dimanche 22 mai 2016

Les dirlos ne sont pas à la fête...

La polémique sur l'organisation des fêtes d'école et autres kermesses cette année dans les écoles est parfaitement symptomatique. Deux faits indiscutables en ressortent :

1) la position du Directeur d'école n'est claire pour personne, y compris pour les Directeurs eux-mêmes;
2) l’État et ses diverses administrations ignorent le fonctionnement des écoles.

On peut, et c'est suffisamment rare pour le signaler, lire la vérité dans les médias grâce à une bonne action de communication du Ministère. Effectivement pour l'organisation d'une fête d'école plusieurs cas sont possibles, selon que celle-ci doit se dérouler sur le temps ou hors temps scolaire.

Sur le temps scolaire, c'est le Directeur d'école - responsable de la sécurité des personnes et des biens - qui est responsable de la fête, de son organisation et de son bon déroulement. Le cas est rare voire aujourd'hui inexistant, car si d'une part les enfants restent sous la responsabilité des enseignants, d'autre part la sécurité des adultes invités est de la responsabilité du Directeur. Qui voudrait assumer dans ces conditions les complications liées à un éventuel accident, ou un conflit, ou.... ? Il y a deux ans une petite fille de ma classe s'est fracturé le poignet lors d'une fête d'école, il m'aurait fallu l'assumer administrativement si cela s'était passé pendant le temps scolaire : déclaration d'accident, explications, assurance.... Non, même sans envisager un éventuel attentat, c'est impensable.

Hors temps scolaire, les enfants sont sous la responsabilité de leurs parents, et les locaux scolaires sous celle du Maire de la commune, qui devient donc responsable de la sécurité des personnes et des biens dans l'enceinte de l'école si la fête s'y passe, mais également dans tout autre lieu public. Le Maire, et je ne sais pas si tous les Directeurs d'école en sont conscients, doit donc non seulement en être averti mais également accorder son autorisation. Je ne suis pas sûr que tous mes collègues aient au cours des années passées effectué les démarches nécessaires. La polémique de cette année aura eu le mérite de rappeler textes et responsabilités à tout le monde.

Mais pour toute manifestation festive il doit également y avoir un organisateur, auquel la Mairie va déléguer en confiance l'organisation et le bon déroulement. Cet organisateur sera dans tous les cas une association, soit de parents d'élèves si une telle association existe, soit la coopérative de l'école quand elle respecte le cadre légal et est affiliée à l'OCCE ou autre organisme fédérateur. Ce second cas présente plusieurs avantages : d'abord les participants comme les biens sont assurés par la structure fédératrice, ensuite l'équipe enseignante garde la haute main sur l'organisation de la manifestation, sur son déroulement et sa durée, et enfin sur la gestion de l'argent qui circulera.

Celles ou ceux de mes collègues Directeurs qui se sont déjà trouvés dans le premier cas de figure de l'organisation prise en charge par une association de parents d'élèves savent qu'il peut être source de conflits, entre les parents et l'école, ou entre parents eux-mêmes. C'est un choix que je déconseille, même si évidemment le second cas de l'organisation prise en charge par l'école représente forcément un gros investissement de temps et d'énergie. Mais il y aura toujours de nombreuses familles prêtes à s'y investir et y travailler. C'est certainement aujourd'hui la façon dont une grande partie des écoles françaises fait le choix d'organiser les fêtes de fin d'année scolaire.

Alors pourquoi cette année une telle polémique autour des fêtes d'école? Suite aux attentats de 2015, notre pays est en "état d'urgence". C'est une réalité, comme le danger potentiel représenté par un regroupement d'élèves et de leurs familles autour des valeurs laïques d'une école menacée explicitement par le terrorisme est aussi une réalité. Dans ce cadre le législateur qui donne à l'organisateur d'une manifestation festive la responsabilité de sa sécurité lui a accordé des responsabilités de police, comme celui d'en filtrer les accès, ou de fouiller les effets personnels. Rappelons que le Maire d'une commune et ses adjoints sont de par leur mandat officiers de police judiciaire. Mais qui parmi mes collègues Directrices et Directeurs d'école peut se voir engager le coup de poing à l'entrée d'une fête d'école, ou fouiller les sacs de ses parents d'élèves?


Car c'est bien là que le bât blesse. L'école primaire française a des traditions d'accueil qui ont étonné les forces de police de la Nation. Lors des exercices de sécurité effectués cette année, des gendarmes ont pu être surpris de voir les familles pénétrer dans les enceintes scolaires, surtout en maternelle. "Quoi? Les parents d'élèves rentrent dans l'école pour accompagner leur enfant? Ce n'est pas possible!" Ben si c'est possible, c'est même indispensable. Outre l'aspect pratique et l'impératif de sécurité pour des enfants en bas-âge, il est de toute façon, pour des raisons simples de pédagogie, de bien-être et de confort affectif de nos élèves, trop important que les familles se sentent accueillies à l'école, estimées, écoutés, prises en compte, pour que l'école française renonce à cette tradition même temporairement. Oui, les écoles françaises sont ouvertes. Heureusement! Oui, les écoles françaises ont de grandes surfaces vitrées pour laisser entrer la lumière. Heureusement! Oui, tous les parents d'école maternelle accompagnent leur enfant jusque dans sa classe et le remettent à la maîtresse ou au maître "en main propre", avec sourires et partage d'informations, avec plaisir et confiance. Heureusement!

Je comprends alors que de nombreux Directeurs d'école se sentent désarmés devant les consignes de sécurité transmises par l’État et parfois accentuées par certains Préfets. Il est clair pour chaque Directeur que le filtrage des entrées lors de l'accès quotidien à nos écoles, de quelque façon qu'il soit organisé, n'empêchera jamais un terroriste décidé d'accéder à nos locaux et d'y faire un carnage. Mais nous appliquons les consignes. Lors d'une fête d'école, qui se tient souvent au mois de juin en extérieur, comment faire? Le Maire n'a certainement pas dans une petite commune les moyens financiers de faire surveiller l'entrée par des agents de sécurité, une association encore moins. Peut-être, s'il existe une police municipale, le Maire peut-il lui ordonner le filtrage. Mais dans combien de communes existe-t-il une police municipale, voire encore un "garde-champêtre"? Et la fouille? N'oublions pas que ce sont nos élèves, nos familles, que nous accueillons. Avec des policiers à l'entrée, je ne vous dis pas l'ambiance. Et puis, si le Maire a la responsabilité légale de l'évènement, le Directeur d'école en a lui la responsabilité morale, celle d'en avoir été l'instigateur et l'organisateur. Je fais ce métier de dirlo depuis trop longtemps pour ne pas savoir que cette responsabilité-là est aussi bien réelle et effective.

Je conçois alors que de nombreux Directeurs d'école aient préféré renoncer. Je ne peux pas en conscience leur reprocher. Mais pour moi cette abdication est le signe que les terroristes ont gagné cette bataille, c'est pourquoi en ce qui me concerne je ne lâcherai rien. Je crois profondément en l'école publique et laïque, l'école qui tente de donner sa chance à chaque enfant sans distinction de sexe, d'origine, de couleur de peau ou de croyance. Je crois que l'école française doit rester forte, montrer sa détermination à ne pas céder à la menace aussi réelle soit-elle. Ce n'est pas du courage, c'est simplement de la conviction. Alors je mettrai des parents d'élèves à l'entrée de la fête, l'accès sera donc a priori sécurisé. Nous vivrons ensemble ce dernier moment de forte convivialité. Et comme dans ma petite école toutes nos familles se connaissent, je serais surpris qu'il y ait un quelconque incident.

Du moins je l'espère.

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