samedi 21 septembre 2013

Dernières nouvelles du front...


La rentrée a trois semaines, et s'il est trop tôt pour en tirer quelque conclusion définitive, on peut du moins fortement nuancer les appréciations officielles qui nous furent susurrées dès le premier jour par divers ministres, appréciations proches de la méthode Coué et qui m'ont fortement rappelé un sketch célèbre de Dany Boon "Je vais bien, tout va bien!"...

Moi je trouve que c'est le bordel. Mais bon, c'est un sentiment tout personnel, hein. Et puis traînent aussi quelques odeurs nauséabondes qui me gênent un peu...

D'abord, en ce qui concerne les écoles qui sont passées au nouveau rythme de quatre jours et demi, il semble que le système soit franchement bancal, ce qui était logique vue la franche impréparation de la chose. Tout ce fatras, au lieu de diminuer la fatigue des élèves, aurait plutôt tendance à l'accentuer. On verra à la Toussaint, mais pour l'instant c'est plus proche d'un joyeux foutoir que d'autre chose. Ce qui me remet en tête -décidément!-un dessin de Martin Vidberg qui prend aujourd'hui tout son sens (cliquez dessus pour l'agrandir):


Je ne parlerai pas, pour ne fâcher aucun collègue surmené, des emberlificotis amenés par la gestion des temps périscolaires, chaque élève du primaire étant aujourd'hui à se poser dès la fin des cours la question récurrente: "Euh... je vais où maintenant moi?" Passe pour un CM2, mais pour un CP... Mes confrères directrices et directeurs d'école s'amusent avec leurs listes pour savoir qui fait quoi, entre les TAP organisés par les municipalités, les APC organisées par l'école, ceux qui rentrent chez eux, ceux qui vont en garderie... Qu'est-ce qu'on rigole! Je vous le dis, directeur d'école est un métier d'avenir. Gérer les 108 heures annuelles que doit chaque enseignant en plus de son temps d'enseignement est un pur bonheur quand on n'en a aucune maîtrise. Quand le ministre se décidera-t-il à laisser aux dirlos cette gestion au lieu d'intercaler là-dedans des IEN qui ne pannent que couic aux besoins d'une école?

Quoique... Cette gestion, si on tient compte des décharges de direction d'école qui varient au gré du nombre de classes et des besoins des enseignants en formation qui les assurent, des heures à mettre à droite ou à gauche et qui varient aussi selon les dernières directives ou lubies ministérielles -temps de formation à distance sur internet, trois heures à prendre sur les 24 de réunion prévues dans les 108 pour répondre à un sondage sur les programmes dont on se demande bien à quoi il va servir, etc-, et je ne vous dis pas si vous avez un représentant syndical déchargé dans votre école, bref cette gestion est devenue quasi incompréhensible! Je fais pourtant partie des initiés, et je suis très organisé. Mais là... Quel bordel!

Et puis, dans le rayon "odeurs nauséabondes qui empêchent de travailler sereinement", il y a cette histoire de Jacques Risso dont je parlais dans mon billet précédent et qui commence à prendre de l'ampleur. La mobilisation s'organise et commence à largement dépasser le cadre de l’Éducation nationale. La presse et les médias s'y mettent (ici, , ou ), un comité de soutien dans le village de Rustrel se réunit cet après-midi, la blogosphère, où les enseignants pullulent, se mobilise aussi autant pour des raisons pédagogiques que de principe (ici, , ou , là encore, et ici, il faut dire que depuis des années, outre ses dessins, Jacques Risso partage beaucoup de fiches pédagogiques et a aidé beaucoup de monde), comme d'autres enseignants caricaturistes connus sur le net (merci Jack Koch), et même Pierre Frackowiak, célèbre dans le monde de l'éducation, y est allé sur sa page Facebook d'un billet rageur. Ses mots, très durs, méritent d'être cités:

"Jacques Risso, directeur et enseignant expérimenté, dont le travail a été reconnu dans les rapports d'inspection officiels, qui n'a jamais l'objet de sanction, d'avertissement, de menaces formelles, a été suspendu de ses fonctions dans des conditions déplorables. On a mis le feu dans l'école et dans le village et on l'entretient dans des conditions choquantes de la part de responsables du système.

On prétend que la mesure certes conservatoire mais on condamne Jacques Risso, au mépris du travail réalisé au cours de toute sa carrière, au déshonneur et à l'angoisse pour lui et pour ses proches. Le mal est irréparable. On prétend que la mesure n'a aucun rapport avec sa liberté d'expression et ses dessins, mais tout au long de son « dossier KGB » rassemblé à l'inspection académique par une personne qui ne peut être qu'un spécialiste de ces pratiques policières, on lit des critiques de l'expression de ses désaccords avec les politiques mises en œuvre par MM Darcos et Chatel, de son humour considéré comme de la déloyauté et de la désobéissance aux ordres.

Le motif officiel qui n'occupe qu'une petite partie du dossier est une affaire de harcèlement psychologique entre quelques enfants. Je ne conteste nullement la gravité de telles situations complexes et le devoir impérieux de protéger les intérêts de chaque enfant. Mes 30 ans de carrière d'inspecteur et de pédagogue, mes recherches et mes observations sur le fonctionnement du système, me permettent d'affirmer que

1° si tous les directeurs qui rencontrent des problèmes de ce genre et qui font de leur mieux pour protéger et les enfants et l'école étaient sanctionnés comme l'est de fait Jacques Risso, il n'y aurait plus beaucoup de directeurs en poste en France. L'affaire Risso risque fort d'ailleurs de dissuader de très nombreux collègues de postuler sur des postes dont les charges et la complexité n'ont cessé de s'accroître

2° si Jacques Risso a été en difficulté, c'est que ses supérieurs ont failli. Plutôt que de l'accompagner et de l'aider, voire de prendre les choses en mains intelligemment dans l'intérêt des enfants, de l'école et de la communauté éducative, on a eu de cesse de vouloir profiter de ce problème qui peut surgir dans toutes les écoles de France pour régler des comptes. Comme l'a dit une responsable locale, bien mal conseillée au niveau supérieur : « Il se croyait intouchable, cette fois, on va l'avoir » Ce sont ces supérieurs qui méritent d'être sanctionnés pour incompétence et acharnement injustifiable.

On ne l'aura pas.

L'affaire Risso n'est qu'un aspect de cette continuité imposée par un encadrement dont le sevrage avec les politiques ultra libérales autoritaires précédentes est long et difficile.

Nous allons nous mobiliser. Nous allons interpeler le DASEN nouvellement nommé, sans doute ravi d'arriver dans ce magnifique département du Vaucluse, qui n'a aucune responsabilité dans cette affaire mais qui est un peu contraint pas des solidarités de corps et qui hérite d'une véritable bombe. Nous allons alerter le ministère dans les meilleurs délais. Nous allons apporter notre aide aux organisations syndicales qui soutiennent Jacques Risso. Nous aiderons le comité de soutien qui se met spontanément en place malgré la campagne de désinformation organisée en direction des enseignants du secteur."

J'ai retrouvé un vieux dessin de Jacques, datant de 2005, qui ne concernait pas directement évidemment cette histoire, mais qui prend une autre dimension aujourd'hui (cliquez dessus pour l'agrandir):


Je plains, sincèrement, le DASEN du Vaucluse, qui est arrivé pendant les dernières vacances -son arrêté de nomination est paru jeudi dernier seulement au Bulletin Officiel-, et qui se retrouve avec cette histoire absurde sur les bras. Espérons qu'il saura l'arrêter avant qu'il soit trop tard.

Voilà donc les dernières nouvelles du front. Être directeur d'école en 2013 n'est toujours pas une mission enviable. Corvéables à merci, et jetables après usage sans avertissement ni frais, les directeurs d'école restent les rouages incompris mais indispensables d'une machine qui peut broyer sans état d'âme n'importe quel individu. Soyez-en conscients, vous qui voulez remplir aujourd'hui cette pourtant si belle mission, vous serez toujours tenus pour responsables de tout ce qui peut se passer dans votre école, voire au-delà si une administration aveugle a décidé de vous mettre au pas: le diplodocus cherche des serviteurs muets, pas des individualités conscientes et inventives, en dépit de tous les discours sur l'école innovante qu'on nous prodigue continuellement dans les médias. Sachez que par essence votre hiérarchie ne vous fait pas et ne vous fera jamais confiance, du moins tant que la direction d'école n'aura pas été rénovée. Mais j'ai bien peur de faire là un vœu pieux...

3 commentaires:

  1. Concernant la première partie de votre billet sur le sentiment de "foutoir" engendré par la mise en œuvre de la réforme des rythmes, je signale que la chose était prévisible. Si je dis aussi que: "on verra aux vacances de Toussaint", je n'en pense pas moins que des alarmes "professionnelles" auraient pu être faites dès le début de cette affaire.
    Dès octobre 2012 ( je crois) un fil très fourni et argumenté s'est développé sur le sujet sur le forum public du GDID opposant "pragmatiques" à "idéalistes" ( pour faire court ). Je ne suis pas rassuré de savoir que ce sont les seconds, recevant à priori plutôt cette réforme de façon positive qui représenteront les directeurs lors des entretiens qui vont se dérouler sur l'avenir du métier de directeur.

    Thierry Menge

    RépondreSupprimer
  2. Je ne me rappelle pas si dans la discussion que vous évoquez je faisais partie des uns ou des autres, mais me connaissant je devais certainement évoquer les bienfaits que j'y voyais. Je suis d'accord avec le fond, c'est la forme qui m'interpelle, et en particulier l'impréparation totale du système, pour reprendre les termes de ce billet du CI. Je suis plutôt pragmatique, ce qui ne m'interdit pas un certain optimisme. Mais là, je dois bien avouer... En ce qui concerne le GDID, je tiens à vous rassurer, le pragmatisme prévaut dans les revendications. Comment faire autrement quand on connait de l'intérieur la situation des directeurs d'école? Certains membres du bureau passent une partie de leurs soirées à assister des collègues dans une détresse complète, comment l'oublier?

    RépondreSupprimer
  3. Je suis relativement persuadé que le bureau du GDID peut considérer ce "foutoir" comme une aubaine dans la mesure où il tend à souligner la nécessité d'un métier de directeur de l'école comprise comme recouvrant la totalité du temps d'accueil des élèves.
    Au delà des craintes qu'on peut formuler sur l'effacement progressif de l'idée d'enseignant ou sur la privatisation rampante de l'école, le risque serait de nous voir attribuer de nouvelles et lourdes charges en contrepartie de .... ?

    Thierry Menge

    RépondreSupprimer