J'ai reçu ce message émouvant ce matin... Avec l'autorisation de son auteur, je vous le livre tel quel, je n'y ai rien ajouté ni retranché.
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J'ai un certain âge... et je n'ai pas choisi, à la base, ce métier d'enseignant qui, à l'époque de ma jeunesse, représentait pour mes parents de milieu très modeste, le nec plus ultra des professions dont ils rêvaient pour leur fils .
Mais je suis vite tombé "amoureux" des gamins, de leur énergie à découvrir tout, de leur optimisme, de leur confiance.
Je n'ai pas choisi non plus la fonction de directeur, que j'avais assumée "par intérim" avant qu'un aléa de ma vie privée me conduise à passer l'entretien d'habilitation... pour m'assurer un logement de fonction, certes oui, mais aussi parce que j'avais pris goût à cette possibilité de créer, moyennant forces efforts de diplomatie, un pôle de synergie positive entre les enseignants, les partenaires municipaux, sociaux et associatifs, les parents, le tout pour que mes fameux gamins se sentent encore mieux dans leur école et y réussissent au mieux.
Utopiste, rêveur (?) j'avais en tête que mes rencontres de jeunesse avec certains enseignants m'avaient donné la force et l'envie de me réaliser, et je voulais "rendre" un peu, ou au moins ne pas rester sans avoir essayé.
Cette année... je crois qu'à 55 ans passés je suis devenu brusquement adulte à l'occasion de cette rentrée.
J'ai enfin compris que le but de notre hiérarchie n'est que de protéger sa propre place tout en nous présentant sous son meilleur jour des réformes et autres remaniements auxquels eux n'ont jamais cru.
J'ai enfin compris que dans les bureaux ministériels, de prospective et autres administrations aux fonctions si élevées, il doit y avoir une majorité de personnes n'ayant pas été eux-mêmes élèves dans des écoles publiques lambda, et n'y ayant pas non plus placé leur progéniture: à force de ne connaître que l'exception d'écoles "bon budget, faible effectif et gros encadrement" on en perd la notion de ce qui est faisable ou pas dans les écoles "bas de gamme" qu'elles soient REP ou pas. Et surtout, de ce qui est souhaitable et utile à faire.
J'ai enfin compris que dans les mairies et dans de nombreuses associations, l'objectif est de se placer en vue d'être de nouveau élu ou nommé l'année d'après, de préférence à une meilleure place, et pour cela il faut, à moindre effort et moindre frais, mettre en place des actions bien rutilantes, dont le descriptif permet d'utiliser les mots qui plaisent, dont la réussite permettra de marquer des points, et dont les défauts ou échecs seront rapidement étouffés.
J'ai enfin compris que tous bords confondus, mes partenaires considèrent les élèves et leurs parents comme des troupeaux à gérer au mieux, en distribuant récompenses et compliments hypocrites, en les berçant d'illusions, tel un peuple élevé au "panem et circenses"...
A l'heure de "l'école numérique":
BASE ELEVES ne permet même pas aux directeurs d'obtenir des listes d'élèves la veille de la rentrée....comme si nous faisions tout le jour de la pré-rentrée et que nous ne devions pas nous avancer dans notre travail...
BASE ELEVES propose d'éditer des étiquettes pour les élections de parents, sur un format d'étiquette que la mairie n'autorise pas à acheter avec les crédits municipaux de fonctionnement...
La mairie fournit des photocopieurs, avec option "scan to mail", interdisant tout achat de fax ou de fourniture pour fax, alors que les services municipaux n'ont pas tous une adresse de courriel ni même un ordinateur,et continuent d'exiger des fax pour toute démarche...
De grandes annonces médiatiques parlent d'apprentissage du code et de pratiques avec ordinateurs et tablettes, alors que dans les communes lambda nous disposons d'environ 1 ordinateur vieux de + de 6 ans pour 20 élèves en moyenne... et pas possible de les faire fonctionner en réseau car ils n'ont pas la capacité requise...
A l'heure de "l'accueil pour tous les élèves":
La salle de réunion, la bibliothèque, l'atelier d'arts plastiques, la salle de sciences ne comptent pas comme une salle de classe dans le planning du personnel d'entretien, empêchant leur utilisation à temps plein lorsque nous accueillons nos correspondants handicapés sur fauteuils roulants et que ce sont les seules salles au rez-de-chaussée...
A l'heure des "nouveaux rythmes scolaires":
Alors qu'il y avait peut-être opportunité que les conservatoires, écoles et associations d'arts et de sport, musées,médiathèques, etc... puissent accueillir les enfants autrement que le soir... nous allons proposer des garderies, centres aérés et activités bricolées à la dernière minute, et encore si des BAFA ou des enseignants se dévouent...
Je stoppe ici l'énumération qui pourrait être éternelle, car moi aussi j'ai ma part de responsabilité: cette année, je serai encore directeur...
Je vais encore devoir mentir aux élèves, leur faisant croire que leur place est avec leurs copains du même âge au collège, alors qu'eux-mêmes ne savent pas lire couramment et vont être perdus dés la première semaine...
Je vais mentir aux parents en leur disant que l'école va prendre en compte les difficultés de leur enfant, en proposant 1h d'aide personnalisée (ou APC) alors que c'est insuffisant, que je n'ai pas de RASED suffisant à proposer, que plusieurs enseignants seront dispenses d'encadrer ces APC (cause postes fractionnés ou T1) ce qui alourdira les groupes et le fonctionnement pour ceux qui l'assumeront...
Je vais mentir en disant que nous enseignons l'anglais alors que 1h30 par semaine pour 30 élèves ça revient à 3 minutes d'oral par élève...
Je vais mentir si le collège organise un voyage linguistique car qui a jamais appris la moindre langue en visitant, entre français, châteaux et monuments, sans quasi rencontrer de natifs?
Je vais mentir à ma hiérarchie en présentant en termes choisis la moindre action, la plus anodine, pour obtenir un crédit de misère, pour compléter des fiches-actions, censées refléter un travail d'équipe, alors qu'au bout de journées passées à courir après le programme, mes collègues vomissent le moindre formulaire à remplir et que je les rédige donc tous...
Pas grave, hein? je sais que je tiendrai, c'est juste que je ne m'aime pas, comme ça, et que finalement, je crois que mon petit-fils, qui vient de naitre, finalement, n'ira pas à l'école, ni publique ni privée. C'est ça quand on connait les coulisses. Ca peut gâcher le spectacle.
Mardi, le rideau s'ouvre... Je serai à la porte.Sourire aux lèvres, petite plaisanterie avec les "grands" de CM, poignées de main aux parents, café pour la réunion des nouveaux inscrits...POURVU QUE PERSONNE NE SACHE LIRE DANS MES PENSEES.
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