Le psychodrame que les enseignants du primaire viennent de vivre avec cette cacophonie gouvernementale autour de la journée de pré-rentrée est avant tout révélateur de l'état de déliquescence d'un système qui est à bout. Les enseignants n'en peuvent plus des refus, des atermoiements, des changements et retournements de veste à répétition. L’Éducation nationale a besoin de sérénité pour fonctionner correctement, et rien n'est fait pour nous l'apporter.
Deux mots viennent à mon esprit pour définir proprement les causes de la faillite du système, ceux d' "ignorance" et de "mépris".
L'ignorance, c'est d'abord celle de la pyramide institutionnelle, qui du ministre jusqu'aux Directeurs académiques, tous issus de la société civile ou de l'enseignant supérieur ou secondaire, ignorent totalement comment fonctionne l'école primaire. Quand j'écris "totalement", j'utilise ce terme à bon escient: une collègue directrice d'école me racontait comment un DASEN qui avait mis les pieds dans son école maternelle à l'occasion de je ne sais quelle inauguration ou rentrée lui avait demandé de rencontrer son secrétariat pour en saluer les personnels. Dois-je préciser à mes lecteurs que les directeurs d'école n'ont pas de secrétariat, qu'ils sont seuls pour assumer leur mission, et souvent en restant chargés de classe? Notre administration ne comprend rien à nos fonctionnements, mais pire encore n'a aucune idée de leurs contraintes ni de leurs exigences. Ils s'imaginent certainement que nous arrivons dans nos classes les mains dans les poches pour y faire du macramé, et tombent des nues quand on essaie de leur faire comprendre les doutes et les difficultés qu'entraînent un enseignement des compétences et des connaissances à des enfants entre trois et onze ans. C'est le même constat pour ce qui concerne l'administration locale des écoles: autant le secondaire bénéficie de chefs d'établissement qui peuvent y consacrer uniquement leur temps, secondés par un secrétariat et une intendance, avec un réel pouvoir, une vraie reconnaissance, une réelle autonomie de moyens et de choix... et un salaire digne, autant les directeurs d'école du primaire restent la plupart du temps chargés de classe, sans pouvoir ni autonomie ni maîtrise des moyens financiers, sans reconnaissance juridique ni institutionnelle... et avec un traitement indemnitaire indigne. Pourtant de nombreuses écoles comptent autant d'élèves voire plus que certains collèges. Allez comprendre.
Le mépris, c'est aussi d'abord celui de l''institution. Mépris financier pour commencer. Alors que les dépenses éducatives de notre pays sont à un niveau comparable à celui des autres nations de l'OCDE, la France les répartit très mal et investit très peu dans l'enseignement fondamental, tout en serinant à longueur de temps l'importance de l'enseignement primaire. Cette mauvaise répartition se traduit par une disparité de moyens avec par exemple des classes de plus en plus chargées, mais aussi par une disparité géographique, et également par une disparité des traitements alloués aux enseignants. Cette dernière a des raisons historiques, mais aujourd'hui que les enseignants du primaire et ceux du secondaire reçoivent la même formation au même niveau de diplôme, elle est devenue incongrue et discriminatoire. M. Peillon, que le Président de la République a choisi de sacrifier sur l'autel de son confort politique, et que les enseignants du primaire regrettent tant enfin un ministre donnait l'impression de réellement vouloir réformer l'institution, avait commencé à combler ce fossé salarial en accordant aux professeurs des écoles une indemnité semblable à l'ISOE du secondaire, certes moins élevée mais c'était déjà un bel effort vues les difficultés budgétaires de l’État. Que fera M. Hamon, qui ne connait rien au système éducatif? Pour l'instant il semble plutôt écouter les sirènes syndicales du secondaire, et ne donne pas gage d'avoir conscience du problème.
Mais il existe aussi un mépris autre que financier de la part de notre institution. L'enseignement primaire, s'il est ignoré, est aussi méprisé pour des raisons plus obscures et certainement historiques. La plupart des hauts fonctionnaires qui phagocytent les diverses Directions académiques, rectorats, Inspections générales et autres, sont issus de l'enseignement secondaire ou du supérieur, ou viennent d'autres corps, et sont imbus de leur supposée supériorité intellectuelle sur des enseignants qui étaient embauchés à dix-huit ans et ne fréquentaient que l'école normale. Vous croyez que j'exagère? Si seulement! Alors que chez nos voisins une haute considération est accordée par la population et les instances dirigeantes à leurs enseignants du "fondamental", la France se targue de ses élites et n'accorde qu'une attention amusée à ces "instits" supposés feignants, incompétents, syndiqués, trop bien payés pour ce qu'ils font. L'image colportée par les médias, l'internet, ou l'institution elle-même, est confondante d'irréalité comme de cynisme. Elle ne donne pas envie de s'investir, ce que pourtant continuent à faire à fond mais avec de sérieux états d'âme ces "nantis" et ces "privilégiés" pour sortir leurs élèves de la mouise.
Autant dire que la cacophonie de ces derniers jours autour de la journée de pré-rentrée ne va pas améliorer cette image. Car bien entendu si la pré-rentrée est repoussée c'est de notre faute. Que le ministre de l’Éducation nationale ait voulu donner des gages de bonne volonté aux syndicats du secondaire importe peu, nous sommes considérés aujourd'hui une fois de plus comme des profiteurs. Et quand le ministre raconte que c'est la faute au programme de gestion des payes du ministère, qui va le croire? Il faut dire que l'argument est un peu gros. Allez voir expliquer ça à nos parents d'élèves, tiens! Car nous, dans le primaire, nous les voyons quotidiennement, et pas uniquement lors de vagues rencontres trimestrielles de dix minutes comme les professeurs du secondaire.
On peut en parler, des professeurs du secondaire... Je lisais dans certains commentaires d'articles sur le net des déclarations de profs déclarant la bouche enfarinée que cette suppression (avant qu'en fait un simple report des journées soit annoncé... le lendemain) était une excellente chose, car la journée de pré-rentrée ne servait à rien. Nous sommes bien dans l'ignorance. D'abord celle de l'institution qui n'a pas compris que le secondaire et le primaire ne fonctionnent pas de la même façon, et que leurs intérêts peuvent être totalement divergents. Je veux bien croire -si je suis les commentaires que j'ai lus- que les professeurs de collège et de lycée peuvent se mettre d'arriver en sifflotant le même jour que leurs élèves. Dans nos écoles ce n'est pas le cas, et manifestement ces professeurs l'ignorent. La journée de pré-rentrée est une nécessité, pour reprendre contact entre adultes et avec les personnels qui nous assistent -services techniques, ATSEM...-, connaître l'état ultime des répartitions d'élèves, préparer leur matériel et le matériel collectif, organiser tables et chaises, préparer les cahiers... Les directeurs d'école, eux, sont sur le pont depuis plusieurs jours, car il a fallu mettre tout ça au point, inscrire des élèves retardataires ou qui ont emménagé pendant les vacances, répartir le matériel commandé avant les vacances, faire le tour des bâtiments pour en vérifier l'état et faire éventuellement effectuer les réparations nécessaires à la sécurité des élèves, j'en passe et des meilleures. Le directeur y consacre trois, quatre, cinq jours ou plus... pour une seule journée reconnue par l'institution, celle de pré-rentrée, alors qu'il serait bien content qu'on tienne administrativement compte de sa nécessaire présence depuis déjà longtemps. Pourquoi nécessaire? Parce que sans cet investissement bénévole toute l'école primaire française partirait à vau-l'eau. Et que le directeur d'école n'a au fond qu'une seule envie, qui lui a fait en toute conscience choisir cette mission, celle de voir son école "tourner", c'est à dire épargner à ses enseignants toute difficulté pour qu'ils puissent sereinement se consacrer à leur enseignement, voir les élèves heureux et souriants venir à l'école en courant tant ils s'y sentent bien, des familles satisfaites accueillies avec plaisir s'y investir si besoin est.
C'est un travail de longue haleine, qui se prépare bien en amont. c'est bien pourquoi au-delà de l'ignorance je dois bien parler de mépris pour l'école primaire de la part des enseignants du secondaire et de leurs syndicats. Au fond pour ces gens là l'école primaire n'a pas d'importance, ils estiment que c'est à partir de la sixième que se fait tout le boulot, qu'en maternelle on fait la sieste et du coloriage en qu'en élémentaire les enseignants sont des incompétents qui n'arrivent même plus à enseigner les bases de la lecture et du calcul. J'exagérerais encore? Combien de fois m'est-il arrivé de discuter avec des profs du secondaire pour réaliser qu'il ne fallait pas gratter beaucoup pour que ressorte cet état d'esprit! C'est bien aussi l'impression désagréable laissée par les multiples "tweets" de ces derniers jours émanant du SNES ou du SNALC. Je me rappelle cette fable utopique colportée dans les années 70 d'un "grand corps unique" de la maternelle au baccalauréat. Quelle mauvaise blague! Depuis de nombreuses années maintenant tous les enseignants sont à bac+5, reçoivent la même formation au même niveau de diplôme, et la scission perdure. Peut-être faudra-t-il attendre encore quinze ou vingt ans.
En attendant, je ne peux que me contenter de constater les effets pervers de cette décision ministérielle de reporter la journée de pré-rentrée au 1er septembre, et de décaler d'autant la rentrée des élèves. D'abord je l'ai écrit plus haut l'image donnée par l’Éducation nationale est catastrophique. Comme si on avait besoin de ça! Ensuite cette journée qui va manquer à nos élèves devra être "rattrapée", ce qui n'est pas illogique. Le problème est que les écoles désormais travailleront toutes le mercredi matin, ce qui implique que cette journée manquante ne pourra être compensée que par deux mercredis après-midi. S'il était question d'améliorer les rythmes de nos écoliers, bravo c'est réussi, je ne sais pas dans quel état mes élèves de maternelle seront le vendredi soir après cinq journées d'écoles consécutives. Quant à l'état de mes collègues et le mien même... Et puis je suis directeur d'école, souvent le mercredi je pouvais effectuer une partie de ma mission, car étant à la tête d'une petite école je n'ai aucune décharge et dois donc m'occuper totalement de ma classe. Je ferai comment? Préparer le travail de mes élèves n'est pas une mince affaire, gérer mon école en parallèle sans qu'on m'en donne le temps n'est déjà pas une sinécure, me mettre en plus ce genre de bâton dans les roues ne va certainement pas faciliter mon boulot. Qu'on me demande des efforts, tiens, on va être bien reçu. Et puis il va falloir que j'explique tout ce caillon à mes parents d'élèves et à la municipalité qui va devoir aussi changer ses plans pour ses personnels... Je vais m'amuser.
Bref, le dirai-je? C'est n'importe quoi. Nous savons tous que M. Hamon est là pour acheter la "paix sociale" et la garantir à un Président de la République aux abois englué dans ses promesses. M. Peillon en a payé le prix et aujourd'hui rigole bien sur sa péniche. Mais M. Hamon aussi doit trouver la pilule amère avec la volée de bois vert qu'il se prend aujourd'hui suite au cadeau absurde qu'il vient d'accorder au SNES. Crédibilité zéro. Comment négocier désormais tous les chantiers que son prédécesseur avait lancés? Cela d'ailleurs m'effraie quand je sais à quel point certains d'entre eux sont primordiaux pour l'avenir de l'école publique. Ne rien faire, comme Jack Lang en ses temps? M. Hamon à mes yeux a réussi avec cette décision le rare exploit de se mettre à dos d'un seul coup tous les enseignants du primaire ainsi que les familles et les associations de parents d'élèves. Il a accompli la merveilleuse performance de rendre aux yeux du public les enseignants coupables d'une décision qu'ils n'ont pas prise et a rendu le ministère ridicule. Sa propre image... Car si j'y ajoute l'excuse lamentable d'un logiciel de gestion défaillant, nous touchons le fond. Vous me direz qu'il suffira d'un coup de pied pour remonter. Non, l'école dont le bateau coulait est définitivement en train de se noyer. Requiescat in pace.
Prof en EREA, je suis tout autant navrée que vous de cette mesure en décalage totale avec les réalités du métier. Dans mon établissement les deux jours de pré-rentrée (car nous utilisons également notre journée de solidarité), sont plus que nécessaires et bien souvent insuffisantes, car nous les utilisons en grande partie pour préparer les activités spécifiques des journées d'accueil de nos élèves, entamer le travail d'équipe et la formation des nouveaux personnels débarquant bien souvent sans connaitre les EREA, la mise en place des projets (avec la paperasse qui va avec !) et bien entendu l'organisation matérielle de nos classes. De même , cette année, entre les ponts et le rattrapage du septembre, nous allons travailler 4 mercredis après-midis ! Déjà que nos ados ne sont pas fans des cours, laissez-moi vous dire que ces heures supplémentaires sont littéralement de la maltraitance, pour eux et pour nous !
RépondreSupprimerOui, hélas nous sommes bien dans la même galère. Et effectivement nous arrivons à la limite de la maltraitance.
RépondreSupprimerJe croyais que c'était juste de la bêtise et de personnes qui n'attendent pas les vraies déclarations pour relater ce qui fera parler ou vendre... A force d'avoir peur de tout, on devient de vieux cons....
RépondreSupprimer