Lorsque M. le Premier Ministre vous a appelé à votre poste, M. Blanquer, le monde de l'éducation n'a pas manqué d'être inquiet. Effectivement, votre travail en tant que DGESCO il y a huit n'a pas vraiment laissé de bons souvenirs à notre communauté, en particulier à l'école maternelle. Il avait par la suite fallu aux enseignants plusieurs années pour retrouver un peu de sérénité dans leur travail, malgré quelques autres changements pas tous bien venus.
Néanmoins nous nous disions que peut-être, désormais à la tête du ministère, vous auriez le souci de vos personnels, comme vous l'expliquiez dans un entretien avec "SOS Education" : "(...) tout le monde est conscient que toute réforme, même minime, peut épuiser le système tant ce dernier est à bout.(...)".
Vous avez donc fait quelques déclarations lénifiantes, expliquant qu'il n'y aurait pas de "réforme Blanquer", que vous vouliez y aller dans la douceur et la persuasion. Vous avez bien laissé échapper quelques mots désagréables susurrés par l'organisation susnommée, comme "pédagogisme" par exemple, avec le léger dédain qui s'impose. Mais cela pouvait être une maladresse.
Il ne vous aura néanmoins pas fallu plus d'un mois pour montrer votre vrai visage. Passe encore pour le dédoublement des classes de CP qui faisait partie du programme de M. Macron, même si nous avions bien compris qu'évidemment malgré vos dénégations ce seraient les enseignants du dispositif PDMQDC qui trinqueraient. Mais vous cumulez, en ce moment, les déclarations désagréables. Vous lancez des balises comme autant de signaux destinés à voir quelles seront les réactions du milieu enseignant ou des français en général : sur les rythmes scolaires, sur les redoublements, sur les devoirs forcément faits à l'école ou encadrés par des volontaires, sur...
Tout cela bien entendu vous le faites à votre gré, sans consultation des enseignants, sans chercher l'avis de ceux qui sur le terrain travaillent quotidiennement avec les enfants de ce pays. Vous foulez aux pieds avec allégresse des années d'investissement, de travail, d'organisation, des années de recherche. Certes par exemple la réforme des rythmes a été tout autant bâclée, mais justement vous aviez tout loisir de calmer les ardeurs et de suggérer d'emblée des méthodes de travail, au lieu de nous jeter ces changements au visage avec une brutalité étonnante. Car dans votre démarche pour vous agréger les maires de certaines communes françaises, vous oubliez volontairement ceux - notamment les Directeurs d'école organisateurs, gestionnaires, responsables - qui ont appliqué quotidiennement ces rythmes depuis plusieurs années, y ont beaucoup investi en temps et en énergie, même s'ils n'étaient pas forcément d'accord. Ce n'est pas l'idée de laisser les territoires choisir qui m'indispose, c'est la façon abrupte dont vous le faites, et votre choix délibéré d'ignorer les personnels.
Je ne crois pas au hasard. Votre ambition secrète est de démanteler ce ministère qui vous obsède. Vous l'aviez clairement expliqué dans l'entretien avec l'organe douteux que j'ai déjà cité : "(...) Le statut associatif permet déjà, en France, de faire beaucoup de choses. On pourrait accompagner des initiatives dans le futur, dès lors qu’elles sont clairement dans le cadre des objectifs de service public. Sans aller vers des logiques de privatisation, on peut aller vers des logiques de délégation, qui permettent d’accomplir mieux le service public en responsabilisant davantage des acteurs. (...)" Je ne crois plus à votre volonté de construire, je crois de plus en plus à votre volonté de détruire.
Pire, car il y a pire, c'est aux médias que vous annoncez les choses, ou au hasard d'entretiens improvisés lors de vos déplacements. C'est forcément, évidemment, foncièrement délibéré de votre part. Les médias vous suivent qui n'y comprennent rien tant ils ont hâte de faire leur "une" de vos pseudo-confidences. Les sondages vous suivent aussi, les français sont des ânes en matière d'éducation et n'imaginent leur école que sous la forme qu'elle avait au XIXème siècle, ou qu'elle n'a jamais eue tant ce domaine relève du fantasme. Ce n'est plus du dédain, M. le Ministre, c'est du mépris pour les enseignants, c'est du mépris pour moi et mes presque quarante années d'investissement auprès de mes élèves. Je suis un bon fonctionnaire, M. le Ministre, je fonctionne et je continuerai à fonctionner. Mais ne me demandez ni enthousiasme ni rapidité. Votre expérience pourtant devrait vous avoir fait connaître la puissance de freinage du milieu enseignant. Je crains que n'ayez à y faire rapidement face. Certainement alors vous aurez beau jeu de dénigrer avec force le million de personnels qui travaillent sur le terrain... C'est vrai, M. le Ministre, c'est un jeu trop facile. Mais c'est un jeu que personne ne gagne jamais, et qui se joue au détriment de nos enfants.
Je ne crois pas une seconde, M. le Ministre, que vous soyez aveugle ou bête. Une fois que les élections législatives seront passées, il sera certainement temps de changer votre fusil d'épaule. Mais soyez néanmoins conscient qu'en à peine quatre semaines vous avez fait avec quelques mots, en donnant tant de gages à une vision médiocre de l'école, mille fois plus de mal que vous pouvez l'imaginer. Lever le doute sera désormais difficile.
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