vendredi 10 août 2012

Quelle direction pour l’école du XXIe siècle ?


En 2010, M. Frédéric Reiss, député du Bas-Rhin, remet à M. le ministre de l’Éducation Nationale un rapport qui fait beaucoup de bruit dans les écoles. Ce rapport, dont le bilan sans faille reste aussi cruel aujourd'hui qu'il était il y a deux ans, pointe de façon exemplaire le rôle primordial des directeurs d'école dans le fonctionnement d'une école et la réussite des élèves, comme l'absurdité de leur situation présente. En voici quelques extraits:  

Tout individu a prononcé, prononce ou prononcera la phrase suivante : « Je veux parler au directeur ! ». 

Quand on rencontre un problème avec une administration, une entreprise, une association, une réaction raisonnable est certes de vouloir s’adresser à un responsable et, dans les cas où l’on ne connaît pas son titre, de faire usage du terme générique : directeur. A ce mot, sont en effet associés un certain prestige, une certaine distance, en tous les cas la capacité de prendre les décisions qui s’imposent… C’est du ressort du directeur.

 Les directeurs des écoles françaises ne sont pas conformes à ce stéréotype, du moins si l’on considère les écoles publiques (...). Et sans doute le profane n’en a-t-il pas conscience.

 (...) 

 Le directeur n’est pas le supérieur hiérarchique de tous les personnels de son école. Cette prérogative, pour les enseignants, échoit à l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’Éducation nationale et, par délégation de celui-ci, aux inspecteurs de circonscription.

Concernant les personnels communaux travaillant au sein de l’école, ceux-ci sont certes placés sous l’autorité du directeur, mais uniquement pendant leur service dans les locaux scolaires. De manière générale, ses attributions en matière de ressources humaines sont limitées.

Parallèlement, le directeur d’école n’a guère de compétence budgétaire, une école n’étant juridiquement qu’un service de la commune, ou de l’intercommunalité, dont le directeur n’est pas un fonctionnaire. Il gère parfois quelque budget, dans le cadre coopératif ou associatif, mais pour des montants et dans des secteurs secondaires en considération de l’ensemble de l’activité qui se déroule dans les écoles, tout en s’exposant au risque de la gestion de fait.

Analyser les responsabilités confiées au directeur aide à appréhender la multiplicité des défis de terrain, jour après jour. Le directeur d'école occupe trois types de fonctions.

1 – Le directeur a vocation à exercer un leadership pédagogique

L’école ayant pour finalité première de délivrer un enseignement, il est naturel que celui ou celle qui en assure la direction se voie confier des prérogatives dans le domaine. C’est ainsi que le directeur assure la coordination entre les maîtres, réunit l’équipe éducative, veille à la diffusion de l’information auprès des maîtres, participe à la formation des futurs directeurs, prend part aux actions destinées à assurer la continuité éducative.

Il préside le conseil des maîtres de cycles, le conseil des maîtres et le conseil d’école, autant d’instances placées au cœur de l’activité pédagogique. Qu’elles prennent des décisions ou rendent un simple avis, elles sont le lieu où doivent s’impulser un dialogue, une dynamique.

Le projet d’école (...) s’élabore sous l’impulsion du directeur : celui-ci a bien une vocation de leader pédagogique.

De plus, il répartit les élèves entre les classes et les groupes, après avis du conseil des maîtres, répartit les moyens d’enseignement et arrête, de nouveau après avis du conseil des maîtres, le service des instituteurs et professeurs. Il est donc décideur en ces domaines.

L’action pédagogique du directeur revêt une dimension supplémentaire quand il s’agit des élèves en difficulté, voire en grande difficulté. C’est en lui que le législateur a placé sa confiance pour repérer les situations à problème et proposer, le cas échéant, aux parents de mettre en place le PPRE. De même, il joue un rôle non négligeable dans le cadre des RASED, en termes d’information, de dialogue avec les familles, de liaison, de concertation entre l’équipe des maîtres et l'équipe du réseau d’aide spécialisée, de bonne intégration de l’aide spécialisée dans la vie de l’école.

2 – Le directeur personnifie l’école pour l’extérieur, il assume des fonctions relationnelles

C’est souvent avec lui et lui seul que les parents conversent au quotidien, le matin quand arrivent les enfants, le soir quand ils repartent. Du reste, le décret de 1989 confie au directeur l’organisation de l’accueil et de la surveillance des élèves et, de manière plus explicite encore, le dialogue avec leurs familles. C’est souvent vers lui que les usagers du service public se tournent en cas de conflit, de réclamation, de demande d’explications.

Parallèlement, il représente l’institution auprès de la commune et des autres collectivités territoriales. Il a des relations à assurer avec les intervenants extérieurs de l’école, dont les associations.

Mais le directeur n’a pas explicitement la possibilité de représenter l’école dans toutes les circonstances, pas plus qu’il ne représente l’État au sein de l’école et il ne peut représenter le maire, alors que l’école est un service communal. Les partenaires de l’école en sont réduits à regretter l’absence, plus que d’un interlocuteur, d’un véritable partenaire, avec lequel monter des projets, desquels obtenir des réponses, à même de décider de son propre chef sans obtenir une autorisation préalable. Or, que l’école puisse nouer des partenariats fructueux est plus souhaitable que jamais. Le directeur a de plus en plus vocation à travailler hors les murs, dans la mesure où il faut considérer les enfants dans leur globalité et non seulement gérer leur temps scolaire.

 (...)

3 – Le directeur assure le fonctionnement administratif de l’école

Le directeur veille au respect de la réglementation, procède à l’admission des élèves, s’assure de leur assiduité, définit le service des collègues, répartit les moyens d’enseignement, fixe les modalités d’utilisation des locaux pendant le temps scolaire, organise les élections, réunit les conseils, rend compte aux autorités académiques.

Dans le même temps, les prérogatives du directeur d'école pour la gestion des ressources humaines de l’école et pour son budget sont réduites à la portion congrue. Par exemple, pour conclure les contrats de recrutement des agents sur emploi vie scolaire (EVS) exerçant dans une école, c’est le chef d’un EPLE qui seul a la compétence, ce qui inclut la faculté de refuser ce recrutement, au grand dam du directeur.

De même, le directeur d'école n’ayant que peu ou pas de responsabilités budgétaires, il est dépourvu de marges de manœuvre en la matière, d’autant plus avec la réduction tendancielle des crédits pédagogiques. Concernant les locaux, l’investissement est de la compétence de la commune, ou du groupement : le directeur ne peut pas décider de déplacer une cloison ou d’effectuer telle opération de travaux avant telle autre.

Certes, le déficit de pouvoir décisionnel en matière administrative ne saurait interdire au directeur de solliciter, de négocier, de convaincre. Mais la signature au bas d’un acte est rarement la sienne.

Les écoles ne s’administrent pas elles-mêmes, pas plus qu’elles ne se gouvernent elles-mêmes. Or, quand une équipe éducative s’est aperçue que, par exemple, l’expression écrite réclame la première des attentions collectives, elle aimerait pouvoir passer elle-même à la mise en œuvre des réponses qu’elle a envisagées, sans attendre en permanence un hypothétique feu vert de l’autorité supérieure, qui peut non seulement prendre du temps mais peut aussi provoquer une nouvelle frustration devant les procédures. Quant à ladite autorité supérieure, l’inspection de circonscription bien souvent, elle aimerait parfois mieux se concentrer sur des activités plus stratégiques.

La limitation actuelle des prérogatives de l’école et de son directeur amène à ne guère conserver des fonctions administratives que les plus ingrates d’entre elles, dont les plus répétitives relèvent du « rendre compte aux autorités académiques ». Elle contribue à charger le mot « administratif » de bien des maux, au point qu’une majorité des interlocuteurs rencontrés en préparation de ce rapport assimile le mot « administratif » au mot « nuisance ». Une perception aussi péjorative n’incite pas les acteurs à chercher à s’impliquer dans la vie de leur école, d’autant plus quand ils voient que, dans les EPLE, vingt-cinq ans après leur création, le chef d'établissement donne parfois l’image d’un fonctionnaire enfermé dans son bureau et lui aussi submergé par les formalités.

(...)

Les directeurs réclament du temps et de la reconnaissance

Les auditions et tables rondes menées à l’occasion de ce rapport comme précédemment à celles-ci donnent à percevoir chez les directeurs deux caractéristiques majeures de la fonction de cadre :
 - la gestion de son temps, trop souvent subi ;
 - l’exercice d’une responsabilité personnelle pesante.

Sur l’un et l’autre points, le directeur d'école ne diffère guère des cadres que l’on peut rencontrer dans et hors du service public. La liste des motifs d’insatisfaction des directeurs d'école français, comme de l’OCDE, comprend plus largement les éléments suivants : accumulation des tâches, urgence, absence de vision sur les priorités, manque de reconnaissance, manque de moyens, surabondance du travail administratif, obligation excessive de disponibilité, impact sur la vie de famille, stress …

Ce tableau a quelque chose de familier. Il est comparable aux enquêtes sur le moral des cadres dont la presse se fait régulièrement l’écho. Une telle similitude ne saurait étonner : les directeurs d’école appartiennent bien au personnel de catégorie A, qui a vocation à accomplir des tâches d’encadrement et de conception. Par ailleurs, l’on se souviendra qu’une enquête récente montrait que, quand 40 % des cadres français disaient éprouver un sentiment de découragement, ce ratio grimpait à 70 % quand on retenait la seule population des enseignants du premier degré.

(...)

Ainsi, le manque de temps est un problème unanimement soulevé. Il découle en partie de ce que des chercheurs appellent un phénomène de « double charge », résultant de l’addition des fonctions d’enseignant et de manager d’une entité. Ce problème se retrouve dans de nombreux pays lui aussi, notamment de l’autre côté de la Manche : en Angleterre, 60 % des chefs d'établissement de l’enseignement primaire qualifient l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle de précaire, voire très précaire. Poser la même question aux directeurs français ne manquerait pas d’intérêt.

Outre le temps, le principal grief exprimé par les directeurs d'école prend la forme de ce qu’ils appellent un manque de reconnaissance de la part de leur employeur. Il se répète quelles que soient les conditions : volume de la décharge, localisation de l’école, relations au sein de celle-ci et autres. On note que le mot « reconnaissance » renvoie à une inadéquation entre le mérite que l’on estime avoir, les efforts que l’on a fournis, et la manière dont ils sont pris en compte par autrui. La reconnaissance est un concept éminemment subjectif. Il n’en domine pas moins les conversations. Il est vrai que, notamment, la fonction de directeur d'école n’offre que peu de perspective en tant que telle. Le « merci » en fin de carrière est le même qu’on ait été directeur pendant deux ans ou vingt ans ! 

 (...) 

Et pourtant, que n’a-t-on entendu qu’« une école qui tournait, et qui ne tourne plus, ça correspond fréquemment à un changement de directeur » ! Le rôle du directeur d'école est déterminant dans la capacité d’une école à accomplir avec succès sa mission.

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