samedi 7 mars 2015

Mais y'en a marre !

Il ne se passe pas une semaine sans que l' École se retrouve dans les gros titres des médias. D'aucuns pourraient penser que c'est une bonne chose. Moi j'estime que ce ne sont que de fort mauvais signaux.

Quand ce n'est pas l'égalité filles-garçons -où on nous dit que les filles sont maltraitées quand ce ne sont pas les garçons qui sont à la traîne-, c'est le port du voile islamique -portera? Portera pas?-, la Cour des Comptes qui nous explique combien le système fonctionne mal ou pas -la faute à qui? Je n'ai pas inventé ces conneries d'AP ou d'APC, moi-, les vacances scolaires qui font du yoyo, la date de la rentrée -août, septembre, août, septembre...- qui doit être la même pour tout le monde et on se demande bien pourquoi, l'éventuel pont de l'ascension, la répartition des moyens budgétaires dans l’Éducation nationale entre Primaire délaissé et Lycée dépensier, la "valeur éducative" de la fessée ou pas pour nos pauvres petits qui en seront marqués à vie ou les enfants-rois à qui ça ne ferait pas de mal de s'en prendre une de temps en temps -vous choisissez quoi?-, la terreur de l'apologie du terrorisme dans les établissements ou les écoles, la "réserve citoyenne" qui va faire notre boulot à notre place et je me marre d'avance, l'obsession omniprésente du "numérique" qui va sauver la France -comme aurait dit de Gaulle, ils sautent tous comme des cabris en criant "Le numérique! Le numérique!"-, l'absentéisme des élèves... ou des profs, les enseignants "innovants" qui commencent à nous bourrer le mou, l'évaluation tous azimuts de 3 à 75 ans -de quoi et comment? Mystère!-, la notation à l'école et son intérêt ou son inintérêt et on va la supprimer ben non finalement... j'en passe et des meilleures.

Mais y'en a marre!

L' École est partie intégrante de la société, à ce titre elle ne peut se permettre de faire abstraction du fonctionnement de la Nation, qu'il s'agisse de son budget ou de ses valeurs. Pour autant elle doit absolument rester indemne des pollutions morales élastiques ou des lubies temporaires, des soubresauts idéologiques, des faits de société et des faits divers, des titres des journaux aussitôt publiés aussitôt oubliés. Elle a besoin de stabilité, et de stabilité dans le temps parce que son temps n'est pas celui de ce qui l'entoure, et certainement pas celui des médias. Elle a besoin de sérénité. Sa mission d'enseignement, car c'est bien de cela qu'il s'agit, ne peut souffrir d'être en permanence discutée ou remise en cause. D'autant, nous le savons tous, qu'il faut de longues années pour qu'un changement soit apprécié, discuté, organisé, mis en place, évalué, prolongé, amélioré. Et puis nous avons des contraintes particulières: locaux, effectifs, composition d'une équipe et union autour d'un projet, etc. Nous ne fonctionnons pas au jour le jour, heureusement pour nos élèves.

J'ai l'impression, et je ne suis pas le seul parmi les enseignants, que tout le monde parle de nous sans jamais évoquer les sujets qui nous sont les plus importants. Ce n'est pas de prendre une tête d'enterrement en assénant d'un ton grave des sentences définitives sur la Laïcité ou l'informatique qui va résoudre nos problèmes. Quand on a des effectifs pléthoriques, des élèves aux trois-quarts allophones ou une classe de petits brigands marginaux, les priorités sont ailleurs que dans les injonctions hiérarchiques. Quand une équipe d'enseignants change à moitié chaque année, quand la gouvernance d'une école n'est pas assurée parce que la directrice est une débutante qui fait de son mieux mais ne peut pas mieux, quand on a affaire à une municipalité avec laquelle les rapports sont tendus voire à couteaux tirés, les priorités sont ailleurs que dans les envolées lyriques de nos gouvernants. Quand un IEN sème la terreur dans sa circonscription ou se débrouille pour régler ses comptes personnels en utilisant sans remord le  système institutionnel, quand un directeur d'école se fait injurier ou tabasser jusque dans son bureau, quand on se fait suriner à la sortie des élèves, les priorités sont ailleurs que dans les belles intentions généreuses.

Nos priorités? Les programmes, c'est par là qu'il fallait commencer. Les rythmes scolaires et les temps périscolaires, parce que globalement ça ne fonctionne pas et que ça épuise tout le monde, enfants comme adultes, et qu'en plus ça coûte la peau du cul! Les conditions de travail des enseignants, qui sont devenues désastreuses. La gouvernance des écoles, il faut des directeurs d'école formés à ce métier spécifique, compliqué et chronophage. Il faudra aussi sérieusement se poser la question de leur gouvernance pédagogique: moi qui suis en maternelle j'y constate tellement d'aberrations, colportées en toute tranquillité par des IEN qui ne savent rien de la petite enfance. Nous avons tous besoin de respect, de sérénité, de temps. D'argent aussi, ne nous leurrons pas. Quant à la nécessité d'un bac + 5 pour faire ce boulot... je suis dubitatif: les enseignants du primaire ont passé un concours à dix-huit ans -voire à quinze ans- pendant des décennies, et ça ne fonctionnait pas si mal que ça; les profs du secondaire passaient pour la plupart le CAPES après une licence, et ça fonctionnait aussi. Cela permettait d'ailleurs d'avoir des enseignants jeunes, motivés car pour beaucoup ils choisissaient cette voie, et qui n'avaient pas comme perspective d'avoir à travailler jusqu'à un âge canonique pour obtenir une pension de retraite calamiteuse.

Bon, là, je sature. Comment voulez-vous bosser dans cette ambiance? L'école par ci, l'école par là... L'école, elle vous emm... Non, je reste poli. Mais je n'en pense pas moins.

4 commentaires:

  1. Votre lassitude reflète totalement la mienne. Après plus de 22 ans de bons et (trop) loyaux services, j'en arrive à un niveau de stress jamais atteint... Les anciens collègues attendent leur départ à la retraite en se moquant éperdument de ce qu'il adviendra, ceux comme moi au milieu du gué sont résignés ou trop peureux d'arborer autre chose qu'une pensée unique bien "orwellienne" et les jeunes ne se rendent compte de rien quand ils ne s'en moquent pas carrément! Désespérant. Même pas moyen d'espérer le soutien des syndicats autrefois plus mordants face aux couleuvres ineptes que l'on tente de nous faire si violemment avaler.
    Je me permets de vous suggérer de poster aussi vos messages sur cartables.net ou sur le forum EDP pour une plus large diffusion. Nous sommes nombreux à avoir besoin d'une analyse comme la votre et de la voir diffusée plus largement.
    Souhaitons nous bon courage car la route sera longue et truffée de chausse-trappes.

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  2. Comme diraient d'autres: 'je plussoie'!
    Quand on ne comprend pas pourquoi 'ça ne bouge pas' à l'EN, il faut le placer dans le contexte que nous ne vivons pas dans le même temps.
    Les jeunes qui arrivent, trop contents de travailler sans doute, prennent le train en marche et ne savent pas la vitesse avec laquelle 'les choses' se sont dégradées.
    Et franchement, je ne suis pas optimiste pour la suite, sans détailler.
    Pourtant, au regard du nombre de mes années restantes, y a une idée qui me taraude: question de circonstances qui feront quitter la classe tôt ou tard, parce que quelque part là-haut, dans a tête, ça n'en finit plus de commencer de dépasser les bornes des limites.

    Pression, pression, pression... sur les "privilégiés" (ki ki' y kroi?).

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  3. Directeur itou, je ne peux souscrire à ta remarque sur les rythmes qui ne marcheraient globalement pas, dans mon école, ça fonctionne et les élèves et les enseignantes sont contents. Petit rappel ironique : la majorité des enseignants a-t-elle moufté quand on est passé "violemment" aux 4 jours ? Commencer par les programmes ? n'est ce pas ce qui a été fait depuis ... mes 35 ans de carrière ! Par contre, la gestion du stress dû à ce boulot, rien n'est pris en compte par la hiérarchie, c'est vraiment dommage à l'heure où il est rajouté affelnet, les liaisons école/collège, les ppms, etc. ... mais j'enfonce des portes ouvertes.

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    1. Reportez-vous à mon billet intitulé "Agonie"... http://leconfortintellectuel.blogspot.com/2015/02/agonie.html

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