samedi 4 octobre 2014

Planter l'attente...

Je l'ai écrit plusieurs fois ces dernières semaines, la rentrée a été difficile. Un quart des directeurs d'école de France a essuyé l'année dernière les plâtres de la réforme des rythmes scolaires, et cette année les autres dont je suis ont à leur tour goûté les joies d'une organisation municipale parfois brinquebalante. Je fais partie de ceux qui n'ont pas à se plaindre, mais alors qu'une rentrée est déjà toujours un moment compliqué, énergivore et chronophage, y ajouter cette couche de boulot n'a pas amélioré les choses.

Puis il y a les élections des représentants des parents d'élèves... Du temps -encore-, de l'énergie gaspillée -encore-, puis de l'argent pris sur le budget quelquefois limité des écoles, sans compter l'inénarrable ECECA qui nous pend au nez, histoire de compliquer un peu plus ce qui n'était déjà pas simple. Vous avez un scanner dans votre école, vous, pour numériser votre procès-verbal? Tant mieux pour vous, ce n'est pas le cas partout. J'espère qu'il fonctionne. Mais il est vrai que les signatures des participants au dépouillement sont indispensables... Imprimer un feuillet vierge et le remplir à la main puis le poster devait être trop compliqué. L’Éducation nationale est décidément championne pour nous pondre joyeusement en interne chaque année un nouveau GML.


Uh? Ah oui, un GML pour moi c'est un Générateur de Merde en Ligne. Comme le fut Base-élèves pendant plusieurs années -ça va mieux maintenant, soyons honnêtes-... Vous avez tenté d'imprimer les étiquettes pour les élections avec BE? Ah ah ah! Inconscient! Je n'évoque que pour me marrer la beauté des documents obtenus, aussi ravissants que ce qu'on imprimait il y a vingt ans avec les imprimantes à picots. GMML, Générateur de Merde MOCHE en Ligne.

Connaissons-nous quelque progrès, si minime soit-il? Oui, des avancées dans le régime des décharges... Bon, je passe de deux jours/an à quatre (septembre et juin), avec ma petite école. Je l'avoue, je n'ai rien  à faire le reste de l'année, je suis connu pour me tourner les pouces d'octobre à fin mai. Je me demande bien pourquoi j'ai un bureau, tiens, et ce qu'y font tous ces documents qui quotidiennement s'y empilent, certainement juste pour la décoration. Méthode Gaston, la poubelle n'est pas loin, c'est aussi facile que dans mon logiciel de courriel.

On m'a aussi enlevé des heures d'APC. De toute façon j'étais bien obligé de les filer à d'autres, notre administration s'ingéniant à me dénicher chaque semaine des documents urgents "c'est pour avant-hier dernier délai". Soulignons pour l'anecdote que comme d'habitude notre hiérarchie pense que les directrices et directeurs des "petites" écoles n'ont rien à faire de leur fin d'après-midi. Comme si nous n'avions pas TOUS besoin de temps.

Il parait qu'on m'a légèrement augmenté mon indemnité. Rien vu. La période n'est pas pécuniairement aux réjouissances entre impôts divers, charges, dépenses imprévues et autres augmentations surprises... On va se marrer avec le budget 2015. Vous arrivez à mettre des sous de côté? Vous avez bien de la chance. Ou alors il faut que vous me donniez des cours de comptabilité familiale.

Alors? Alors nous attendons. Tel sœur Anne, je poireaute dans mon coin en ne voyant que l'herbe qui ver... euh non, qui jaunit, il a peu plu par chez moi. Je poireaute en contemplant les tableaux Excel et autres mignardises à remplir pour une hiérarchie qui n'a renoncé à rien de ses exigences. Le choc de simplification n'a clairement été qu'une pichenette vite oubliée. C'est même pire que l'année dernière. Je vais de nouveau devoir faire le mort en espérant qu'on m'oublie. Faire le mort, c'est ne remplir aucun tableau, faire l'étonné si on me le réclame: "Ah bon? Vous croyez? Je ne l'ai pas renvoyé, ce tableau de la mort qui tue? Ah ben je vais regarder, désolé, une défaillance momentanée, je vous envoie ça..." et puis remplir le document n'importe comment avec n'importe quoi qui fera plaisir à l'institution, histoire de ce débarrasser d'un truc-machin inutile qui bouffe de l'énergie pour ensuite dormir dans un classeur gonflé de temps perdu. Que voulez-vous, mes élèves m'attendent, ils sont certainement à mes yeux plus importants et plus précieux que ces prétendus devoirs du directeur d'école de suivre les injonctions les plus idiotes de sa hiérarchie.

Je ne suis même pas révolutionnaire quand je vous raconte ça. Je suis persuadé que nous sommes nombreux à faire la même chose chacun dans notre coin. Nous aimerions tous avoir une école plus efficace, performante, nous aimerions tous que tous nos élèves réussissent. Mais comment concilier ma fatigue avec ces tâches inutiles qui ne font en rien avancer le schmilblick? Je suis crevé, là, j'ai plus besoin de préparer ma classe -à plein temps-, que faire du superflu.

Et on nous en rajoute encore. Nombre d'entre nous sont déchargés par des stagiaires, qu'on nous demande de former alors que nous n'en avons pas le temps. Ce ne serait pas la volonté qui nous manquerait, nous aimerions bien pouvoir les aider, ces petits ou petites jeunes, mais comment faire? Quand j'écris "jeunes" je rigole, j'ai moi-même dans mon école une stagiaire fraîchement débarquée sur une création de classe, elle n'est pas de mon âge mais elle n'a largement plus dix-huit ans comme moi quand j'ai débuté. Bientôt, avec le manque de candidats pour ce métier compliqué et mal payé, nos stagiaires seront cacochymes... Du neuf avec du vieux, comme dirait Robert Scipion (en onze lettres).

On nous demande aussi d'encadrer la "réflexion" sur le "socle commun" ou les programmes de la maternelle. Nous savons faire, et en plus c'est sur le temps de travail devant élèves. Mais qui va se taper la synthèse? Devinez mes chéris! Et puis nous devons expliquer aux familles que leur enfant n'aura pas classe, merci du cadeau...

Oh, je sais bien, je vois bien, je suis persuadé que ce gouvernement est sincère dans sa volonté de changer notre travail. Plus certainement que le guignol mal rasé qui nous revient de ses vacances en Italie dans la richissime famille de son épouse. Lui de toute façon l'a dit il y a quelques années et le répète aujourd'hui, il veut virer tous les fonctionnaires. Oublions-le, il ne mérite pas plus. Mais sincère ou non, le gouvernement reste dans un atermoiement qui me tue à petit feu. Nous avons eu trois ministres de tutelle cette année! Trois! Cela n'aide certainement pas à respecter un calendrier qui pour nous sur le terrain nous semble pourtant si important. Tout traîne, s'étire, se délite... En plus les élections professionnelles approchent, et du coup nos gouvernants ne veulent pas faire d'ânerie et choisissent l'expectative, en se disant qu'après les élections ils pourront peut-être avancer plus sûrement avec leurs partenaires syndicaux. C'est humain, c'est juste. Mais ça rallonge la sauce avec laquelle les directeurs d'école sont aujourd'hui accommodés. On ne sait jamais, imaginez que le SNU ou FO ou SUD gagnent en importance dans leur représentation syndicale nationale... Ces adversaires déclarés d'un statut pour les directeurs d'école verraient d'un mauvais œil toute avancée dans ce domaine, et freineraient le travail d'un ministère aux abois. Alors en attendant c'est "wait and see" jusqu'en novembre pour Mme Vallaud-Belkacem.

Bref, je crois qu'il est inutile d'attendre quoi que ce soit pour les directeurs d'école avant 2015. En 2012 j'écrivais "pas avant 2013", en 2013 "pas avant 2014", aujourd'hui... Il y a de quoi déprimer. Heureusement, je le dis je l'écris je le répète, il y a les poignées de main franches de mes parents d'élèves, les bisous de quelques mamans que je connais depuis longtemps (j'ai eu les grands frères, les grandes sœurs qui adultes me sautent au cou quand elles me voient...), et surtout les sourires entiers, édentés et clairs de mes pitchounes qui me cassent les oreilles et les pieds mais qui justifient chaque jour, chaque heure, chaque minute, ma présence et mon travail à leur service. Alors je peux peut-être encore attendre. Mais faites que ce ne soit plus trop long, parce que je craque chaque année de plus en plus vite et de plus en plus tôt...

2 commentaires:

  1. Directrice d'une école de plus de 340 élèves, demi-déchargée, désireuse de faire au mieux mais aussi de préserver ma santé mentale, j'avoue que je "bâcle" le travail de la classe et de la direction. Dimanche, je vais préparer le débat sur le socle commun parce que bien sûr, ce sont les directeurs qui vont animer. Je crois qu'on se moque de nous.

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    1. Et bien moi, directrice d'une école de 200 élèves, c'est le débat sur le socle que je vais bâcler. Je n'attends rien de cette nouvelle réforme et n'ai pas envie d'y consacrer le peu d'énergie qu'il me reste, usée jusqu'à la corde par les injonctions multiples de ce début d'année.
      Ce que je vois : un bateau qui coule inexorablement et des enseignants qui écopent avec l’énergie du désespoir pour sauver leurs élèves.

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