Cette nuit à Nice un homme au volant d'un camion blanc de 19 tonnes a écrasé, au sens propre du terme, quatre-vingt-quatre personnes - hommes, femmes et enfants - qui ne voulaient que se distraire en ce jour de fête nationale, profiter du beau temps et d'un splendide feu d'artifice. Il lui a suffit de rouler sur la célèbre promenade des anglais noire de monde pour la parsemer de corps mutilés sur deux kilomètres. Nous l'avons certainement tous vue, cette photo poignante d'une poupée à côté d'un drap blanc.
Peut-on encore qualifier un acte de cette nature? Certains pourraient évoquer la folie. Mais ce n'est pas le cas, un acte de folie est excusable d'une certaine manière, ou du moins relève de l'incompréhensible. Non, il ne s'agit pas de l'acte d'un déséquilibré mais d'un choix, d'une volonté raisonnée de faire le mal de façon délibérée. Cette idée qu'il faudrait avoir abdiqué toute conscience pour tuer est une absurdité dans les circonstances présentes. C'est une volonté, précise, planifiée, organisée, celle de massacrer des innocents quel que soit leur sexe, leur âge, leur nationalité, leur religion, leurs idées, leurs désirs, leur passé ou leur potentiel, leurs mérites et leur avenir, et ce au moment où ils sont les plus vulnérables, où ils profitent de ce bien unique et déjà si court, la vie.
Je lis depuis ce matin un certain nombre de déclarations lénifiantes, de slogans surannés. "Be nice" ... C'est joli, c'est une boutade mignonne. Soyez gentil! Que vient faire la gentillesse dans un acte aussi lâche, dans un tel massacre? Demandez donc aux familles des victimes d'être gentilles, demandez aux familles des victimes du Bataclan d'être gentilles au moment où va se trouver ravivée leur douleur. Et de quelle façon!
Vous êtes croyant? Priez. Priez pour les morts, mais aussi pour les vivants. Vous ne l'êtes pas? De toute façon vous ne pourrez pas ne pas penser à elles, à eux, à ces existences fauchées et à cette perte incommensurable. C'est la même chose, cela revient au même.
Je lis aussi des déclarations du style "apprenez-leur la paix" ou autre mignonneté. Philippe Meirieu se trompe lourdement dans les deux "tweets" que j'ai lus venant de lui, l'un invoquant la "raison" - mais le tueur n'était pas fou - et l'autre le fameux "vivre ensemble". Si le conducteur du poids lourd était bien ce qu'il semble avoir été, il a certainement passé un certain nombre d'années dans nos écoles de la République, où ce fameux "vivre ensemble" est un leitmotiv depuis des décennies. Manifestement cela n'a pas suffit. Serait-il alors une victime de la société? Bien entendu j'écris ces mots de manière ironique. Combien de millions d'adultes responsables ont connu une enfance difficile, des difficultés scolaires, un habitat insalubre, sans pour autant "sombrer" dans la délinquance ou la criminalité? Je vais l'écrire clairement: la "gentillesse" et la bien-pensance n'ont à faire dans cette affaire, l'acte abominable se suffit à lui-même, il est son propre alpha et son propre omega.
Alors non, cette fois, je ne mettrai aucune image de rassemblement, aucun avatar barré de noir, je ne relayerai aucune de ces magnifiques illustrations qui fleurissent désormais immédiatement dans ces circonstances, je ne serai ni Charlie ni Paris ni Bruxelles ni Nice.
Je suis simplement, humainement, profondément choqué, profondément triste, profondément compatissant. Je suis en colère aussi, parce que mon pays mérite mieux que cette hécatombe. Au moment où certains réclament encore qu'on lénifie les paroles de la Marseillaise, j'estime moi qu'il est l'heure de prendre les armes. Oui, je veux qu'un sang impur, celui des lâches meurtriers qui prétendent faire la justice d'un Dieu qui ne leur a jamais rien demandé, abreuve nos sillons. Parce que tant qu'à choisir, je préfère que ce soit le leur qui coule, plutôt que celui d'une petite fille de trois ans.