dimanche 13 octobre 2013

Vive la maternelle !


Ainsi donc le CSP, ou Conseil Supérieur des Programmes, est installé dans ses meubles. Ce n'est pas en soi une nouveauté: Lionel Jospin avait créé en 1989 un Conseil National des Programmes qui fut supprimé en 2005 par François Fillon; la "droite" considérait les programmes scolaires comme un enjeu hautement politique et stratégique et préférait remettre la main dessus sans permettre à aucun professionnel de seulement imaginer pouvoir les discuter. On en a vu le résultat déplorable par la suite...

Le premier labeur du CSP consistera normalement à dépouiller les consultations venues de la base, soit des enseignants du primaire, pour élaborer de nouvelles directives qui seront proposées à la critique en juin 2014. La tâche ne sera pas simple. D'autant que la composition du CSP laisse rêveur un praticien de terrain comme moi:

  • six parlementaires;
  • deux représentants du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) -qu'est-ce qu'ils connaissent de l'école primaire?- dont une est responsable d’ATD-Quart-monde -ah? Bon...- et l'autre un ancien responsable du Comité national olympique et sportif français -je ne vois pas...-;
  • quatre chercheuses et chercheurs, notamment dans les domaines scientifiques -difficile d'échapper à cette engeance qui dit rouge un jour et bleu le lendemain-;
  • deux Inspecteurs généraux, représentants de « l’Institution » -légitimes, certes, mais jusqu'à présent on ne peut pas dire que ces gens-là aient brillé par leur compétence en ce qui concerne l'école primaire-;
  • deux personnalités présentes dans toutes les commissions et conseils depuis vingt-cinq ans;
  • deux personnalités ayant exercé des responsabilités syndicales, l’une au SNESUP à l’IUFM de paris, l’autre au niveau national au SNES...

Vous auriez aimé y voir des instits ou des directeurs d'école? Soyons sérieux, voyons. Ce qui était le plus important était manifestement que cette instance soit sexuellement paritaire et civilement équilibrée, et c'est le cas, pas qu'elle soit compétente. Mais je suis mauvaise langue, et laissons le savant cocktail du CSP commencer son boulot sans être d'emblée négatif. Mais on a le doit d'être dubitatif.

Reconnaissons tout de même que dans sa "lettre de commande" le ministre a laissé la porte ouverte:

Afin de mener ces différentes réflexions, vous aurez toute latitude pour rencontrer les personnes et les organisations susceptibles d’éclairer votre réflexion, les organisations syndicales, les associations de professeurs spécialistes, les inspections générales ou les sociétés savantes, ainsi que des représentants des directions (notamment la direction générale de l’enseignement scolaire et la direction de l’évaluation, de la performance et de la prospective), mais aussi les représentants des usagers du service public de l’éducation ou d’autres administrations ou institutions y concourant, si vous le jugez utile.

Il vous appartient de choisir les membres des groupes d’experts que vous souhaiterez mettre en place. Vous pourrez faire appel à l’expertise de spécialistes (universitaires, chercheurs, inspecteurs généraux, etc.) et associer des acteurs de terrain. Sur ce dernier point, les recteurs d’académie sont à votre disposition pour faciliter la participation d’inspecteurs territoriaux et d’enseignants à ces groupes. Je souhaite que vous veilliez tout particulièrement à la représentation de la diversité des compétences et positions sur les sujets au titre desquels vous mandaterez ces groupes.

Je ne sais pas qui le CSP se donnera la peine d'inviter ou de consulter, mais gageons qu'il y aura pour élaborer les programmes du primaire plus de recteurs et d'inspecteurs généraux que de professeurs des écoles. Et puis, la présence des SNES et SNESUP dans cette instance...

Je me sens bien caustique ce matin. Peut-être la fatigue accumulée depuis un mois et demi me rend-elle cynique. C'est d'autant plus injuste pour le CSP qu'il devra commencer par les programmes de l'école maternelle, qui me concernent au premier chef moi qui suis directeur de ma petite structure semi-rurale bien chargée de ses plus de soixante élèves entre trois et cinq ans pour deux classes. Je vais avoir les oreilles qui sifflent, comme on dit, car qu'est-ce qu'on va causer de moi ces prochaines semaines et prochains mois!  Trois fois dirai-je: une première fois comme directeur d'école dans les discussions et négociations entamées que j'espère voir aboutir à un mieux-être et à une reconnaissance juridique et institutionnelle pour nous autres esclaves du système; une seconde fois comme enseignant de maternelle qui espère voir reconnaître la place particulière et primordiale de son niveau d'enseignement; et même une troisième fois quand j'attends du ministre qu'il réécrive une mouture des nouveaux rythmes de l'école qui prenne en compte les enfants entre trois et six ans dont la fatigabilité et les intérêts n'ont rien à voir avec ceux d'enfants plus vieux.

Les discussions sur la direction d'école sont sur les rails. Nous ne verrons peut-être pas de statut, hélas, mais certainement une reconnaissance de l'importance de notre rôle et une distinction de nos compétences et prérogatives. Ce sera un début.

Les programmes de l'école maternelle devraient nous rendre notre place. Nous restons méprisés encore par nos collègues de l'élémentaire, si j'en crois ce que j'entends et perçois même dans ma commune, et ignorés par les professeurs du secondaire pour lesquels nous sommes un menu fretin sans intérêt ni importance. Il est largement temps que le travail et les résultats de l'école maternelle soient mis en avant, comme il est temps qu'elle soit recadrée tant les excès et abus divers ont proliféré depuis quinze ans. Nous sommes passés d'une école maternelle laxiste mais épanouissante à une école maternelle primarisée à outrance dans ses fonctionnements et outrageusement évaluatrice. Il est certainement possible de trouver un juste équilibre entre apprentissages et épanouissement personnel, en favorisant surtout la confiance en soi et l'autonomie. C'est ce que je tente de faire quotidiennement dans ma classe, que je tiens six heures par jour, avec un certain succès je l'écris sans en être plus faraud pour autant tant je suis persuadé que nombreux sont mes collègues sur la même longueur d'onde. Vive la maternelle! Et puis au passage on pourrait changer ce nom d'école "maternelle" -maternante?- pour celui de "Première école", car c'est bien de cela qu'il s'agit pour nos élèves et c'est bien ainsi qu'ils la ressentent.

La réécriture des nouveaux rythmes scolaires sera une nécessité. Les difficultés qui sont apparues dans leur application récente, pour les communes qui les appliquent depuis cette rentrée, viennent quasiment toutes de la maternelle. C'est logique, quand on considère que le législateur n'a absolument pas réalisé qu'on ne pouvait pas appliquer à un enfant de trois, quatre ou cinq ans, le même traitement qu'à un enfant de dix ans. C'est ainsi que depuis septembre on observe un anéantissement des espaces scolaires spécifiques aux élèves ainsi qu'une négation du lien profond à l'adulte (le partage des classes avec le périscolaire et la succession d'intervenants inconnus ou sporadiques sont des catastrophes pour la sécurité affective nécessaire à la construction individuelle d'un jeune enfant), une négation des temps de retour sur soi et des temps de repos, un allongement de la durée des activités collectives -le comble quand on se rappelle que ces "nouveaux rythmes" étaient sensés alléger la journée de classe!-... Pire, les écoles des communes qui travaillent encore quatre jours doivent tout de même organiser des APC (Activités Pédagogiques Complémentaires), histoire d'ajouter une heure de classe à des enfants qui n'en peuvent déjà plus après leurs six heures habituelles. Voilà bien ce qui se passe quand on ne demande pas à un praticien de terrain la réalité d'un fonctionnement. En attendant ce sont nos petits élèves qui payent, et je me demande bien ce qu'attend le ministère pour ajuster le tir le plus rapidement possible. On va continuer à les crucifier toute l'année scolaire? Sans parler des enseignants qui ne touchent plus terre, je peux en parler en connaissance de cause. Quand je pense qu'en plus je dois assurer ma mission de direction d'école... Allo? Il y a un cerveau là-haut?

Allons, je dois rester zen -pas le choix de toute façon-, rassurer mes élèves et les cajoler du mieux que je peux tout en les accompagnant dans leur acquisition de compétences, de connaissances et d'autonomie, et soigner le rhume qui ne me lâche pas depuis un mois. Les élections sont bouclées, une bonne chose bien lourde. Il me reste à organiser mon premier Conseil d'école de l'année scolaire, en me dopant un peu pour ne pas bafouiller de fatigue. Et il me reste aussi à espérer -espérer qu'on va arrêter les âneries irréfléchies, reconnaître ce qui doit être reconnu, réécrire ce qui doit être réécrit, rectifier ce qui doit être rectifié-, sans toutefois me faire trop d'illusion: mes trente-cinq ans de carrière de toute façon me l'interdisent.

2 commentaires:

  1. Instit depuis plus de 20 ans en Maternelle, actuellement en Petite Section , je partage de bout en bout votre point de vue. Que de bon sens ... Et pourtant ...

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  2. Un seul commentaire en 11 mois, pour ce brillant "coup de g." quand on sait que "tout ce joue avant 6 ans". Vraiment, c'est sidérant. Je vais au moins relayer sur Twitter et Google +

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