dimanche 29 mars 2015

Salmigondis matinal...

Il est 8h30, les portes s'ouvrent. M. Boncouillon, directeur de la petite école maternelle de Maizy-Bienprofond, accueille ses élèves à la porte de sa classe.

(Bruits divers: enfants qui se déshabillent en rigolant, un bébé qui pleure, parents qui discutent... Le niveau sonore est assez élevé.)

- Bonjour Élise, tu as une bien jolie robe ce matin!
- Bonjour maître. T'as vu maître, elle tourne! (La petite fille fait un tour sur elle-même.)
- Monsieur Boncouillon?
- Tout à fait, bonjour Madame. Va Élise, rentre en classe. (La petite fille continue à faire des tours sur elle-même et épate les copines qui commencent à l'entourer.)
- Bonjour Monsieur. Voilà, je viens...
- Élise, rentre! Tu gênes le passage! Pardon Madame, je vous écoute.
- Oui. Alors je suis venue ce matin...
- Sigmund, qu'est-ce que tu tiens dans la main? Montre-moi ça. Pardon Madame. (Sigmund qui tentait maladroitement d'entrer en classe en tenant un objet caché ouvre la main d'un air penaud.)
- Qu'est-ce que tu fais avec ce téléphone? C'est celui de ta maman? Madame Freud! (Mme Freud s'approche.)
- Je suppose que c'est votre téléphone...
- Ah oui, effectivement, Sigmund a dû le prendre dans mon sac. Ah la la, ces gosses!
- Rentre, Sigmund. Euh... Pardon Madame, je vous ai interrompue.
- Oui, je viens pour une admission.
- Ah, vous êtes certainement Madame Peulaporte, la Mairie m'a prévenu.
- Tout à fait. Nous emménageons à Maizy à la fin du mois.
(Un cri dans la classe, puis des pleurs.)
- Hansel! Lâche la natte de ta sœur! Excusez, ce sont des jumeaux, ils se battent tout le temps. Allons Gretel, ce n'est rien.
- Y m'a fait maaaaaal! Il est méchant! (sanglots) Je le dirai à maman!
- Tu es content de toi Hansel? Attention, je te surveille! Oui, Madame, nous allons faire... (Un téléphone sonne.) Excusez-moi, je dois répondre. Allo? Ah, bonjour Madame l'inspectrice... Le procès-verbal? Je vous l'ai envoyé, oui... Tout à fait... Bon, je vous le renvoie dans la matinée... Avant neuf heures?... D'accord.... Oui... Non... D'accord... Bonne journée Madame l'inspectrice. (il repose le téléphone avec un léger soupir)
- Je vois que vous êtes un peu pris...
- Effectivement, il y a des jours comme ça. Mais j'ai l'habitude, hélas. C'est tous les jours, en fait. Alors, qu'est-ce que j'étais en train de vous dire? Ah oui, nous allons faire l'admission. Vous ne pourriez pas revenir à 16h, par hasard?
- Non, je suis désolée, je dois récupérer mon fils à son école à cette heure-là. Je ne le laisse plus aux NAP, il n'ont fait que regarder la télévision depuis la rentrée, et en plus ça coûte cher, alors j'aime autant qu'il la regarde à la maison.
- (soupir) Bien, d'accord, nous allons faire l'admission maintenant, il faut simplement que je trouve mon ATSEM. Abélard! Tu as le droit de prendre des ciseaux, mais tu n'as pas le droit de couper les cheveux d'Héloïse! Non mais tu lui as coupé deux centimètres de sa frange, c'est n'importe quoi! Excusez-moi, je dois trouver mon ATSEM, je reviens.
(Il s'éloigne d'un pas rapide et revient tout aussi rapidement avec une dame d'un certain âge.)
- Je vous présente Imaculada, qui m'aide dans mon travail et connait bien les enfants...
(à part, pour lui-même: -... à défaut d'être efficace...)
- Je suis Madame Peulaporte.
- Imaculada Laïlama.
- Oh! C'est d'origine tibétaine?
- Non, portougèche.
(On entend des rires dans la classe, trop regroupés pour être honnêtes. M. Boncouillon va jeter un œil suspicieux sur un groupe d'enfants qui semble entourer une petite fille.)
- Qu'est-ce que vous fabriquez?
- C'est Lola, maître...
- Lola! Qu'est-ce que tu fais les fesses à l'air?
- Ze voulais montrer montrer ma culotte Simpson.
- Rhabille-toi Lola, ça ne se fait pas de se déshabiller comme ça! Imaculada? Tu peux surveiller la classe pendant que je descends avec Madame Peulaporte dans le bureau?
- Oui. Jé m'en occoupe.
- Allons-y. Suivez-moi, Madame Peulaporte.
(Un bruit de vomissement dans la classe, des commentaires enfantins divers des enfants qui se regroupent autour du vomi en se pinçant le nez: -... ça pue! - Beeerk!... M. Boncouillon s'éloigne en faisant semblant de n'avoir rien entendu.)

( Dans le bureau.)

- Alors... je vais vous faire patienter quelques instants, le temps que le programme d'admission s'ouvre, et comme c'est en ligne... 0...9...6...7...4... 2! Zut, j'ai été trop lent. 2... 5... 9... 7... 3... 9! Hein? .... c'est en maintenance... (il se tourne vers son interlocutrice) Je vais prendre les renseignements nécessaires à la main, je ferai ça plus tard.
- Vous n'avez pas un administrateur réseau? Dans l'entreprise de mon mari, chez Bouftou & Fils, ils ont un administrateur réseau.
- C'est moi l'administrateur réseau... mais de toute façon ce n'est pas ici que ça coince.
(On frappe à la porte.)
- Entrez!
- Oh pardon! Je ne savais pas que tu étais en rendez-vous.
- Madame Peulaporte, maman d'un futur élève. Madame Courage, la maîtresse des Moyens.
- Ah? Votre enfant a quel âge?
- Il est en Grande Section.
(Mme Courage souffle, on sent un certain soulagement) - Bien, c'est donc dans ta classe, Pierre. Cela va t'en faire... ?
- 32...
- ...
- C'est beaucoup, non?
- Effectivement Madame Peulaporte, c'est beaucoup. Tu voulais Sandrine?
- Ah oui. Le photocopieur est en panne, il clignote de partout comme un arbre de Noël.
- Bon, je regarderai ça tout à l'heure.
- C'est que... j'en aurais besoin maintenant...
- Vous avez quelques instants, Madame Peulaporte? Le temps de voir ce qui ne va pas.
- Faites, je vous en prie.
(Le directeur s'éloigne. La mère d'élève parcourt d'un œil inquisiteur les nombreuses piles de documents qui couvrent le bureau. Quelques minutes passent, puis M. Boncouillon revient, les mains sales et l'air fatigué.)
- Me revoilà, pardonnez-moi.
- Une panne sérieuse?
- Non. Ma collègue avait juste fait une petite erreur de manipulation. Mais il a fallu ouvrir la machine, et... bref... Vous avez le certificat d'inscription de la Mairie? Le certificat de radiation? Le carnet de santé? Merci. Donc votre enfant s'appelle?
- Geoffroy.
- Geoffroy...
- Peulaporte.
- Peulaporte... Vous êtes Angèle et votre mari s'appelle Firmin.
- Oui, Angèle, Firmin Peulaporte.
- Et Geoffroy.
- Geoffroy, Angèle, Firmin Peulaporte, c'est ça.
- Geoffroy, né le... à... INE... OK, c'est noté. Des informations particulières à propos de votre enfant?
- Oui. Il est allergique.
- Ah? Allergique à quoi?
- Geoffroy est allergique aux poils de porc.
- Pardon?
- Les poils de porc. Quand il est en contact avec des poils de porc, Geoffroy fait de l'asthme et se couvre d'urticaire.
- Par chance, nous n'élevons pas de porc à l'école! (rires communs) Ah oui, mais j'ai des brosses de peinture en poils de porc, moi!
- Dans son école actuelle, ils ont acheté des brosses en martre.
- Ah? ... c'est le budget fournitures qui va être content... Bon, à part ça? Rien? Il va donc nous falloir faire un PAI, si j'arrive à joindre le médecin scolaire.
- Un... quoi?
(On entend un bruit de cavalcade dans l'école.)
- Son école actuelle n'a pas fait de PAI? Excusez-moi.
(il sort du bureau. On entend au loin: - C'est quoi ce chantier? Quand on va aux toilettes, on y va en marchant, je vous l'ai dit cent fois! Et sans crier! Maxime, enlève ton doigt de ton nez, c'est dégoûtant. Lou, on ne baisse pas sa culotte avant d'arriver, tu n'as plus deux ans! Il revient dans le bureau.)
- Désolé. Oui, un PAI... C'est un projet d'accueil pour les ch... les enfants qui ont un souci de santé, une allergie... Bon, je vous reparlerai de tout ça plus tard, en attendant je ne le mettrai pas en contact avec des poils de porc. Et bien je crois que j'ai tout ce qu'il me faut pour l'instant, voici le règlement de l'école avec les horaires et tout le toutim, nous nous reverrons quand votre enfant fera sa rentrée.
- Merci Monsieur. Au revoir, Monsieur. Geoffroy sera content d'avoir un maître, il n'a eu que des maîtresses jusqu'à présent.
- Il risque d'en avoir beaucoup encore après. Et puis adulte peut-être... (le directeur rit tout seul) Pardon. Je vous raccompagne. Au revoir Madame Peulaporte, et à bientôt.
- Au revoir Monsieur Boncouillon, bonne journée.
- Merci. Je sens que ça va être une excellente journée... Une journée normale, quoi. (soupir)

1 commentaire:

  1. J'ai beaucoup ri, et pas ri en même temps,parce que nombre de situations sont celles vécues en maternelle, à quelques variantes près, selon les jours.
    Nous sommes, en l'occurrence, des hommes avec un cerveau non-mono-tâche, c'est une qualité que l'on se saura nous retirer!
    Je rie un peu moins, étant concerné, du fait de l'absurdité d'une vitrine (qui fait vitrine à qui veut le voir) et de la réalité dans le 'magasin'.
    C'est notre réalité, ubuesque, au mépris total de notre santé.
    Alors si je prends un petit verre pour boire à tout cela, vous m'en excuserez: ce n'est ni avant, ni pendant un temps de classe: seulement après... une fois rentré.
    Santé!

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