samedi 28 mars 2015

Douleurs, épreuves et amertume...

Deux faits divers se télescopent dans ma tête en ce moment: un avion qui s'écrase en Haute-Provence suite à ce qui semble bien être un acte meurtrier volontaire, et un directeur d'école qui profitait de son autorité pour violer ses élèves. Deux crimes, différents mais horribles, deux individus dont les barrières morales ont volé en éclats. De vol à viol, il suffit d'une lettre peut-être pour que ces deux cauchemars s'entremêlent dans mon esprit.

Dans le cas du vol Germanwings, le système a failli. Les pilotes, et particulièrement les pilotes de ligne, font l'objet d'une surveillance médicale attentive qui vise à justement éviter que des personnes malades, physiquement ou mentalement, puissent mettre en danger la vie d'autrui. Une suite de loupés, d'inattentions, une défaillance dans la procédure expliquent peut-être ce qui s'est passé. Et peut-être aussi pouvons-nous respirer mieux quand on pense que le co-pilote n'a pas écrasé son appareil sur une grande ville comme Marseille. Il aurait suffi que le commandant de bord ait envie d'aller aux  toilettes quelques minutes plus tôt...

Dans le cas de ce collègue violeur, le système n'a pas failli, pas vraiment, car de système il n'y a pas. Que la Justice n'ait pas daigné communiquer au Ministère de l’Éducation nationale la condamnation pour détention d'images pédopornographiques ni la mention au casier judiciaire n'a rien d'étonnant, les ponts étant inexistants. Il n'est pas envisageable de le reprocher aux gouvernements qui se sont succédé ces dix dernières années, une de leur tâche les plus difficiles consistant à tenter de remettre de l'ordre dans la gigantesque pétaudière fonctionnariale. Ils s'y emploient, mais le labeur est d'ampleur et heurte tant d'intérêts qu'il faudra certainement plusieurs décennies pour en voir la fin. Il est notoire que l’État ne respecte pas sa propre législation lorsqu'il s'agit des fonctionnaires: nous recevons nos bulletins de salaire de manière aléatoire -tous les trois mois dans le meilleur des cas-, nous n'avons pas de CE, etc. 

Le cas de la médecine du travail est plus grave. Tous les salariés des pays "développés", les français en particulier, font l'objet de visites médicales périodiques pour vérifier le maintien de leur aptitude à leur poste de travail et les informer sur ses conséquences ou l'éventuel suivi médical nécessaire, l'ensemble s'intégrant dans une démarche globale de prévention des risques professionnels. Il s'agit également de prévenir tout danger pour autrui lorsque le poste de travail occupé peut éventuellement en provoquer. Les personnels volants sont dans l'exemple qui nous préoccupe particulièrement rigoureusement et régulièrement suivis, car les compétences qui leur sont nécessaires et leur responsabilité sont d'ampleur. Les enseignants, eux, ne connaissent aucune médecine du travail ni suivi psychologique. Pourtant ils ont charge d'âmes, de vingt-cinq à trente enfants ou plus leur sont à chacun quotidiennement confiés. Les directeurs d'école sont responsables de la sécurité de tous les personnels qui travaillent dans leur école comme de tous les élèves, et ceux qui dirigent une école de trois ou quatre cents élèves comprendront de quoi je parle. Mais pour autant, passé le moment de l'embauche où un extrait de casier judiciaire est réclamé et une visite médicale passée, c'est le désert... Depuis 1979 et ma propre embauche, jamais plus on ne m'a réclamé quoi que ce soit. Depuis trente-six ans jamais on ne m'a suggéré d'aller rendre visite à un psychologue qui pourrait vérifier mon état mental, ou faire un check-up pour vérifier mon aptitude physique.

Les cas de dépression profonde, ou "burn-out", sont aujourd'hui nombreux dans l’Éducation nationale. On me rétorquera que rien ne nous empêche d'aller de nous-mêmes rendre visite à un médecin. Sauf... que justement dans de nombreux cas le déni fait partie de la dépression, qui peut-être une grave et profonde remise en cause. Cela peut aller jusqu'à des délires hallucinatoires, des sentiments suicidaires, la paranoïa, le désir de vengeance. De plus les personnels concernés par ces graves symptômes parviennent souvent à les cacher à leur entourage familial ou professionnel, ils sont enjoués, intégrés. Si un jour les barrières sautent, c'est tout notre système moral et notre cadre social qui d'un coup s'effondrent: tel collègue se suicide dans sa classe ("On n'a rien vu venir!"), tel autre se révèle un prédateur sexuel qui dans la classe voisine se livrait à des viols en série sur les très jeunes enfants dont il avait la charge... Il aura fallu deux courageuses petites filles pour mettre fin aux agissements de celui dont le cas préoccupe la France actuellement. Bénies soient-elles! J'espère que la résilience leur permettra de n'en garder aucune séquelle psychologique. J'espère aussi que les collègues de ce directeur d'école sauront ne pas se reprocher de n'avoir pas vu ce qui se passait, car je ne peux croire que leur aveuglement fut volontaire. Je connais suffisamment l'école pour imaginer combien il est simple de cacher de tels agissements. De nombreuses personnes extérieures au milieu enseignant croient qu'il existe une "omerta" sur la pédophilie. Non. C'est réellement systématiquement une violente surprise et un choc pour le voisinage professionnel même immédiat. En revanche, il a longtemps existé un flagrant silence institutionnel, les personnels concernés étant simplement nommés à une charge administrative ou changés d'école -il ne fallait pas "faire de vague"-. J'ai connu le cas. Mais ce qui n'était pas acceptable n'est plus de mise aujourd'hui. En revanche ce silence existe toujours pour nier la responsabilité institutionnelle dans les cas où des collègues mettent fin à leurs jours. Surtout lorsqu'ils le font sur leur lieu de travail. Au point d'ailleurs que les statistiques sur ce grave sujet, si elles existent, sont soigneusement cachées. Combien de directeurs d'école sont concernés?

Je crois, je suis persuadé, que si la médecine du travail existait dans l’Éducation nationale, de nombreuses déviances, de nombreuses souffrances, auraient pu et pourraient être évitées, de nombreuses vies épargnées, que ce soit physiquement ou psychologiquement. Je suis persuadé que certains prédateurs sexuels auraient pu et pourraient être écartés des missions en lien avec l'enfance. Je suis persuadé que des collègues auraient trouvé une assistance, une aide, un soutien, qui leur auraient permis de ne pas passer à l'acte et provoquer tant de blessures et de désespoir.

En général, il faut un déclencheur pour que sautent les barrières d'une personne malade. On peut parfois le chercher très loin dans l'enfance, ce déclencheur. Ce peut aussi être un harcèlement, qui peut provoquer comme aggraver une dépression. Il aura fallu attendre 2011 pour que soient créés dans l’Éducation nationale les CHSCT, alors que les CHS existent depuis 1941 et les CHSCT depuis... 1982. Trente ans! Si ce n'est pas de la négation institutionnelle, ça... Leur nécessité est flagrante, et quand je vois le nombre de cas qui leur sont soumis aujourd'hui je suis effaré. Attristé aussi, pour tous ceux qui n'ont pu dans les précédentes décennies bénéficier de leur aide. J'ai encore un cas sous les yeux, celui d'un bon camarade qui a rapidement évoqué avec moi hier sa propre situation, harcelé absurdement par un IEN récidiviste de la chose. Il a eu le bon réflexe, celui de veiller à sa propre santé, à sa propre sécurité, à celle de sa famille. Ne serait-il pas temps de créer enfin une médecine du travail dans l’Éducation nationale, pour épargner vies et douleurs, épreuves et amertume?

2 commentaires:

  1. Il faut noter que cet enseignant, après avoir changé d'école chaque année et avoir eu des difficultés relationnelles avec les parents, était maintenant directeur d'école. Probablement parce que personne ne voulait prendre ce poste.

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  2. D'après mes informations, l'ancien directeur venait de partir en retraite. Avec le système des barèmes et une certaine ancienneté, il est facile de devenir directeur d'école même si on n'en a pas les compétences...

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