dimanche 11 mai 2014

Le temps, ce n'est pas de l'argent...


La DEPP, ou "Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance", une émanation statisticienne du Ministère de l’Éducation nationale, vient de sortir son "Bilan social" pour l'année 2012-2013.

Ce document de 174 pages est comme toujours une mine d'informations précieuses. On apprend des choses surprenantes au détour des pages. Tenez, savez-vous par exemple que l'enseignement primaire compte dans ses rangs 81% de femmes? Elles y sont 270870 pour 63717 hommes... Qu'on me parle de parité, tiens! D'autant que ça ne va pas s'arranger dans les années qui viennent, puisque 35% des hommes de l'enseignement primaire ont plus de cinquante ans. Une autre domaine où ça ne va pas s'arranger non plus, et j'évoquais le problème dans un billet récent, c'est celui de la direction d'école: sur 45564 directeurs d'école près de 74% sont des femmes (il se raconte pourtant que les hommes trustent ces postes-là), et 45% ont cinquante ans ou plus. On va rigoler dans les cinq années qui viennent pour renouveler cette population de directrices et directeurs. Il est largement temps que le ministère prenne les mesures qui s'imposent pour revaloriser la mission et y installer les plus compétents, sinon ça va être un beau foutoir.

Ce qui a attiré l'attention des médias dans ce "Bilan social" sont deux informations rigolotes, l'une concernant les écarts de rémunération aberrants dans le système éducatif public, l'autre le temps de travail déclaré par les enseignants. Ce qui a donné lieu à un foisonnement d'articles de presse plus ou moins fantaisistes, et sur l'internet de commentaires allègrement anonymes et souvent d'une mauvaise foi échevelée.

Le temps de travail m'a particulièrement amusé. La DEPP s'est basée sur une enquête de l'INSEE qui a demandé aux enseignants eux-mêmes le temps passé à leur travail et sa répartition entre temps devant élèves, temps de préparation ou de correction, etc. Je trouve tout cela largement exagéré (cliquez sur l'image pour l'agrandir).


J'aimerais bien par exemple qu'on m'explique les 1h40 et quelques de correction de copies des enseignants de maternelle ou les professeurs d'EPS. Et puis, plus de 44h de boulot hebdomadaire en primaire... Certes nous savons tous que nous passons de nombreuses heures dans nos écoles ou à la maison pour préparer notre travail, le corriger, nous réunir, etc. Mais plus de 44h? A moins d'être grand débutant, ou directeur d'école... Bon, admettons. Ou passons.

Le tableau des rémunérations dans l'enseignement public est très édifiant aussi. Il a en particulier donné lieu à un billet très drôle de Jean-Claude Charrié intitulé "Enseignants... et si on parlait pognon ?", que je vous laisse lire avec jubilation, même si je ne suis pas d'accord avec ses conclusions.

Effectivement je me suis penché sur la question, car on n'est mieux servi que par soi-même, et mon esprit pervers s'est amusé à croiser les informations des deux tableaux, celui des salaires et celui des temps de travail déclarés. C'est édifiant, et finalement moins scandaleux sur certains points que quelques-uns aimeraient nous en convaincre. Voici le mariage de la carpe et du lapin, appréciez! (cliquez sur l'image pour l'agrandir)


Je me suis d'abord amusé à calculer le salaire net mensuel, primes comprises. Les résultats me semblent conformes à la réalité pour le primaire, j'ai donc tendance à les estimer tels également pour le secondaire. Évidemment ce qui saute aux yeux est l'écart de rémunération absurde entre professeurs des écoles et certifiés ou PLP, alors qu'aujourd'hui conditions d'accès au métier et formations sont identiques. Concrètement les enseignants du primaire sont lésés de 400 € par mois, ce qui n'est pas rien. En revanche, en ce qui me concerne, la différence avec les agrégés et les professeurs de chaire supérieure ne me gêne pas: je considère que la Nation a besoin d'enseignants d'élite, avec des titres indiscutables comme le doctorat ou un concours sélectif comme l'agrégation, pour former correctement nos futurs ingénieurs et autres chercheurs, et pour continuer à attirer ces enseignants il faut les payer à l'aune de leurs efforts pour qu'ils ne fuient pas dans le secteur privé. Diminuez leurs émoluments et vous n'aurez plus personne pour tenir ce rôle indispensable.

D'ailleurs si on regarde les trois dernières colonnes de mon tableau pour lesquelles j'ai utilisé les heures de travail déclarées afin de calculer précisément le salaire horaire moyen, on constate que le traitement primes comprises des agrégés n'est qu'un tiers plus élevé que celui des certifiés, ce qui n'a rien de démentiel, et celui des professeurs de chaire supérieure un peu plus du double, ce qui ne me parait pas délirant non plus pour les raisons que j'ai évoquées plus haut. D'autant encore une fois que je suis extrêmement dubitatif quant aux 44h de travail attribuées hebdomadairement aux professeurs des écoles... Ah oui, j'ai extrapolé le temps de travail des professeurs de chaire en le calquant sur celui des certifiés, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas identique.

Non, clairement ce qui me choque dans ce tableau est la différence de rémunération entre certifiés, PLP, et enseignants du primaire. Elle n'a plus lieu d'être aujourd'hui si elle fut justifiée quand conditions d'accès au métier et formation étaient différentes. Et aucun argument ne me convaincra du contraire, qu'il vienne de professeurs du secondaire qui ignorent totalement l'engagement de leurs collègues du primaire ou de syndicats arc-boutés sur leurs privilèges. Je ne parle même pas (si, j'en parle!) du statut inexistant des directeurs d'école, non reconnus et non rémunérés pour leur travail, alors qu'ils sont aujourd'hui de véritables chefs d'établissement aux responsabilités étendues et aux devoirs prégnants. Je le répète, près de la moitié des directeurs d'école vont prendre leur retraite dans les cinq ans, il est urgent d'intervenir, car cette mission de plus en plus complexe et qui nécessite de vraies compétences humaines ne peut être bradée sous peine d'une chienlit généralisée. Et je n'évoque que la retraite, je ne parle pas de tous ceux chaque année plus nombreux qui lâchent dégoûtés cette mission ingrate.

Manifestement, pour le ministère, le temps, ce n'est pas de l'argent. Avec un point d'indice bloqué pour des années, vouloir accueillir chaque année de nouveaux enseignants enthousiastes à bac+5 ne peut plus être qu'un vœu pieux. De moins en moins de candidats se présentent pour remplacer une classe d'âge qui part en retraite, les concours commencent à être soldés faute de combattants, la profession déjà largement féminisée le sera bientôt encore plus tant le seul et dernier attrait de ce métier est celui des vacances scolaires identiques pour parents et enfants. Attention d'ailleurs sur ce dernier point! Le décret Hamon autorise le raccourcissement des vacances d'été, c'est au risque de dégoûter un peu plus les ultimes candidats aux divers concours de l’Éducation nationale! Éducation nationale que je sens chaque année un peu plus bradée alors que le métier d'enseignant est le plus beau métier du monde: quelle plus belle mission peut-on en effet imaginer que celui d'aider à grandir nos enfants?

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