J'ai suivi avec un certain amusement la polémique qui anime depuis deux semaines le microcosme médiatique parisien au sujet de la vidéo ridicule de Mélissa Theuriau quant au harcèlement qu'elle entendait dénoncer.
Si j'écris "ridicule", d'emblée vous comprenez ce que je pense de ce "clip" inutile et cher. Ce petit film est si caricatural qu'il s'enfoncera de lui-même dans les oubliettes sans qu'il soit nécessaire de l'y pousser. Mais mon propos n'est pas là.
La vidéo ayant été activement dénoncée aussi bien par les syndicats que par la plupart des enseignants sur les "réseaux sociaux", la seule ligne de défense choisie aussi bien par son auteur que par les journalistes a été de dire que si les enseignants en dénonçaient la caricature c'était parce qu'ils niaient l'existence du harcèlement dans le cadre scolaire.
Nous observons typiquement là un niveau de réflexion digne d'une cour de récréation. Tu n'aimes pas le film donc tu ne veux pas reconnaître que le problème existe! Bouh le vilain! Invitée et soutenue par ses copains de Canal+, Mme Theuriau a même poussé le bouchon jusqu'à trouver la polémique "indécente et déplacée". Qu'une profession entière s'estime stigmatisée par une caricature aussi minable passe au-dessus de la tête des ces gens-là qui se pensent certainement meilleurs qu'ils ne le sont.
Sauf que le harcèlement à l'école, quand il existe, est activement combattu par les enseignants. Mais ceux-ci ne commettent pas de communiqué de presse victorieux à chaque fois qu'ils mettent fin à des tentatives enfantines ou adolescentes de maltraitance entre condisciples. Si je qualifie la vidéo en question de ridicule, c'est simplement parce que je la trouve effectivement ridicule, déplacée, qu'elle tape à côté du problème, en un mot qu'elle est tout simplement moche et ratée. C'est compliqué à comprendre? J'aurais préféré que la somme consacrée à ce méfait aille dans la formation des enseignants au repérage et à la lutte contre le harcèlement. Ou s'il était vraiment nécessaire de faire un film, qu'une vidéo plus fine et plus subtile soit conçue et filmée. Mais je suppose que le copinage médiatique...
Le harcèlement existe dès l'école maternelle. C'est un acte collectif, différent d'une mise à l'écart, qui amène un groupe d'enfants à poursuivre, conspuer, embêter voire même battre un de leurs condisciples, pour des raisons souvent de personnalité singulière, pour des questions d'appartenance à une communauté éphémère, ou pour d'autres raisons qui parfois nous échappent. Cela va vite, cela se passe dans les moments intermédiaires -habillage, récréation...-, c'est haïssable et facilement repérable. C'est facile à contrer aussi. Croyez-en mon expérience: une bonne gueulante bien placée et ça s'arrête aussitôt. Attention toutefois à ne pas créer de ressentiment en "punissant" aveuglément un responsable qui ne l'est pas plus que les camarades qui l'accompagnaient, et créerait un désir de vengeance. C'est la même chose en élémentaire, y compris dans les grandes classes: si les enfants sont effectivement sous surveillance, c'est un problème récurrent facile à régler. Je le sais, je l'ai fait. La question est en revanche plus présente au collège pour la raison simple que les moments intermédiaires sont plus nombreux et moins sous observation; il est facile de se cacher, et les adolescents apprennent vite à utiliser des stratégies d'évitement de l'adulte pour accomplir leurs méfaits. Je le sais aussi, je l'ai fait aussi. Je n'en suis pas forcément fier, loin de là. Mais la construction de la personnalité individuelle passe certainement à cet âge par des questions de valorisation et de reconnaissance par un groupe auquel on cherche à s'intégrer. C'est à mon avis un phénomène normal et inhérent à tout regroupement -même adulte d'ailleurs, réfléchissez!- , qu'il faut combattre, mais qui fait également à mon idée partie des rites d'initiation. La disparition des cérémonies de passage à l'âge adulte, ou ce qui en tenait lieu chez nous, mériterait une étude. Pour mieux combattre, il faut comprendre. Notre époque n'est pas douée pour cette démarche: on interdit tout sans chercher de cause, comme un médecin qui soigne des symptômes sans vouloir poser de diagnostic.
Avoir choisi pour ce film de montrer une classe primaire est donc déjà une erreur. Avoir choisi de montrer une enseignante aussi caricaturale est outrageant pour les centaines de milliers d'institutrices et d'instituteurs qui quotidiennement accueillent des enfants singuliers, handicapés, autistes, dyslexiques ou dysphasiques, luttent avec détermination et succès contre les discriminations, contre l'ignorance, contre l'indifférence. Mais on n'en fait pas un film, de cette lutte permanente. J'ai lu sur Facebook une enseignante qui excusait l'image épouvantable colportée par le film en expliquant qu'il fallait n'y voir qu'une allégorie... Pour moi une allégorie suscite l'interrogation, le doute, la réflexion; elle élève l'esprit, elle n'abaisse pas l'individu. Comme si, pour reprendre des mots de Paul Devin, le harcèlement était le fruit "d'un dysfonctionnement des classes, d'un désintérêt des enseignants pour leurs élèves". Quelle image va rester dans les yeux des familles? Celle d'un enseignant aveugle et incompétent. C'est minable, et surtout indigne de l’Éducation nationale, qui prétend vouloir attirer de jeunes adultes et les amener à exercer notre belle mais compliquée mission. Que de ravages! Et puis surtout... il est malheureux qu'une question importante comme celle du harcèlement soit ridiculisée de cette façon, au détriment des vraies victimes.
On ne peut pas dire que Mélissa Theuriau cherche à apaiser la polémique. Oser dire (sur Europe 1): "Je montre une institutrice qui a le dos tourné comme tous les
professeurs et les instituteurs qui font un cours à des enfants et qui
ne voit pas dans son dos une situation d'isolement, une petite situation
qui est en train de s'installer et qui arrive tous les jours dans
toutes les salles de classe de ce pays et des autres pays", ce n'est même plus de l'ignorance, c'est du mépris. Il eut été séant que cette dame fasse un tour dans une école. Les enseignants du primaire tournent le dos à leurs élèves? Seigneur... J'en veux terriblement au ministère d'avoir laissé passer une merde pareille. Et d'avoir payé, en plus. Au fait, quel a été le coût de cette saloperie faite sur le dos des instits? Voilà qui va faciliter mon boulot de directeur d'école, certainement, quand -comme la dernière fois que le ministère a voulu faire de la "communication" sur ce sujet- les parents verront du harcèlement dans n'importe quel petit conflit d'enfant... Vous me direz, j'ai l'habitude, j'ai connu ça avec la pédophilie il y a vingt ans. Vous croyez que je plaisante? Je suis un homme -c'est rare- en école maternelle. Je n'ose quasiment plus mettre les pieds dans les toilettes des enfants. Alors quand une petite me demande de lui essuyer les fesses... Non, je ne rigole pas. Et ça ne me fait pas rire non plus.
Quand on en parle, cela me fait penser que les pires cas de harcèlement que je connaisse sont des cas entre adultes. Ne croyez pas que le monde du travail soit une panacée. Les écoles ne font pas exception. Faire partie du GDiD m'a hélas permis d'être au courant de nombreux cas de harcèlement de directrices ou directeurs d'école par leurs "adjoints". C'est là aussi inhérent, cette fois à la mission qui n'est pas encore distincte de celle d'enseignant, et permet à n'importe quel instit de faire souffrir à satiété la ou le pauvre clampin qui a accepté pour son malheur de vouloir gérer une école. Je connais aussi de nombreux cas, certains proches de moi, de directrices ou directeurs d'école harcelés par leur hiérarchie immédiate, soit des IEN en mal de pouvoir, dictateurs inconscients des souffrances qu'ils provoquent. Je préfère écrire "inconscients", parce qu'autrement nous tombons dans le domaine du sadisme. Je n'épiloguerai pas. Sauf que certains ont été poussés au suicide. Quand on se donne la mort sur son lieu de travail, je ne crois pas que ce soit dû au hasard. Mais nous rentrons dans les arcanes ignorés de l’Éducation nationale, qui ne tient pas de statistiques dans ce domaine, ou les cache soigneusement si elle le fait. Je ne crois pas qu'elle le fasse, la souffrance des personnels est totalement ignorée par le ministère. N'oublions pas que la médecine du travail est absolument inexistante dans l’Éducation nationale! Ma dernière visite médicale date de 1979... Voilà un bel exemple de ce que l' État s'épargne qu'il impose pourtant à toutes les entreprises de notre pays. Comme premier employeur d'Europe, je lui tire mon chapeau. Bravo l'artiste! Et s'il n'y avait que ça.
Bon, allez, j'arrête, je vais me rendre malade. Ce serait un mauvais service à rendre à mes élèves -pas de remplaçant- et à leurs familles. Je vous embrasse, chers lecteurs. Je n'embrasse pas Mélissa Theuriau.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire