samedi 16 novembre 2013

J'ai des idées...


"J'ai des idées"
Pièce en un acte

Scène 1

(Une salle des maîtres. Une grande table tient le centre de la scène. A droite un photocopieur. A gauche une porte. Quelques affiches de l’École des Loisirs sur les murs. Un tableau en liège avec des papiers punaisés indistincts.)

Entrée de Salomé, une jeune femme, vêtue d'un jean et d'un pull-over léger. Elle tend l'oreille.

Salomé: Quelle est cette rumeur qui pèse sur la ville?
Elle sourit.
Salomé: Tout ce bruit dans la rue, c'est FO qui défile...

Entrée de Michel, directeur d'école, rasé de frais, jean et veste légère, col entrouvert.

Michel: Ah, bonjour Salomé, vertueuse décharge!
Tu ne défiles point? -
Salomé: - Il faudrait être barje!
Ils rient tous les deux.
Salomé: Cher Michel, entend-moi, j'ai besoin d'un conseil.
Ton avis m'est précieux, à nul autre pareil.
Michel: Je t'écoute, Salomé, je ne peux refuser
D'entendre ta question comme elle est présentée!
Salomé: Je vais me mettre sur la liste d'aptitude.
Je sais bien, je vois bien, combien la tâche est rude.
Prendre à notre époque une direction d'école,
Je me demande un peu si je ne suis pas folle!
Dis-moi si j'ai raison, dis-moi ce que tu penses,
Si je fais bien et si j'en ai les compétences.
Michel: Tu es organisée, tu as de l'énergie,
Avec les familles une grande empathie.
Je ne vois pas d'obstacle à ce nouvel état,
Sinon ce que je perdrai quand tu t'en iras.
Salomé: Tu t'en fais tout un monde! Tu exagères un peu.
Michel: Ben c'est que ma décharge, ce sera un M2!
Franchement à mon âge, former un débutant,
Ce serait volontiers si j'en avais le temps.
Et quand je vois tout le boulot qui s'accumule,
Je me dis qu'il ne faut pas plus charger la mule.
Mais dis-moi, Salomé, ton amant syndiqué
Va-t-il apprécier ce changement de métier?
Comprend-il que tu veuilles exercer tes talents?
Salomé: Demande-lui toi même, le voilà justement.

Scène 2

Entrée de Serge, barbe de trois jours, veste informe en velours côtelé.

Serge: Quelle belle manif! Quel élan merveilleux
Que celui qui nous pousse à vouloir toujours mieux!
Une grève, un slogan, banderole, macaron
Épinglé fièrement au revers du veston,
Frères et sœurs nous sommes, nous allons trois de front
Piétiner sans remord la moindre suggestion
Qui pourrait de l'école améliorer la cause.
Mais voilà Salomé! C'est l'heure de la pause?
Salomé: C'est l'heure du café. En veux-tu une tasse?
Je ne vais pas tarder à retrouver ma classe,
lorsque j'aurai fini quelques photocopies
dont j'ai vraiment besoin pour la géographie.
Serge: Si tu étais en grève, tu aurais défilé,
Et tu ne serais pas à te casser les pieds.
Salomé: C'est pourtant bien ce que tu es en train de faire
A marcher dans la rue, même si tu prends l'air!
Par ailleurs il fait froid, il fait un temps de chien,
De jeter mon argent je n'ai pas les moyens.
Pour vivre chaque jour je n'ai qu'un traitement.
Pour survivre plutôt! Et plutôt chichement.
Serge: Nos deux payes largement pourraient nous suffire,
Nous nous ferions des œufs dans notre poêle à frire...
Salomé: Elle est bien bonne! C'est moi-même qui fais nos courses,
Moi encore qui tiens les cordons de la bourse.
Monsieur veut de la viande, Monsieur veut des gâteaux,
Et tout cela mon cher, eh bien ça coûte chaud!
Serge: Salomé, ma chérie, ne nous disputons pas,
Lorsque la cause est juste, ça vaut bien un repas.
Moi je ne voudrais pas retarder le Grand Soir.
Salomé: Alors en attendant tu sèmes le foutoir.
Soit! Je vais le dire, tu m'énerves et tu m'agaces,
Tu m'irrites,tu m'embêtes, tu me crispes, tu me lasses!
Je te rappelle que nous ne sommes qu'amants,
Je ne suis pas mariée, nous n'avons point d'enfant.
Ne m'oblige pas à choisir, de mon métier
Ou de mon amant, ce que je dois préserver.
Mais j'en ai assez, je retourne travailler.
Et Michel a une question à te poser.
Serge: Ah? Bonjour camarade, je ne t'avais point vu.
Michel: (A part) Pourquoi cela ne m'étonne-t-il même plus?
Lui et ses semblables savent fort aisément
S'abstraire de la vie, s'abstraire du présent.
Je suis directeur d'école, c'est une mission
Dont il nie l'importance, il ne me croit qu'un pion.
Je suis d'autant plus curieux de ce qu'il va dire...
(A Serge) Cher collègue, et non pas camarade... (A part) On va rire!
(A Serge) Salomé veut devenir directrice d'école.
Qu'en penses-tu? Qu'en dis-tu? Va, prend la parole.
Serge: (stupéfait, à Salomé) Quoi? Hiérarchie! Petit chef! Caporalisme!
Toi aussi tu veux faire le lit du fascisme?
Salomé: Non, je veux simplement donner plus à l'école.
Cette mission n'est pas une mission frivole,
Et je ne cherche certes pas quelque auréole
En donnant de mon temps, quasiment bénévole.
Moi aussi j'ai envie d'emmener une équipe
Aussi loin que possible avec les principes
Qui mènent en ce pays l'école publique.
Serge: Avoue-moi tes raisons. Tu le fais pour le fric?
Michel: (éclatant de rire) Voilà bien une idée qui montre l'ignorance
Dans laquelle baignent les enseignants de France!
Salomé: Me voilà donc suspecte de vénalité?
Quand je pense au montant de cette indemnité...
Serge: Je sais ce que tu veux vraiment, c'est le pouvoir!
Salomé: Tu n'as qu'une argumentation de dépotoir.
Tu sais autant que moi qu'un directeur n'est rien
Dans son école, un serviteur, un galérien.
Mais c'est lui qui va donner l'impulsion première,
L'élan à ses collègues, l'ambiance hospitalière.
Serge: (Il crie) Ni dieu ni maître! A bas les patrons et les chefs!
Salomé: Serge tu as raison, retourne dans ton fief,
Retourne défiler avec tes camarades,
De votre crasse bêtise faire parade.
Tu pourras passer prendre tes frusques ce soir,
Pour m'éviter de les jeter sur le trottoir.
Serge: Égérie du capitalisme!-
Salomé: -Mais oui mais oui.
Serge: Vampire! Lamie! Succube! Lilith! Je te renie!
Il sort en claquant la porte.
 
Scène 3

Salomé: (Tristement) Me voilà désormais esseulée dans mon lit.
Est-ce donc aujourd'hui volonté si impie
Que vouloir simplement exercer un métier
Où la compétence vaut mieux qu'ancienneté?
Michel: Un de perdu, Salomé, dix de retrouvés.
Mignonne, ton célibat ne saurait trop durer,
Tu rencontreras quelque frais et beau garçon,
Un gentil directeur, aimable et sans façon.
Salomé: Tu te mets sur les rangs?-
Michel: (riant) -Je renonce à l'honneur!
Une seule épouse suffit à mon bonheur.
Salomé: (riant à son tour) Nous ferions un joli couple pédagogique,
Pour la direction échangerions nos pratiques.
Michel: Restons sages, et passe déjà ton entretien.
Je t'expliquerai bientôt tous ces petits riens
Qui feront de toi une bonne directrice,
Leader de qualité sans aucun artifice.
Tu prendras le temps de te faire à ce métier,
A ses contraintes, ses peines et réalités.
Lorsque tu seras installée et décidée,
Tu nous rejoindras au sein du GDiD.
Salomé: J'ai des idées? Je ne comprends point cette annonce!
Michel: C'est pourtant bien ainsi que ces mots se prononcent.
Je crois que ce métier mérite beaucoup mieux,
Et à penser ainsi nous sommes très nombreux,
Des milliers de directrices et directeurs
Regroupés en association pour le meilleur.
Nous fûmes deux, puis dix, bientôt nous fûmes cent,
Aujourd'hui cinq mille et nous sommes puissants,
Car nous avons pour nous notre sincérité,
Surtout notre constance, notre simplicité.
Nous ne voulons rien de plus qu'un simple statut,
Ne demandons rien d'autre, c'est notre unique but.
Ce qui fait notre force, c'est aussi notre nombre,
Que nul ne peut ignorer et laisser dans l'ombre.
Tu nous rejoindras...-
Salomé: -Je ne saurais y manquer!
Allons, c'est l'heure, les enfants sont dans l'escalier.
J'entends fortement le tumulte familier.
Je retourne faire mon quotidien devoir.
Michel: Et moi le mien, j'ai un parent à recevoir.
Salomé et Michel: (ensemble, au public)
Amis lecteurs, nous réclamons votre indulgence
Pour ces alexandrins sans aucune exigence.
Nous voulions vous distraire, vous amuser, c'est tout.
Merci de nous avoir accompagnés au bout!
Ils sortent.

FIN

4 commentaires:

  1. Bravo, quel talent on dirait du Molière.Tu aurais pu ajouter à ta description de Serge le blouson en cuir et le catogan, voire la logan c'est du vécu. J'ai bien ri, merci
    Christian

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  2. Bravo !
    Exercerions-nous donc ce cornélien métier,
    Qu'un seul alexandrin ne saurait résumer ?
    Si la fille d'Hérodiade tient à s'y mesurer,
    Le chœur des Anciens, sans l'en dissuader,
    La prévient de s'armer et de se protéger.

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  3. Vos alexandrins sont nettement meilleurs que les miens (faits par-dessus la jambe, je dois l'avouer...) ! :-) Merci.

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  4. Votre modestie, admirable poète,
    Ne rend pas justice à vos vers fort honnêtes !
    Il est bien plus aisé d'emboîter votre pas
    pour quelques lignes cuistres, que d'écrire l'Acte trois.

    l'anonyme de 11h11

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