mercredi 4 juin 2014

Tombés au champ d'honneur...


C'est l'hécatombe.

Parmi les chiffres que nous communique annuellement le ministère de l’Éducation nationale, il y en a un que nous n'aurons jamais, c'est celui du taux de renouvellement des directions d'école. Combien de directrices, de directeurs, abandonnent chaque année leur mission? Considérés comme des sous-fifres gestionnaires par notre administration qui n'a aucune idée de l'importance de notre rôle, nous sommes également semble-t-il facilement remplaçables, il y aura toujours un tâcheron qu'on mettra à notre place, contraint et forcé si nécessaire.

Je ne vois autour de moi en ce moment, période de "mouvement" (soit le choix que les enseignants peuvent faire de travailler dans telle ou telle école), que départs plus ou moins volontaires. Une multitude de départs! A un point que rarement je pense je n'avais observé. Pour plusieurs raisons.

D'abord les départs en retraite, dont je sais -j'en ai déjà parlé ici- qu'ils vont se multiplier ces deux ou trois prochaines années. Les conditions de retraite se sont durcies au point que de nombreux collègues, pour ne pas subir une décote énorme, ont repoussé la leur de plusieurs années. Entre 2003 et 2013 l'effet en a été phénoménal. Et cela se paye aujourd'hui. Je leur souhaite une retraite longue et heureuse. Mais ne nous leurrons pas; quand un vieil enseignant s'en va, quand un vieux directeur quitte sa direction, c'est une perte gigantesque d'expérience pour notre profession. On sait les effets dévastateurs que cela a eu dans les entreprises il y a une trentaine d'années quand celles-ci ont commencé à licencier leurs employés les plus anciens qui leur coûtaient disaient-elles trop cher, avant de réaliser que c'était la culture d'entreprise et une expérience irremplaçable qui fichaient le camp. Cela aura le même effet dans l'éducation, et nous n'allons pas tarder à en payer le prix. Le ministère du moins, moi je m'en fous. Mais quand on a comme moi passé trente-cinq ans dans le métier et qu'on aime l'école publique, l'idée fait mal quand même.

Il y a ensuite ceux qui prennent la fuite. En ce moment les mauvaises nouvelles tombent comme feuilles en automne. Ils sont nombreux les collègues estimables dégoûtés qui préfèrent se replier dans d'autres sphères, redeviennent adjoints -plus de bureau, plus d'injonctions idiotes, plus d'Affelnet ou de d'' "Arc-en-ciel", plus de paperasse, que les gosses!- ou embrayent sur d'autres missions mieux considérées en passant par exemple les concours internes de "chef d'établissement", ou partent enseigner au collège ou en SEGPA. C'est souvent à la suite d'une histoire déplorable qu'ils préfèrent abandonner, quand leur intégrité ou leur responsabilité a été mise en doute par leur propre administration, leur municipalité, leur soi-disant "équipe", ou encore des parents d'élèves qui depuis qu'ils sont entrés dans les écoles en 1977 -année de création des Conseil d'école- y ont peu à peu pris le pouvoir pour y faire entrer leurs diverses idéologies, part-pris, obsessions, égoïsmes...  L'enfant est devenu le centre de la vie familiale, tout doit lui être soumis, y compris les structures sociales. C'est la voix de l'enfant qui est prise en compte, y compris par l’État, et les familles sont prêtes à tous les bras de fer avec l'école jusqu'à obtenir gain de cause contre des directeurs et des enseignants que l'institution méprise et refuse de soutenir, souvent par lâcheté. Et quand ce n'est pas le fonctionnaire lui-même qui pour sa santé morale et physique préfère s'échapper, c'est l’État qui se charge d'abattre l'élément qui trouble sa longue sieste, comme il a pu le faire pour Jacques Risso que les rodomontades syndicales, si elles lui ont soutenu le moral, n'ont finalement pas aidé du tout puisqu'il a pris tous les coups au point d'avoir été démis de ses fonctions et viré de son école. Triste constat que ces départs, ces fuites au sens propre du terme, car qui directrice ou directeur pourrait se targuer d'être à l'abri de la moindre agression -institutionnelle, parentale, municipale...-, jusqu'à l'agression physique?

Quand les directeurs d'école ne partent pas suite à une injuste remise en cause, c'est le dégoût qui les fait abandonner leur pourtant si belle mission. Dégoût face à une administration qui malgré les beaux discours n'a pas changé d'un iota la charge de travail: paperasserie diverse et inutile qui double tableaux multiples et redondants à remplir "en ligne", courriels continuels et comminatoires, injonctions et menaces, surveillance policière, qui s'ajoute à une charge de travail local de gestion d'école qui a cru de façon exponentielle avec l'arrivée des PEDT et des "nouveaux" rythmes scolaires, et qui s'ajoute aussi pour la plupart des directeurs d'école à la charge d'une classe, souvent à plein temps. Comment ne pas jeter l'éponge? Avec l'âge, avec l'expérience, on peut parfois s'en sortir -pas par le haut-, en se concentrant sur l'essentiel. Mais payés et considérés comme le sont les directeurs d'école, je comprends qu'on préfère foutre le camp. Pour moi que de regrets! Pour ceux qui partent, comme pour l'expérience qui disparait.

J'entends le ministre qui nous parle de "lutter contre les inégalités sociales à l'école"... J'entends tous ceux qui par conviction ou par intérêt nous vantent les mérites du "numérique" à l'école... Mais qui va encadrer et organiser cette "lutte", gérer, entretenir ces fameux ordinateurs en espérant avoir un minimum de formation? Qui va devoir ajouter tout ça à la somme inflationniste de ses devoirs? Sans être reconnu, sans seulement avoir un statut, sans être honnêtement rémunéré, sans seulement exister administrativement, institutionnellement, juridiquement...

Les directeurs d'école sont au bout du rouleau. Merci à tous ceux qui ont tenu jusque là, merci à tous ceux qui aujourd'hui tombent au champ d'honneur. Moi je ne vous oublierai pas.

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