lundi 14 décembre 2015

C'est insupportable !

Bon, tout le monde le sait maintenant, l'enseignant d'Aubervilliers  - qui prétendait s'être fait attaquer au cutter par un homme cagoulé se revendiquant vaguement de l'islamisme radical - avait en fait tout inventé.

Je lis sur Facebook des commentaires plus navrants les uns que les autres, certains allant même jusqu'à suggérer, sans rire, qu'il s'agit peut-être d'une manœuvre d'extrême-droite...

J'en lis des conneries, sur Facebook. Mais de cet acabit je tire mon chapeau. Alors que manifestement nous avons juste affaire à un déséquilibré bon pour une cure de repos à la Verrière. Mais le problème, que dis-je, LES problèmes sont ailleurs.

D'abord cet homme n'est pas sorti de nulle part. D'une façon ou d'une autre il aurait dû être repéré, par ses collègues, par sa hiérarchie, ou par une médecine du travail que je dénonce ici depuis des années car totalement inexistante dans l’Éducation nationale. N'importe quel salarié dans n'importe quel entreprise est contraint de se rendre à une visite médicale - annuelle si je ne m'abuse -. Dans l’Éducation nationale, il n'y a RIEN! Ma dernière visite médicale remonte à... 1979! Alors que nous sommes en contact quotidien avec des centaines d'enfants, rien ni personne dans ce ministère tentaculaire et monstrueusement centralisé n'est apte à voir qu'un type peut être suffisamment dangereux pour en arriver à ces extrémités. Nous avons de la chance qu'il ait tourné cette violence contre lui-même et se soit auto-mutilé. Et ce n'est pas la seule question, car enfin il faut être dans un sale état psychologique pour imaginer un bobard pareil. Combien en ai-je vu, d'enseignants dérangés, dépressifs, voire fous, au cours de ma carrière? Un certain nombre, qui sévissait sans que personne y trouve à redire, jusqu'à finir en asile psychiatrique, ou alcoolique, ou par se suicider.

On a inventé un joli mot, anglo-saxon: burn-out. On ne fait rien mais on a ce mot qui berce de nombreux rapports de ses accents chantants et nos cœurs de ses langueurs monotones.

L’Éducation nationale est une catastrophe sanitaire, dont personne ne parle, que personne n'évoque, dans une omerta monstrueuse de cynisme et d'aveuglement volontaire. Même les syndicats s'en foutent, c'est dire. Alors que des centaines d'instits, de profs, de directeurs d'école, coulent un fusible chaque année, font une dépression sévère, tombent malades. Se tuent.

D'autre part, la seule réponse à cette malheureuse histoire que la ministre a cru bon de donner dans un communiqué de fin d'après-midi est la suivante: "de nouvelles mesures de renforcement de la sécurité seront présentées en fin de semaine en lien avec le ministre de l’Intérieur. Ces mesures viendront s’ajouter à celles déjà prises avec les deux circulaires publiées le 26 novembre au bulletin officiel de l’Éducation nationale."

Bravo! Comme si déjà les fameuses mesures étaient applicables, et surtout efficaces. Non, jamais personne n'empêchera un individu armé et déterminé à opérer un massacre dans une école s'il en a envie, hélas. Qui pourrait le faire? Moi, directeur d'école presque à la retraite, avec un stylo et une paire de ciseaux? C'est absurde. Vérifier qui pénètre dans l'école, nous le faisons depuis vingt ans que nous sommes sous Vigipirate en permanence. Pour autant je me vois mal lutter contre des terroristes déterminés. Je veux bien être la première victime, j'aurais certainement la légion d'honneur pour m'être fait zigouiller avec allégresse. Je vois les titres des journaux d'ici, ainsi que les lamentations nationales aux Invalides ou dans une cour de préfecture pluvieuse... Peut-être même que la Mairie donnerait mon nom à l'école maternelle que je dirige? Cela ferait une belle jambe à ma femme et mes enfants.

Je n'évoquerai que pour mémoire le fameux "plan de mise en sûreté" que le gouvernement nous vante depuis un mois avec l'obligation de faire un exercice de confinement supplémentaire. Ce plan consistant à regrouper toute l'école, élèves et personnels, ce serait franchement un joli cadeau à faire à certains personnages extrémistes qui n'auraient même plus à courir après personne. Idiot. Absurde. Ridicule.

Enfin, le petit directeur que je suis, en charge de classe tous les jours que Dieu fait, déjà surbooké et la tête dans le cul, qui me réveille plusieurs fois par nuit en ce moment en faisant des cauchemars d'école, qui m'effondre dans le canapé et m'y endort dès arrivé à la maison le soir, a certainement besoin de tâches supplémentaires pour compléter celles que je n'arrive déjà pas à assumer. Je remercie chaleureusement le ministère de penser à m'en refoutre une couche sur le dos.

C'est purement insupportable. C'est totalement inadapté. Comme écrivait Reiser, "on vit une époque formidable!"

4 commentaires:

  1. J'ai 41 ans, 12 de direction. Je fais ma première dépression cette année en grande partie à cause du boulot.

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    1. bienvenue au "club" .... mais courage mon ami, ce boulot on le fait par amour, pour nos élèves !
      Serge 974

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  2. Je n'en étais pas loin il y a quelques jours... de la dépression profonde je parle, parce que la dépression tout court je suis en plein dedans.

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    1. ben oui, durdur le boulot mais courage tiens bon ... un pti repos de tps en tps ... les élèves ont besoin de nous !
      Serge 974

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