La tragi-comédie que nous venons de vivre avec l'éclipse de soleil de jeudi dernier est symptomatique de la totale déliquescence de l’Éducation nationale.
L'astronomie est une science connue, étudiée, pratiquée au moins depuis l'âge du bronze autant par les scientifiques que par des millions d'amateurs. Ce qui signifie que cette éclipse pour nous partielle n'était pas une surprise, mais devait être prévue depuis... quoi, des décennies? Des siècles? Il faut être la merveilleuse institution qui nous dirige pour la découvrir une semaine avant. Aristarque a dû se retourner dans sa tombe.
Nous avons donc subi, car c'est bien de cela qu'il s'agit, une suite d'injonctions contradictoires frôlant le ridicule. De rappels ou recommandations de prudence parfaitement compréhensibles, certaines académies ont connu ensuite une avalanche d'obligations obscurantistes dignes d'une irrationnelle inquisition pour ce qui n'est qu'un phénomène naturel exceptionnel digne d'être abondamment observé et commenté. Certaines DSDEN ont par exemple exigé de leurs écoles que les élèves soient cloîtrés et les volets fermés. Stupéfiant. Vigipirate poussé à l'extrême contre le terrorisme solaire. J'ai eu l'impression de me retrouver dans un album de Tintin, avec un bonnet péruvien à chevrons sur la tête. Au point qu'au dernier moment, soit la veille de l'éclipse à 18h, le ministère a été obligé de faire un communiqué de presse pour rappeler que l'étude du phénomène fait partie des programmes d'enseignement et qu'il serait peut-être intéressant de procéder à son observation, dans de bonnes conditions de sécurité...
Il eut été de bon aloi pour l’Éducation nationale de préparer en amont l'observation de cette éclipse, qui a émerveillé de nombreux adultes et enfants de France, en consacrant quelques petits millions d'euros à la fabrication et l'acquisition de centaines de milliers de paires de lunettes d'observation pour les écoliers. C'eut été de l'argent utilement dépensé. Plus certainement que dans l'aléatoire acquisition de tablettes numériques qui seront obsolètes avant d'arriver dans les cartables.
Quand je pense que la France s'est toujours enorgueillie de son enseignement scientifique et de la valeur de ses écoles mathématique et physique, j'en suis malade. Notre civilisation est à l'agonie.
Ce que je constate en revanche avec plaisir, c'est que nombreux furent les enseignants de ce pays, de la maternelle au lycée, à n'avoir pas attendu les ordres et contrordres du ministère et qui avaient préparé l'observation du phénomène avec enthousiasme. Beaucoup d'écoliers français fascinés purent l'observer et en discuter, avec des lunettes ou des sténopés. J'ai fait moi-même projection avec un miroir et observation directe avec des lunettes adaptées pour mes loupiots de cinq ans: "Le soleil, on dirait une Lune!" ... "Pourquoi la Lune elle est toute noire?" ... "Pourquoi il y a du vent tout à coup?" ... j'en passe et des meilleures.
De là à écrire que je n'attends plus grand chose de mon administration de tutelle, il n'y a qu'un pas.
Mais il y a pire à mes yeux que cette pièce de Labiche ou Feydeau que nous avons vécue. Il y a pire que la surenchère infra-rationnelle exercée par des recteurs ou des DASEN incompétents qui se couvraient d'un large parapluie paraéclipse. C'est l'absence totale de confiance de notre administration de tutelle en notre capacité à gérer ce type d'évènement, comme en notre conscience professionnelle. En tant que directeur d'école, je suis outré qu'après quelque avertissement d'usage le ministère ne nous ait pas simplement laissé nous occuper de notre travail sans cet interventionnisme lamentable qui ne fut que contre-productif et laissera des traces. Car il fallait entendre mes parents d'élèves ou mes collègues ce jour là! Épithètes et autres noms d'oiseau ont volé en nombre avec allégresse. Si l’Éducation nationale voulait redorer son image, c'est raté. Ou comment se ratatiner de façon minable en quelques heures...
Les enseignants de France, les directeurs d'école ou les chefs d'établissement, tout le monde éducatif, ne sommes-nous donc aux yeux de notre administration que des enfants? Des enfants stupides en plus, auxquels il ne faut laisser aucune initiative de peur que nous nous blessions? Je savais le système infantilisant, depuis trente-cinq que j'y baigne et que j'y ramène ma grande gueule. Mais à ce point là...
Je milite depuis des années pour que soit accordée au terrain son autonomie de fonctionnement, loin des idées qui nous tombent comme des fruits pourris du sommet de la pyramide. Nous, personnels des écoles, connaissons parfaitement notre public, nos élèves, nos familles, nos élus. Nous, directeurs d'école, sommes les mieux placés pour savoir ce qui est bon pour nous, ce qu'il faut aménager dans nos fonctionnements, ce dont nous avons besoin pour que nos élèves grandissent et apprennent dans les meilleures conditions. C'est une administration locale qu'il nous faut, une administration dont nous serions les maîtres dans un cadre national simple, loin des injonctions désincarnées inutiles ou inadaptées. C'est à nous, directeurs et enseignants, que les familles font confiance et confient leurs enfants. Nous en avons assez de cette pyramide institutionnelle pléthorique qui ne nous apporte qu'ordres, contrordres et désordres. D'ailleurs j'observe que la plupart de mes collègues aujourd'hui -j'étais encore il y a quelques jours en "réunion de directeurs"- ne font plus que ce qui leur convient, et rejettent le reste sans même s'en préoccuper tant les consignes, prescriptions, mandements et autres oukases sont à mille lieux de nos problèmes quotidiens. Notre objectif est et reste la réussite de nos élèves. Alors comment s'étonner de la fronde que je sens de plus en plus présente?
Les directrices et directeurs d'école de ce pays sont des adultes compétents et attentifs à leur mission. Qu'on nous donne notre autonomie! Qu'on reconnaisse l'importance et la valeur de notre métier! Qu'on nous laisse bosser, en somme. Et peut-être éviterons-nous à l'avenir les histoires absurdes comme celle que nous venons de vivre. Quand le soleil a rendez-vous avec la lune, cela mérite plus qu'une chanson.
Malheureusement nous avons eu des nuages empêchant de voir quoi que ce soit.
RépondreSupprimerCe qui n'a pas empêché une ribambelle de mails de préventions, en double ou triple (IA-école, IA-IEN, IEN-école,...).
Nous avions des lunettes (oui!), mais: pas bezef!
A qui le pouvoir dans cet événement? L'Ecole, l'IA, l'IEN, ... ou les parents à rassurer???
Tiens, il semble qu'on va changer sans doute de calendriers de vacances et de zonages, nouvelles en avril... Pas vu venir, mais suis directement concerné, en mal!