dimanche 5 juillet 2015

... l’évolution du métier de directeur d’école doit aller au-delà...

Mme Marie-Annick Duchêne, qui fut professeur de lettres classiques, est sénateur des Yvelines et vice-présidente de la Commission qui se consacre à l'éducation. A ce titre elle a soumis fin juin à ses collègues un rapport, que nous désignerons sous le nom de "rapport Duchêne" pour plus de facilité, consacré aux Conseils d'école et à "l'insatisfaction quasi générale" quant à son fonctionnement.

Ce rapport est triplement intéressant pour un directeur d'école.

1) D'abord parce que les consultations furent larges, et qu'on y trouve celle du GDiD qui fut consulté en les personnes d'Alain Rei et Pierre Lombard, respectivement Président et Secrétaire général de l'association. Il me sied totalement qu'en dehors des interlocuteurs habituels du Sénat -édiles, syndicats...- dont la plupart se sont éloignés des réalités de nos missions, il soit réclamé l'expertise de directeurs d'école confirmés présentement actifs sur le terrain et quotidiennement aux prises avec notre lot commun d'emmerdements et de frustrations. Il me sied également que le GDiD soit aujourd'hui considéré par tous comme un interlocuteur digne de foi et suffisamment au fait pour que son avis vaille d'être écouté. C'est le fruit d'années de travail auxquelles j'ai peut-être, dans ma propre sphère d'action et avec mes limites, un peu participé, et je m'en félicite d'autant plus que le rôle est ingrat, comme l'est celui d'Alain Rei, celui de Pierre Lombard et des membres du bureau du GDiD qui sont plus souvent qu'à leur tour conspués ou voués aux gémonies malgré leur investissement désintéressé, énergivore et chronophage. Il fallait que ce soit dit, ou écrit.

2) Ensuite parce que le bilan que fait Mme Duchêne dans son rapport est parfaitement correct. Le Conseil d'école, qui devrait être une institution de discussion et une force de proposition, se présente souvent comme un organe d'enregistrement, quand il n'est pas un désagréable et redouté moment de conflit où certains se livrent à des luttes de pouvoir absurdes et improductives.

"En particulier, le sentiment que l’accessoire y prend la place de l’essentiel ressort de l’ensemble des témoignages recueillis. Parents d’élèves comme enseignants ont souligné la « place démesurée » qu’occupent dans les discussions certains sujets matériels, à l’instar des travaux à effectuer, des questions d’hygiène et de sécurité, ou encore de la restauration scolaire. (...) Les représentants de parents d’élèves comme les élus sont unanimes pour déplorer que les questions « pédagogiques », c’est-à-dire relevant de l’organisation générale des enseignements, des activités annexes (sorties ou ateliers, par exemple), des objectifs de l’enseignement, des résultats obtenus par les élèves et de la mise en œuvre du projet de l’école, ne soient qu’insuffisamment abordées, voire pas du tout. Comme le résumait un élu, « on y parle de tout sauf de ce qui nous intéresse, c’est-à-dire de l’enseignement ». Beaucoup relèvent une « crispation » des équipes éducatives lorsque sont évoqués ces sujets, invoquant le fait que la pédagogie relève exclusivement des enseignants et du conseil des maîtres."

Nous le savons tous: de nombreux Conseils d'école sont devenus, comme il est écrit dans le rapport, des "instances de recueil des doléances", des "lieux de règlement de comptes" ou des "tribunaux". Nous en avons tous connu, de ces séances désagréables, comme enseignant, comme directeur, ou... comme représentant des parents d'élèves, ce qui fut mon cas.

Le constat est terrible mais juste. L'organe de concertation que devrait être le Conseil d'école est en faillite partout sur le territoire, avec des élus frustrés et des parents d'élèves désintéressés. La faute à qui? Déjà aux textes constitutifs, qui sont aujourd'hui peu clairs: quelle est la part d'information, la part de consultation, la part de décision? A un défaut de formation aussi, des directeurs d'école dont certains sont peu au fait des attributions et du déroulement d'un CE, des élus et des représentants des familles qui ne savent pas quel y est leur rôle, et des enseignants auxquels on n'a jamais appris l'importance et la teneur des relations avec les parents d'élèves.

Le sénateur formule plusieurs propositions raisonnables: clarifier les attributions et les compétences du conseil d’école, en distinguant les matières pour lesquelles il formule un avis et celles où il rend une décision; rendre effectif le partenariat entre l’école et les collectivités territoriales en confortant leur place au sein du conseil d’école; favoriser la participation des parents d’élèves à la vie de l’école ainsi qu’aux instances de concertation; mieux former les équipes éducatives à la relation avec les parents d’élèves. Il n'y a à mes yeux rien à redire à ces propositions, même si j'entends d'ici les cris d'orfraie de certains syndicats à la lecture de la seconde d'entre elles. Mais nier la place de la commune dans le Conseil d'école, c'est oublier ou ignorer à quel point une municipalité associée avec confiance à la bonne marche de l'école peut être un allié de poids, déterminé et déterminant. Je l'ai déjà abondamment écrit, c'est pour moi un vrai leitmotiv, quand chacun connait précisément son rôle et ses prérogatives et quand chacun les assume, discuter sainement devient extrêmement facile.

3) Enfin le rôle significatif du directeur d'école est mis en avant. La faillite du conseil d'école est le symptôme clair de la maladie:

"... un travail sur le conseil d’école ne saurait faire l’économie d’une réflexion globale sur l’école. Le conseil d’école apparaît en effet comme le lieu où se manifestent l’ensemble des défauts et des insuffisances de l’école : absence de statut du directeur d’école, absence d’autonomie administrative et de responsabilité des établissements, centralisation extrême des décisions, imbrication croissante des temps scolaire et périscolaire, etc. Comme le soulignait M. Alain Rei, président du Groupement de défense des idées des directeurs d’école (GDID), « la structure du premier degré est aujourd’hui largement périmée ; l’école ne fonctionne plus que grâce à la bonne volonté des personnels, et en premier lieu des directeurs d’école »."

Voilà qui est écrit selon mon cœur. Je sens maintenant quotidiennement, après trente-six ans de métier dont une quinzaine de direction d'école, à quel point notre fonctionnement est sur le fil du rasoir. Peu aidé voire pas du tout, peu soutenu par son administration quand il n'est pas totalement ignoré ou maltraité, laissé seul face aux multiples problèmes qui chaque jour apparaissent dans nos écoles -élèves, familles, municipalités, sécurité, enseignants...-, la directrice ou le directeur d'école dégoûté finit souvent par passer la main, à moins peut-être d'une carapace particulièrement solide ou d'une abnégation sans faille.

"Cet état de fait nourrit une désaffection certaine pour la fonction de directeur d’école. La Cour des comptes indiquait que près de 4200 directions d’écoles n’étaient pas pourvues à la rentrée 2005. Les statistiques les plus récentes publiées par le ministère font état de 45153 directeurs d’école pour un nombre d’écoles primaires et maternelles qui s’élève à 47306 à la rentrée 2013. Les IA-DASEN et IEN ont fait part des difficultés rencontrées pour pourvoir les postes de direction d’école, particulièrement en milieu rural. Cela se traduit souvent par la désignation d’autorité de jeunes enseignants, parfois néo-titulaires, comme directeurs."

Mme Duchêne souligne les efforts entrepris dans le cadre de la "refondation" pour préciser les missions des directeurs, comme pour faciliter leur travail et le valoriser. Le sénateur parle bien de métier dans son rapport, ce en quoi évidemment elle ne se trompe pas puisqu'aujourd'hui on ne peut plus parler du directeur d'école comme d'un "enseignant comme les autres". Il faut être con ou malintentionné pour désormais conserver ou simplement évoquer ces quelques mots qui nous ont fait tant de mal et provoquent encore chez moi un haut-le-coeur caractérisé. (Excusez-moi, je sors vomir.)

Mais Mme Duchêne ne se satisfait pas de ces légères avancées, comme nous aussi directrices et directeurs en poste ne nous en contentons pas. Certes il faut un début à tout, mais ce n'est bien qu'un début. Il va falloir transformer l'essai.

"Votre rapporteur estime que l’évolution du métier de directeur d’école doit aller au-delà, afin de permettre une régulation et un accompagnement véritables des enseignants à l’échelle de l’école."

Voilà qui est proprement écrit. Mais ce qui suit ces mots est plus intéressant encore:

"La création d’un véritable statut du directeur d’école, qui emporterait le rattachement des directeurs à un corps différent de celui des professeurs des écoles, ainsi qu’une autorité hiérarchique sur les enseignants, constitue une proposition de longue date, depuis le rapport Pair en 1998. Le rapport de la mission commune d’information du Sénat sur le système scolaire affirmait ainsi qu’« il ne pourra pas être fait l’économie d’une rénovation du statut du directeur d’école et d’un renforcement de sa capacité à remplir pleinement sa mission d’orchestration pédagogique ». De même, Mme Valérie Marty rappelait la nécessité pour l’école d’« avoir un vrai chef sur place, et de ne pas se contenter d’un pilotage automatique ou à distance ». Dans son rapport au Premier ministre, M. Frédéric Reiss, député, proposait que les directeurs d’école soient mis en situation de détachement dans le corps des personnels de direction ou dans un emploi de direction."

Voilà des noms que nous connaissons bien: Pair, Reiss... Combien de fois ai-je pu les évoquer dans les lignes de ce blog? Quant à la suite du texte, j'ai l'impression de me relire:

"... la professionnalisation du métier de directeur d’école semble à votre rapporteur une évolution inéluctable. En matière d’évaluation des enseignants, votre rapporteur partage la conclusion du rapport Reiss, qui recommande que « les directeurs ne devraient toujours pas assurer l’évaluation des enseignants », celle-ci devant rester du ressort des IEN. Ces responsabilités nouvelles s’accompagneraient naturellement d’une revalorisation substantielle du régime indemnitaire des directeurs d’école. L’accroissement des marges de manœuvre et des prérogatives du directeur d’école emporterait un recentrage du rôle des IEN sur l’animation pédagogique, la formation et l’évaluation. Une telle évolution est appelée de leurs vœux par l’ensemble des IEN rencontrés, ainsi que par les responsables du Syndicat des inspecteurs de l’éducation nationale (SIEN-UNSA)."

J'aime le terme "inéluctable", et je suis persuadé de cette inéluctabilité. Il faudra certainement faire fi des ultimes velléités de lutte de quelques cadavres syndicaux, mais fatalement nous y arriverons un jour, un jour à mon sens désormais très proche. Reste à rester confiant, et concentré sur la tâche à accomplir. C'est bien pourquoi, malgré les tergiversations des vierges effarouchées, j'ai récemment renouvelé mon adhésion au GDiD, ce n'est certes pas le moment de nier son importance dans le processus.

Mme Duchêne termine son rapport en précisant, ce dont je suis également convaincu, qu'il est absolument nécessaire de "rationaliser l’organisation territoriale du premier degré". Je l'ai écrit cinquante fois, il y a dans ce pays trop d'écoles:

"En 2013, le nombre d’écoles élémentaires [sic] sur le territoire national s’élevait à 52580, dont 47306 écoles publiques. Ce nombre est en diminution constante depuis trois décennies : s’élevant à 61660 en 1980, le nombre d’écoles publiques a diminué de plus de 23 %. Cependant, le nombre d’écoles de petite taille demeure très élevé. On dénombrait en 2013 4384 écoles à classe unique et 6010 à deux classes, représentant ainsi 22 % des écoles françaises. La proportion d’écoles comptant moins de six classes s’élève à 62,8 %. (...) Sans méconnaître la forte charge symbolique et affective liée à la présence de l’école dans les territoires, ni l’exigence de proximité du service public, votre rapporteur considère nécessaire de poursuivre le mouvement de rationalisation de la carte des écoles, avec pour objectifs la garantie à tous les élèves d’une offre éducative de qualité et le maintien de moyens humains et financiers en milieu rural. Les IEN et IA-DASEN interrogés ont unanimement souligné les difficultés engendrés par la dispersion des écoles, le grand nombre de classes isolées ou d’écoles de petite taille ainsi que l’absence d’organisation rationnelle du réseau éducatif : - un pilotage du système éducatif difficile ; - l’absence de travail collectif des enseignants et donc d’animation pédagogique, rendant difficile l’acquisition de certaines compétences ; - les fortes inégalités en matière d’offre éducative et d’équipement, liées à la situation financière des communes ; - une mixité sociale réduite ; - un fort cloisonnement entre l’école maternelle et élémentaire, d’une part, et, de l’autre, entre l’école et le collège..."

Nous ne pourrons pas faire l'économie d'une restructuration du système éducatif, avec fusions et regroupements d'écoles, pour une meilleure synergie de moyens et de compétences, n'en déplaise aux nostalgiques de l'école du XIXème siècle et aux fanatiques de la classe unique. Cela aussi je l'ai déjà abondamment écrit et souligné, même si ça ne plaisait pas. Nous ne pourrons indéfiniment continuer à maintenir sur tout le territoire une multitude de minuscules structures sous-dotées et qui ne répondent plus aux normes éducatives, matérielles, de sécurité, de chauffage et de salubrité, indispensables en 2015.

Alors, quelle organisation adopter? Le sénateur en suggère deux, sans exclusive: celle des "établissements du premier degré" proposée par M. Pair et plus tard par M. Reiss, et celle des "réseaux du socle commun" proposée notamment par M. Jean-Claude Carle (encore un nom connu...) mais aussi par M. Reiss.

"... l’EPLE réunirait le collège et les écoles de son secteur, sous la direction du principal, dont les directeurs d’école seraient les adjoints et siégeraient au comité de direction de l’établissement. Cette organisation est déjà mise en œuvre au sein de certains établissements dépendant de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) : l’établissement peut regrouper un lycée, un collège ainsi que plusieurs écoles sur des sites multiples. Le chef d’établissement est secondé par un principal du collège ainsi que par les directeurs d’école. Ces derniers président le conseil d’école, auquel le chef d’établissement assiste avec voix consultative. Cette solution a l’avantage de nécessiter moins de moyens, notamment financiers, pour sa mise en œuvre, et de s’inscrire pleinement dans la logique de l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Sur le plan de la concertation, outre le conseil d’établissement, seraient maintenus les conseils d’école de chacune des écoles rattachées, qui permettraient de maintenir un lien de proximité avec les familles et dont les débats seraient centrés sur les objectifs et les résultats pédagogiques, ainsi que sur la progression des élèves."

Si la première organisation proposée, celle des établissements du premier degré, a plutôt mes faveurs, je reconnais que la seconde ne manque pas d'intérêt et ne me pose pas vraiment de problème, d'autant qu'elle est plébiscitée par les collègues qui l'ont expérimentée avec l'AEFE. Sauf... que je connais l'état d'esprit des enseignants français: les profs de prépa méprisent les profs de lycée qui méprisent les profs de collège qui méprisent les profs d'élémentaire qui méprisent la maternelle. Moi qui suis en maternelle je ne méprise que la bêtise des susdits. Peut-être un tel système permettrait-il une meilleure connaissance et reconnaissance mutuelles? Peut-être aussi cela autoriserait-il enfin de travailler en cycles, en s'éloignant progressivement de la notion de "classe" qui depuis des décennies fait tant de mal à nos élèves en n'autorisant ni la progression rapide de ceux qui n'ont pas de difficulté ni le soutien quotidien et individualisé à ceux qui en ont besoin. Car il ne faut surtout pas perdre de vue une chose: si "l'évolution du métier de directeur d'école" est inéluctable, c'est par dessus tout pour le bien-être et la réussite de nos élèves qu'il faut changer l'école française.

C'était une bonne chose de recevoir et lire ce rapport juste avant les vacances, alors que comme vous tous je mettais la dernière main à ma mission. Enfin, la dernière... avant la prochaine bien entendu. Je vous fais à tous mes vœux de bonnes vacances, méritées c'est une évidence. J'espère que votre année ne fut pas trop difficile, pas trop pourrie, pas trop contraignante ni épuisante au point que vous nous auriez lâchés au dernier "mouvement". Si vous êtes parti, je suis désolé, je vous souhaite sincèrement bon vent et année plus tranquille. Si vous restez, bon courage, nous sommes nombreux et solidaires, en particulier grâce au GDiD. Tenez le coup, reposez-vous, profitez de bons moments en famille, n'abusez pas du pastis (je suis en train, là), et... à bientôt!

1 commentaire:

  1. Merci pour cette analyse. Merci à tout cet investissement chronophage pour nous, tous les directeurs de France! Investissement qui porte ses fruits, enfin... Bonnes vacances bien méritées à toute l'équipe du GDID!
    Patricia

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