J'ai découvert par hasard une étude remarquable de Daniel Arnaud consacrée à ce qu'il appelle les "Sévices publics" -ce sera le titre de son ouvrage une fois publié-, c'est à dire au harcèlement dans la fonction publique d'éducation.
Daniel Arnaud en publie les bonnes feuilles sur son blog. Autant vous le dire tout de suite, son enquête n'a rien de drôle. Mais connaissant le système de l'intérieur, je peux en garantir la véracité. En trente et quelques années de métier, j'ai rencontré nombre de cas qu'il relate. Et le système est bien tel qu'il le décrit.
Un extrait qui fait peur:
Le BO n° 10 du 8 mars 2007 prévoit que la victime d’un harcèlement doit saisir sa hiérarchie :
« L’agent doit informer son supérieur hiérarchique des comportements dont il estime être victime afin d’obtenir qu’il y soit mis fin. Il saisit l’échelon hiérarchique supérieur si le harceleur présumé est son supérieur hiérarchique direct. »
Or, nous avons vu que le fonctionnement de l’administration française tendait au déni. Si vous êtes victime d’une conduite abusive, surtout si elle vient de votre supérieur hiérarchique direct, et que vous tentiez d’alerter les services académiques, il est peu probable que vous soyez entendu.
Dans les systèmes très hiérarchisés, qui ne veulent pas de vagues, ce qui est le cas de l’Education nationale, la victime risque effectivement d’être confrontée à une administration la traitant en « fauteuse de troubles » perturbant « la bonne marche du service », au lieu de la soutenir.
Les dysfonctionnements que vous dénoncerez seront ignorés, et vos appels à l’aide demeureront sans réponse, du moins dans un premier temps.
Il n’est pas question pour l’institution scolaire de reconnaître, et donc de traiter, des problèmes de maltraitance au travail. Vous comprenez : cela ternirait la sacro-sainte « image du service public ».
Quant à l’Inspecteur, il ne répond jamais…
« C’est d’ailleurs ce qui m’a paru le plus choquant dans l’Education nationale, s’indigne Stéphane L. Le terme “Grande Muette” est bien plus adapté à cette structure, qu’à l’Armée. Je n’ai eu strictement aucune réponse. Partout ailleurs, on déformerait, ou on minimiserait, mais au moins on vous répondrait quelque chose. Ici, c’est la loi du silence. »
Un autre:
L'administration s’y entend pour engager des procédures disciplinaires truquées, dans lesquelles les intéressés ne sont jamais mis en situation de confondre leurs accusateurs par un débat contradictoire, arguments contre arguments. Les faits sont ainsi suffisamment dénaturés pour donner l’impression que le fonctionnaire incriminé mérite son avertissement ou son blâme, et quelquefois sa révocation. Voilà l’odieuse idée que se font vos supérieurs de la « protection statutaire » qu’ils sont censés vous assurer !
Le simulacre à tous les étages, telle est leur politique. Maurice T. Maschino écrit fort justement :
« Extraordinaire “justice”, tout entière réglée de façon telle que les “juges” - recteur, inspecteur - n’aient jamais à s’expliquer devant l’enseignant qu’ils sanctionnent. Protégés par une armée de plantons, dames d’accueil, secrétaires, ils ne risquent pas d’être mis en difficulté par un “accusé” susceptible de se défendre, de leur prouver qu’ils mentent, cèdent à des pressions, font preuve de lâcheté.Ne répondant jamais, ou faisant répondre qu’ils sont “en réunion” ou “très occupés”, ils peuvent en toute quiétude préparer et savourer leurs forfaits. » (L’Ecole de la lâcheté, Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2007)
Encore un:
(...) le Système, en l’occurrence, ne veut pas : il ne veut pas entendre la victime, parce qu’il se refuse à traiter d’affaires de harcèlement moral dont la reconnaissance ternirait sa réputation.
L’Education nationale, dans une telle optique, s’avère être un Etat dans l’Etat ayant pour objet sa propre conservation, et doté d’une direction des ressources de fait inhumaines ; puisque la priorité est de réprimer et d’éliminer les rouages qui pourraient mettre en cause les pouvoirs en place, quitte à briser des personnes :
« Le harcèlement professionnel bat son plein et est devenu une technique de gestion des ressources humaines… Je ne suis pas mort parce que j’écris. », assure Gérard C.
Pour perpétuer les abus de pouvoir et l’arbitraire qui lui sont intrinsèques, l’institution scolaire, à l’instar d’autres sévices publics, a besoin d’opacité.
D’où un fonctionnement interne et autarcique, garanti par un contrôle de l’information des plus rigoureux, des services de communication voués à aseptiser l’image des rectorats, et l’invocation d’un « devoir de réserve » qui permet de museler les fonctionnaires récalcitrants.
Et pour finir dans ce billet:
Quant au fameux « dossier administratif », qui vous suit jusqu’au terme de votre carrière, l’administration peut y glisser n’importe quoi, à seule fin de casser le dissident. Il n’est pas sans rappeler le « livret ouvrier » dénoncé par Marx au XIXe siècle, et qui permettait de marquer au fer rouge un salarié de manière à s’assurer la docilité du plus grand nombre…
Des pratiques qui relèvent d'un autre âge, et n’ont pas leur place dans une démocratie moderne, de surcroît membre de l’Union européenne.
Les abus décrits précédemment ne sont pas des incidents isolés ou des « dysfonctionnements » : ce sont des symptômes d’un système bien installé, et de son mode de fonctionnement habituel, au contraire.
Vous aviez cru que le Mur de Berlin était tombé, ou encore que la Corée du Nord était la dernière survivance de la Guerre froide ? Détrompez-vous ! Il reste un système soviétique et totalitaire embusqué dans le monde occidental : l’Education nationale.
Je vous recommande cette remarquable lecture plutôt glaciale mais saine. Ceux qui sont dans le métier comme ceux qui n'y sont pas et voient dans la carrière d'enseignant un long chemin parfumé semé de fleurs et de vacances devraient tous lire cette suite d'articles de Daniel Arnaud, en attendant la publication de l'ouvrage. La relation en commence sur cette page (les billets sont numérotés, et la logique d'un blog veut qu'il faille lire en "remontant"). Armez-vous d'un grog et d'énergie positive.
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