fasse tant que j'avais encore la force physique et mentale de le faire. Faire cet acte me donne la force de poursuivre , en reprenant de la dignité. Je sais qu'en le faisant je respectait mon equipe en souffrance mais muette et que je me respectais ds mes valeurs. J'aimerais avoir des temoignages de reactions de la hyerarchie... que peut faire un IEn? ( deplacer qqn de nocif..) Partir sans rien avoir fait comme la fait ma collègue précédente ct accepter la maltraitance , ct abandonner mes valeurs de respect.. je partirai peut etre si mes supérieurs ne font rien mais je partirai dignement avec le sentiment d'avoir fait mon devoir. Ceci dit je suis ds un etat proche du burn out , je sais que je prends des risques importants avec ma sante mentale et physique. C inadmissible cette situation d'avoir à faire appliquer des règles sans pouvoir.Ce qui ne tue pas rend plus fort certe mais faut il se pendre ds la cour de recre pour que les choses bougent?Une directrice en souffrance qui malheureusement reste anonyme et ca ca me pèse énormément aussi.

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