En même temps que se termine la "graaaande concertation" sur la "refondation" dont vous savez tout le mal que j'en pense, le paysage syndical s'enfonce dans le brouillard. Difficile de comprendre aujourd'hui ce que chaque centrale syndicale pense réellement du statut pourtant nécessaire des directeurs d'école, tellement les perspectives s'assombrissent. La direction d'école semble avoir été dans de nombreuses discussions de la concertation une pierre d'achoppement, car plus personne aujourd'hui ne nie l'importance des directeurs d'école dans la réalisation effective des changements qui devront être opérés à l'école primaire dans les mois ou les années qui viennent. Comment faire sans nous? Et d'autre part comment imaginer laisser perdurer la quasi-catastrophique situation actuelle, ou pire augmenter la charge des directeurs d'école? C'est ainsi que fut souvent évoquée lors de la concertation la "gouvernance" de l'école, ou encore son "pilotage", comme s'en amuse Je suis en retard dans son dernier billet.
Aujourd'hui les directeurs d'école persistent à accomplir tant bien que mal leur mission, mais les rouages grincent sérieusement. De nombreux "anciens" partent ou vont partir en retraite, et leur expérience forte du fonctionnement interne d'une école et des tensions qui s'y dégagent se révèle déjà cruellement manquer dans de nombreux cas.
Il se dégage semble-t-il pour l'avenir de l'école primaire quatre possibilités, et les grandes centrales syndicales ont des difficultés certaines pour se positionner clairement dans la perspective de l'une ou d'une autre. C'est pourquoi de jour en jour apparaissent sur les sites des syndicats des tribunes et autres articles qui jonglent avec des notions contradictoires, ou oscillent sur le fil du rasoir, sans que souvent un choix et une proposition clairs ne soient faits.
La première possibilité, c'est celle d'un total statu quo: l'école primaire reste comme elle est, et on accorde aux directeurs d'école le beurre, l'argent du beurre, et le [***] de la crémière. La position est évidemment à tous points de vue intenable, en particulier sur le plan budgétaire, c'est pourtant la position défendue par les syndicats dits "ouvriers", soit SUD, la CGT et FO.
La seconde possibilité, c'est celle que défend depuis plus de dix ans le GDID: un statut sans responsabilité hiérarchique pour les directeurs d'école (ou pour la direction d'école, ce qui revient au même). Qui dit "statut" dit forcément apparition d'un nouveau corps de fonctionnaires. Le directeur d'école serait clairement défini comme l'animateur pédagogique de l'école, responsable de son fonctionnement.
Cette option pose un problème majeur, celui du nombre de directeurs qui obtiendraient ce nouveau statut. Effectivement, plus de la moitié des écoles publiques françaises ont moins de quatre classes. Peut-on financièrement imaginer que tous les directeurs d'école du pays passeraient dans le nouveau corps? C'est ce que demande le GDID, aujourd'hui clairement rejoint par la CFTC. Mais la question financière, primordiale, est trop facilement évacuée. Aussi serait-il envisageable de favoriser dans cette optique le regroupement des écoles, qu'elles soient élémentaires ou maternelles, pour obtenir des "établissements primaires" de taille opportune, et localement bien implantés. Un tel établissement aurait certainement la faveur des communes, qui pourraient ainsi facilement contrôler l'usage des crédits qu'elles devraient lui apporter, par le biais logique d'un conseil d’administration qui regrouperait directeur statutaire, élus, représentants des familles et enseignants, comme une sorte de super conseil d'école aux pouvoirs et à la compétence élargis. Cette formule aurait également l'avantage de favoriser nettement la relation parfois mouvementée entre la maternelle et l'élémentaire.
La troisième possibilité serait celle d'un statut de directeur avec des responsabilités hiérarchiques au sein de l'école. Cette option n'a la faveur d'aucune centrale syndicale, elle est même par la plupart d'entre elles farouchement combattue au nom d'idéologies surannées qui professent un "Ni Dieu ni Maître" pourtant inapproprié à la situation. J'y verrais pour ma part, outre les avantages déjà cumulés de la seconde proposition, celui supplémentaire de pouvoir supprimer l'échelon intermédiaire des Inspecteurs de l’Éducation Nationale (IEN), dont la responsabilité hiérarchique ne leur est accordée que par délégation -le véritable supérieur des enseignants étant le Directeur Académique des Services (DASEN)-. Ces IEN, je l'ai déjà plusieurs fois exprimé sur d'autres billets, sont souvent tentés d'abuser de leur fonction, et sont en général trop éloignés des réalités du terrain pour avoir un réel impact sur le fonctionnement des écoles. Supprimer les IEN dont la mission est en faillite serait à mon sens une vraie opportunité.
La quatrième possibilité, celle qui se dégage des propos récents de M. Peillon, est de créer des "écoles du socle". Sous cette terminologie étrange se cache l'idée de donner la responsabilité des écoles aux collèges de secteur. J'utilise volontairement le verbe "se cache", car jamais dans aucun discours personne ne dit clairement que la disparition des directeurs d'école en est le corollaire. Bien sûr, en même temps que la direction d'école, disparaîtrait également la dimension locale du fonctionnement des écoles. Je ne suis donc pas certain que les communes françaises, souvent attachées à leur école dont les enseignants sont dans de nombreuses communes les derniers représentants de l’État, seront favorables à une telle proposition. Encore faudrait-il qu'elles aient voix au chapitre!
Qu'implique l' "école du socle"? Pour M. Peillon, ministre de l’Éducation Nationale, il s'agit de se débarrasser de cette question primordiale de la "gouvernance" des écoles en supprimant les directeurs d'école qui deviendraient des "coordinateurs" des écoles primaires. Au passage, cela lui permettrait également d'y casser le monopole historique du syndicat SNUipp. Sous couvert de favoriser la liaison primaire/collège (ne vous méprenez pas, ce n'est qu'un prétexte), le principal du collège de secteur deviendrait le responsable administratif des écoles, ainsi que le responsable des projets des écoles, ce qui lui donnerait la haute main sur les crédits afférents... et forcément aussi sur les méthodes d'enseignement des professeurs des écoles qui ne seraient plus maîtres de leurs projets! Le gâteau est appétissant pour les principaux de collège, qui se précipitent tous tête baissée dans la crème qui leur est offerte sur un plateau. C'est aussi pourquoi ce projet est aujourd'hui activement soutenu par le SE-UNSA et le SGEN-CFDT, qui lorgnent sur les professeurs syndiqués du collège et aimeraient bien croquer une part des effectifs des syndicats du secondaire.
Et justement, dans cette optique, qu'en est-il du SNUipp, grande centrale syndicale historique du primaire? Le SNUipp est issu du défunt SNI, et reste un syndicat attaché au écoles communales. Je pense que jamais le SNUipp n'accepterait de lui-même la collégialisation des écoles primaires. Mais le SNUipp est partie prenante de la FSU, qui couve en son sein le puissant SNES. Le SNES, grand syndicat du secondaire, croquerait bien le SNUipp dans le cadre de la rénovation de la représentation syndicale en France, qui est il faut le dire en très mauvaise santé. Alors le SNUipp hésite, et semble vouloir pour l'instant faire de la balançoire: comment défendre l'école primaire et combattre "l'école du socle" sans se rapprocher du GDID dont le SNUipp dit pis que pendre depuis des lustres? Actuellement la centrale syndicale tergiverse, fait deux pas en avant, un pas en arrière, nous explique que la direction d'école est aujourd'hui un métier à part (ce qu'ils ont nié pendant toutes ces dernières années), cherche des formules incantatoires obscures qui disent "oui au statut pour la direction d'école" tout en clamant "non au statut pour les directeurs d'école", ce qui ne veut pas dire grand-chose. Il va falloir que le SNUipp fasse dans les jours qui viennent un choix clair pour sa propre survie, au sein ou non de la FSU, et se prononce enfin clairement pour un statut spécifique pour les directeurs d'école. Certes, cela sera certainement un renoncement, mais un renoncement courageux et nécessaire, et les directeurs d'école auront alors à leurs côtés un allié de poids -après avoir eu pendant des années un farouche adversaire- face à ceux qui veulent faire disparaître l'école primaire française que nous aimons et qui au-delà des clivages politiques ou syndicaux nous réunit souvent autour d'une même table.
Comme j'aimerais moi aussi que la clarté illumine les positions des uns et des autres...
RépondreSupprimerFaute de grives on mange des merles, ou vice versa...
Les circonvolutions sont inévitables tant les enjeux internes sont importants.
On peut quand même se réjouir de cette position, nouvelle, du SNUipp qui peut permettre de débloquer la situation sans compromettre l'avenir.
L'important c'est l'objectif. Trop de dribbles nuit à la fluidité du jeu... Mais s'il y a but à la fin...
Pierre Lombard
Oui, Pierre Lombard et tu n'es pas le seul à espérer !
RépondreSupprimer"Enjeux internes" , dis-tu ? Ceux d'une centrale syndicale ? d'un appareil louvoyant entre les positions des uns et des autres ?
Que vaudrait donc alors la survie d'une poignée de gueux s'ils ne devaient être que le jouet des luttes ou alliances d'une machine bureaucratique ?
Il ne nous reste donc et malgré tout, oui, qu'à espérer...
Dénouement dans le dernier épisode de la série "refondation". quel suspens !
RépondreSupprimerQuoiqu'il en sorte ce sera lourd de sens.
Vivement la fin ... des haricots pour les directeurs ?