samedi 17 novembre 2012

Le sac de nœuds du ministre...


A vouloir trop bien faire, M. Peillon, ministre de l’Éducation nationale, se retrouve aujourd'hui avec un inextricable sac de nœuds. Effectivement, M. Peillon a voulu connaître l'opinion de tous au sujet de l'école française, au travers des discussions de la Concertation qu'il avait lancée l'été dernier. Lorsqu'on interroge les professionnels, les chercheurs et la société civile, il est évident qu'on se retrouve au sein d'intérêts parfaitement divergents. Et c'est ainsi qu'en cette mi-novembre M. le Ministre réalise que chacun y va de son couplet égoïste et revendicatif, à grand renfort de diktats et d'ultimatums, qu'il s'agisse des syndicats d'enseignants, de députés, de professionnels du tourisme, de représentants des municipalités... chacun d'ailleurs n'ayant pas forcément tort de défendre son bifteck!

Il faut dire que M. Peillon n'a pas la partie facile. Sincèrement convaincu -à raison- que l'école publique ne fonctionne plus, ou du moins fonctionne mal, il veut la réformer, ce que les enseignants eux-mêmes appellent de leurs vœux. Mais le budget de l’Éducation nationale pour 2013 -et pour les années suivantes tant que l’État ne fera pas de sérieuses économies, sur son haut fonctionnariat par exemple- ne permettra pas grand chose; il faudra attendre que notre pays fasse le choix d'investir autant de pourcentage de son PIB dans l'éducation de ses enfants que les autres pays de l'OCDE pour espérer une réforme en profondeur du système. D'autre part, même s'il n'est pas dit que les enseignants soient si bien représentés que ça auprès du ministère par leurs syndicats qui ont tous des histoires et des intérêts foncièrement différents, il est clair qu'ils refuseront néanmoins toute mesure qui accentuera un peu plus leur paupérisation, effective depuis plusieurs décennies, et flagrante depuis dix ans.

Disons-le: les discussions de M. Peillon tournent en eau de boudin. Son grand tort est peut-être d'avoir trop écouté les soi-disant spécialistes de l'éducation de la Direction des écoles, le ministère de la rue de Grenelle comptant un certain de hauts fonctionnaires inamovibles qui dirigent de fait depuis des lustres les diverses réformes toutes plus malheureuses les unes que les autres. Mais ces gens-là sont sensés savoir, n'est-ce pas?

J'entends beaucoup décrier depuis quelques jours la volonté de M. Peillon de changer les rythmes scolaires. C'est une erreur. Nous savons depuis longtemps que ces rythmes sont aberrants. Mais c'est en grande partie parce que les programmes de l'école primaire française sont devenus démentiels. Ils incluent en particulier de nombreuses mesures qui relèvent d'un autre domaine que celui de l'école, de la sphère privée par exemple. L'école de France est devenue depuis trente ans le palliatif malheureux de toutes les faillites familiales et sociétales. De nombreux points des programmes devraient en disparaître au profit des fondamentaux que sont les apprentissages de la langue française et des mathématiques. Notre précédent gouvernement n'ayant fait qu'ajouter de nouveaux enseignements (aaah, l'histoire de l'art...) et ayant joyeusement retranché trois heures d'école sans concertation, les enseignants du primaire doivent maintenant jongler avec des programmes effarants et un temps restreint. Mission impossible, il y a des conditions ou le jonglage devient aléatoire.

Que devrait donc faire M. Peillon? J'ai quelques propositions, la première consistant à sabrer avec allégresse dans les programmes: on peut en enlever un bon tiers -mais n'ayez pas la malheureuse idée de supprimer les cours d'histoire ou de science, ce serait consternant de bêtise!-.

Seconde proposition, surtout ne pas diminuer le nombre d'heures de classe des élèves français. Il faut que les classes travaillent le mercredi matin. J'en ai fait souvent la constatation avec mes jeunes élèves: ils ne sont que très peu disponibles pour les apprentissages lors des retours de rupture, soit les lundi et jeudi matins. La continuité de la semaine de classe évitera cette néfaste rupture et redonnera à l'école une partie de ses lettres de noblesse. La semaine de classe pourrait être organisée comme suit:

  • lundi: 6 heures
  • mardi: 6 heures
  • mercredi: 3 heures
  • jeudi: 6 heures
  • vendredi: 5 heures

soit 26 heures de classe au lieu de 24 aujourd'hui, avec des programmes recentrés sur l'indispensable et l'utile.

J'entends d'ici les grands penseurs de l'éducation -oui, c'est ironique- râler en prétendant que les journées de classe françaises sont trop longues pour nos pauvres petits, qui n'en peuvent mais, etc. Je suis désolé, messieurs, mais je fais de la maternelle depuis plus de trente ans et tout est une question d'organisation de la journée: si celle-ci est diversifiée, alterne temps de jeux, temps d'apprentissages, activités sportives ou de délassement, elle est parfaitement supportée par les enfants dès la petite section (qui inclut comme la moyenne section un indispensable temps de sieste l'après-midi). Une journée longue peut être parfaitement agréable et efficace à condition d'être bien organisée. Il est en revanche certain que laisser assis 6 heures de suite des enfants de 7 ans pour leur gaver la tête de notions théoriques sans expérimentation, c'est courir à l'échec.

J'entends de nouveau les grands penseurs de l'éducation: "ouiiiiii, mais comment voulez-vous organiser ça dans les écoles?"...

Moi, je sais. Les écoles doivent voir affirmée leur autonomie. Celle-ci permettra d'adapter l'organisation des écoles en fonction de leurs besoins propres, qui ne sont généralement pas semblables d'une commune à l'autre, ou d'une école à une autre dans une grande ville. Mais cette autonomie doit être affirmée comme prenant le pas sur celle des enseignants, qui s'ils restent libres de leurs choix, méthodes et techniques d'enseignement, devront néanmoins se plier à un fonctionnement particulier si celui-ci est affirmé dans un projet d'école qui gérera désormais les temps d'enseignement, la répartition des élèves (cycles, groupes, ateliers) au quotidien ou sur l'année, etc: il est absolument indispensable qu'un élève en difficulté ne reste pas en déshérence et puisse suivre si nécessaire un enseignement en petit groupe sur le temps scolaire, et autant de temps qu'il lui sera nécessaire. Ceci nécessite donc réellement un investissement des enseignants en faveur de leurs élèves, au détriment du repli sur soi et sur sa "classe" à la porte fermée comme il est de mise depuis des décennies, et une nouvelle répartition des rôles au sein de l'école. Cet investissement serait discuté au sein du Conseil des maîtres ou d'autres réunions dont le temps hebdomadaire serait défini par la 27ème heure due par les enseignants et qui n'apparait pas dans les temps de classe quotidiens que j'ai définis plus haut, et où le vendredi après-midi serait amputé d'une heure. Ceci représente 36 heures sur l'année, ce qui est largement suffisant à un groupe d'enseignants pour définir ensemble des méthodes de travail et des organisations efficientes. Le temps actuellement dévolu aux réunions est absurdement trop long: qui me fera croire qu'on puisse dans une école se réunir près de deux heures par semaine? Non, je suis du métier, il ne faudrait pas me prendre pour un imbécile. Alors quand j'entends aujourd'hui un syndicat que je ne nommerai pas réclamer du temps supplémentaire... Dois-je rire?

Voilà comment pourraient être réparties ces 36 heures:

  • Conseils d'école: 3 fois 2 heures, soit 6 heures
  • Conférences pédagogiques: 3 fois 2 heures -c'est largement suffisant-, soit 6 heures
  • Conseils de cycle (pour discuter des élèves): 5 fois 2 heures -une réunion par période-, soit 10 heures
  • Conseils de maîtres: 5 fois 2 heures -une réunion par période-, soit 10 heures
  • Réunions diverses (selon les besoins): 4 heures

Cette nouvelle organisation au sein des écoles pourrait s'inspirer de nombreux fonctionnements qui sont de mise à l'école maternelle depuis toujours. Mais elle réclame également une dernière mesure indispensable, car l'autonomie d'une école ne peut se concevoir sans pilotage de proximité: il faut donner aux directeurs d'école un statut particulier et clair définissant sans ambiguïté leur rôle d'organisateur, et leur permettant pour le bien des élèves et leur réussite scolaire d'imposer à un enseignant réfractaire un fonctionnement conforme à l'organisation définie dans le projet d'école par l'équipe enseignante. Il ne s'agit pas forcément d'un rôle hiérarchique. Mais l'école primaire aujourd'hui ne peut plus se payer le luxe de laisser partir au collège des enfants aux connaissances ou aux compétences fragmentaires, et s'il faut pour cela taper du poing sur la table, le directeur doit en avoir l'autorité. Celle-ci ne peut lui être donnée que s'il lui sont officiellement reconnues aux yeux des familles, des enseignants, des municipalités et de l'autorité administrative et hiérarchique, l'importance et la responsabilité qui sont les siennes.

1 commentaire:

  1. Que du bon sens et une bonne connaissance de l'école d'aujourd'hui.

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