dimanche 5 mai 2013

Le dirlo, super maso?


Sur la page Facebook du GDiD, un ancien collègue du primaire aujourd'hui en EGPA fait dans un commentaire récent la réflexion suivante "là franchement à moins d'être super maso je vois pas pourquoi les postes de direction sont encore demandés".

Voilà bien une question existentielle que je me pose également. Moi-même, que fais-je encore dans cette fonction déconsidérée, mal payée, et corvéable à merci? Comment cela se fait-ce?

Effectivement et objectivement, si on regarde les avantages de la mission de direction d'école, la liste est vite faite, et se résume concrètement à un seul et unique item: l'indemnité accordée aux directeurs d'école. Le reste est, en 2013, à porter dans la colonne des inconvénients. Du coup, je me torture l'esprit depuis hier en me demandant si je suis ou non "super maso".


D'autant que ce seul et ultime avantage n'est pas franchement brillant. J'avais déjà évoqué dans un précédent billet le montant de l'indemnité accordée chichement aux directeurs d'école. Je vous donne de nouveau le tableau qui en précise le montant, différent selon la taille de l'école administrée (cliquez dessus pour l'agrandir).


Personnellement, dans ma petite école, je touche mensuellement en plus de mon salaire d'enseignant une bonification salariale de 111 € et une indemnité de 133 €, soit 244 €. Ce n'est certes pas rien si on se réfère au montant du SMIC (dont on ne peut pas dire qu'il soit pour vivre particulièrement jouissif), mais c'est ridicule au regard du travail effectué, du temps que je dois lui accorder en plus de celui consacré à mes élèves, et des responsabilités qui sont les miennes.

Mais ma paye d'instit' -pardon, de professeur des écoles- s'apparentant de plus en plus à une aumône à mesure que les années passent, j'aurais je l'avoue bien du mal à me passer de ce complément de salaire, combien faible soit-il. Enseigner est un travail de spécialiste, qui demande chaque jour une longue préparation. Alors n'être rémunéré comme moi, après trente-cinq ans de service, qu'à la hauteur de 2200 € par mois pour l'exercer me parait franchement méprisant. C'est faire bien peu de cas d'une mission si importante pour une nation. Aujourd'hui les enseignants du primaire en France sont parmi les plus mal payés de tous les pays de l'OCDE, et le blocage du point d'indice de la fonction publique depuis plusieurs années, que je peux comprendre mais qui passe difficilement, n'arrange pas les choses.

"Changez de métier!", me direz-vous. A mon âge et après trente-cinq années de carrière au service de mes élèves, je n'en ai certainement pas l'énergie. "Allez enseigner dans le secondaire!". Je n'ai pas les titres nécessaires, ni je pense aujourd'hui les compétences disciplinaires, à part peut-être en français. "Devenez principal de collège!". Effectivement, je pourrais me présenter au concours interne de l’Éducation nationale qui me permettrait de postuler à cette mission. Mais... j'aime l'école primaire! Et plus encore en son sein l'école maternelle, dans laquelle je travaille depuis plusieurs décennies, et qui m'apporte encore quotidiennement quelques joies et plaisirs. Que voulez-vous, quand on aime travailler avec des enfants de quatre ou cinq ans, quand on aime leur apporter connaissances et compétences, il est difficile de s'imaginer administrant un collège.

Je l'avoue donc: j'aime mon métier. J'aime lire émerveillement que je lis dans les yeux d'un enfant lorsqu'après des semaines de travail il se découvre une compétence qu'il s'ignorait. J'aime son bonheur de se voir complimenté pour un travail dans lequel il s'est particulièrement impliqué. C'est comme ça, je marche encore après toutes ces années.

Si ce seul item salarial est l'ultime avantage de la fonction de directeur d'école, pourquoi donc continuai-je à la remplir? Nombreux sont les directeurs qui ont craqué ces dernières années, et sont retournés vers leur mission d'enseignant, ou pire ont démissionné, ou sont hélas passés à l'acte. Nombreux encore sont ceux qui vont le faire cette année, et tout aussi nombreux ceux qui pourraient décider de s'y investir au plus grand profit de l'école publique, et ne le feront pas. "Pas fou, non?" Voilà une mission de direction, pourtant si importante voire primordiale, délaissée par ceux qui pourraient tant lui apporter, méprisée par son administration, écrasée par des tâches multiples et souvent inutiles, submergée de responsabilités, déconsidérée au sein de la profession elle-même comme au sein du public, pour lequel les directeurs d'école participent de la fainéantise supposée des fonctionnaires en général considérés comme des profiteurs -deux reproches attisés par des médias dont on se demande bien ce qu'ils connaissent des charges effarantes de ce travail comme de ses conditions déplorables-.

Curieusement, localement, dans ma commune d'exercice, je sens chez les familles comme chez les élus un respect important de l'école, aussi bien comme institution que comme lieu de vie pour leurs enfants. Je sens beaucoup d'attente, que nous tâchons quotidiennement de ne pas décevoir. Je sens un grand respect pour notre métier et une réelle considération pour nos compétences, une vraie et franche confiance. Je sens un profond respect pour ma fonction de directeur d'école comme pour les responsabilités qui y sont attachées. Voilà aussi ce qui participe à ma volonté de continuer à exercer mes fonctions et à assumer mes responsabilités, certainement l'impression mais aussi la conscience de mon utilité. Je pense que mes collègues directeurs et directrices d'école sont dans le même cas que moi: nous persistons parce que nous savons que notre mission de direction d'école publique est importante, pour nos familles, nos municipalités, pour la Nation. En dépit de tous les obstacles qui depuis des lustres se sont accumulés sur notre route.

C'est pour cela que je milite afin d'obtenir pour les directeurs d'école un statut clair et différencié, autonome, responsabilisé, reconnu administrativement et juridiquement, rémunérateur. Parce que les directeurs d'école, derniers représentants de l’État dans les communes de France, exercent un métier particulier, ils ont une mission primordiale pour la réussite des élèves, mission qu'actuellement ils n'ont pas les moyens ni le temps de remplir efficacement. L'éducation est un investissement pour la Nation, je dis et le redis, le répète constamment, parce que c'est une réalité incontournable.

Alors non, je ne suis pas "super maso". L'image que je me fais de mon travail et de ma mission vaut largement pour moi que je continue de m'y investir profondément, quels qu'en soient les inconvénients présents. Mais je ne sais pas si j'irai jusqu'au sacrifice.

1 commentaire:

  1. J'ai 30 ans d'ancienneté et suis nommé directeur par intérim.J'ajouterai à ton propos un changement de mentalité des collègues envers les directeurs .Il n'y a plus de solidarité,d'entraide et de coopération .Le directeur n'est plus un collègue comme les autres.

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