Nous vivons une période chargée, en terme de travail. Par "nous", je pense bien sûr aux directeurs et directrices d'école. Que ce soit en élémentaire ou en maternelle, entre les admissions à prévoir, les CTSD qui ouvrent ou ferment nos classes, Affelnet et ses joies, les projets qui aboutissent, les autorisations de sortie -c'est la saison qui commence-, les dérogations et autres radiations, sans compter les diverses Assises des valeurs de la République auxquelles j'ai été allègrement invité pour y conter avec "mon" Maire nos pérégrinations PEDTesques... bref, je suis actuellement en mode "directeur d'école". Autant dire que ma casquette d'enseignant est bien effilochée.
Ce qui provoque chez moi une grande frustration. Bien entendu je sais que je ne suis pas incompétent, comme je pouvais en avoir l'impression il y a quelques semaines tant je me sentais déprimé. Mais j'ai le sentiment d'une vague déshérence envers mes élèves. Toute mon énergie est présentement absorbée par la gestion de l'école, et évidemment je dois faire des choix dans ma gestion de classe. C'est fort désagréable. On dit -je le sais- que la frustration est formatrice. Quand on a cinq ou dix ans certainement. Pas à mon âge. Avoir ma classe en charge à chaque heure de chaque jour me condamne à travailler lorsqu'ils sont partis, ou à courir entre la classe et le bureau, volant trois minutes par ci pour une urgence, deux minutes ailleurs pour une autre.
Ma classe tourne toute seule, j'ai suffisamment de bouteille pour, et toute mon organisation mise en place pour faciliter les apprentissages, cette routine qui apporte aux enfants la sécurité affective, géographique et temporelle nécessaires à des acquisitions régulières et confortées, fonctionne à plein régime. Mes élèves y trouvent leur compte, leur autonomie y est immense dans un cadre clair, et bien sûr, ils sont heureux. Mais ils ont grandi, bien grandi, ils ont ou auront bientôt tous six ans, ce ne sont plus des "maternelles", presque tous des "élémentaires" prêts à nous quitter et à passer à autre chose. Et moi je suis profondément frustré de ne pouvoir actuellement leur proposer d'autres démarches, sortir de la routine, emprunter des chemins de traverse, travailler sur la surprise... Je n'en ai ni le temps ni l'énergie. Alors que je l'avais lorsque je n'étais pas directeur d'école, ou lorsque directeur d'école de cinq ou quatre classes mes élèves étaient pris en charge par un adjoint une journée par semaine.
J'en discutais hier matin avec un parent d'élève -un collègue du secondaire d'ailleurs- qui me vantait le remarquable projet de classe en cours d'une instit de l'école. Il n'y avait aucune malice dans son discours enthousiaste, juste le désir de me faire connaître à quel point il trouvait ça bien. Je me suis senti très humain à cet instant, j'ai ressenti une pointe de jalousie à l'idée que je ne pouvais pas, moi, proposer à mes élèves une opportunité aussi intéressante et formatrice. J'ai bien écrit que je ne peux pas le faire, ce n'est pas un choix mais une contrainte apportée par ma double casquette. Je me suis très vite rassuré en me rappelant que si cette collègue pouvait travailler de façon aussi intéressante c'est bien parce qu'à elle aussi comme directeur je lui offrais un cadre de travail clair et dénué de problème. Mais pour autant... cela n'enlève rien à ma frustration.
L'an prochain, grâce aux avancées arrachées par le GDiD et certains syndicats, je bénéficierai d'une journée mensuelle lors de laquelle je ne serai pas en charge de classe. Ce sera largement plus que ce que je n'ai pas aujourd'hui. Ce ne sera certainement pas assez. Mais peut-être cela me permettra-t-il d'atténuer cette insatisfaction que je ressens de plus en plus profondément chaque année qui passe. Parce que finalement mon principal souci, et c'est un dilemme que je n'arrive pas à résoudre, c'est que j'aime autant mon boulot d'enseignant que mon boulot de directeur d'école.
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