mercredi 3 avril 2013

Sur le parvis de l' État...


Je suis outré par la réponse apportée le 26 mars dernier par le ministère de l’Éducation nationale à la question écrite de M. Philippe Baumel, député de Saône et Loire. Je crois difficile de faire plus "langue de bois" que ce texte fumeux qui prétend éclaircir "les mesures... pour répondre aux attentes des directeurs d'écoles".

Le ministère commence par décrire le cadre de notre travail. Pourquoi pas. Mais se contenter de reprendre au mot près les textes officiels qui régissent notre mission ne peut suffire dans la mesure où notre apostolat présent n'est absolument pas contenu dans les termes généraux du décret de 1989. Nous sommes en 2013! Et notre métier n'est plus -plus du tout- celui d'il y a24 ans! Je ne ferai pas le détail de ce qui a changé, forcément en mal, ni de la lourdeur de notre tâche aujourd'hui, vous êtes suffisamment hélas au courant si vous lisez ce billet, et j'en parle assez depuis des mois. Je citerai juste pour mémoire le dernier soubresaut institutionnel qu'est la généralisation d'Affelnet, programme en ligne d'admission en sixième, codé avec les pieds -sales- et d'une ergonomie effarante, dont l'usage est aujourd'hui échu aux directeurs d'école.

Mais oser écrire que "La charge de travail des directeurs d'école a également été reconnue par la mise en place de dispositifs destinés à améliorer les conditions d'exercice de la fonction et la rémunération versée.", c'est se foutre du monde! Reconnue? Quelle outrecuidance! Depuis douze ans que j'exerce cette mission je n'ai constaté pour ma part qu'une inflation délirante de ma charge et de mes responsabilités, qu'une nette augmentation du mépris dans lequel me tient ma hiérarchie,  et qu'une paupérisation accrue qui fait qu'aujourd'hui, bien que cadre A de la fonction publique -et je le suis par concours-, je ne fais même plus partie aux yeux de l'INSEE de ceux qui exercent une profession intellectuelle. Bon courage aux petits camarades qui nous ont rejoints ces dernières années avec un Bac+5 et qui ne sont pas mieux considérés qu'un manœuvre de chantier en dépit de leurs études, de l'importance de leur mission, de leur temps de travail délirant, et de leur responsabilité croissante. Je n'ai pour ma part qu'une seule idée aujourd'hui de ma charge: j'exerce un métier de con. Ou plutôt, je suis assez con pour exercer mon métier du mieux que je peux. Je n'ai plus qu'une envie, c'est de le faire par-dessus la jambe. Amis soutiers de l’Éducation nationale, bonjour!

Mais ce poème ministériel qu'est la réponse apportée à M. Baumel ne s'arrête pas là. La suite est un régal de fin gourmet: "Dans le cadre de la circulaire du 13 mars 2013, ils bénéficient d'un allègement ou d'une décharge variant de 6 à 36 heures sur le service de 36 heures consacrées aux activités pédagogiques complémentaires. Ces dispositions seront adaptées pour tenir compte de la nouvelle organisation des rythmes scolaires." Ben voyons. Alors qu'il ne fallait pour l'Aide Personnalisée que gérer les autorisations parentales, il faudra désormais pour les Activités Pédagogiques Complémentaires les articuler avec les activités périscolaires, et surtout gérer des listes d'élèves qui iront soit en périscolaire soit en APC -avec autorisations bien entendu, et inutile d'espérer des autorisations génériques valables pour toute l'année scolaire, c'est interdit-, gérer les absences et départs intempestifs et autres erreurs, surveiller tout ce qui se tiendra dans les locaux scolaires et sera donc sous la responsabilité du directeur, et patati et patata j'en passe et des meilleures... On n'a pas fini d'en avoir, du bordel dans nos écoles! Sommes-nous pour autant dispensés de les encadrer, ces APC? Certes non, nous sommes pour les hauts fonctionnaires ignorants du ministère des agents de terrain corvéables à merci. Oserai-je évoquer le fait que les directeurs non déchargés -comme je le suis- seront encore moins disponibles qu'avant? Qu'ils feront trois choses simultanément? Je préviens d'emblée les familles de mon école: inutile de tenter de me voir l'année prochaine, je serai partout en même temps mais pas là où je serais utile. Le plus comique en ce qui me concerne -je ris jaune- est que ma commune d'exercice ne passant aux nouveaux rythmes qu'en 2014 je vais me retrouver à encadrer/gérer/surveiller ces APC au-delà de 17h... Comme allègement de la journée...

L'honnêteté m'oblige à dire qu'il existe tout de même dans ce pays un Directeur Académique conscient de nos difficultés, celui de Haute-Savoie, qui vient de dispenser les directeurs d'école de l'encadrement des APC. Sera-t-il soutenu par son ministère?

Et ça continue! Je cite la réponse ministérielle: "Sur le plan indemnitaire, la reconnaissance des fonctions des directeurs d'école s'est traduite par des revalorisations successives". Comme disait Raymond Devos: trois fois rien c'est déjà quelque chose. Quand je regarde ma feuille de paye, et que je pense au travail qu'il y a derrière, j'ai l'impression d'être revenu deux ou trois siècles en arrière, et de me faire donner l'aumône sur le parvis de l’État. A vot' bon cœur, m'ssieurs-dames ! Connaissez-vous ailleurs une mission d'encadrement, avec des responsabilités comme celles d'une direction d'école, rémunérée à coup d'indemnité ridicule? Cherchez. Si vous trouvez, appelez-moi.

Tiens? Un constat... Le texte de la réponse apporte soudain un éclairage légèrement différent, comme un relent de remord après une avalanche de poncifs, d'approximations et de mensonges: "Depuis plusieurs années, les enseignants qui assument la fonction de directeur d'école ne se sentent pas suffisamment reconnus alors même qu'ils sont essentiels au bon fonctionnement des écoles et qu'ils apportent la sérénité et l'écoute indispensables à tous les partenaires de l'école. Une évolution de la fonction et des missions de directeur est devenue nécessaire." Allons bon! Jusqu'ici tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes avec ces esclaves administratifs que sont les directeurs d'école, voilà que soudain au détour d'une phrase on expose l'idée que peut-être les chaînes qui les entravent sont un peu lourdes. Vous remarquerez tout de même la jolie nuance linguistique qui veut que les directeurs d'école ne se sentent pas suffisamment reconnus, ce qui signifie bien que le ministère estime que nous le sommes. Je suppose que c'est logique de la part de gens qui savent si bien truander la Nation qu'ils représentent en gavant leurs comptes en Suisse ou à Singapour, mais moi vivre d'amour et d'eau fraîche ne me convient pas. Je veux un statut clair et différencié de celui des enseignants, je veux le temps, les moyens, la considération et la rémunération de ma mission. Bref, ce genre de propos, qui voudrait que je m'estime à tort mal considéré et mal payé, est parfaitement malvenu.

"Dans ce contexte, il est apparu nécessaire de réfléchir au sein d'un groupe de travail, mis en place par la direction générale de l'enseignement scolaire, à l'évolution de cette fonction. Il s'agit notamment d'apporter des réponses adaptées, en particulier en termes de formation, aux problèmes rencontrés par les directeurs d'école à l'occasion de leur prise de fonction ou pour accompagner les évolutions de leur métier et de leurs missions." Outre le fait que des discussions quant à la situation de la direction d'école publique en France avaient été promises en automne dernier par M. Peillon et devaient se tenir au premier trimestre de cette année civile, discussions qui ont été du fait du Prince repoussées sine die, je doute fortement de ce qui peut sortir de la DGESCO, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'a pas ces dernières années marqué profondément par son honnêteté, sa vision, ou son indépendance. Et ce en dépit de tout le bien que je pense aujourd'hui -et que j'ai déjà exposé dans une précédent billet- de M. Delahaye. Bref, je n'attends pas grand chose de ce groupe de travail. Je n'en attends même rien, sinon peut-être à quelques cautères qui n'apporteront pas grand chose à notre jambe de bois. Vous voulez une traduction claire des dernières phrases citées? Tenez: "Les dirlos s'imaginent mal traités, on ne fera rien mais on en cause. A propos, j'ai six cent mille euros à dissimuler au fisc, tu me proposes quoi de discret?"

Vous remarquerez également que le texte sous-entend que si nous n'arrivons pas à exercer correctement notre métier, c'est parce que nous n'y sommes pas formés. Je n'en disconviens pas pour les jeunes directeurs, mais qu'on me pardonne si j'estime qu'après douze années d’exercice dans diverses communes je le connais certainement mieux que le rigolo qui a pondu cette phrase et qui me croit sans doute incapable de comprendre un texte officiel, alors que j'ai certainement moins de mal à le lire que certains IEN ou DASEN de ma connaissance...

Finissons ce billet par la dernière phrase de la réponse donnée à ce pauvre M. Baumel qui doit s'estimer floué par un texte aussi léger: "Les conclusions de ce groupe et les pistes proposées seront particulièrement utiles lors des échanges à venir avec les organisations syndicales dans le cadre de l'agenda social." Et le GDiD, il pue de la gueule? Si je ne m'abuse, il était question de discussions avec les représentants du personnel ET les (sic) associations de directeurs d'école... Parce que si seules les centrales syndicales sont appelées à discuter de notre sort, ça va être une belle empoignade, et l'accouchement nous donnera une souris aussi maigrichonne que celle née de la graaande concertation qui devait "refonder" l'école. Nous sommes mal barrés, chers collègues, vous pouvez préparer la vaseline.

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