Je n'aurais jamais imaginé que l’École puisse être un jour considérée comme l'ultime refuge de la démocratie. Depuis les attentats de début janvier je n'entends parler que d'école, d'instruction civique, d'intégration par la langage... Incroyable!
Moi qui ne milite depuis des années que pour qu'on nous foute la paix, voilà que toute la France soudain s'intéresse à mon boulot, gouvernants en tête. Clairement l’État et la Nation sont dans une telle déliquescence, une telle perte de repères, une telle incapacité à agir, que l'unique asile disponible est l’Éducation nationale. Cet organe hypertrophié devient aujourd'hui l'alpha et l'omega de la sauvegarde du pays et de ses valeurs.
Je l'écrivais dans un précédent billet, cela a un côté rassurant: finalement la phénoménale capacité du milieu enseignant à freiner des quatre fers lorsqu'on veut lui imposer un truc rassérène aujourd'hui tout le monde. Nous ne bougeons que peu, voilà notre force. Mettons-nous à l'abri du mammouth, dont la masse nous sécurise et le poil épais nous réchauffe.
Si c'est rassurant, c'est tout autant inquiétant. Une fois de plus nous entendons une vieille antienne: l'école peut tout, c'est par l'école que passe tout, c'est à l'école qu'il faut tout faire. Je m'élève évidemment vigoureusement contre de telles idées. L'école ne peut pas tout à la fois remplir sa mission d'enseignement et servir de parent putatif, d'assistante sociale et de palliatif aux défaillances sociétales. Vive la pensée magique! L'école peut tout? Non. Sinon j'en saurais quelque chose. Alors quand j'entends depuis un mois Président de la République, Ministre de l’Éducation nationale et autres joyeux drilles nous servir quotidiennement une soupe insipide de conseils malavisés, de recommandations inutiles ou d'annonces dont nous savons tous qu'elles ne seront suivies d'aucun effet, je m'agace, je m'énerve, je m'insurge, je fatigue.
Je veux être honnête, dans tout ce salmigondis indigeste est arrivée la bonne nouvelle des nouveaux programmes de l'école maternelle, qui semblent répondre enfin à nos besoins. J'attends de voir comment les DASEN et IEN vont arriver à nous les transformer en autre chose, mais le CSP a quand même fait son boulot, et l'a fait correctement. Ses membres ont pris le temps qui leur semblait nécessaire, et tant mieux. Encore une fois, le temps de l'école n'est pas celui des médias qui quotidiennement ont besoin de leur pitance malsaine, ni des politiques qui aujourd'hui leurs sont assujettis.
Mais d'autres mesures devraient être prises, qui nous sont pourtant nécessaires. Qu'en est-il de la place des familles à l'école, démesurée et génératrice de conflits? Alors que le professionnalisme des enseignants est aujourd'hui tant vanté, il est si facile à des parents qui refusent leur responsabilité de se poser en victimes et d'accuser d'incompétence un prof qui pourtant ne pourra pas faire de miracle. J'exagère? C'est tous les jours que nous voyons le profond irrespect de nombreuses familles pour l'institution scolaire. Il faut dire qu'à force de nous taper sur la figure, il finit pas y avoir des traces de coups pérennes.
Tiens, un exemple récent: notre Président veut maintenant que tous les enfants "maîtrisent" la langue française à la sortie de l'école maternelle, soit à six ans. Encore la pensée magique. Et bien entendu il sous-entend que jusqu'à présent les instits de maternelle ne faisaient pas correctement leur boulot. Ben voyons. L'effet d'une phrase de ce genre peut être désastreux dans l'inconscient collectif.
Un autre exemple tout aussi récent: notre ministre soudain s'excite sur le "harcèlement". Une fois de plus il est sous-entendu que nous ne faisons pas notre travail. Et que je t'invente une nouvelle plate-forme de signalement pour les familles... Nous n'allons pas tarder à en voir comme d'habitude les effets pervers, avec délations absurdes et autres confusions et règlements de compte dont bien entendu seuls les enseignants "suspendus à titre conservatoire" feront les frais.
Après plus de trente-cinq ans de boulot, devant cette accumulation d'annonces idiotes qui viennent surfer sur la vague de l'inquiétude, ou pire tentent de rallier les suffrages enseignants comme le fait actuellement sans vergogne Martine Aubry juste avant les élections, franchement je n'ai plus vraiment envie de m'investir, je suis de plus en plus dégoûté par ce que je vois et j'entends. Payé comme je le suis, c'est à dire malhonnêtement vues mes responsabilités et ma charge de travail, pourquoi j'irais m'emmerder? Ras-le-bol de jouer les sauveteurs. et puis je n'ai plus assez d'énergie pour jeter des bouées et tenter de ramener à bord tous ceux qui se noient. Mes propres élèves, pourquoi pas, je suis dans un coin tranquille, ils sont très jeunes et la plupart ne sont pas tombés à l'eau, ce qui me laisse un peu de temps pour m'occuper de ceux qui enjambent le plat-bord et les rattraper avant qu'ils basculent. Mais pour le reste...
Si encore comme directeur d'école j'avais les coudées franches! Si j'avais du temps, si celui que j'arrive à voler ne passait pas dans des absurdités institutionnelles. Si je pouvais décider de ma propre organisation sans avoir à constamment montrer patte blanche et en référer à Jules ou à Jim. Si on me donnait une autorité que je n'ai pas pour choisir ce qui est le mieux pour MON école, MES élèves, MES familles. La "simplification administrative" est en route, qui consiste à placer quelques cautères sur une jambe de bois. C'est toujours ça, mais ce n'est pas assez. Mon métier de directeur est aujourd'hui encadré par un texte clair -qui mérite encore quelques précisions-. C'est toujours ça, mais ce n'est pas assez. Bientôt existera un Grade spécifique pour les directeurs d'écoles -pour lesquels?-. C'est toujours ça, mais ce n'est pas assez. Ce que je veux, c'est que le directeur d'école soit indépendant, autonome, qu'il puisse lui-même décider ce qu'il doit faire ou pas, ce qui est le mieux encore une fois pour son école, dans le respect des textes bien entendu mais sans que quiconque vienne dans son dos jeter un coup d’œil pervers dans je ne sais quel but. Et évidemment avec du temps pour le faire. Et qu'on ne vienne pas m'emmerder avec une prétendue aide genre EVS, c'est de la blague tant que je ne peux pas laisser ma classe pour m'occuper de ce que j'ai à faire.
Bref, il y a du boulot. On n'est pas sorti de l'auberge. Alors ce serait sympa de ne plus causer de nous pendant quelques semaines. L'école fait ce qu'elle peut mais ne pourra pas pallier les manques familiaux et sociétaux, inutile de se leurrer. Les enseignants s'investissent mais ils sont épuisés devant l'irrespect, l'incivisme et l'absence de reconnaissance. Qu'on nous fiche la paix et qu'on nous laisse faire notre boulot. Qui n'est pas d'apprendre à traverser la rue ou de faire passer le code de la route.
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