L'enseignement public fait depuis deux semaines la Une de tous les médias, avec plusieurs discussions plutôt inquiétantes à mes yeux.
D'abord la réforme des rythmes scolaires qui hors considérations politiciennes continue outre les médias à focaliser l'attention d'un public en attente, car elle n'a pour ainsi dire pas été encore appliquée. Certes un cinquième des communes françaises l'a déjà étrennée, et les échos en sont contradictoires, mais concrètement les 4/5èmes du pays n'en verront la mise en route qu'en septembre prochain. Pourquoi alors un débat aussi virulent? Tout simplement parce que ce retour à cinq matinées de travail s'accompagne d'exigences dont la portée n'a aucunement été mesurée par la DGESCO (Direction Générale de l'Enseignement Scolaire) qui l'a élaboré, et qui vont coûter la peau des fesses à des communes qui ont d'autres chats à fouetter. Les Maires s'inquiètent à juste titre pour leur budget et l’État rechigne à payer de sa poche la monstruosité qu'il a engendrée. Pourtant tout le monde s'accorde à rappeler que la suppression de l'école le samedi matin par Xavier Darcos était une imbécillité poussée du pied par le secteur touristique, ce qui en soit ne me gênerait pas si par la même occasion on n'avait pas sacrifié les élèves sur l'autel du profit. Mettre l'avenir en péril (car l'éducation est un investissement) pour quelques pépettes immédiates, c'est fort de café. Xavier Darcos a disparu du paysage, tant mieux.
Du coup, le nouveau ministre Benoit Hamon est en train de remonter la pendule à l'envers, et bien qu'il se targue de ne pas "détricoter" -ce sont ses mots- la réforme Peillon c'est pourtant bien ce qu'il est en train de faire, il est vrai pour en garder l'essentiel soit les cinq matinées de travail. Pourquoi n'a-t-on pas commencé ainsi, soit simplement, en laissant aux communes le choix d'organiser ou non le temps périscolaire? Il faudrait demander l'explication de ce mystère à un homme qui vient de démissionner, soit M. Jean-Paul Delahaye directeur de la DGESCO jusqu'à il y a quelques jours et véritable concepteur de la réforme. Peut-être daignera-t-il commenter l'actualité dans quelques semaines quand il aura digéré la faillite de sa politique. J'avais accueilli avec faveur sa nomination en 2012, ayant eu la chance de croiser cet homme à la probité reconnue. Puis j'avais déchanté et accueilli avec scepticisme et une certaine aigreur l'idée absurde de vouloir rattacher l'école au collège (la fameuse "école du socle") au lieu de faire l'inverse, cela en occultant allègrement le rôle central des directeurs d'école dans le dispositif scolaire. J'ajoute que M. Delahaye a passé du temps a finalement se battre contre le Ministère dont il était pourtant une pierre angulaire, confortant mon idée que la DGESCO est un obstacle d'un autre âge qui mériterait de disparaître, tant je suis convaincu que l'enflure du diplodocus institutionnel est en grande partie dûe à cette entité qui fait concrètement la politique éducative du pays. On ne laisse pas les choix politiques aux mains de fonctionnaires.
Que va faire M. Hamon? Héritier d'un ministère difficile en proie au doute et enlisé dans des vases anciennes, il n'aura certainement pas la partie facile, d'autant que clairement le Président de la République se désintéresse totalement de la question et ne lui fera aucun cadeau. Je ne vois hélas guère qu'une possibilité: M. Hollande va certainement lui demander de ne surtout rien faire, pour ne pas fâcher une profession échaudée ou circonspecte ni une population dubitative. M. Hamon va s'occuper à flatter des centrales syndicales dont il est politiquement proche, et j'ai bien peur que le statut des directeurs d'école ne tarde pas à passer à la trappe avec le sourire, ou du moins que les menues avancées que le GDiD avait obtenues soient presque intégralement vidées de leur sens.
Triple inquiétude pour le présent donc, avec une réforme des rythmes brinquebalante, un nouveau ministre que nous observons avec circonspection, et une DGESCO qui bien que décapitée et chancelante reste la maîtresse aveugle du système éducatif.
Par là-dessus s'est greffée une polémique ridicule déclenchée par l'inénarrable Fotinos, dont j'avais déjà écrit à quel point il pouvait parfois m'exaspérer. Familier des bonnes intentions (avec lesquelles on ne devrait pas pourtant faire de politique) et des conclusions erronées, M. Fotinos a une fois de plus souligné ces derniers jours la violence à laquelle sont soumis les directeurs d'école de la part des familles. Outre que cette violence -qui existe- n'est pas forcément la plus présente à l'école si on la compare à la violence institutionnelle ou hiérarchique qui lamine les équipes éducatives, voire parfois à la violence interne à ces mêmes équipes, les médias ont eu beau jeu de démonter le manque criant de rigueur scientifique et le peu de valeur de l'étude en question basée sur un panel volontaire à la représentativité aléatoire. Exit donc.
En revanche, la lecture des médias et surtout des commentaires qui sur l'internet suivent désormais systématiquement les articles m'a semblé quelque peu rafraichissante. Effectivement, après avoir lu et entendu pendant vingt ans que les enseignants étaient des "privilégiés", des "nantis", des "feignants" et des "incompétents", j'ai pu récemment constater un retournement de mentalité. On lit désormais que notre métier est difficile, mal considéré, très mal payé, et personne aujourd'hui ne le recommande à ses enfants. On lit que le directeur d'école est un catalyseur des aigreurs et des mécontentements. Tout cela n'est que la stricte vérité. Je me vois soulagé que soit aujourd'hui un peu oubliée la haine dont nous avons fait l'objet durant deux décennies. Soulagé mais très inquiet. Car les candidatures aux divers concours de l'enseignement en font les frais: 10% des places proposées en primaire au dernier concours n'ont pas été pourvues, et le déficit de professeurs en lettres classiques ou dans les disciplines scientifiques prend des proportions démesurées.
J'ai déjà longuement abordé sur ce blog le problème du recrutement; notre pays a besoin d'enseignants, c'est la formation de ses enfants qui est en jeu, et donc l'avenir de la Nation. Nous jouons un jeu dangereux à nous priver de formateurs en général, de formateurs de valeur en particulier si on continue à baisser les exigences aux concours comme nous le faisons actuellement. Mais comment faire autrement? Tant que les conditions de travail ne se seront pas améliorées, tant que nos "traitements" n'auront pas été franchement revalorisés -au moins au niveau de nos voisins-, il y aura pénurie. Les quotidiens sont remplis d'histoires de professeurs frappés par des élèves indisciplinés, ou de familles attendant à la sortie un directeur d'école pour lui casser la gueule. Dans ces conditions, avec le salaire que nous touchons pour un bac+5, comment voulez-vous qu'un jeune adulte s'intéresse à la transmission du savoir ou des compétences... Que dire aussi de la direction d'école? Nous sommes en période de "mouvement" dans le primaire, c'est à dire que les enseignants ou les directeurs peuvent essayer de changer de commune d'exercice, et les demandes de renseignements que je reçois sont typiques d'une époque où c'est le rapprochement du domicile qui compte -ce qui en soit n'est en aucun cas répréhensible- avant l'intérêt pour l'école proprement dite, son projet, ou le travail avec la municipalité. Je le comprends, je le conçois, je l'admets. Sans statut et mal rémunérée, réceptrice de toutes les souffrances, quel intérêt autre que celui de se rapprocher de chez soi pourrait avoir aujourd'hui la mission du directeur d'école? Mais je suis très inquiet. Dans les trois à cinq années qui viennent nous serons très nombreux à prendre notre retraite, il va falloir remplacer beaucoup de profs et de directeurs, dont les derniers à avoir fréquenté l’École normale et non l'IUFM ou l'ESPE, les derniers "instituteurs" à avoir connu une école différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Dans une école primaire déboussolée, cette perte d'expérience va être cruelle. Qui seront les prochains prochains professeurs des écoles? Et surtout seront-ils assez nombreux?
Français, inquiétez-vous. Ce sont vos enfants qui fréquentent nos classes.
Depuis des années, les équipes de circonscription voient leur effectif augmenter régulièrement. Or ce sont des enseignants qui ne sont plus placés devant élèves mais qui sont là pour former les enseignants, impulser des projets, et remplir des tâches administratives. Au début de ma carrière, l'Inspection de composait de 3 ou 4 membres : l'IEN, un secrétaire et 1 ou 2 CPC. Aujourd'hui, il y a 10 membres à temps pleins et 3 membres dilués sur plusieurs circonscriptions. Les projets sont ténus voire inexistants et/ou intéressants, la formation faite parce qu'il faut bien la faire (les fameuses Animations Pédagogiques).
RépondreSupprimerLe curseur a été placé à cette échelon (l'inspection) et de nombreuses ressources humaines y sont affectées. Il faudrait remettre le curseur sur l'école, avec un directeur reconnu officiellement par un statut et diminuer les effectifs des inspections. Ce serait une solution économique pour réformer l'Ecole. Un transfert des Inspections vers la direction des écoles.