Je suis avec attention depuis quelques jours une discussion animée mais intéressante sur les forums publics du GDID, discussion qui montre en particulier l'expérience diverse des directeurs d'école, entre (très) grosses structures et toutes petites écoles.
J'ai déjà évoqué ici à plusieurs reprises la nécessité de procéder à terme à des regroupements d'écoles. Je rappelle que les écoles de cinq classes ou moins représentent plus de 64% de la totalité des 48139 écoles publiques françaises! Nous ne pourrons, c'est vrai, faire l'économie de sérieusement diminuer ce nombre. Mais nous ne devons pas oublier que les 36000 communes réparties inégalement sur le territoire sont une force de notre Nation, dont la diversité fait la richesse. Les écoles qui en dépendent pour leur fonctionnement y sont dans beaucoup d'entre elles la dernière preuve tangible de la présence de l’État -une commune sans école est une commune morte-. Ces regroupements devront donc découler d'une logique géographique et territoriale qui ne devra léser personne et, mûrement réfléchis, conserveront à l'école de France la force et richesse incontestables que constitue sa proximité avec les élus locaux et la population.
Combien de temps faudra-t-il pour procéder à ces regroupements? Quinze ans? Vingt? Trente? "Rome ne s'est pas faite en un jour", écrivait Manzolli. Cette reconstruction géographique de l'école française ne se fera pas en un quinquennat. Ce qui n'interdit pas de commencer rapidement. Sauf qu'il est une condition indispensable pour procéder à ces concentrations: pour qu'elles soient efficaces, il est nécessaire que les directeurs des écoles publiques françaises aient préalablement un statut clair qui leur donne les moyens juridiques et financiers de leur mission, mission elle-même proprement définie, exempte d'ambiguïtés, et libérée des pressions administratives ou autres, car l'école doit être autonome pour être efficace. Ce dernier point implique d'ailleurs un abandon du jacobinisme centralisateur de l’Éducation nationale -voilà un dernier aggiornamento que je pressens mal-.
Disons-le, le statut pour les directeurs d'école est une nécessité première. La direction d'école en France est au bout du rouleau, elle n'a pas les moyens de son action, elle ne peut pas être efficace, alors que les directeurs d'école ruent souvent dans les brancards tant ils savent ce qu'il faudrait faire et tant ils n'y peuvent rien. Rien ne pourra désormais être accompli dans le domaine de l'éducation sans ce statut qui de nécessaire est devenu indispensable.
Dans cette discussion sur les forums publics du GDID que j'évoquais en tête de ce billet, un des interlocuteurs évoque l'idée, au nom du pragmatisme, qu'il faudrait procéder à des regroupements avant de donner un statut aux directeurs d'école. Ce à quoi un autre a fort justement répondu qu'on ne met pas la charrue avant les bœufs. Et d'abord évidemment en terme de temps: si les directeurs d'école doivent attendre trente ans, le Titanic aura coulé bien avant. Quant à ne donner un statut qu'aux directeurs de grosses structures, c'est une absurdité à plus d'un titre: 1) il y aurait deux corps distincts pour le même métier (vous me direz, la gauche nous a déjà fait le coup en 1989 avec les professeurs des écoles), et l'inéquité d'un tel système ne peut sortir que d'un cerveau fatigué; 2) cela ne résoudrait rien des problèmes de l'école française puisque 95% des directeurs d'école resteraient sur le carreau...
La seule mesure juste, la seule mesure efficace, la seule mesure qui maintenant peut être prise par un gouvernement responsable, c'est de donner à tous les directeurs d'école de France un statut fonctionnel. Aujourd'hui. Et d'en définir les modalités avec les seuls vrais représentants de ce qui au cours des dernières décennies est devenu une profession particulière, c'est à dire les membres du GDID, qui sont quotidiennement sur le terrain et ont abondamment réfléchi à la question.
Le pragmatisme a donc bon dos. En fait, le pragmatisme veut qu'on aille à l'urgence, pas qu'on traînaille en tergiversant. D'autant qu'en ce qui me concerne je ne veux plus faire de cadeau à personne. Depuis trente et quelques années que je fais ce
métier, personne ne m'en a jamais fait. Depuis douze ans que je suis directeur d'école non plus. Et pourtant pour ma part j'ai sacrément donné à ce métier, et je ne suis pas le seul, y sacrifiant parfois vie de famille comme beaucoup de temps et d'énergie. Si dans ce pays chacun s'investissait dans sa mission comme s'y investissent les directeurs d'école, je peux vous assurer que tout irait bien mieux.
Alors je veux un statut pour les directeurs d'école, je ne veux pas que nos successeurs se retrouvent dans la même merde que nous, je ne veux pas partir en retraite avec dans la bouche ce goût amer qui s'y est installé depuis quelques années. Je ne veux plus tendre la joue gauche. Je ne veux plus être "raisonnable".
Et surtout pas alors que je vais devoir donner encore plus les années qui viennent, avec ma classe à plein temps dont le mercredi matin, avec tous les PPMS, DUER, Aides personnalisées diverses et autres conneries que j'espérais voir disparaître mais qui semblent installées pour longtemps, puisqu'autant dans ce ministère on sait empiler mais jamais soustraire, qu'il s'agisse de mesures idiotes, de programmes absurdes, d'injonctions ridicules, ou de fonctionnaires inutiles. Mouton allègrement tondu depuis des années, ou vache pourvoyeuse de lait, ou dindon, ou bœuf attelé, ou je ne sais quel autre animal, je ne veux plus être un exemplaire zoologique exposé à toutes les faillites étatiques, sociétales ou familiales, quelle que soit la couleur politique de la cage. Et s'il faut bouffer le dompteur, je n'hésiterai pas.
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