Le 24 juillet dernier est paru
le décret n° 2013-683 définissant la composition et les modalités de fonctionnement du conseil école-collège... Le fameux conseil école-collège qui doit mettre en place des actions communes aux deux degrés d'enseignement, afin (je cite) de
"permettre de renforcer la continuité pédagogique entre les deux degrés, au profit notamment des élèves les plus fragiles."
En soit, il n'y a rien à redire. Pourquoi effectivement, si les actions définies et partagées sont efficaces, se priver d'un levier supplémentaire pour la réussite de nos élèves? D'autant que jusqu'à présent les échanges déjà définis par des enseignants des deux niveaux d'enseignement -car il y en avait- relevaient d'un volontariat enthousiaste qui ne recevait généralement ni trop de moyens ni trop de soutien, et que surtout il était inenvisageable de généraliser tant l'école et le collège restent foncièrement deux entités très dissociées. Le mépris des uns pour les autres, ou l'inébranlable position de non-ingérence dans les méthodes d'enseignement des uns comme des autres, ne facilitait pas les échanges. On connait ça aussi entre l'école maternelle et l'école élémentaire...
Ce qui me fait réagir dans ce décret, c'est l'organisation du conseil. Effectivement, afin de ménager les susceptibilités, il est très formel et très lourd, et oublie malencontreusement l'un des principaux acteurs de l'école, soit son directeur:
Art. D. 401-2.-I. ― Le conseil école-collège comprend :
1° Le principal du collège ou son adjoint ;
2° L'inspecteur de l'éducation nationale chargé de la circonscription du premier degré ou le représentant qu'il désigne ;
3° Des personnels désignés par le principal du collège sur proposition du conseil pédagogique du collège prévu à l'article L. 421-5 ;
4° Des membres du conseil des maîtres prévu à l'article D. 411-7 de chacune des écoles du secteur de recrutement du collège, désignés par l'inspecteur de l'éducation nationale chargé de la circonscription du premier degré dont relève l'école, sur proposition de chacun des conseils des maîtres concernés.
Le conseil école-collège est présidé conjointement par le principal du collège ou son adjoint et par l'inspecteur de l'éducation nationale chargé de la circonscription du premier degré ou le représentant qu'il désigne.
Le principal du collège et l'inspecteur de l'éducation nationale chargé de la circonscription du premier degré fixent conjointement le nombre des membres du conseil école-collège en s'assurant d'une représentation égale des personnels des écoles et du collège.
Le fonctionnement paritaire impose donc un nombre égal de représentants des deux parties, école et collège. La liaison école-collège concernant évidemment en priorité le CM2 et la 6ème, ce seront -je l'espère tout du moins- les enseignants des deux niveaux qui seront concernés. Si je prends l'exemple du collège de mon secteur, qui couvre trois communes, cela signifie au moins six classes de CM2. Il faudra donc trouver -et désigner- six professeurs intervenant en 6ème pour équilibrer la balance. Sera-ce possible? Admettons.
Que ce conseil soit présidé par le principal du collège, rien de plus normal, celui-ci étant chef d'établissement. L'IEN également exerce dans ce cas un présidence logique. En revanche, qu'elle soit conjointe me laisse plus dubitatif. Mais admettons aussi.
Les décisions prises par ce conseil impacteront forcément certains fonctionnements du collège. Le principal en étant le chef sera à même dès l'élaboration du projet d'en prévoir tenants et aboutissants. Mais en revanche, qu'en sera-t-il des directeurs d'école concernés?
A moins d'avoir lui-même une classe de CM2, le directeur ne sera logiquement pas présent au conseil école-collège, à moins d'en enfler démesurément la taille, ce qui ne sera pas forcément possible, et ne serait pas forcément non plus désirable. Les décisions prises pour les CM2 impacteront forcément le fonctionnement des écoles, sauf s'il ne s'agit que d'actions au sein des classes, ce dont je doute: une simple visite de classe au collège impose d'après la Loi que le directeur -responsable des personnes et des biens- en autorise le déplacement; l'inverse également impose que le directeur l'autorise. A moins que l'IEN le fasse à sa place, ce qui dans un sens est logique, mais outrepasse son autorité car la Loi est claire, c'est une prérogative de la direction d'école.
Voilà bien où le bât blesse. Les directeurs d'école sont, de façon fort peu logique, totalement ignorés dans ce décret, alors que leur autorité ne peut être mise en cause. A moins de considérer que les directeurs d'école seront partie intégrante du conseil école-collège. Mais dans ce cas comment imposer fonctionnements et actions aux enseignants du CM2? Le directeur n'en a aucunement le droit, la liberté pédagogique reste une des bases fondamentales du fonctionnement de l'école. L'IEN pourrait imposer les décisions du conseil, mais risque de se heurter aussi aussi mêmes écueils.
Il aurait donc été plus sage d'attendre que le rôle et les missions des directeurs des écoles publiques françaises soit redéfinies de façon claire et précise, ce qui devrait normalement se faire rapidement si on veut bien croire le ministre de l’Éducation nationale. La charrue a été mise avant les bœufs, et c'est fort regrettable. A moins...
A moins que ce ne soit volontaire. A moins que le ministère veuille d'emblée faire abstraction des directeurs d'école. Quod di omen avertant! comme nous dit Cicéron dans les Philippiques: que les Dieux éloignent ce présage! On peut, ce serait légitime, ne voir dans ce décret qu'un mauvais signal. C'est mon cas, je ne crois aucunement à l'innocence du ministère, ni à une quelconque maladresse. Le ministre, partisan comme d'autres on le sait d'une main-mise du collège sur le fonctionnement de l'école, chercherait-il subrepticement à se débarrasser de l'encombrante question de la direction d'école primaire? Quoi de mieux dans ce cas que progressivement éliminer les directeurs d'école du jeu?
Les discussions quant à nos missions débuteront bientôt. J'espère que nous saurons rester attentifs à ne pas nous laisser écarter au profit des principaux de collège ou des IEN. Moi qui réclame à cor et à cri une autonomie accrue des écoles, je ne pourrai certainement admettre qu'on veuille ignorer l'importance de mon métier et du rôle que je joue au sein de ma commune d'exercice, pour le plus grand profit des élèves qui sont à ma charge. J'espère que les syndicats d'enseignants du primaire sauront de leur côté rester également attentifs, au-delà de leurs volontés politiques ou syndicales divergentes, à ne pas perdre de vue l'intérêt de l'école.