Nous avons dans les écoles l'habitude des rumeurs. Il faut dire que longtemps fermées aux familles, elles furent un lieu secret auquel les parents d'élèves n'avaient pas accès, situation propice aux médisances de trottoir. Aujourd'hui encore si certains bruits se propagent c'est souvent la preuve d'un défaut de communication de la part de l'école et en particulier de sa directrice ou son directeur. Je ne saurais trop recommander à mes jeunes collègues qui débutent dans notre difficile mission de direction de beaucoup parler et beaucoup expliquer pour couper court à toute velléité de commentaire malveillant.
Il reste néanmoins parfois qu'une personne mal intentionnée parvienne à répandre des rumeurs malfaisantes, malgré les efforts d'un directeur d'école. Contre cela il n'y a guère à faire, sinon rapidement porter plainte et se faire assister d'un avocat -l'assurance professionnelle est dans ce cas particulièrement bien venue-. D'autant que souvent ce n'est pas l'école qui est visée mais bien le professionnalisme des enseignants ou du directeur... voire leur vie personnelle.
En revanche, lorsqu'il s'agit des médias, c'est l'école dans son ensemble et son intégrité qu'on cherche à toucher, à blesser ou à discréditer. Des scribouillards peu scrupuleux, de plus souvent inaptes à l'écriture, incultes et illettrés, écrivent au mètre de pseudo-articles truffés d'approximations et de mensonges, dans le but avoué de faire de la copie et de toucher de substantielles piges. Comme par nature la presse a pour vocation de flatter les plus bas instincts -car quoi de plus vendeur qu'une accroche du style "L'école en faillite" ou "L'instit était pédophile"-, elle tend à exalter sur trois colonnes les erreurs ou les faits divers, quitte à colporter à son tour les rumeurs imbéciles et non vérifiées, et à universaliser les paradigmes locaux. Paris, c'est la France, et ce qui se passe ou se dit à Paris forcément se passe et se dit dans tout le pays.
Avec un suivisme effarant tous les organes de presse reprennent avec une touchante unanimité les racontars et les bobards les plus ahurissants. C'est à qui sortira le premier une imbécillité sur notre métier, qui sera reprise intégralement partout. Dans cette optique internet, que je loue quotidiennement pour son intérêt documentaire, a fait un mal profond à l'information -au sens noble du terme- en privilégiant la vitesse au détriment de la réflexion, la quantité au détriment de la qualité. La page internet doit être pleine, et constamment renouvelée pour faire revenir le pékin. Mon titre compte trois erreurs d'orthographe par ligne? Pas grave, de toute façon dans cinq minutes une autre "information" (ou ce qui en tient lieu) aura pris la tête de la gondole. Oui, comme dans les grandes surfaces, l'information est devenue un bien de consommation aussitôt lu aussitôt digéré aussitôt chié.
C'est une catastrophe pour l'école. Nos gouvernants, assujettis aux organes de presse et aux sondages qui les concernent, ne visent plus à exercer leur mandat avec la sérénité et la projection qui seraient nécessaire, mais à ce qu'on parle souvent d'eux et de préférence en bien, quitte à renier sans vergogne leurs prétendues convictions, ou à changer d'une semaine sur l'autre leur fusil d'épaule, reniant un jour ce qu'ils ont loué la veille, ou changeant d'avis comme de chemise. L'école a besoin de temps, un temps qui n'est pas celui de la mode ou de la politique. L'école ne peut pas fonctionner sans savoir précisément quel est son objectif, et c'est un objectif à moyen terme de dix ou quinze ans, qui ne peut se satisfaire des atermoiements ou renonciations. L'école n'est pas en campagne électorale, elle, l'école forme et construit des individus, futurs citoyens, futurs mères ou pères; l'école construit l'avenir, pas le présent.
Cette frénésie d'information est évidemment un boulevard pour les extrémismes et les bas instincts, pour les projets pervers, pour les communautarismes désolidarisateurs. On le voit très précisément depuis quelques mois, quand les groupuscules les plus divers ou certains élus aux objectifs inavouables tressent des mensonges éhontés repris sans recul par les médias: l'école enseigne la masturbation, les nouveaux rythmes scolaires sont une catastrophe généralisée, les enseignants font l'école buissonnière, les professeurs sont incompétents, ou embauchés par pôle-emploi sans titre universitaire, ou... Chaque jour apporte son lot d'approximations, de désinformation, de singularités qu'on généralise à toute la Nation.
Ce n'est pas pour les enseignants qui se décarcassent quotidiennement une situation confortable. Comment travailler sereinement dans ces conditions? Comment admettre, alors que nous tâchons tous de sortir de la mouise nos élèves en difficulté, que notre professionnalisme ou notre implication soient quotidiennement bousculés, mis sur la sellette, discutés, niés, remis en cause? Comment travailler avec des injonctions institutionnelles qui font du yoyo? C'est ô combien démotivant, fatigant, lassant. C'est aussi un bon prétexte, parfaitement compréhensible, pour un repli sur soi démobilisateur et destructeur.
A une époque les portes de l'école ont été ouvertes. On a voulu faire croire aux Français qu'ils avaient leur mot à dire sur l'enseignement apporté à leurs enfants. Comme s'ils y comprenaient quelque chose! Chacun son métier, et les vaches seront bien gardées. Quand je lis dans une pétition relayée par un média qu'il faut "exiger" ceci d'un directeur d'école ou "interdire" cela à un enseignant par communautarisme ou intérêt politique, quand j'apprends que des parents d'élèves s'amusent à retirer leur enfant de l'école certains jours sous des prétextes ahurissants ou parce qu'une activité scolaire ne leur convient pas, je pense que nous sommes tombés bien bas. Notre école régulatrice et assimilatrice a été proprement castrée.
Bien sûr parfois cela peut aussi nous servir. Plus personne aujourd'hui ignore que les professeurs des écoles sont très mal payés. Plus personne aujourd'hui ignore que notre métier est effroyablement difficile. Mais le prix à payer pour que la société prenne conscience de ces réalités est tel que je crois qu'il n'était pas bon d'ouvrir la boîte de Pandore. Je ne crois pas que l'école s'en remettra facilement. Oui, l'enseignement est affaire de spécialistes, et en premier lieu viennent les enseignants, et les directeurs d'école. Mais s'il en est dont on ne prend jamais l'avis, ou sinon pour amuser la galerie et faire accroire à un fonctionnement démocratique, ce sont bien les praticiens de terrain. Ce ne sont pas des "consultations" qui vont conforter les enseignants dans l'idée qu'ils maîtrisent le destin de l'école, alors que son fonctionnement pyramidal et jacobin reste d'actualité. On l'a bien vu lors du choix des journées de "consultation" par les recteurs... Que d'erreurs! Que de maladresses! Quelle image pour l'école...
Je crois bien qu'aujourd'hui le premier désir des enseignants, du primaire au moins, c'est qu'on nous foute la paix. De l'air! Qu'on arrête de parler de nous, de nous prendre comme témoins ou responsables de la déliquescence de cette Nation, qu'on arrête de nous prendre comme otages des projets les plus divers et les plus pervers. Marre. Moi je continue à travailler, à faire de mon mieux pour mes élèves malgré les changements de cap et les obstacles. Le reste...
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