samedi 26 septembre 2015

Le principe de l'emmerdement maximum...

Chaque enseignant du primaire sait que la rentrée des classes n'est pas un moment facile. Selon l'âge des élèves cette rentrée peut durer de longues, très longues semaines, jusqu'à ce que les enfants soient redevenus élèves (attention, concentration, connaissance des règles de vie, etc) et "à notre pogne", c'est à dire connaissent et comprennent nos méthodes de travail. C'est une période dure, exigeante pour l'enseignant, épuisante, et plus encore depuis que le mercredi n'est plus un moment de pause dans la semaine qui permette de légèrement se ressourcer.

C'est ainsi qu'à peine deux ou trois semaines après la rentrée les enseignants du primaire ont l'impression d'être au boulot depuis trois, mois, s'endorment sur le canapé en arrivant chez eux, et s'effondrent le mercredi après-midi lorsque leurs propres enfants ne les obligent pas à faire le "taxi" pour diverses activités extra-scolaires...

C'est mon cas bien sûr, j'ai une classe de Grande section à plein temps. De braves gosses, mais crevants. Comme disait Fields, il est des moments où l'absence d'ogre se fait cruellement sentir.

Quand on a le malheur -car c'en est un aujourd'hui- d'être en plus directeur d'école, on constate avec surprise mais fatalisme qu'en dépit des assurances institutionnelles selon lesquelles les tâches seraient simplifiées et le directeur reconnu dans son action comme ses compétences, c'est toujours le principe de l'emmerdement maximum qui s'applique. C'est à dire que lorsque le directeur a réussi à faire que son école "tourne", que les élèves sont présents et bien accueillis, que les familles sont satisfaites, que chaque enseignant est à sa place avec les fournitures et le mobilier dont il a besoin, que la sécurité est assurée... ben il tombe du ciel une merde quelconque qui menace avec allégresse de faire s'effondrer le fragile édifice.

Je ne parle même pas des élections, pensum marronnier lourd à organiser, énergivore, chronophage, dont l'utilité reste à prouver comme sa pseudo-démocratie (je n'ai qu'une liste, cela s'appelle un scrutin soviétique) et qui coûte la peau des fesses au budget limité de l'école; ce truc là, on le connaît, on sait l'affronter quand on a l'habitude.

Je n'évoque pas non plus l'amusante prévision d'effectifs qui se fait en novembre pour le mois de septembre de l'année suivante, prévision faite par les directeurs chevronnés de maternelle à grands coups d'états des naissances et de formules cabalistiques personnelles... J'ai un quart de ma population scolaire qui déménage ou emménage en juillet-août, qu'est-ce que j'en sais, moi, de qui sera présent à l'école dans dix mois? Mais bon, on fait, de temps en temps on tombe juste parce que notre ange-gardien nous a joué du luth... Bref, on sait faire.

Non, je parle de l'excitation qui s'empare chaque mois de septembre d'une frange non négligeable de corps intermédiaires de l’Éducation nationale. La France meurt chaque mois d'août, l'institution aussi disparait dans des limbes démoniaques, et son réveil en septembre est manifestement douloureux. Des gens dont on ignorait l'existence se doivent soudain de justifier leur mission superfétatoire et leur paye plantureuse en inondant les écoles d'exigences très étranges qui font fi du travail, des compétences, et des prérogatives des directeurs d'école: l'un veut une liste avec ça et ça et ça, dans l'ordre alphabétique inverse, sous un format de fichier exotique, qu'il faut renvoyer pour l'avant-veille par courriel sans oublier d'envoyer copie par la poste signée par le Maire; un autre exige de voir votre dossier de tel type qui bien entendu n'est pas à jour puisque vous avez quand eu d'autres chats à fouetter depuis le 1er septembre, et se permet de vous engueuler depuis ses charentaises dans son bureau bien chauffé ("Ce n'est pas bien, Monsieur X, vous allez vous faire taper sur les doigts! Allons, je vous donne deux jours pour faire le nécessaire."); un troisième débarque sans prévenir pour prendre des photos de vos affichages légaux, au cas où vous n'auriez pas réussi à caser dans ce fatras obligatoire l'affiche unetelle qu'on vous a pourtant envoyée il y a trois jours par courriel (un fichier de 15 Mo) et que vous deviez imprimer en quadrichromie au format A3 aux frais de la princesse-école... et ainsi de suite.

J'imagine que durant la troisième semaine d'août tous ces gens étranges et inutiles se réunissent au cours d'un sabbat satanique, le corps nu couvert de peintures ésotériques, et se concertent après quelques danses lascives et perverses pour savoir qui emmerdera qui et de quelle façon dès la rentrée des classes, le tout dans une atmosphère de stupre et de musiques discordantes baignées de fumées étranges, et ponctuée de ricanements hystériques.

C'est le directeur d'école qui prend tout, selon le principe de l'emmerdement maximum. Comprenez-le bien: tous ces ahuris ne sont pas là pour vous aider, ils ne sont là que pour vous faire chier au moment le moins opportun. Vous aviez l'espoir que votre administration vous faisait confiance? Perdez vos illusions, pauvres damnés!

Amis, camarades, collègues directrices et directeurs d'école, maternelle, élémentaire ou primaire, de mon pays, soyez conscients. Ne vous bercez jamais de l'illusion béate, après des heures de travail ininterrompu mais mené à bien, que vous êtes "à jour" dans votre boulot, et que votre école "tourne" au mieux. Non. Et n'allumez pas votre ordinateur, n'ouvrez pas votre programme de courriel, ou provoquez une panne irréparable (quelques jours de tranquillité assurés). Parce que, sachez-le, si tout va bien ça ira plus mal, et si ça va mal ça n'ira pas mieux et ça ne sera que pire.

2 commentaires:

  1. C'est tout à fait ça.

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  2. Surtout surtout n’arrêtez pas de publier sur votre blog ,vous lire est un plaisir qui permet de mettre à distance les tracasseries (en étant très polie) que notre administration adore nous mettre dans les dents au quotidien....je me retrouve dans vos écrits comme certainement beaucoup d'autres "dirlos"et parfois l'abandon me tente aussi...mais pas encore de la classe qui reste ma bouffée d'oxygène dans cet univers "éducation nationale "de plus en plus décevant!!!

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