samedi 1 juin 2013

Ô mon batôôô, oh oh oh !


Souvent des images rigolotes viennent à mon esprit. Ce matin le directeur d'école que je suis s'imaginait naviguant sur les flots à la barre de son bateau, tentant d'amener à bon port ses passagers...

Je ne me leurre pas, avec ma petite école maternelle je reste capitaine d'un caboteur! Je n'ai pas choisi la navigation hauturière, et si j'aperçois au loin des paquebots -plus ou moins reluisants- qui croisent en haute mer vers des destinations lointaines et exotiques, mon choix s'est porté sur la navigation côtière. D'autre part, mon caboteur est de petite taille, je ne transporte que soixante passagers, et mon équipage est réduit. Toutefois mon bateau a bonne réputation, il est repeint de frais, et n'a jamais connu d'avarie. Je suis un capitaine estimé, mes passagers me font pleinement confiance, j'ai le soutien inconditionnel de la capitainerie, et j'ai toujours réussi mes traversées.

Cependant il faut avouer que la navigation est de plus en plus difficile. Les eaux sont souvent maintenant infestées de créatures marines étranges, les écueils sont de plus en plus fréquents, certains passagers deviennent difficiles à satisfaire, beaucoup n'ont pas le pied marin, et surtout les règles de navigation changent de plus en plus souvent tout en devenant de plus en plus inadaptées. Mais que fait donc la Direction des affaires maritimes? J'aimerais bien pouvoir comme avant naviguer en ligne droite avec des passagers confiants et sages. Mais il n'en est plus question. Nous frôlons souvent le naufrage, et je ne dois parfois la sauvegarde de mon frêle esquif qu'à mon expérience de capitaine chevronné et à celle d'un équipage dévoué et attentif...

Il est amusant de constater à quel point certaines analogies sont adaptées. Celle-ci, qui s'est imposée à moi après une nuit agitée -traditionnelle je le suppose chez les directeurs d'école en fin d'année scolaire-, est peut-être drôle mais reste néanmoins très proche de mes réalités quotidiennes, celle d'un directeur d'une petite école maternelle, soutenu par sa municipalité mais ébranlé par les soubresauts du système scolaire.

Puis-je dire que l’Éducation nationale, depuis plusieurs décennies, a coupé les ailes de ses commandants de navire? Pour une analogie maritime, c'est osé. Mais c'est bien de cela qu'il s'agit. Je me sens comme un capitaine mésestimé, mal rémunéré, et surtout sans aucun pouvoir reconnu, ni administrativement ni juridiquement ni socialement. Je n'ai aucun choix -ou si réduit- pour barrer mon bateau, seule compte la volonté de mon administration, aussi absurde souvent puisse-t-elle être. Je n'ai que l'opportunité d'éviter au mieux le naufrage, et encore ne pourrai-je le faire qu'avec une marge de manœuvre très réduite. Je sais néanmoins que je serai toujours le fusible le plus commode en cas de pépin, ou si la machinerie grippe.

Encore m'estimai-je heureux de ne conduire qu'un caboteur! Combien de collègues commandent des paquebots aux passagers innombrables? On m'a parlé d'équipages qui n'admettent pas d'avoir un capitaine, et qui prétendent qu'un navire de fort tonnage peut fort bien être dirigé collégialement... Ainsi en est-il dans l’Éducation nationale. Notre armateur refuse toujours de se prononcer clairement sur les prérogatives de ses capitaines, et des équipages abusés ou confortés dans leur égoïsme freinent la marche du navire en brandissant une prétendue égalité entre le capitaine et ses matelots... Beaucoup de ces navires vont s'échouer, ou faire naufrage, et le capitaine en sera tenu pour responsable en dépit de toute logique. Car il faut beaucoup de compétence, de force et d'énergie à un directeur d'école pour maintenir la machine à flot en dépit des écueils qu'il rencontre quotidiennement.

Combien de temps les directeurs des écoles publiques françaises devront-ils encore attendre que leur métier, car c'en est un, soit reconnu? Combien de temps faudra-t-il encore pour que la direction d'école ait un statut, reconnaissance juridique, reconnaissance administrative, reconnaissance financière? Ce ne pourra être qu'au plein et entier bénéfice de nos élèves, ces petits français qu'on promène depuis des décennies au gré des états d'âme et des directives les plus diverses. Il faut avancer, Monsieur le Ministre, il faut avancer, avant que l’Éducation nationale, ce monstrueux Titanic, se soit définitivement enfoncée dans les eaux froides et qu'il ne reste plus qu'une épave historique mais qui ne pourra être renflouée.


1 commentaire:

  1. Ayant le même caboteur que vous, et étant dans une situation similaire à la votre, j'ai décidé que le capitaine passerai la main l'année prochaine. Car les 15 derniers jours de juin de ces deux dernières années ont vu le capitaine perdre sa diplomatie légendaire, signe de fatigue.
    Alors le capitaine va se re-concentrer sur son premier métier pendant quelques années et peut être, quand le capitaine de son nouveau (plus gros) bateau sera aussi usé, il y reviendra...ou pas.

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