samedi 6 octobre 2012

Ecole et concertation: la serpe dort...


Les membres du comité de pilotage de la "Concertation pour la refondation de l'école" ont donc rendu public hier leur rapport. La recommandation que les directeurs d'école publique de France attendaient y est bel et bien inscrite, noir sur blanc, je la rappelle ici:

Définir enfin un véritable statut des directeurs d’école et leur donner les moyens pour qu’ils puissent accomplir l’ensemble de leurs missions et devenir les interlocuteurs reconnus de leurs partenaires.

C'est fort bien, évidemment. M. le Président de la République en parlera peut-être mardi, puisque c'est lui qui présentera à la Sorbonne les grandes orientations en débat pour la loi. J'écris "peut-être" parce qu'il n'est pas certain que cette recommandation là convienne au gouvernement, qui par la voix de M. Peillon a déjà exprimé en juillet dernier qu'il n'avait pas les moyens budgétaires pour la mettre en œuvre.

J'étais déjà perplexe face à cette machinerie complexe de la "concertation" qui a mobilisé pendant plusieurs semaines le ban et l'arrière-ban de tous ceux qui sont persuadés d'avoir des choses à dire sur l'école. Les acteurs de terrain, eux, n'ont pas été consultés, ou si peu qu'il ne me semble pas utile de l'évoquer.

Je suis encore plus perplexe face aux recommandations du rapport, surtout celles qui concernent l'école primaire qui m'intéresse et m'occupe au premier chef. Certes, on y trouve des choses logiques, mais alors qu'il eût fallu tailler à la serpe dans le fonctionnement de l'école publique, je ne peux guère lire que des propositions qui visent à ne fâcher personne, qui restent vagues ou qui me semblent peu propices à une réelle rénovation du système que pourtant sur le terrain nous appelons de nos vœux. C'est ainsi par exemple qu'au lieu de supprimer quelques strates de l'abominable mille-feuilles administratif qui étouffe l'école, le rapport fait la recommandation suivante:

Renforcer les missions des corps territoriaux d’inspection en matière d’animation pédagogique. Pour qu’ils puissent remplir leurs missions au plus près des enseignants et des établissements, leur nombre devrait être augmenté.

Et allez donc, ajoutons encore quelques personnes de plus qui pour justifier leur propre existence s'amuseront à pondre pour des agents de terrain déjà surbookés quelques tableaux Excel et quelques Powerpoint supplémentaires. Avons-nous réellement besoin de cela? Certainement pas!

La grande nouveauté, si on peut dire car elle est annoncée depuis si longtemps qu'il ne s'agit plus que d'une proposition de polichinelle, serait de changer les rythmes scolaires. Vous parlez d'une innovation! Il s'agit simplement de revenir au régime antérieur à la stupide réforme voulu par Xavier Darcos il y a quelques années et qui a institué la mortifère "aide personnalisée". Où est la "refondation" là-dedans? Ah oui, il s'agira de travailler le mercredi matin. Personnellement je demande ça depuis trente ans, afin de ne pas rompre le rythme de travail -j'ai depuis longtemps constaté, travaillant en maternelle, que les élèves sont toujours perturbés et perturbants les lundi et jeudi matins-... mais à condition de très sérieusement alléger la journée de classe et surtout son organisation. Le rapport propose de ne pas dépasser 5 heures de cours par jour en primaire (élémentaire et maternelle), mais précise que les élèves devront être accueillis quand même jusqu'à 16h30 ou 17h!

En primaire, le nombre d’heures de cours ne doit pas excéder 5h par jour. La journée doit obligatoirement prévoir une pause méridienne d’1h30 minimum. Au collège, le nombre d’heures de cours par jour doit être limité à 5h en 6e et en 5e, puis à 6h en 4e et en 3e. En primaire et durant les deux premières années du collège, tous les enfants doivent être accueillis au moins jusqu’à 16h30, voire 17h. Au-delà des horaires d’enseignement, la journée doit comprendre, d’une part, une aide au travail personnel et, d’autre part, des activités culturelles, artistiques et sportives.

Je ne saisis pas vraiment l'adéquation entre ces deux propositions: il faudra commencer l'école une heure plus tard le matin? Faire une pause méridienne de 3 heures? Le rapport précise:

Intégrer l’aide personnalisée dans le temps scolaire et organiser l’accompagnement du travail personnel à l’école même, dans le cadre d’une réforme des rythmes. Ceci signifie la suppression effective des devoirs à la maison.

Ne vous y trompez pas, chers collègues: tels que proposés, les nouveaux rythmes scolaires vous demanderaient de continuer à vous occuper de vos élèves au-delà des cinq heures de cours. Simplement ils feraient des devoirs ou recevraient une nouvelle "aide personnalisée" pendant la dernière heure. Pourquoi alors faire croire que les enfants de France ne resteront plus que cinq heures à l'école? C'est d'un jésuitisme confondant. A moins que les plus méritants, soient ceux qui n'ont aucun problème d'apprentissage, ne soient accueillis effectivement dans les locaux scolaires par du personnel municipal qui leur fera pratiquer des activités sportives ou autre chose. Voilà de quoi de nouveau stigmatiser les élèves les plus faibles privés de ce qui leur conviendrait le mieux pour faire des maths ou du français après cinq heures de présence. Ce sera toujours pour tous de la vie collective, et il n'y a rien pour un enfant, surtout s'il a cinq ans ou moins, de plus fatiguant.

Mais peut-être n'ai-je rien compris. Car on peut lire dans le rapport deux autres propositions qui posent encore un problème d'heures pour les enseignants du primaire:

Reconnaître la dimension collective du métier (travail en équipe, échanges sur les pratiques, partenariat avec les parents ou les divers acteurs territoriaux, innovation) par des temps institutionnels dédiés et une formation adéquate.

Rompre avec la rigidité des emplois du temps hebdomadaires en se donnant la possibilité de globaliser un certain nombre d’heures, dans une fourchette précise et négociée, pour faire évoluer les pédagogies, permettre le travail inter et pluridisciplinaire. 

Je me demande bien où on peut trouver des heures à "globaliser" et des "temps institutionnels dédiés" si les enseignants font déjà leurs 27 heures. Sauf si les heures dues aux élèves pour "l'aide personnalisée sur le temps scolaire" sont incluses dans les cinq heures de présence quotidienne des enfants, ce qui effectivement du coup libérerait 4 heures hebdomadaires pour les enseignants... mais demanderait aux communes d'acquitter une facture très salée d'intervenants sportifs ou culturels qui ne pourraient alors intervenir que dans les écoles, les élèves devant y rester jusqu'à "16h30 ou 17h". Bref, quel flou! Et quelle masturbation intellectuelle que ces prétendues "échanges sur les pratiques" que réclament certains syndicats à cor et à cri depuis des lustres et dont ma bonne connaissance du milieu enseignant me donne matière à rigoler...

Pense-t-on aux enseignants dans ce dispositif? Non. Leur vie de famille, tout le monde s'en fout. Car il faut bien comprendre que si les enseignants doivent pour leur service 27 heures de présence effective à l'école -ce sera le cas dans le cadre présenté-, il y perdront leur précieux mercredi matin sans compensation aucune. Je ne suis pas sûr que les familles, les communes et les enseignants eux-mêmes marchent dans ce jeu qui risque de leur coûter très cher. Surtout si comme le rapport le préconise également:

Peut être également envisagé d’allonger d’une à deux semaines la durée de l’année scolaire. Il conviendrait également, pour respecter l’alternance sept semaines de cours/deux semaines de vacances, d’envisager soit la suppression du zonage de certaines petites vacances soit le zonage de toutes les vacances.

Les familles recomposées de la France d'aujourd'hui n'accepteront jamais un zonage de vacances d'été, et les professionnels du tourisme la suppression du zonage des "petites vacances". Reste la possibilité de bouffer deux semaines des "grandes vacances". Or le métier de professeur des écoles est déjà peu attrayant: difficile, épuisant, stressant, mal considéré et mal rémunéré. Si on lui enlève son dernier attrait vu de l'extérieur, c'est à dire les nécessaires quatre mois de repos -oui, nécessaires, celui qui ne travaille pas avec de jeunes enfants ne pourra jamais comprendre-, j'ai bien peur que les candidatures pour notre apostolat s'amenuisent encore un peu plus. Ce qui va à l'encontre d'un besoin de recrutement beaucoup plus élevé que jusqu'à présent si le gouvernement suit la recommandation suivante -leitmotiv syndical depuis des décennies, mais celui-ci se justifie-:

Affecter plus de maîtres que de classes pour permettre aux équipes pédagogiques de travailler autrement et mieux, en développant le travail en commun, en apportant, dans la classe, un accompagnement personnalisé aux élèves qui en ont besoin et en facilitant l’engagement des familles dans le projet de réussite scolaire de leurs enfants. Cette mesure doit concerner en priorité les territoires en difficulté, bénéficier d’abord aux premiers niveaux d’enseignement – CP-CE1 – et être généralisée progressivement.

La Finlande qui nous est donnée en exemple depuis des années ne pratique pas autrement, en mettant dans les classes des "adjoints d'enseignement". Les résultats sont là. Un tel système obligerait d'autre part les enseignants à accepter dans leur classe un regard extérieur, que nombreux sont ceux qui le refusent, par crainte irraisonnée d'un jugement qui serait selon eux forcément malveillant. Pour moi qui travaille porte ouverte depuis trente ans, et admire toujours l'investissement personnel de mes collègues, il n'y aurait là rien que de très normal.

Je m'arrête là, ce billet à la taille déjà conséquente deviendrait obèse, et je laisse de côté de nombreuses autres propositions lénifiantes, ou intéressantes, ou nécessaires, ou que j'estime de graves erreurs comme l'apprentissage d'une langue étrangère dès le CP -il faudrait déjà que les petits français sachent parler leur propre langue-. J'attends avec curiosité ce que nous dira M. le Président de la République mardi prochain, même si je ne me fais pas vraiment d'illusion, ce n'est pas le genre de la maison.

J'attends également, et avec impatience cette fois-ci, ce qu'il en sera du statut des directeurs d'école. La direction d'école a été tellement laissée en jachère depuis quinze ans que la situation peut difficilement être pire. Ceci écrit, je ne crois pas -plus- au père Noël. Au contraire de la plupart de mes petits élèves.

1 commentaire:

  1. Comme M. Confort (:=)) j'attends, sans impatience démesurée, ce qui pourrait éventuellement surgir de ceci concernant les directeurs d'école !
    Tout le reste (rythme, programmes, parents, etc.)est d'un inintérêt foncier, les choses ayant déjà été dites et redites depuis longtemps ("Tout est dit et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent.", disait un certain La Bruyère ; je tiquerai quant à moi sur le "qui pensent" appliqué à nos contemporains,mais cela nous mènerait fort loin !), tentées sous de multiples formes et, de toute façon, d'une inefficacité complète s'agissant de "refonder" l'École de la République qui a certainement besoin d'autre chose que de ces morceaux de sparadrap...

    RépondreSupprimer